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Nick Cave : Des costumes qui dansent, chantent et font de la musique

Nick Cave ou Nick Cave ?

L'artiste Nick Cave posant avec l'un de ses Soundsuits.
L’artiste Nick Cave posant avec l’un de ses Soundsuits.

Nicholas Edward Cave, dit Nick Cave, est un artiste australien, chanteur du groupe Nick Cave and the Bad Seeds… FAUX ! Ca n’est pas de ce Nick Cave là dont nous allons parler mais de son homonyme, Nick Cave, artiste américain, à la fois plasticien, danseur et directeur de la section mode de la School of art Institute de Chicago. Plus particulièrement, nous allons nous intéresser à ses Soundsuits (costumes sonores). Et oui, c’est Mardi Gras, l’occasion idéale pour parler costumes et déguisements !

Les Soundsuits de Nick Cave : Présentation

Les Soundsuits sont des déguisements, des costumes que crée Nick Cave. Ils sont fabriqués à partir d’éléments hétéroclites qui, par leur association, transforment plus ou moins les formes du corps de celui qui porte le costume, lui donnant une allure étrange de créature venue d’ailleurs.

Mais ce qui fait vraiment la particularité de ces déguisements, comme l’indique leur nom, c’est qu’ils produisent du son. En bougeant, en remuant, le porteur du costume crée du bruit grâce à la friction ou au mouvement des différents éléments qui composent son Soundsuit.

Chaque Soundsuit est différent et produit plus ou moins de son. Cela dépend du mouvement du danseur qui le porte ou de ce dont il est fait.

Pour réaliser ces œuvres fantasmagoriques, Nick Cave utilise essentiellement des matériaux et des objets de récupération.

Généralement, les Soundsuits sont présentés comme des sculptures dans les différentes expositions (les costumes sont portés par des mannequins comme dans une boutique de prêt-à-porter), accompagnées de vidéos mettant en scène les costumes. Plus rarement, il est possible de les voir « en live ». Ce fut le cas en France lors de la parade d’ouverture de Lille 3000 en 2012.

Les Soundsuits de Nick Cave : Inspirations

Mais à quoi peuvent bien servir ces costumes bruyants et loufoques ? On ne va quand même pas porter ça ? Sinon, en quoi c’est de l’art ? C’est généralement les premières questions qui viennent à l’esprit du spectateur qui découvre les Soundsuits. Est-ce que c’est juste pour le fun ?

Des costumes de carnaval ?

On peut en effet penser aux costumes bariolés et amusants des carnavals en voyant les Soundsuits. Les gens s’amusent ainsi avec des accoutrements plus ou moins étranges depuis des siècles. Revêtir un costume, c’est devenir quelqu’un d’autre, c’est devenir qui l’on veut ou n’importe qui. Cela est particulièrement libérateur et c’est pourquoi le déguisement est souvent synonyme de fête, de plus ou moins de débauche, mais aussi de bien des mystères (mais qui se cache sous ce masque ? Hum…).

Albert Lynch, Le Bal Masqué, Peinture à l'huile sur bois, 61 x 49,5 cm, 1851-1912
Albert Lynch, Le Bal Masqué, Peinture à l’huile sur bois, 61 x 49,5 cm, 1851-1912

A priori, le carnaval de Rio n’a rien à voir avec celui de Venise, tout comme aucun d’eux n’a à voir avec celui de Dunkerque, en terme de costumes. Pourtant, reste la même idée de se travestir, de se dissimuler sous un masque, un maquillage ou un costume et de faire la fête. C’était déjà le cas dans les bals masqués d’antan, où l’on s’amusait volontiers à faire semblant d’être une déesse de la mythologie gréco-romaine alors qu’on était en réalité une femme de la Cour – ou au XIXème siècle, quand un simple masque suffisait à tromper son épouse en toute liberté sans pourtant duper quiconque, en réalité. Le port du costume est l’occasion de devenir quelqu’un d’autre et donc de pouvoir faire des choses que l’on ne s’autoriserait pas habituellement.

Si le costume est donc souvent synonyme de fête, d’amusement, de « fun », il n’en possède pas moins un intérêt plus profond, qui dit beaucoup sur la nature de l’Homme. Étrangement, dissimuler notre corps ou notre visage nous permet de montrer des choses de nous-mêmes que nous ne montrerions pas sous notre véritable apparence. Et, en effet, « il y a certaines choses que l’on cache pour les montrer », comme le disait Montaigne.

