Je ne sais plus exactement quand c’est arrivé. Sûrement un mercredi matin, devant une diffusion sur M6 Kids. Le mercredi, mes parents travaillaient et j’étais gardée par mes grands-parents. C’était devenu un rituel rassurant : chaque semaine, je m’installais devant la télé et je regardais Card Captor Sakura. Je ne pouvais pas rater un épisode, sinon j’étais vraiment triste toute la journée. Mais ce qui comptait encore plus que le reste, c’était de voir s’il allait apparaître. Syaoran. Ou Shaolan. Lionel, en version française (allez savoir pourquoi !)

Toujours est-il que parfois, Syaoran n’était pas dans l’épisode de la semaine, et dans ces moments-là, tout semblait un peu plus terne. J’étais déjà très fleur bleue, très jeune, et je pense qu’il est vite devenu mon prince charmant idéal.
Peut-être que c’est venu un peu plus tard, en feuilletant le manga. En tout cas, ça n’a fait que se renforcer.
Ce dont je suis sûre, c’est que le jour où j’ai croisé Syaoran Li, quelque chose en moi a changé. Ce n’était pas juste un crush d’enfant ou un personnage parmi tant d’autres. C’était un ancrage. Un refuge. Une obsession douce mais puissante, qui allait m’accompagner pendant des années.
On parle souvent des intérêts spécifiques, dans le trouble du spectre autistique, comme de passions dévorantes, parfois étranges de l’extérieur, souvent vitales de l’intérieur. Pour moi, cet intérêt-là avait un nom, un regard un peu fuyant, une tenue verte et une loyauté sans faille. Il s’appelait Syaoran, et il venait de Card Captor Sakura.
Dans cet article, j’ai envie de raconter ce lien — pas juste parce qu’il est important pour moi, mais parce qu’il parle d’enfance, d’attachement, de survie émotionnelle. Et peut-être, d’amour aussi.

Card Captor Sakura, en quelques mots
Card Captor Sakura est un manga créé par le collectif d’autrices Clamp, publié pour la première fois à la fin des années 1990. Il raconte l’histoire de Sakura Kinomoto, une écolière de 10 ans qui libère accidentellement un jeu de cartes magiques aux pouvoirs redoutables : les Cartes de Clow. Elle devient alors « chasseuse de cartes », chargée de les retrouver et de les sceller à nouveau, avec l’aide d’un gardien magique, Kerobero, et de ses amis.
Mais ce qui rend Card Captor Sakura si marquant, ce n’est pas seulement la magie ou l’esthétique délicate du dessin : c’est la douceur, l’émotion sincère, et la richesse des relations humaines qu’il explore. L’histoire parle d’amitié, d’amour, de transmission, de doutes, de changements. On y rencontre des personnages profondément sensibles, chacun avec ses failles et ses forces.
Syaoran Li, l’un des protagonistes, est introduit comme un rival de Sakura dans la capture des cartes. Mais rapidement, il prend une place essentielle dans la série… et dans mon cœur.








Syaoran : le personnage qui m’a choisie
Parmi tous les personnages de Card Captor Sakura, c’est lui qui m’a accrochée. Pas Sakura, pourtant lumineuse et adorable. Pas Tomoyo, que j’admirais et que j’aurais adoré avoir pour meilleure amie. C’était Syaoran. Et je ne saurais pas dire si c’est moi qui l’ai choisi… ou si c’est lui qui m’a choisie.
Il arrive dans la série comme un rival froid et très sérieux, presque agressif au début. On découvre vite qu’il est en réalité un garçon très travailleur, studieux, qui prend tout beaucoup trop à cœur — surtout ses responsabilités. Il est l’héritier du puissant clan Li, une lignée de magiciens basée à Hong Kong, et ça se sent : tout repose sur ses épaules, même s’il n’est encore qu’un enfant. C’est comme s’il n’avait pas vraiment le droit d’être un enfant, justement. Il est surentraîné, il maîtrise déjà les arts magiques et le combat, mais il n’a jamais appris à gérer ses émotions. Il fait de son mieux, toujours — mais il est seul.

