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Do not track : Il est temps d’en savoir autant sur Internet qu’Internet en sait sur vous.

Vous avez un peu de temps ? Non ? Prenez-le. Faites l’expérience de Do not track !

Do not track

Do not track, c’est quoi ?

Il s’agit d’un web-docu participatif (en partie réalisé grâce à Arte) qui vous explique (ou explicite) à qui profitent les données personnelles que vous laissez sur internet (aussi appelées vos « datas »). Elles sont en effet récoltées grâce à un mécanisme auquel vous ne pouvez pas échapper mais que vous ne connaissez peut-être pas (ou mal, comme moi) : le « tracking », décrit par le web-docu dont je vous parle comme « une industrie opaque qui génère des milliards avec ce qu’elle sait de nous ».

Flippant ? Vous n’avez encore rien vu.

"Il est temps d'en savoir autant sur Internet qu'Internet en sait sur vous" nous annonce-t-on sur Do not track.
« Il est temps d’en savoir autant sur Internet qu’Internet en sait sur vous » nous annonce-t-on sur Do not track.

Car même si vous connaissez le « tracking » (ou pensez le connaître… comme moi), Do not track prend base sa démonstration sur des exemples d’actions, de choses que vous faites chaque jour sur le web sans vous en rendre forcément compte, sans forcément savoir exactement de quoi il s’agit, sans vous poser la question, en fait… et vous démontre que vous ne savez finalement pas toujours autant de choses que vous le pensez.

Quel est le but de Do not track ?

Le but de ce web documentaire n’est pas de vous effrayer au point de vous faire abandonner définitivement l’utilisation d’internet, de tout objet connecté et d’aller vivre au fin fond du Larzac jusqu’à la fin de vos jours… (je n’ai rien contre le Larzac, qu’on se le dise) Au contraire ! Il s’agit plutôt de vous inciter à changer votre façon d’utiliser internet de manière à faire de vous un internaute actif et non plus passif. Un internaute qui sait ce qu’il fait, pourquoi il le fait et qui est conscient de la façon dont fonctionne le web. Un internaute qui connaît les grands acteurs de ce monde virtuel et la façon dont ils tirent les ficelles. Comprendre, savoir, être capable de prendre des décisions en toute connaissance de cause, c’est gagner en liberté et être capable de protéger votre vie privée et votre individualité. Pour qu’internet reste au service des internautes… et non pas l’inverse.

Par exemple, sauriez-vous expliquer ce qu’est le tracking ?
Savez-vous ce que sont les cookies et pourquoi, depuis quelques mois, chaque site vous demande de les accepter pour pouvoir naviguer tranquillement ? (ce qui est assez amusant puisque si vous êtes attentifs, vous aurez remarqué que vous ne pouvez pas refuser)
Quelles données (datas) laissez-vous sur internet ? Êtes-vous sûrs que vous êtes le seul à décider de ce que vous mettez en ligne ?
Vous n’utilisez pas Facebook ou tout autre réseau social, vous n’avez pas de blog et ne fréquentez pas les forums… Ou alors, vous faites tout cela anonymement. Pourtant, savez-vous que cela n’empêche en rien la collecte de vos données personnelles ?
Comment Google peut-il savoir que vous êtes enceinte avant même que vous ayez mis vos proches au courant ?
Savez-vous pourquoi vous devriez éviter d’utiliser le wifi gratuit dans les cafés et autres lieux publics ?
Connaissez-vous les GAFA et le pouvoir qu’ils détiennent ?
En fait, savez-vous que vos données personnelles sont le prix que vous payez pour utiliser « gratuitement » internet ?
Tout ça, Do not track vous l’explique et c’est pourquoi j’ai trouvé ce documentaire particulièrement enrichissant.

"Nous vous montrerons qui vous traque en ligne." Et vous constaterez que vous êtes traqués partout et tout le temps !
« Nous vous montrerons qui vous traque en ligne. » Et vous constaterez que vous êtes traqués partout et tout le temps !

Bref, tout ça pour dire que, personnellement, je me suis prêtée au jeu et j’ai appris des choses. J’ai trouvé ça vraiment instructif et pas mal fait. C’est pourquoi, si vous avez un peu de temps, je vous encourage à essayer également. Vous aurez à répondre à quelques questions sur votre utilisation d’internet, qui apparaîtront çà et là tout au long des épisodes (il y a 7 épisodes, ils ne sont pas très longs et vous n’êtes pas forcés de les voir tous d’un coup). C’est pourquoi je parlais de web-docu « participatif ».
Seule contrainte : vous devrez vous inscrire pour « vivre l’expérience » pleinement. Du coup, comme vous le signale le web-docu dès que vous arrivez sur sa page : « Do not track vous traque »… Pour mieux vous expliquer ce qu’est le tracking.

Bref, bon visionnage !
N’hésitez pas à me faire part de vos réactions si vous tentez le coup, grâce aux commentaires ci-dessous :)

« Silence » à Clichy !

