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Sorti en 2004, Le Château Ambulant (Howl’s Moving Castle), réalisé par Hayao Miyazaki pour le Studio Ghibli, est un film d’animation japonais culte, souvent sous-estimé par rapport à Le Voyage de Chihiro ou Mon Voisin Totoro. Cet article vous propose une analyse inédite de ce chef-d’œuvre, en explorant comment le thème du mouvement anime chaque plan et chaque personnage.

Attention : Si vous n’avez pas vu le Château Ambulant et ne souhaitez pas être spoilé, FUYEZ CET ARTICLE ! Mais n’oubliez pas de revenir aussitôt après l’avoir vu. Quand même.

Un voyage parmi les films du studio Ghibli

Ceux qui ont déjà eu l’occasion de voir les dessins animés des Studios Ghibli ont tous leur petit préféré, leur chouchou, leur madeleine de Proust. Certains adorent Princesse Mononoké. D’autres ne jurent que par Nausicaä de la vallée du vent. Beaucoup plus souvent, c’est le Voyage de Chihiro qui emporte la palme. Sans même parler de la star incontesté des Studios, le Mickey de Ghibli : Mon voisin Totoro !

Pour ma part, mon chouchou est Le Château dans le Ciel. Même si j’adore aussi tout particulièrement Le Royaume des Chats parce que… parce qu’il y a des chats, faut-il vraiment un meilleur argument !? J’ai même consacré un article à son « prologue », Si tu tends l’oreille (qui est beaucoup moins connu mais n’en est pas moins une merveille), que vous pouvez lire en cliquant ici, parce que je suis littéralement amoureuse du personnage du Baron.

Sinon, Les Contes de Terremer m’ont fait pleurer comme rarement. Le Tombeau des lucioles a aussi fait verser des litres de larmes depuis sa sortie en 1988 et reste un des films emblématique des Studios. On pourrait aussi citer Kiki la petite sorcière, Ponyo sur la falaise, Arrietty, le petit monde des chapardeurs ou, plus récemment, La Colline aux coquelicots, Le vent se lève, Le Conte de la princesse Kaguya, les Souvenirs de Marnie et, le tout dernier en date, Le Garçon et le Héron.

La Parade Ghibli, montage réalisé par Tenaga

Un film parfois déprécié injustement

Mais ce n’est d’aucun de ces nombreux films dont nous allons parler aujourd’hui.
Celui que j’ai choisi n’en est pas moins célèbre. Mais il est parfois déprécié. Davantage, en tout cas, que d’autres films des Studios. Il s’agit du Château Ambulant.
Or, quand j’ai eu envie de me pencher sur le pourquoi de cet étrange phénomène, j’ai fini par m’apercevoir qu’un « personnage » (vous verrez au cours de votre lecture pourquoi j’utilise des guillemets) central de l’intrigue passait bien souvent totalement inaperçu aux yeux des spectateurs. C’est donc de ce « personnage » que nous allons parler et, à travers lui, j’espère vous faire redécouvrir ce petit bijou d’animation.

Le Château Ambulant : Ce film qui portait si bien son nom

Il était une fois, dans un royaume en guerre, un étrange château ambulant, et une jeune chapelière nommée Sophie. Transformée en vieille femme par une sorcière jalouse, elle trouve refuge dans ce château mouvant, et y rencontre le sorcier Hauru, Calcifer le démon du feu, et toute une famille improvisée. Cette aventure est bien plus qu’une simple quête : c’est un voyage initiatique, une exploration du changement, du courage et de la liberté.