Des costumes rituels ?

Créer des costumes, c’est forcément s’ancrer dans la longue histoire des déguisements en tout genre. C’est aussi tisser des liens avec tous les costumes sacrés, rituels, traditionnels… qui ont accompagné l’histoire de notre civilisation et existé chez tous les peuples du monde jusqu’à nos jours. Nick Cave n’échappe pas à cette règle.

Les costumes de Nick Cave transforment ceux qui les portent en créatures étranges, au visage le plus souvent masqué qui les rendent anonymes. Les porteurs deviennent dès lors plus humanoïdes qu’humains et suscitent alors le sentiment d’une inquiétante-étrangeté : leurs couleurs vives, pop, lumineuses, sont attirantes, attrayantes, tandis que la forme globale des costumes brouille les formes du corps, le rendant étrange, inhabituel, difforme parfois. Nous sommes dans un entre-deux qui n’est pas sans rappeler celui des rêves, de l’imaginaire, du fantastique où tout est à la fois possible et un peu bizarre.

Le bruit produit par les costumes n’a pas un but mélodique : c’est seulement du bruit, une cacophonie plus ou moins forte en fonction des costumes. Ce sont des bruits qu’un corps humain est incapable de produire de lui-même, sans accessoire. Les costumes demandent d’être portés en bougeant, en remuant, en dansant… Cela a quelque chose de festif (comme dans le cas de Lille 3000 où les costumes de Nick Cave furent d’abord présentés pour l’ouverture des expositions, sous la forme d’un défilé qui évoquait à la fois le monde de la mode mais aussi les carnavals dont la région est friande) mais évoque aussi certaines danses rituelles aux rythmes entêtants qui, à nos yeux d’occidentaux, peuvent paraître presque inquiétantes. Est-on face à une sorte de rituel vaudou ? Quelle puissance supérieure ces danseurs sont-ils en train d’invoquer ? A moins qu’ils ne soient, eux-mêmes, les créatures d’un mythe inconnu dans nos contrées ? On peut se poser la question devant certains costumes faits de branchages et qui peuvent faire penser à des monstres de la culture populaire comme le Bigfoot ou le Yeti. Quand d’autres costumes, eux, ont tout du Cousin Machin multicolore à la silhouette déformée. Les Soundsuits semblent appartenir à plusieurs époques et cultures, et ne s’attacher véritablement à aucune au final en les réunissant toutes à la fois.

L'artiste Nick Cave posant avec ses Soundsuits.
L’artiste Nick Cave posant avec ses Soundsuits.

Heureusement, les couleurs pimpantes des costumes font surtout naître un sentiment de joie chez les spectateurs. Et elles s’entremêlent gaiement au rythme des danses qu’interprètent leurs porteurs. Nous sommes en présence de monstres-gentils, comme sortis d’un cartoon qui aurait trop forcé sur le LSD. On assiste à un spectacle aux tendances psychédéliques qui peut évoquer la période Hippie et ses danses destructurées, bercées par une musique devenue parfois étrange pour nos oreilles contemporaines. Les couleurs utilisées et les motifs des costumes ne sont pas non plus sans rappeler la période fantasque des seventies où toutes les folies semblaient possibles. Les Soundsuits fonctionnent alors comme un exutoire, probablement autant pour l’artiste, le porteur du costume et le spectateur.

Peace and love, alors, les costumes de Nick Cave ?

Des costumes pour dénoncer ?

Pas tout-à-fait. Car dans les années 1990, Nick Cave crée son premier « Soundsuit » en réponse au passage à tabac par des policiers que subit Rodney King en 1991 et qui est suivi d’un épisode de violentes émeutes aux États-Unis. Rodney King est afro-américain et les violences que lui infligent les policiers sont aussitôt considérées comme une attaque raciste tandis que la vidéo de son arrestation musclée fait le tour des télévisions américaines. Cela fait écho à des histoires bien plus récentes que celle-ci. Le problème ne date donc pas d’hier et n’est toujours pas prêt d’être réglé…

Nick Cave est particulièrement marqué par cette histoire. D’autant plus qu’il est lui aussi afro-américain.