A-t-on marché pour rien, le 11 janvier dernier ?

C’est la question que nous sommes en droit de nous poser, je crois, suite à ce qui se passe actuellement au sein de l’exposition « Femina ou la réappropriation des modèles » à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine).

Ce 27 janvier, en effet, une oeuvre a été délibérément retirée de l’exposition à la demande de l’artiste qui l’avait réalisée. La raison ? La Fédération des associations musulmanes de la ville de Clichy aurait contacté la mairie de la ville pour la prévenir qu’elle ne saurait être tenue responsable et ne pourrait pas empêcher d’éventuels incidents si, par malheur, l’œuvre venait à choquer certaines personnes. Afin d’éviter tout dérapage, l’artiste aurait donc préféré que son œuvre soit retirée de l’exposition…

Bouabdellah_Zoulikha_Silence
Zoulikha Bouabdellah, Silence, 2008-2015
Installation: 24 tapis de prière, 24 paires de chaussures, 300 x 560 cm.

Mais quelle est donc l’œuvre au cœur du problème ?

Point de caricature de Mahomet ici. En fait, elle s’intitule (et c’est malheureusement fort à propos…) « Silence ». Elle a été réalisée en 2007 par l’artiste franco-algérienne Zoulikha Bouabdellah et il s’agit, tout simplement, de tapis de prières sur lesquels se trouvent des paires d’escarpins brillants.

L’œuvre a déjà été exposée plusieurs fois depuis sa création. Apparemment sans poser problème.

En ce qui me concerne, le but me semble évident : questionner la place de la femme au sein de l’espace sacré musulman. Je dis bien « questionner », pas juger ou critiquer.

En effet, que peut-on voir dans cette œuvre ?

Ce sont des escarpins dorés posés sur des tapis de prières. Ces chaussures peuvent faire penser à la pantoufle perdue de Cendrillon. Clairement, nous avons donc l’idée de présences féminines mais nous ne pouvons pas voir ces femmes. Elles sont absentes, elles sont comme invisibles.
Le titre de l’œuvre, « Silence », suggère aussi l’idée de ces présences muettes : comme des fantômes, incapables de communiquer avec le « monde des vivants », ces présences sont contraintes au silence. Ces deux mondes, ces deux entités ne peuvent pas communiquer car ils n’appartiennent pas au même espace. Or, c’est précisément ce qui se passe dans une Mosquée : les femmes se trouvent d’un côté, les hommes de l’autre. Les femmes sont voilées, les hommes ne le sont pas.
Autrement dit, la question que pose cette œuvre, je la vois ainsi : les femmes sont-elles vouées à être des esprits passifs et silencieux, au sein de l’espace sacré musulman, voire de la religion musulmane dans son ensemble ?

Bon. Soyons clairs, je vois tout-à-fait ce qui peut générer la polémique dans cette œuvre. Toute œuvre qui questionne est potentiellement polémique puisqu’elle peut questionner des points plus ou moins sensibles de notre mode de vie, de nos convictions, de nos idéaux, de nos dogmes…
Mais en ce qui concerne cette œuvre, « Silence », je pourrais comprendre qu’elle dérange des pays comme l’Arabie Saoudite, dont nous parlons beaucoup depuis la mort du Roi Abdallah (prétendu « de façon très discrète, (…) un ardent défenseur des femmes » selon Christine Lagarde… ni plus ni moins qu’un souverain obscurantiste et totalitariste de plus que la Terre a porté, si vous voulez mon avis), ou Daesh ou je ne sais trop quelle autre ordonnance extrémiste du même style. Mais nous sommes en France et, pis encore, c’est l’artiste qui a choisi de s’auto-censurer semble-t-il !

Zoulikha Bouabdellah, Silence, 2008-2015  Photo Alexandre Mayeur. Galerie Anne de Villepoix, Paris
Zoulikha Bouabdellah, Silence, 2008-2015
Photo Alexandre Mayeur. Galerie Anne de Villepoix, Paris

Dans ce cas, à quoi bon cette œuvre ?

Si je veux créer des œuvres de ce type sans gêner personne, je le fais dans mon garage, je ne les expose pas, non ? Sinon, je ne vois vraiment pas quel est le but et mon analyse précédente est totalement fausse. Auquel cas, j’adorerais que l’artiste m’explique quelle était la raison cachée de son travail car elle m’échappe totalement !