Définition : « Ambulant »
Ambulant : Qui se déplace d’un endroit à l’autre.
Marchand ambulant : Celui qui se déplace pour vendre sa marchandise selon un parcours précis et revient périodiquement à un domicile fixe.
Comédien ambulant, troupe ambulante, musicien ambulant : Qui se déplace de ville en ville pour se produire en spectacle.
Par analogisme : Bazar ambulant, cabane ambulante, cirque ambulant, commerce ambulant, demeure ambulante, hutte ambulante, logis ambulant, maison ambulante (= voiture), théâtre ambulant.
Personne qui de par sa condition ou ses aspirations va de côté et d’autre, n’a pas de domicile fixe.
Synonyme : nomade, vagabond.
Celui ou celle que son travail oblige à effectuer de fréquents voyages ou déplacements.
Étymologie et historique : De 1558 à aujourd’hui : « qui n’est pas fixe en un lieu, qui ne cesse jamais ».
Source : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL)

Le mouvement : un personnage invisible

Dans le Château Ambulant, de Hayao Miyazaki, il y a un personnage que beaucoup oublie de citer au générique. C’est d’ailleurs un personnage récurrent de l’oeuvre de Miyazaki. Il est présent dans la plupart de ses films. Mais dans le Château Ambulant, il est au cœur même du l’histoire. Au point qu’elle n’existerait pas sans lui.

Dire qu’il y a du mouvement, dans le Château Ambulant, c’est un peu comme sortir de chez soi, voir qu’il y a un grand et beau soleil et dire « Il fait vachement beau aujourd’hui ! » comme si ça n’était pas ÉVIDENT pour tout le monde. Autrement dit, si vous avez vu le Château Ambulant et qu’il y a au moins deux neurones qui pédalent dans votre tête, vous savez que le mouvement, qu’il soit synonyme de changements, de voyage, d’aventure, de transformation… est partout dans ce film.

Ce personnage est invisible. Ou, plutôt, il n’est pas visible au sens où vous pourriez l’attendre d’un personnage.

Il s’agit du mouvement.

En effet, dans le Château Ambulant (Hauru no ugoku shiro en japonais ou Howl’s moving castle en anglais) tout est en mouvement. Sans cesse. D’un bout à l’autre du film. Tout bouge, tout change, tout se transforme…

Sophie et celui qu'on surnomme Navet, l'épouvantail qui, lui aussi, sera en mouvement et en transformation durant le film.
Sophie et celui qu’on surnomme Navet, l’épouvantail qui, lui aussi, sera en mouvement et en transformation durant le film.

Ainsi, Sophie est forcée de fuir sa ville quand la malédiction la frappe, Navet l’épouvantail (dont je ne vous dit pas grand-chose pour éviter de trop vous spoiler quand même) se met à bondir pour lui ouvrir un chemin, et le château lui-même change d’emplacement pour échapper aux espions de Suliman. Même le cœur d’Hauru voyage, lié à Calcifer, et la porte magique mène Sophie d’un port bombardé à un jardin secret hors du temps. Chaque scène est un pas de côté, une fuite, une traversée : c’est littéralement le mouvement qui écrit l’histoire.

Hauru, encore enfant, "avalant" Calcifer.
Hauru, encore enfant, « avalant » Calcifer.

Une animation qui déborde de vie

Déjà dans ses croquis préparatoires, Miyazaki donne à voir des dessins mouvants alors même que tout n’est encore que papier et aquarelle (tout ce qu’il y a de plus fixe, à première vue). Mais à l’aide de tracés énergiques, au crayon et au pinceau, le maître de l’animation japonaise donne déjà le ton de ce qui deviendra un film d’animation.

Mamie Sophie endormie près de la cheminée, d’où l’observe Calcifer, le démon du feu.
Croquis de Hayao Miyazaki.

Les croquis de Hayao Miyazaki ressemblent à des gravures colorées. L’artiste utilise une multitude de traits pour donner du volume à ses décors. Les lignes s’entrecroisent pour former des ombres tandis qu’à d’autres endroits elles sont quasiment inexistantes, si ce n’est pour former les lignes d’un meuble ou d’un parquet. Ce sont à ces endroits que la lumière se pose. Autour d’elle, l’enchevêtrement de traits est tel que l’action est mise en valeur au premier coup d’oeil. Et cela fonctionne à merveille, même dans les décors volontairement surchargés du Château Ambulant.

Du livre au film : une adaptation en mouvement

Pour l’anecdote : Ci-dessus, le croquis de Miyazaki fait directement référence au conte qui a inspiré le film, à savoir Le Château de Hurle de Diana Wynn (Howl’s Moving Castle, 1986). En effet, dans l’histoire originale, quand Mamie Sophie arrive enfin à entrer dans le Château, elle s’assoupit devant la cheminée mais, avant cela, elle est mal à l’aise parce qu’un crâne humain est posé derrière elle.