Or, l’artiste décrit ses Soundsuits comme une « seconde peau ou une armure » qui invoque le pouvoir transformateur et libérateur de la musique et de la danse. Les Soundsuits recouvrent complètement le corps et le déforment. Les matières, les matériaux, les objets qu’utilise Nick Cave pour les fabriquer, transforment presque le danseur en forme abstraite lorsqu’il bouge. Il suffit de faire un arrêt sur image d’une vidéo mettant en scène ses costumes pour en avoir le cœur net (je vous mets deux de ces vidéos ci-dessous). Peu importe finalement le danseur : il est tout le monde et n’importe qui ; il n’a plus d’origine, de statut social, d’âge, de sexe… Il devient autre chose. Une créature dansante. Une masse de couleurs, de bruits, de matières qui bougent. Une sculpture mouvante. Une performance mêlant différents arts visuels, différentes cultures, évoquant le passé, l’imaginaire, la fête… Il devient œuvre. Il devient art.

Plus que des costumes pour dénoncer, ce sont donc davantage des costumes pour rassembler et libérer ; pour montrer le monstre que nous avons tous en nous et qui, finalement, ne demande qu’à être libéré de temps en temps dans la joie et la bonne humeur.


Sources :
Lille 3000, le Nord en version FAntAstic avec le plasticien Nick Cave
Soundsuit, Nick Cave | Mia
Les soundsuits de Nick Cave – Le Beau Bug
Nick Cave – Collectif Textile

Laissez-moi en faire toute une Cène !

Comme beaucoup d’étudiants en Art, j’ai eu l’incommensurable plaisir de travailler sur le thème du détournement (#ironie) de nombreuses fois. Cette pratique artistique est une des plus usitées à l’heure actuelle : tous les médias l’utilisent et une simple recherche sur la toile vous montrera à quel point faire preuve d’originalité en ce domaine relève du fantasme pur. En particulier parce que la pub s’est littéralement jetée sur le filon et que la pub est absolument partout et sans arrêt autour de nous…

Le détournement, qu’est-ce que c’est exactement ? Il s’agit d’un procédé artistique qui consiste à s’approprier une œuvre ou un objet et à l’utiliser pour un usage ou une représentation différents de l’usage ou la représentation d’origine. (Source: Glossaire des Arts Plastiques proposé par l’Académie de la Réunion, bien fourni, bien pratique).

Les exemples sont nombreux mais nous allons nous attarder sur un des exemples les plus récurrents de l’Histoire de l’Art avant d’en citer quelques autres : la Cène.

Vous connaissez forcément La Cène de Léonard de Vinci. Ne serait-ce que parce que vous avez lu le Da Vinci Code. S’il y a bien un tableau à la mode, en ce moment (et tout le temps, en fait, allez savoir pourquoi ! Le génie, sans doute), c’est bien celui-là. Détourné à toutes les sauces, on ne voit que lui sans même s’en rendre compte. Il faut dire que depuis sa réalisation (entre 1494 et 1498), ce tableau n’a eu de cesse d’être repris par les artistes parce que cette fresque, de nombreuses églises en ont très vite rêvé et les commandes de copies ont donc afflué.

Pause précision : Pour ceux qui l’ignoreraient, La Cène de Léonard de Vinci est bien une fresque, c’est-à-dire une peinture murale, et pas une toile ou une peinture sur bois comme cela est aussi courant. La dite fresque est d’ailleurs dans un assez triste état, à l’heure actuelle, comme en témoigne la photo ci-dessous. Car, non, la qualité désastreuse que vous pouvez observer là ne vient pas du cliché mais bel et bien de l’état réel de ce chef-d’œuvre de l’Histoire de l’Art qui, peu à peu, disparaît inexorablement (et ce, depuis sa création même !).

La Cène - Léonard de Vinci
La Cène – Léonard de Vinci
Fresque réalisée entre 1494 et 1498
4,60 × 8,80 mètres
Eglise Santa Maria delle Grazie de Milan (Italie)
Couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan
Vue extérieure du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan, dans le réfectoire duquel se trouve la fameuse fresque de Léonard de Vinci.

Le succès de la toile est tel que certains peintres réalisent alors des « presque-copies » de l’œuvre. Très vite, de nombreux peintres imposent aussi des visions à la fois très différentes et proches de cet instant clef de la Bible peint par le maître italien.

C’est pourquoi on peut dire que la Cène de Léonard de Vinci semble s’être immédiatement imposée comme la représentation la plus emblématique de cette scène biblique. Au point d’entrer presque instantanément après son achèvement dans l’imaginaire collectif (celui des artistes, en tout cas).