Il a quatre grandes sœurs (qu’on découvrira plus tard), ce qui le rend encore plus touchant dans sa pudeur et sa gêne vis-à-vis de ce qu’il ressent. Il pense d’ailleurs être amoureux de Yukito, tout comme Sakura — ce qui, rétrospectivement, ajoute encore à sa complexité émotionnelle et à sa sensibilité. Il ne comprend pas tout ce qu’il ressent, mais il le vit sincèrement.
Et moi, j’étais là, à observer ce petit garçon qui rougissait trop vite, qui évitait les regards, qui se mettait en colère quand il avait peur de ce qu’il ressentait, mais qui continuait malgré tout. Il me bouleversait. Parce qu’il était imparfait, parce qu’il ne savait pas comment faire — mais il essayait. Il devenait fort, non pas parce qu’il était invincible, mais parce qu’il aimait, parce qu’il avait un sens profond de ce qui comptait pour lui.
Je crois que je l’ai aimé aussi pour ça. Parce qu’il montrait qu’on pouvait être réservé, maladroit, excessif parfois, et quand même être profondément bon. Et aimé en retour.


Un intérêt spécifique comme refuge
Quand on parle d’intérêt spécifique, on pense souvent à une passion envahissante, dévorante, parfois perçue comme “bizarre” de l’extérieur. Mais de l’intérieur, c’est bien plus que ça. Syaoran est devenu un ancrage. Il ne me quittait jamais vraiment. Il m’accompagnait à l’école, dans mes pensées, dans mes carnets, dans mes rêves. Je recopiais ses dialogues, je dessinais son visage (mal, au début, mais ça ne comptait pas), je passais des heures à chercher la moindre image de lui dans les magazines ou sur Internet quand j’ai pu m’y connecter. J’avais besoin de lui autant que d’un doudou, sauf qu’il était en papier, en pixels, en imagination.
J’ai créé mes premiers site web sur Card Captor Sakura quand j’avais 11 ans. Évidemment, il trouvait toujours la meilleure place. De même que dans mes fanfictions puis mes AMV (ahah, vous aviez oublié l’existence des AMV, avouez ?)

Quand tout semblait trop flou autour de moi, il me suffisait de revenir à lui pour que tout reprenne un sens. Je pouvais tout oublier en me concentrant sur un détail : la façon dont il fronce les sourcils, les moments où il détourne les yeux, le geste précis qu’il fait quand il lance un sort. J’analysais tout. C’était apaisant. C’était obsessionnel, oui, mais c’était doux. Ça me donnait une structure. Une routine. Une sécurité.
Et aujourd’hui encore, il est là. Je suis adulte, j’ai d’autres responsabilités, d’autres centres d’intérêt, mais Syaoran n’a jamais vraiment disparu. Quand je vais mal, ou simplement quand j’ai besoin de m’évader, c’est vers lui que je retourne. C’est presque devenu un rituel secret : je ferme les yeux, je m’invente un rêve. Un monde rien qu’à nous.
Je ne publie plus de fanfictions comme j’aurais pu le faire à une époque, mais ça n’a pas d’importance. Mon imagination continue à écrire pour moi, en silence. Je recrée des scènes entières, j’invente des dialogues, je les envoie — lui et Sakura — dans de nouveaux récits, de nouvelles épreuves, de nouveaux bonheurs. Parfois ce sont des histoires douces, parfois des aventures épiques. Mais dans toutes, il est toujours lui : courageux, maladroit, tendre, déterminé. Et il me rassure.

Ce n’est pas juste un souvenir d’enfance que je ravive par nostalgie. C’est un abri que je continue d’habiter. Une pièce intérieure de mon esprit dans laquelle je peux me réfugier quand le monde est trop bruyant, trop dur, ou trop vide. Dans ces histoires, je me sens en sécurité. J’ai l’impression de retrouver un bout de moi-même, intact, malgré tout.
Aujourd’hui encore, j’ai Syaoran en fond d’écran de mon téléphone. Ce n’est pas un simple clin d’œil nostalgique. C’est un petit rituel de réconfort. Quand je déverrouille mon écran, je me sens un peu moins seule. Je me dis que la journée finira bien par passer. Et qu’à la fin, dans mes rêves, je pourrai peut-être le retrouver, si j’en ai besoin.
Grandir sans oublier
Avant de continuer, quelques mots sur Tsubasa Reservoir Chronicle :
C’est une autre série créée par Clamp, publiée au début des années 2000. Cette fois, l’univers est très différent : plus sombre, plus dramatique, et plus complexe. On y retrouve des versions alternatives de personnages emblématiques de leurs autres œuvres, comme Sakura et Syaoran.
Dans cette histoire, Sakura perd ses souvenirs, qui se transforment en plumes dispersées à travers des mondes parallèles. Syaoran part alors en voyage à travers ces dimensions pour les récupérer, prêt à tout sacrifier pour elle — y compris sa propre place dans son cœur.
Mais rien n’est simple : très vite, on découvre qu’il existe un deuxième Syaoran, et que toute l’histoire repose sur un enchevêtrement de doubles, de choix impossibles et de douleurs profondes.