« Sophie ajouta encore une bûche puis se renforça dans son fauteuil, non sans un coup d’oeil nerveux derrière elle. La lueur mauve des flammes dansait sur la surface du crâne, d’un brun poli. La pièce était de proportion modestes, finalement. Elle y était seule en compagnie de cet objet.
– Lui a les deux pieds dans la tombe, tandis que moi je n’en ai qu’un, se consola-t-elle. »

Diana Wynn, Jean Fuzier et Yves Denis (trad.), Le Château de Hurle, Ed. Gallimard, Paris, 1962, n.p.

D’ailleurs, très vite, en lisant le Château de Hurle, on se rend compte que le caractère de Sophie est très proche de celui qui est le sien dans le film. Hayao Miyazaki devait donc y tenir. Pourtant, l’histoire familiale de Sophie est un peu différente (même si certains éléments du conte sont suggérés dans le film, comme la relation malsaine que Sophie entretient avec sa belle-mère #SPOILER qui finira par la trahir #FIN DU SPOILER).

Mais revenons-en à nos moutons !

Un voyage européen pour une esthétique unique

La réalisation même du Château Ambulant commence déjà par un voyage (qui dit voyage dit mouvement, ça va, vous suivez toujours ?). Il s’agit, pour l’équipe du film, de visiter des lieux clefs d’Europe afin de créer l’identité visuelle du film.

« Au niveau des architectures, nous nous sommes inspirés des maisons à colombages que l’on trouve beaucoup en Allemagne et en Grande-Bretagne. Notre voyage de repérage en Europe nous a aussi permis de visiter la ville de Colmar, en Alsace, dont les rues, les couleurs, la luminosité et l’atmosphère nous ont particulièrement marqués et dont nous avons reproduit les impressions dans le film. »

Sylvain Chollet (trad.), L’art du Château Ambulant, Ed. Glénat, Grenoble, 2005, p.49.

C’est à des centaines de kilomètres du Japon que les artistes trouvent l’inspiration : en France, l’Alsace regorge encore de nombreuses maisons typiques. En témoigne la comparaison entre ces images tirées du film d’animation et quelques photos que j’ai prises à Strasbourg en 2012 :

Au début du film, une vue de la ville où vit Sophie apparaît et permet de voir qu’elle grouille de mouvements en tout genre. Notamment grâce aux véhicules qui y circulent.

Vue de la ville dont est originaire Sophie.
Vue de la ville dont est originaire Sophie.

Le film permet également de voyager dans d’autres « contrées ». La ville de Kingsbury mêle les influences. On y reconnaît les palais (notamment celui de la Hofburg) et toits de Vienne, Prague, Budapest ; les maisons à pignons à volutes, qu’on retrouve des Flandres jusqu’en Allemagne en passant par le Nord de la France ; l’architecture baroque, ou historiciste, du XIXème siècle, toujours très typique de ces capitales austro-hongroises. Avec ses drapeaux, on est entre Neuschwanstein (Bavière) et un palais de Walt Disney inspiré d’Europe centrale.

Miyazaki n’imite pas une ville précise, il en crée une idéale. Dans ce décor composite, le spectateur voyage sans passeport, comme Sophie voyage sans carte ni boussole : tout est mouvement, même la ville.

Un monde de métamorphoses

Tout est en mouvement dans Le Château Ambulant, mais ce mouvement n’est jamais gratuit. Il est le reflet d’un monde en perpétuelle métamorphose, où les êtres et les lieux ne cessent de se transformer, de vieillir, de rajeunir, de disparaître ou de renaître.

Une des scènes emblématiques du film : Hauru emmenant Sophie jusqu'au-dessus des toits de la ville.
Une des scènes emblématiques du film : Hauru emmenant Sophie jusqu’au-dessus des toits de la ville.

Et si ce film était en fait une très longue variation sur la mue ? (Oui, comme les serpents, mais avec plus de capes, de magie, et un château aux pattes métalliques qui couinent dans la boue). Chez Miyazaki, personne ne reste figé. Pas même les pierres. Pas même le feu, d’ailleurs.

