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Inktober 2018 – Mes dessins

Pour la deuxième année consécutive, j’ai décidé de participer à l’Inktober ! Pour ceux qui ne sauraient pas de quoi il s’agit, je vous avais fait un petit topo sur le sujet dans l’article qui présentait mes dessins, l’année dernière.

Comment s’est passé l’Inktober cette année ?

Cette année, j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains et de passer du noir et blanc à la couleur. J’ai enfin ressorti mes aquarelles et mes pinceaux, ça m’a fait beaucoup de bien. Mais, évidemment, j’ai eu beaucoup plus de mal à tenir le rythme d’un dessin par jour pendant trente et un jours.

Au final, il me manque deux dessins et certains ne sont pas colorés (c’est voulu pour le 19ème mais pas pour les autres). Mais, bon, je suis quand même très fière de moi parce que ça représente un sacré progrès par rapport à l’année dernière déjà. Et par rapport à mon état de santé et à ma confiance en moi et en mes capacités, surtout.

Je vous laisse découvrir mes dessins ci-dessous. Quant à ceux qui voudraient en savoir encore plus à leur sujet, sachez que j’ai détaillé mon travail au jour le jour sur Instagram. Vous y trouverez aussi des photographies de ces dessins en cours de réalisation, des anecdotes, leur petite histoire à chacun.

Mon Inktober 2018 :

Thèmes de l'Inktober 2018
Thèmes de l’Inktober 2018

Ces dessins vous plaisent ? Pensez aux boutiques Studinano !
Vous y trouverez des reproductions de divers formats et sous différentes formes, des vêtements, des bijoux, des accessoires et des créations originales pour faire plaisir aux grands, aux petits, à toute la famille et pour toutes les occasions !

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Aviary Attorney : Enquête dans l’univers de J.J. Grandville

Aujourd’hui, nous allons parler d’un jeu vidéo !
Oui, oui, un jeu vidéo.
C’est un manque, sur Studinano. Beaucoup de jeux mériteraient pourtant qu’un article leur soit consacré. En effet, tant sur la forme que sur le fond, les jeux vidéo peuvent s’avérer être des œuvres d’art à part entière. En grande partie parce que de véritables artistes travaillent à leur réalisation. Et il arrive aussi qu’ils soient les supports idéaux à l’exposition d’œuvres préexistantes. Y compris des œuvres qu’on pourrait croire très éloignées du monde vidéoludique de prime abord. C’est le cas de celles dont nous allons parler aujourd’hui.
Je suis tombée totalement par hasard sur ce jeu et je suis tombée sous le charme. La raison à cela ? C’est un jeu réalisé entièrement à partir de gravures de J.J. Grandville, l’un de mes artistes favoris !

Présentation du jeu

Ce jeu s’appelle Aviary Attorney (qu’on pourrait traduire par « la volière aux avocats »; dans le contexte). A priori, il n’est pas d’une originalité folle : c’est un jeu d’enquête qui rappellera aux connaisseurs les aventures du Professeur Layton ou Ace Attorney (dont on peut imaginer que l’emprunt partiel du nom n’est pas un hasard ; c’est aussi une histoire d’avocats, d’enquêtes et la façon dont se joue le jeu est quasiment identique).
Je vous laisse jeter un œil à la vidéo de présentation du jeu avant de poursuivre :

Au cours du jeu, nous incarnons Jayjay Falcon, un oiseau de proie au bon cœur mais à l’expertise judiciaire discutable. Avec l’aide de son apprenti, Sparrowson (un moineau), notre but est de venir en aide à nos clients, d’interroger des témoins, de recueillir des preuves et, finalement, de condamner les coupables au cours de différentes affaires. Bref, un jeu d’enquête, vous disais-je !

L’originalité du jeu

Toutefois, ce qui fait toute la magie et l’intérêt de ce jeu, ce n’est pas son gameplay (et j’ai envie de dire tant mieux car, de ce point de vue, ça n’est guère original, vous l’aurez compris) mais la superbe utilisation des gravures de J.J. Grandville.
Ces œuvres, tombées dans le domaine public, sont ce qui a motivé la réalisation même du jeu. Malheureusement pour nous, francophones, le développeur à l’origine du projet est britannique. Le jeu n’est donc actuellement disponible que dans la langue de Shakespeare. Un comble pour un jeu basé sur les travaux d’un artiste français (enfin… Nancy, la ville dont il est originaire, était sous domination allemande à l’époque… mais on ne va pas chipoter pour si peu, là, oh, hein !) et dont l’intrigue se déroule à Paris ! En ce qui me concerne, j’espère qu’il y aura une traduction française bientôt.