Il existe donc, déjà peu de temps après sa création, des dizaines de versions de la Cène, plus ou moins ressemblantes à l’originale de Léonard de Vinci. En voici quelques exemples :

La Cène, Marco d'Oggiono Copie, 1506 Copie de la Cène de Léonard de Vinci, vers 1506-1509, Musée national de la Renaissance, Château d'Ecouen en Région Parisienne, (France)
La Cène, Marco d’Oggiono
Copie, 1506
Copie de la Cène de Léonard de Vinci, vers 1506-1509, Musée national de la Renaissance, Château d’Ecouen en Région Parisienne, (France)

guillemet« Déposé par le musée du Louvre, ce tableau est l’une des toutes premières copies de la fameuse Cène de Léonard de Vinci, commandée à Milan dès 1506 à Marco d’Oggiono, l’un de ses meilleurs élèves, quelques années après l’achèvement de l’original par le maître au couvent de Sainte-Marie-des-Grâces à Milan (1498).
(…) Tandis que la peinture murale s’est dégradée de manière prématurée, Marco d’Oggiono a reproduit fidèlement toutes les caractéristiques de l’œuvre et de l’art de Léonard : une composition étudiée ; l’expression forte des visages et des physionomies, le mouvement des corps par les positions très variées des apôtres, les couleurs chatoyantes et enfin la multitude de détails apportés par l’artiste sur la table de banquet aujourd’hui presque intégralement disparu de l’originale sont autant de caractéristiques remarquables de cette œuvre d’exception. »

« Si elle en simplifie la perspective architecturale savamment calculée et la mise en lumière subtilement distribuée, on y retrouve cependant l’extraordinaire construction du premier plan, avec au-dessus de la longue table horizontale la répartition des apôtres en quatre groupes, de part et d’autre du Christ. »

Source : La Cène – Extraits de la notice explicative du Musée de la Renaissance, Château d’Ecouen (Val d’Oise)

Le repas chez Levi - Véronèse
Le repas chez Levi (ou Le banquet chez Levi) – Paolo Caliari, dit Paul Véronèse
1573
Huile sur toile, 555 × 1 310 cm
Gallerie dell’Accademia de Venise (Italie)

La version de Véronèse est l’une de celles que je préfère. Parce que, tout d’abord, elle a fait l’objet d’un procès, au moment de son élaboration. Tout de suite, on peut voir que la Cène, censée être l’objet principal de cette immense composition (plus de 13 mètres !), se trouve au deuxième plan, au fond bien qu’au centre, derrière d’épaisses colonnades. Véronèse a pris des libertés quant à l’histoire contée par la Bible puisque le riche décor dans lequel se passe la Cène n’a rien à voir avec l’auberge en Palestine décrite par le texte original (cela étant, le décor de Léonard de Vinci n’a pas non plus vraiment l’être d’être celui d’une auberge, mais ses raisons étaient différentes). On croirait presque regarder une immense scène de théâtre, grouillante d’intrigues diverses.

Véronèse n’acceptera pas de modifier son tableau malgré une condamnation du Saint-Office censée l’y contraindre. A la place, il acceptera seulement de lui donner un titre différent : La Cène devenant Le repas (ou le banquet) chez Levi (nom hébreux de Saint Matthieu), du nom d’un passage de l’Evangile selon Luc.

La Cène (copie)
La Cène (copie)
Italie, XVIe siècle, 133 x 77 cm,
Transposé sur toile,
Musée de l’Ermitage, St Petrsbourg (Russie)

Des sortes de « d’objets souvenirs » de l’époque, de plus petites copies de La Cène, plus facilement transportables, apparaissent également. Le Musée de l’Ermitage possède une de ces petites copies qui, je trouve, ressemble beaucoup à l’original de Léonard de Vinci. Il en existe cependant d’autres qui, elles, ressemblent davantage à d’autres copies comme celle de Marco d’Oggiono, l’élève de Vinci dont je vous ai parlé plus haut. Des copies qui copient des copies… Tout ça devient compliqué !

Quoi qu’il en soit, une seule de ces représentations est très clairement présente dans les esprits et c’est celle de Léonard de Vinci. C’est pourquoi, de nos jours, c’est elle qui est détournée sans cesse (logique, qui irait détourner une image que personne ne serait en mesure de reconnaître ? Aucun intérêt.. Aucune logique surtout, car on ne comprendrait pas qu’il y a détournement.).