Sophie, notre héroïne, passe d’un âge à l’autre avec une aisance presque… déconcertante. Enfin, physiquement : psychologiquement, elle doit quand même encaisser pas mal de trucs (comme découvrir qu’elle a été transformée en vieille mamie ridée sans prévenir, ce qui est quand même une sacrée façon de commencer une journée). Mais peu à peu, elle se redresse, s’affirme, prend confiance. Et la magie agit en sens inverse : elle rajeunit quand elle prend les choses en main. En fait, le sort semble suivre l’évolution de son caractère plutôt que l’inverse (ce qui, soit dit en passant, est une idée magnifique sur le plan narratif).

Et ce n’est pas la seule à muter. Hauru, ou Howl selon les traductions, change aussi. Parfois au sens propre : il devient littéralement un oiseau noir gigantesque, fusion improbable entre un démon et un corbeau gothique en pleine crise existentielle (on ne juge pas, on est tous passés par là un jour ou l’autre et c’était bien moins classe).

Hauru en corbeau tenant Sophie dans ses bras.
Hauru en corbeau tenant Sophie dans ses bras.

Le jeune apprenti du magicien ne cesse de changer lui aussi ! Avec son masque magique, il devient un drôle de bonhomme barbu qui accueille les clients de la boutique sans qu’ils ne se doutent un seul instant qu’il est, en réalité, un petit garçon.

Sophie n’est pas seule à incarner cette mue permanente. La Sorcière des Landes, figure redoutable au début du récit, perd peu à peu ses pouvoirs jusqu’à régresser en une vieille femme sénile et pourtant presque enfantine dans ses caprices et ses obsessions. Cette décrépitude inversée est une métamorphose à rebours : elle montre qu’en ce monde mouvant, personne ne conserve jamais sa forme, ni son pouvoir, ni son âge.

Même les décors se modifient. Le château lui-même n’a pas de forme fixe. Il se transforme comme une créature vivante. Il boîte, il souffle, il crache de la fumée, il avance à grand renfort de grincements (vous entendez le clac-clac-clac des pattes métalliques ?). Ce n’est pas une maison, c’est une bête. Et à l’intérieur, chaque pièce est un monde, un état d’âme, un entre-deux.

On pourrait presque dire qu’il a des humeurs, ce château. Et peut-être bien qu’il les transmet à ses habitants, ou qu’il les absorbe, comme une grande créature empathique. Comme si son apparence extérieure suivait les tourments intérieurs de ceux qui y vivent.

Même le drame capillaire de Hauru (ses cheveux qui virent du blond au noir bleuté après une crise de vanité) participe à cette ronde de transformations. Chaque émotion, chaque aveu d’amour ou de peur modifie l’apparence de ces personnages, comme si leur chair et leur magie respiraient au rythme de leur évolution intérieure.

Les différentes "formes" d'Hauru au cours du film.
Les différentes « formes » d’Hauru au cours du film.

Aussi, quand Hauru, mi-oiseau mi-homme, revient du front pour s’effondrer près de Calcifer, le château lui-même semble gémir sous le poids de ses secrets. Et quand Sophie découvre le jardin secret de son enfance, c’est encore une autre porte qui s’ouvre : celle du cœur d’Hauru, derrière ses murs mouvants.

Le film ne suit pas une logique de progression linéaire, mais celle de cycles : les saisons, les retours, les répétitions qui évoluent peu à peu.

Un peu comme une spirale. Ou un manège. On a l’impression de repasser au même endroit, mais en réalité, on a changé. Le monde a changé. Même la guerre, en arrière-plan, avance comme un refrain macabre qui revient et revient encore (et dont le Château tente désespérément de s’éloigner).

Temps, espaces et portes magiques

Le Château Ambulant n’est pas seulement une machine à marcher, c’est une machine à traverser. À traverser les lieux, bien sûr (il suffit de tourner la poignée de la fameuse porte à code couleur pour passer d’un village paisible à un port en guerre… Oui, c’est un peu comme un voyage SNCF, mais en beaucoup plus fiable). Mais aussi à traverser le temps, les âges, les identités. Rien n’est stable, et surtout pas les repères.