Quand Tsubasa Reservoir Chronicle est arrivé, j’étais plus âgée. Et j’ai retrouvé Syaoran… mais ce n’était plus exactement le même. Ce nouveau Syaoran était plus mature, plus tourmenté, porté par une quête immense et tragique. Il avait perdu Sakura — ou du moins, il faisait tout pour la sauver — et il portait sur les épaules un poids encore plus grand que dans Card Captor Sakura. Mais malgré tout ce qu’il vivait, il restait fidèle à lui-même : toujours aussi déterminé, toujours aussi loyal, prêt à tout sacrifier pour ce (et ceux) qu’il aimait.
Et moi, je l’étais aussi. Plus âgée. Différente. Mais toujours là.







Je l’ai suivi dans ce nouveau récit avec une intensité presque douloureuse. Parce qu’il ne s’agissait plus seulement d’un garçon maladroit qui apprenait à aimer, mais d’un personnage brisé, complexe, capable de faire des choix difficiles, parfois terribles. Il n’était plus « juste » un héros. Il était devenu une énigme à double fond, une figure presque mythologique. Et pourtant, je le reconnaissais. Il avait grandi — et moi aussi.
TRC a rendu mon lien avec lui encore plus profond. Plus intime, presque. Ce n’était plus seulement un intérêt spécifique d’enfance : c’était un compagnon de route. Un écho à mes propres luttes intérieures. J’ai pleuré pour lui, j’ai espéré pour lui. Et je crois que quelque part, en le regardant affronter les pires épreuves, j’apprenais aussi à être plus forte.
Il y avait quelque chose d’apaisant à le voir continuer, coûte que coûte. Même quand c’était dur. Même quand tout semblait perdu. Il était la preuve que l’on pouvait être brisé, et continuer d’aimer. Continuer d’exister. Et ça, c’était précieux.
Et ce que Tsubasa Reservoir Chronicle a ajouté de vertigineux, c’est cette idée de multiplicité. Syaoran n’était plus un, mais deux. Ou plutôt : il était lui-même, et aussi une autre version de lui-même. Un reflet, un double, une conséquence. Une identité fracturée, éclatée dans un multivers complexe et douloureux.
Et ça m’a parlé d’une façon que je n’arrivais pas encore à formuler à l’époque. L’idée qu’on puisse être plusieurs à la fois. Qu’on puisse exister sous différentes formes selon les mondes, selon les regards, selon les épreuves. Qu’on puisse perdre une part de soi, ou en créer une autre pour survivre. C’était une manière poétique et douloureuse de dire qu’on change, qu’on se transforme, qu’on grandit — parfois en se brisant.
Clamp a toujours joué avec ces miroirs déformants. Avec les doubles, les interférences, les récits enchâssés. Ce n’est pas juste une question de style : c’est une façon de raconter que l’identité n’est jamais fixe. Qu’elle peut se redessiner au fil des mondes, au fil des histoires, au fil de ce qu’on traverse. Et quand on est une personne qui a souvent du mal à se définir, qui doute de ce qu’elle est ou de la place qu’elle occupe, ce genre de récit agit comme un baume. Ou comme un cri. Parfois les deux.
Clamp, ou l’art de tisser les mondes et les cœurs
Aimer Syaoran, c’était aussi, forcément, tomber amoureuse de Clamp. Peu à peu, j’ai compris que les autrices derrière Card Captor Sakura n’avaient rien laissé au hasard. Que leurs histoires n’étaient pas juste “mignonnes” ou “cool” — elles étaient tissées comme des toiles d’araignée, pleines de liens invisibles, de symboles, de silences.
Clamp, c’est une œuvre collective qui fonctionne comme un labyrinthe. Chaque récit est une pièce du puzzle, chaque personnage un fil tendu vers un autre. Les doubles se croisent, les mondes se superposent, les symboles se répondent d’une série à l’autre. Il n’y a jamais une seule lecture possible. Et moi, qui avais toujours eu besoin de chercher des sens cachés, de lire entre les lignes, j’ai trouvé dans leurs histoires un terrain de jeu parfait pour mon cerveau en quête de détails, de cohérence, d’émotions fortes.
Chez Clamp, les personnages ne sont jamais tout blancs ou tout noirs. Ce sont souvent des êtres ambigus, tiraillés, contradictoires. Et les récits eux-mêmes sont pleins de failles volontaires. De non-dits. D’ellipses. Rien n’est entièrement expliqué. On nous laisse deviner. Ressentir. Parfois, on ne comprend qu’en grandissant. Parfois, on ne comprendra jamais, et c’est fait pour.
Ce que j’aime chez Clamp, c’est cette façon de raconter le trouble sans jamais en faire une faiblesse. L’ambiguïté est partout, mais elle est belle. Les amours sont souvent impossibles, les identités glissantes, les chemins douloureux… et pourtant, c’est toujours traversé par quelque chose de profondément humain. Fragile. Poétique.
C’est sans doute pour ça que je n’ai jamais vraiment quitté leurs histoires. Parce qu’elles ressemblent à la façon dont je ressens le monde : un peu floue, un peu trop intense, un peu désordonnée — mais toujours remplie de possibles.
Ce qu’il m’a appris, même si je ne sais pas toujours le dire
Je ne saurais pas dire exactement ce que Syaoran m’a appris sur moi. Parfois, on ressent les choses sans pouvoir les nommer. Ce n’est pas une leçon comme on en trouve dans un livre. C’est plus diffus, plus intime. Une sensation, un miroir, une présence.
Peut-être qu’il m’a aidée à m’aimer un peu plus. À accepter d’être sensible, maladroite, excessive parfois. Peut-être qu’il m’a montré que je pouvais avoir peur, me replier, douter… et continuer quand même. Que je n’étais pas seule à me sentir comme ça.
Il ne m’a pas tout appris, et il ne m’a pas « sauvée ». Mais il m’a accompagnée. Et ça, c’est déjà énorme. Il a été ce fil rouge, discret mais solide, que j’ai tenu entre mes doigts quand tout devenait trop flou autour de moi.
Et je pense que quelque part, il m’a donné la permission d’exister comme je suis.
Si je le rencontrais un jour… « mon » Syaoran, je n’oserais probablement pas lui parler. Je suis timide, moi aussi. Surtout quand j’aime. Je rougirais comme une pivoine, je perdrais mes mots, mes moyens. Mais au fond, je crois qu’il comprendrait.