Faisons quand même un rapide distinction entre copie, version et détournement : un détournement n’est pas une copie ou une autre version d’une autre. C’est une œuvre à part entière qui réutilise les codes d’une œuvre qui l’a précédée. Un artiste peut réaliser le détournement d’une œuvre pour plusieurs raisons : lui rendre hommage ou la parodier. Il peut aussi considérer que l’œuvre qu’il détourne lui permettra de faire passer un message. Dans le cas de la Cène, il peut s’agir d’évoquer le passage de la Bible représentée par l’oeuvre de De Vinci. De cette manière, on peut rapidement identifier : un repas, des gens autour d’une table, un personnage central important, un traitre… Comme tous ces éléments sont présents dans la Cène de De Vinci, on va naturellement les « chercher » dans les détournements de cette fresque. Cela permet de faire des parallèles.

Après avoir vu pas mal de copies et de versions de la Cène, passons donc aux véritables détournements de celle-ci.

La Dernière Cène (ou Le Sacrement de la dernière cène), Salvador Dali
La Dernière Cène (ou Le Sacrement de la dernière cène), Salvador Dali
1955, Huile sur toile
168,3 × 270 cm
Galerie nationale d’art de Washington (Etats-Unis)

Dans sa période mystique, hanté par le développement du nucléaire, Salvador Dali peint un détournement de la Cène. Le tableau est très étrange et pose beaucoup de questions dont les réponses résident bien souvent dans sa symbolique, comme cela est le cas dans la plupart des œuvres de l’artiste espagnol. Mais il est surtout très moderne. Le décor est tel qu’il donne l’impression de se dérouler dans une sorte de futur très lointain, de ceux que la science-fiction peut décrire.  Quant au Christ à moitié translucide (on distingue la barque de l’arrière plan à travers son corps), je trouve qu’il a tout d’un hologramme à la Star Trek. En fait, l’ensemble ne me paraît pas si éloigné du détournement façon Star Wars que nous verrons plus après dans cet article.

Inutile, d’ailleurs, d’être nécessairement occidental et/ou d’un pays historiquement chrétien pour avoir été marqué par l’aura de La Cène de Vinci. Ainsi, l’artiste chinois Zeng Fanzhi a, lui, détourné cette toile de façon clairement politique : dans son tableau, le Christ et ses apôtres sont de jeunes recrues du Parti Communiste Chinois et ce sont des morceaux de pastèques qui se trouvent sur la table du célèbre repas biblique.

Il faut d’ailleurs savoir qu’en 2013, ce tableau établit « un record aux enchères Sotheby’s à Hong Kong en trouvant acquéreur (qui a souhaité rester anonyme) pour 23,8 millions de $ – soit le tableau le plus cher de l’histoire par un artiste asiatique contemporain vendu aux enchères. » (Source) Puis, jusqu’en février 2014, l’artiste a droit à sa première rétrospective en France au Musée d’Art Moderne de Paris.

La Cène, Zeng Fanzhi
La Cène, Zeng Fanzhi
2001, 4m x 2,2m

Vous montrer tous les détournements de cette fresque que j’ai pu trouver serait trop long alors voici celles qui ont retenu mon attention :

Affiche de Marithé et François Girbaud, interdite en 2005
Affiche de Marithé et François Girbaud, interdite en 2005.

Véronèse n’est pas le seul artiste a avoir déclencher des réactions hostiles avec sa version de la Cène (comme quoi, il y a des choses immuables, en ce bas monde). Cette publicité des créateurs de mode Marithé et François Girbaud a été interdite et condamnée par la Conférence des Evêques de France. Elle aurait, semble-t-il, porté atteinte à la foi des catholiques. On peut s’interroger sur les raisons de cette plainte : est-ce parce qu’il s’agit d’une publicité ? Une publicité de mode, qui plus est ? Est-ce parce qu’il s’agit uniquement de femmes aux places normalement réservées au Christ et à ses apôtres ? Ou est-ce parce qu’un homme apparaît dénudé ?

Ici, comme vous pouvez le voir, les apôtres ne sont plus des hommes mais des femmes. Des femmes bien actuelles qui respectent la gestuelle des personnages du tableau de Léonard de Vinci. Le couple de stylistes ne fait pourtant rien de bien novateur en soi puisque des photographes, bien avant eux, auront l’idée de remplacer les apôtres par des jeunes à casquette ou des dragqueens. En faire des femmes est donc loin d’être l’idée la plus farfelue ou la plus choquante. D’autant que les symboles glissés çà et là dans la photographie montrent que le fond a été fouillé ; le triple-pied (à gauche), symbole de la Sainte Trinité, le pain sur la table, la colombe (à droite) symbole de paix… Au final, on a du mal à comprendre ce qui a pu provoquer une telle réaction de la part de l’Eglise. Le juge en charge de l’affaire aurait déclaré à l’époque que cette affiche représentait « un acte d’intrusion agressive et gratuite dans le tréfonds des croyances intimes ». Rien que ça !