Le film est truffé de seuils. Des portes, des escaliers, des fenêtres, des passages invisibles. Des moments où l’on bascule, sans qu’on sache toujours très bien comment ni pourquoi.

Et cette porte magique, parlons-en. Ce petit cadran aux couleurs variables est peut-être l’un des objets les plus fascinants de tout le film. Elle ne fait pas que changer de décor — elle change de monde. Comme si chaque couleur ouvrait sur une version légèrement différente de la réalité. En un geste, on passe d’un quotidien marchand à une ville assiégée, puis à un recoin caché du passé… Tout ça en chaussons (parce que oui, parfois, les héros de Ghibli vivent de grandes aventures en pantoufles, et c’est très bien ainsi… Ok, je pousse un peu, ils ne sont pas en chaussons mais vous voyez l’idée, non ?).

Cette porte ne mène pas seulement ailleurs : elle mène parfois avant. Un jardin secret devient une brèche temporelle où Sophie comprend enfin le pacte qui lie Hauru à Calcifer. Le château est donc aussi une machine à remonter le temps, une horloge qui bat au rythme du cœur sacrifié du sorcier.

(Pour être honnête, on aimerait quand même avoir cette porte chez soi, ne serait-ce que pour éviter les bouchons ou le Carrefour un samedi après-midi.)

Ce qui est frappant, c’est que Miyazaki ne prend jamais la peine de nous expliquer le fonctionnement de cette porte. Pas de notice, pas de schéma, pas de « lore ». On accepte. On suit.

Et justement, tout le film fonctionne comme un rêve lucide. Les lieux s’enchaînent comme dans une mémoire floue. Un instant on est dans une prairie, l’instant d’après dans une cuisine en bazar ou un champ de ruines. Pas d’exposition, pas de GPS, pas de Google Maps. Juste une narration organique, mouvante, presque liquide (comme la sorcière des Landes après avoir monté toutes ces fichues marches du palais).

La sorcière des Landes en sueur et presque totalement liquéfiée après avoir monté les marches du palais.
La sorcière des Landes en sueur et presque totalement liquéfiée après avoir monté les marches du palais.

Le temps, lui aussi, semble élastique. Il s’accélère, ralentit, se réécrit parfois (littéralement : coucou la scène du passé d’Hauru). On se croirait dans une boucle onirique, où le passé et le présent s’entrelacent jusqu’à devenir indissociables.

Et c’est ça qui rend l’expérience du film si unique : on ne regarde pas Le Château Ambulant, on y entre. On y déambule. On y fait des détours, on y perd un peu ses repères. Et ce n’est pas grave. Parce que dans ce monde-là, les règles sont celles du cœur, pas du chronomètre.

Entre rétrofuturisme et modernité mécanique

On pourrait croire que Le Château Ambulant se déroule dans un monde médiéval-fantastique avec une pincée de magie et basta. Mais non. Il y a là-dedans des canons volants, des bateaux volants, des avions de guerre volants (beaucoup de choses volantes, en fait, mais il faut dire que Miyazaki adore ça), et un château qui semble avoir été conçu par un ingénieur fou amoureux d’un bric-à-brac de brocante. Le tout avec des tuyaux, des engrenages, des soudures apparentes, des hublots et des structures qui grincent sous leur propre poids (si ce n’est pas steampunk, tout ça, c’est quoi, hein ? Je vous le demande !)

Et justement, au tout début du projet, Miyazaki aurait glissé une petite note visuelle à son équipe : s’inspirer des œuvres d’Albert Robida (1848–1926). Ce monsieur, que beaucoup d’entre vous ne connaissent pas (je devrais lui consacrer un article !), dessinait déjà à la fin du XIXème siècle des voitures volantes, des maisons volantes, des bateaux volants (bref, encore un qui aimait les trucs volants). Rien que ça.