Zoulikha Bouabdellah se justifie ainsi, d’après L’Express :

guillemet« Suite à l’incompréhension dont est victime l’installation, j’ai pris la décision de la retirer. Je mets cette incompréhension sur le compte de l’émotion liée au drame qui a touché la France et ne souhaite en aucun cas que cette pièce soit le prétexte de quelques-uns pour nourrir davantage les amalgames à travers des interprétations erronées. »

(Source: L’Express, Des escarpins sur un tapis de prière pour musulman: une œuvre d’art retirée à Clichy)

Très bien mais, oui ! Oui, il y a « incompréhension » de ma part ! Mais elle n’est pas liée au drame qui a touché la France, en l’occurrence. Elle est liée au fait que je ne comprends pas comment il est possible de s’autocensurer après avoir créé une œuvre comme celle-ci. Honnêtement : à quoi cela sert-il ? Ce que je vois, personnellement, c’est une artiste et des commissaires d’exposition qui planquent leurs miches à la première remarque et, auquel cas, nous nous sommes bien mobilisés pour rien, le 11 janvier dernier…

Quant au maire PS de la ville ?

Môsieur ne se sent pas concerné et il voudrait qu’on le laisse tranquille. D’après le journal Libération, voici comment l’élu se dégage de toute responsabilité :

guillemet« Je me suis fait une règle de principe qui est de laisser aux professionnels le choix des programmations dans les établissements culturels de la ville de Clichy. »

(Source : Libération, Autocensure post-attentats à l’exposition «Femina» de Clichy)

L’Express ajoute ces paroles :

guillemet« Il n’est pas question pour moi de choisir telles ou telles œuvres pour une exposition qui est sous la responsabilité des organisateurs. Je tiens à rappeler que ce n’est pas à la mairie que sont décidés les choix des artistes ou de leurs œuvres ».

(Source: L’Express, Des escarpins sur un tapis de prière pour musulman: une œuvre d’art retirée à Clichy)

De plus, las d’être pris à parti sur les réseaux sociaux, le maire menace de « saisir la justice pour diffamation ». Quitte à aller jusqu’au bout dans le courage…

Sinon, l’union nationale, c’était pas un peu l’idée qui devait émerger et illuminer la France suite aux attentats ? Non ? J’ai dû rêver, je me disais bien aussi…

Bref, je ne peux que soutenir les propos d’une autre artiste, Orlan, qui devait être présente au sein de la même exposition. Je dis « devait » car elle a, depuis, demandé à ce que son travail soit décroché tant que celui de Zoulikha Bouabdellah ne serait pas remis en place. Voici ce qu’elle déclare sur sa page Facebook :

guillemet« Quels que soient les motivations de l’artiste et des commissaires (de l’exposition ndlr.) le résultat est catastrophique. Je peux suivre le raisonnement, mais je ne peux le soutenir car c’est la porte ouverte à toutes sortes de restrictions insidieuses de notre liberté d’expression, au risque que nous passions consciemment ou inconsciemment de l’auto-censure à l’empêchement, de l’empêchement à l’inhibition que produisent la menace et la peur. La liberté d’expression continue à être bafouée deux semaines après les marches du 11 janvier, alors qu’aucun motif sérieux ne peut être invoqué pour interdire la présentation d’une œuvre qui réunit simplement des tapis de prière et des paires d’escarpins. »

(Source : Page Facebook de Orlan)

Et, c’est étrange, parce que Orlan semble penser très sincèrement que la mairie, si « silencieuse » justement, aurait joué un rôle majeur dans l’auto-censure (ou la censure tout court, par conséquent) de Zoulikha Bouabdellah. Voici ce qu’elle déclare, toujours sur sa page Facebook :

guillemet« En vérité, il suffit de se renseigner un peu pour découvrir clairement que cet acte d’auto-censure masque une censure plus grave. ‘’Une association de confession musulmane’’ aurait fait pression auprès des responsables de la mairie pour obtenir le retrait de l’œuvre. La mairie a cédé à ces pressions et s’est désolidarisé de l’exposition si l’œuvre devait être présentée. »

(Source : Page Facebook de Orlan)

L’auto-censure est une chose. La censure en est une autre…
J’imagine que nous aurons peut-être plus d’informations sur ce qu’il en est vraiment dans les jours à venir. En attendant, cette histoire n’est pas très jolie à voir, par les temps qui courent…


Edit du 29/01 :

Le Nouvel Obs nous apprend que l’oeuvre sera finalement réinstallée au sein de l’exposition. La mairie a décidé de prendre « des mesures de sécurité et de communication pour que la pièce soit réinstallée » nous dit-on. (Source)

Du coup, était-il vraiment nécessaire d’en arriver à de telles extrémités ? L’œuvre aurait très bien pu passer inaperçu. Alors qu’après le tapage médiatique, rien n’est moins sûr.

Il semble en tout cas que mon analyse de l’oeuvre n’était pas fausse puisque l’artiste a déclaré ne vouloir ni choquer, ni provoquer mais susciter « un dialogue [sur] les liens entre les espaces profane et sacré ainsi que la place de la femme au seuil de ces deux mondes ». (Source)

Mais, au fait, sont-ils portables, ces escarpins ? Non, parce qu’en exposant des Louboutin, par exemple, je peux vous assurer que vous auriez affaire à d’autres extrémistes, non moins effrayant(e)s ! Moi, je dis ça…