Conclusion : Ce que je garde de lui
Je crois que c’est la première fois que j’écris tout ça aussi clairement. Jusqu’ici, seules les personnes qui me connaissent vraiment bien savent à quel point ce personnage compte pour moi. J’ai longtemps eu peur qu’on trouve ça étrange, que ça paraisse “bizarre” ou “immature”. Mais aujourd’hui, je me rends compte qu’il n’y a rien de honteux à aimer quelque chose profondément. À avoir un attachement qui nous fait du bien. Un intérêt spécifique, ce n’est pas moins noble qu’une passion dite “classique”. Et celui-là, c’est le mien.
Je ne sais pas si on guérit un jour de ses attachements les plus profonds. Peut-être qu’on n’est pas censé guérir, d’ailleurs. Peut-être qu’on grandit autour d’eux, qu’on les laisse évoluer avec nous, comme des pierres précieuses qu’on garde dans sa poche — un peu usées, un peu polies par le temps, mais toujours là.

Syaoran fait partie de moi. Pas comme un souvenir figé, mais comme une présence discrète, un repère. Il est ce que j’ai été, ce que j’aurais aimé être, et parfois ce que j’ai encore besoin d’être pour tenir debout. Il est à la fois une fiction et une vérité. Un personnage et une part de mon histoire.
Il m’a appris qu’on pouvait être sensible et courageux. Qu’on avait le droit de changer. Que l’amour ne rendait pas faible, mais fort. Et qu’on pouvait continuer, même quand tout vacille.
Et si un jour je redeviens incapable de tout, si le monde devient trop bruyant, trop vide, trop flou… je sais que quelque part, dans un coin de mon esprit, il m’attendra encore, prêt à vivre une nouvelle aventure. Juste pour moi.
Et vous, avez-vous un personnage dans ce genre dans votre vie ? Même quelque chose de moins intense mais qui vous suit malgré les années qui passent ? Dites-moi tout en commentaire !
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