Robida, souvent cité aux côtés de Jules Verne et de Georges Méliès (rien que ça), est aujourd’hui considéré comme un précurseur de l’anticipation graphique. Son univers est plein de machines fabuleuses (dont certaines existent vraiment aujourd’hui, comme nos télévisions, nos téléphones, etc.). Il rêvait du XXème siècle avec les yeux de 1880. Et franchement, c’est tout l’esprit du Château Ambulant. Ce n’est pas un futur réaliste. C’est un futur rêvé avec les outils du passé. Un futur rouillé, cabossé, poétique. Un futur… steampunk avant l’heure (c’est pour ça que je parle beaucoup de lui dans ma thèse).

Le Château Ambulant est-il aussi une forteresse armée ?
Le Château Ambulant est-il aussi une forteresse armée ?

À tel point qu’on pourrait croire que Robida a designé le château lui-même. Et pourtant, ce bon vieux tas de ferraille ambulant est une pure création du studio (même s’il a probablement des cousins lointains dans les carnets de Robida ou de Léonard de Vinci, autre source d’inspiration dont on pourrait parler longuement).

Mais ce goût pour la mécanique vivante, on le retrouve aussi ailleurs, je trouve, et notamment dans une œuvre monumentale française, à Milly-la-Forêt : le Cyclop, de Jean Tinguely et Niki de Saint-Phalle. Cette sculpture géante faite de 350 tonnes d’acier et de rouages est une sorte de monstre-machine, un colosse baroque dans lequel on peut entrer (si, si), et qui contient d’autres œuvres en mouvement, des sons, des lumières, des engrenages grinçants…

Bref : un cousin bien tangible du Château Ambulant.

Dans les deux cas, ce sont des œuvres qui vivent, qui respirent, qui font du bruit, qui racontent des histoires sans qu’on ait besoin d’y comprendre un mode d’emploi. Le mouvement est organique, et la machine devient une extension du vivant. Il n’y a pas d’un côté la technique et de l’autre la poésie : les deux sont fusionnés dans une sorte d’enchantement mécanique.

Et puis, entre nous, qui n’a jamais rêvé d’avoir un château capable de se déplacer tout seul ? (Même si, soyons honnêtes, vu l’entretien nécessaire, on comprend pourquoi Hauru fait appel à un démon du feu pour gérer le chauffage central.)

Le mouvement comme acteur

Pour conclure, le mouvement dans Le Château Ambulant n’est pas seulement un décor ou un principe esthétique : c’est un acteur à part entière. Invisible, oui, mais omniprésent. Cette idée fait écho au concept d’« acteur invisible » développé par Yoshi Oida, comédien et metteur en scène japonais, selon lequel un acteur peut « habiter » la scène par son intention, son souffle, son énergie, même sans prononcer un mot.

Même la chambre de Hauru est pleine de mouvement avec tout le bric-à-brac qui l’occupe.

C’est exactement ce que fait le mouvement dans le film : il agit sans prendre corps, il donne le rythme, l’émotion, la tension dramatique. Il est ce souffle qui traverse tout. Un personnage-monde, un souffle narratif.

Une ode à l’avenir

Le Château Ambulant n’est pas seulement une histoire d’amour, de guerre, de magie. C’est une ode au mouvement sous toutes ses formes. Mouvement des corps, des lieux, du cœur, du temps. Une invitation à la transformation perpétuelle, à l’impermanence, au changement. Un éloge du devenir, là où d’autres films se contenteraient d’une fin.

Cette œuvre fantastique et poétique est bien plus qu’un simple conte de fées animé : c’est un manifeste steampunk et une critique de la guerre.

Car c’est peut-être cela, au fond, le plus beau dans ce Château ambulant : il ne s’arrête jamais vraiment. Et puisque tout finit par s’envoler (château compris), on se dit que la vraie magie du Château Ambulant, c’est qu’il continue de marcher, de flotter, de respirer en nous longtemps après le dernier plan.

Vue du Château Ambulant en train de... déambuler.
Vue du Château Ambulant en train de… déambuler.

Bref, Le Château Ambulant reste, plus de 20 ans après sa sortie, un des films d’animation japonais les plus fascinants pour qui aime le steampunk, le rêve et la poésie en mouvement.


Sources :

Le Château Ambulant – Buta Connection
Remonter le temps avec Le château ambulant
Séance inaugurale – le monstre, aux limites de l’humain

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