A mon sens, l’artiste peintre et caricaturiste Michel Achard tape plus fort dans le style « intrusion agressive et gratuite dans les tréfonds des croyances intimes ». Avec sa version Rock’n’Roll de la Cène où Jésus et ses apôtres deviennent des stars du rock difformes et assez monstrueuses. On reconnaît, entre autres, Iggy PopMick Jagger (en Christ, d’ailleurs), un Elvis Presley à la looongue tête ou encore Freddy Mercury en extraterrestre de Mars Attack (oui, oui, le film de Tim Burton).  Bref, c’est Rock’n’Roll, c’est Pop, c’est bien !

Michel Achard - La Cène version Rock'n'Roll
Michel Achard – La Cène version Rock’n’Roll

Et puis, dans le genre, est-ce qu’il n’est pas plus « choquant » de voir les personnages de la Cène devenir des rats, pour les besoins d’une publicité pour un raticide ? (Encore que, graphiquement, c’est pas mal fait, je trouve. Pas sûre que ça donne très envie de tuer ces pauvres rats, par contre.)

Les rats, publicité pour le raticide Mortein (agence Euro RSCG de Santiago du Chili)
Les rats, publicité pour le raticide Mortein (agence Euro RSCG de Santiago du Chili)

Mais tout n’est pas que campagne publicité choc, rassurez-vous ! Le cinéma aussi est inspiré par la Cène de Vinci (à moins que ça ne soit le contraire ?) Il s’agit alors d’oeuvres doublement détournées (après les copies de copies de tout à l’heure…) : la fresque originelle est détournée mais le film (ses personnages, son univers…) est également détourné afin de coller à la peinture.

Eric Deschamps, Star Wars Last Supper, 2005
Eric Deschamps, Star Wars Last Supper, 2005

Prenons comme premier exemple un travail d’Eric Deschamps portant sur la saga Star Wars, et loin d’être dénué d’intérêt. En effet, les films de George Lucas ne cessent de multiplier les références religieuses (sans trop m’étendre, toutes les histoires sur la Force, par exemple, sont quand même vachement connotées) et il paraît presque logique de faire le parallèle avec le tableau de Léonard de Vinci ; quand deux piliers de notre culture (certains diront que Star Wars n’a rien à voir avec la culture et ni même avec l’art, mais je ne suis pas du genre à crier « Au diable la sous-culture ! » puisque je ne crois pas en cette dite « sous-culture ») se rencontrent, quand leurs codes se mélangent… ça fonctionne quand même diablement bien.

Pour information, Eric Deschamps a notamment travaillé pour Blizzard Entertainment (entre autres développeurs de World of Warcraft) et Activision (développeurs, eux, de la série de jeux Call of Duty). Autant vous dire que le monsieur connaît bien la culture geek (et est probablement un geek lui-même) et la culture pop. Cela démontre surtout à quel point la peinture de Léonard de Vinci est devenue incroyablement populaire, dépassant largement de seul cadre de l’Art et de son Histoire.

La Cene version The Big Lebowski
La Cene version The Big Lebowski

La Cène a même droit à sa version The Big Lebowski. De là à dire qu’il y a un message derrière tout cela… Je vous laisse seuls juges. Mais je sais que certains ont trouver leur Bible en ce film alors je leur kassdédi l’apparition de cette création dans mon article ;)

Côté cinéma, la Cène apparaît également dans les films 99 francs ou encore Watchmen (mes films préférés… #ironie²) et même comme affiche de The Expandables 2… Allez, je vous la mets pour le plaisir :

La Cene version The Expendables 2
La Cene version The Expendables 2

Mais les séries télévisées, en particulier américaines, ne sont pas en reste, loin de là ! Chacun veut sa Cène. C’est presque un passage obligé. Ah ça ! Ils l’aiment, ce tableau ! Battle Star Gallactica, Lost, Dr House mais aussi les Simpsons ou encore South Park… God bless America ! Jugez plutôt :

La Cene version Dr House
La Cene version Dr House (2008)

Je trouve que c’est avec la série Dr House que le détournement fonctionne le plus correctement d’un point de vue sémantique. Bah oui, dans le genre syndrome de dieu, le toubib le plus caustique de la télévision s’en sort quand même pas mal ! Pourtant, c’est aussi un des détournements que j’ai pu vous montrer où la Cène est la plus suggérée par rapport à l’originale, je trouve. Celle réalisée à partir de Battlestar Galactica me semble plus fidèle, dans l’idée.

La Cène version Battlestar Galactica
La Cène version Battlestar Galactica. (2008)
La Cène version Lost
La Cène version Lost.

De plus, là encore comme pour le cinéma, ce sont aussi certains fans qui produisent des reproductions de la Cène aux couleurs de leur série préférée. Par exemple, l’artiste indonésienne Sheila avec sa version dessinée de Game of Thrones.

La Cène version Game of Thrones
La Cène version Game of Thrones par Sheila, fan et artiste indonésienne

Voici comment une image du XVe siècle est devenue une image emblématique de notre civilisation. Encore une fois, ce cher De Vinci aura réussi à faire fort, jusqu’à inspirer les pubs du XXIème siècle…

D’ailleurs, la Cène n’est pas le seul de ses chefs-d’œuvre a être régulièrement détourné par les artistes ou les médias ; la Joconde, elle non plus, n’est pas en reste et pourrait avoir son propre article dédié, dans le même genre que celui-ci. De même que La Dame à l’Hermine. D’ailleurs, La Cène a été (et est toujours) tellement de fois détournée, revisitée, transformée qu’un site entier est nécessaire pour répertorier toutes ces créations dérivées. N’hésitez pas à aller y jeter un oeil, ne serait-ce que pour voir d’autres représentations : http://www.lacene.fr/

Enfin, je vous laisse sur cette série d’oeuvres diverses qui vous permettra de mieux comprendre qu’un détournement est également possible avec des objets et qu’il s’agit d’un procédé artistique utilisé non seulement par les arts plastiques mais aussi par les arts appliqués. Le but du détournement peut être multiple : modifier le sens de l’objet ou de l’image détournée, changer son usage premier (par exemple, en le rendant inutilisable ou en l’utilisant pour en faire autre chose que ce pour quoi il a été créé), changer son statut (d’objet du quotidien, le faire devenir œuvre d’art, par exemple), etc.


Sources :
http://www.catho-bruxelles.be/Une-derniere-scene.html
http://www.macultureconfiture.com/2010/01/16/la-cene-dhier-a-aujourdhui/
http://art-figuration.blogspot.fr/2013/11/une-copie-de-la-derniere-cene-de.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/La_C%C3%A8ne_%28L%C3%A9onard_de_Vinci%29
http://blog.e-artplastic.net/index.php?


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C’est par ici !

Paris sera toujours Paris… Même les pieds dans l’eau !

Inondation à Paris, Henri Manuel, 1924
L’hippodrome Maison Laffitte inondé par la crue de la Seine. Paris, Henri Manuel, 1924.
Les grandes crues de la Seine depuis 1740
Les grandes crues de la Seine depuis 1740
[ Source ]

Voilà une photo pour le moins surprenante !

Elle a été prise à Paris par le photographe français Henri Manuel (1874-1947) en 1924. Des inondations frappaient alors la Capitale et une bonne partie de la France. En l’occurrence, sur cette photo, la scène se passait à l’hippodrome de Maison Laffitte, situé à l’ouest de Paris. La plupart des gens, jockeys et spectateurs présents, ne semblaient en tout cas pas très à l’aise à l’idée de s’improviser ainsi funambules d’un jour. Il faut dire que cette année-là, la crue de la Seine atteignit 6,35 mètres et certains endroits de la ville et de la région parisienne ne furent plus accessibles qu’en barque (comme en témoigne l’image prise à Courbevoie, ci-dessous). A l’hippodrome, il semble que l’eau arrivait presque jusqu’à l’assise des chaises (en tout cas en bas à gauche du cliché).

 

Inondation à Paris, 1924
Inondation à Paris, 1924
« Venise à Courbevoie : la rue du Souvenir. La crue de la Seine et les inondations à Paris et en Banlieue »
Affiche de l'exposition Paris inondé 1910
Affiche de l’exposition Paris inondé 1910
Galerie des bibliothèques – Ville de Paris
2010

 

 

Notons que ça n’est pas une première car Paris a déjà connu des montées des eaux records : en 1910, la hauteur d’eau atteint 8,62 mètres à la station de Paris-Austerlitz. Cette inondation spectaculaire reste, à ce jour, la plus célèbre de celles ayant touché la Capitale. Une exposition lui sera même dédiée en 2010 à la Bibliothèque historique de Paris, présentant plus de 200 documents (photographies originales, cartes postales, affiches, presse illustrée, plans, peintures et dessins, publicités, manuscrits et archives, films d’actualités,…), pour la plupart inédits (source).

 

Inondation de Paris en 1910
Cette photo prise en Janvier 1910 montre des personnes sur une barque dans la Cour de Rome inondée, près de la gare Saint-Lazare, après que la Seine ait débordé, déversant de l’eau dans le centre de Paris. La Seine a quitté son lit pour la dernière fois en 1910, les niveaux d’eau sont alors montés jusqu’à 8,72 mètres, inondant une grande partie de la capitale française. Un siècle plus tard, une exposition, « Paris inondé 1910 » s’est tenue à la Bibliothèque historique de Paris, du 8 Janvier au 28 Mars 2010, montrant plus de 200 documents des lieux les plus connus de la ville sous l’eau.
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Cette « crue du siècle », comme on la surnomme parfois, donne lieu à des scènes pour le moins cocasses comme, par exemple, l’arrivée des Députés à la Chambre en barque (voir photo ci-dessous). Alors que je travaille actuellement sur l’esthétique Steampunk dans le cadre de mes recherches, j’ai pris l’habitude de voir des représentations de Paris survolé par toutes sortes de véhicules, y compris des (aéro)paquebots et autres bateaux volants et, curieusement, ces photographies surprenantes de la crue centennale* (voir définition plus bas) me les rappellent.

On ose à peine imaginer la pagaille que ces inondations ont pu causer ! Les dégâts matériels sont très importants et de très nombreux parisiens sont sinistrés. Cependant, il semble que cette crue exceptionnelle ne fera qu’une victime : un sapeur-pompier emporté avec son embarcation.

Cour d'honneur de la Chambre des Députés, inondation de Paris, 1910
Cour d’honneur de la Chambre des Députés, inondation de Paris, 1910
[ Source ]
La gare des Invalides, inondation de Paris, 1924
La gare des Invalides, inondation de Paris, 1924
[ Source ]
A l’heure actuelle, la région parisienne est toujours prudente car une crue centennale a des chances de se reproduire tôt ou tard. Personne ne peut prévoir exactement quand elle aura lieu mais cela arrivera. C’est pourquoi des dispositifs sont mis en place et régulièrement repensés ou améliorés afin d’éviter toute catastrophe trop importante de se produire (c’est dans ce cadre que se place par exemple le Plan Neptune). Ceci étant dit, si j’en juge par l’efficacité des autorités à gérer quelques flocons de neige quand cela arrive sur la Capitale, à la place des habitants de la région Île de France, je resterais sur mes gardes… (moi, mauvaise langue ? Jamais !)

* UNE CRUE CENTENNALE, QU’EST-CE QUE C’EST ? 

Les crues ne sont pas des phénomènes périodiques réguliers. Une crue centennale n’est pas une crue qui revient tous les cent ans mais qui a, chaque année, une «chance» sur cent de se produire. Au cours de notre vie, nous avons plus d’une chance sur deux de subir une ou plusieurs crues centennales. En moyenne, on peut dire qu’il se produit dix crues centennales en mille ans.

Source : Ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer

En attendant, il est toujours possible de surveiller le Zouave du Pont de l’Alma. La tradition dit que la Seine est en crue lorsqu’il a les pieds dans l’eau. Malheureusement, depuis 1974, cette sculpture est placée plus haut qu’elle ne l’était à l’origine, aussi signale-t-elle aujourd’hui des crues plus graves qu’à l’époque où cette tradition fut prise. C’est pourquoi l’administration fluviale mesure désormais le niveau des crues au pont de la Tournelle. Cependant, si le Zouave vient en effet à avoir les pieds dans l’eau, peut-être serait-il sage pour vous de vous éloigner de la Seine pour un moment. Juste par précaution ! Sachez tout de même que la Seine déborde presque chaque année et que des inondations d’une envergure semblable à celle de 1910 restent très exceptionnelles.

Zouave du pont de l'Alma et niveaux des crues de la Seine
Zouave du pont de l’Alma et niveaux des crues de la Seine
[ Source ]
Sources:
Météo-Paris
Le plan NEPTUNE, ou la crue centennale de la Seine
Herodote.net
Paris 1900
1910, et demain ?