Quoiqu’il en soit, Aviary Attorney démontre que J.J. Grandville, artiste français du XIXe siècle, était un illustrateur magistral et qu’il aurait sans nul doute trouvé sa place à notre époque. Grandville était clairement en avance sur son temps et il illustrait les mœurs de son époque avec grand talent.

J.J. Grandville : Présentation

J.J. Grandville se distingue de ses comparses graveurs, dessinateurs et caricaturistes parce qu’il excelle dans l’imagerie animale. Le zoomorphisme, plus exactement, est sa spécialité : il donne aux hommes des figures animales censées caractériser leur comportement, leurs qualités et leurs défauts, leur façon d’être. L’une de ses gravures les plus célèbres, Les Ombres Portées, montre comment l’artiste parvient à se moquer de ses contemporains en les comparant à tel ou tel animal auquel on prête tel ou tel trait de caractère. Cette pratique rappelle l’engouement de l’époque pour la physiognomonie, pseudo-science qui consistait à penser que le caractère des gens était lié à leurs caractéristiques physiques. Ce courant de pensée qui connaîtra les dérives racistes que l’on sait (l’antisémitisme, notamment, sera grandement alimenté par des pensées physiognomonistes et conduira jusqu’au délire aryen des Nazis).

 Jean-Jacques-Isidore Gérard, dit Grandville,  Les Ombres portées, planche 1, La Caricature, n°2, 11 novembre 1830, lithographie coloriée, Nancy, musée des Beaux-Arts.
Jean-Jacques-Isidore Gérard, dit Grandville,
Les Ombres portées, planche 1, La Caricature, n°2, 11 novembre 1830, lithographie coloriée, Nancy, musée des Beaux-Arts.
 Jean-Jacques-Isidore Gérard, dit Grandville,  Les Ombres portées, planche 1, La Caricature, n°2, 11 novembre 1830, lithographie coloriée, Nancy, musée des Beaux-Arts.
Jean-Jacques-Isidore Gérard, dit Grandville,
Les Ombres portées, planche 1, La Caricature, n°2, 11 novembre 1830, lithographie coloriée, Nancy, musée des Beaux-Arts.

J.J. Grandville, lui, joue avec le zoomorphisme et la physiognomonie pour caricaturer son temps et en faire la critique, souvent acerbe. Pour ce faire, il doit jongler avec les lois de censure qui touchent la presse. L’artiste vivra d’ailleurs très mal une perquisition de son domicile, au point de ne plus se consacrer, après elle, qu’à l’illustration de livres.

Comme son admirateur, Gustave Doré, il illustrera ainsi les Contes de Perrault, les Fables de la FontaineLes aventures de Robinson Crusoé ou encore Les Voyages de Gulliver, pour ne citer que les plus connus. Il écrira et illustrera également ses propres romans comme Un autre monde, Les Métamorphoses du jour ou, son plus célèbre ouvrage, Scènes de la vie privée et publique des Animaux pour Hetzel (célèbre éditeur de Jules Verne et Victor Hugo, dont il était également l’ami proche). Dans ce dernier, l’artiste démontre toute l’étendue de son talent pour le fantastique et donne vie à un monde peuplé d’animaux étrangement humains qui ont bien à nous apprendre sur la société de l’époque (c’était déjà le cas dans Les Métamorphoses du jour, tandis qu’Un autre monde ressemble à une œuvre surréaliste avant l’heure !).

Les personnages qui évoluent dans le jeu vidéo Aviary Attorney sortent de ce livre qui est, à l’origine, un recueil d’articles, de nouvelles et de contes satiriques. Honoré de Balzac ou encore George Sand participeront à son écriture mais toutes les vignettes accompagnant sa lecture seront réalisées par J.J. Grandville.

Grandville était en avance sur son temps. Par conséquent, rien d’étonnant à ce qu’il ait été un grand caricaturiste de son époque car, après tout, il faut avoir le recul nécessaire pour dépeindre une situation de façon critique. Il excellait dans ce domaine et c’est aujourd’hui ce savoir-faire, mêlé à son talent pour les représentations fantastiques, qui lui permettent de rester parlant, même aux yeux du public d’aujourd’hui. S’il avait été illustrateur de nos jours, il y a fort à parier que Grandville aurait pu travailler dans bien des domaines de la production graphique. Le jeu vidéo en fait partie, bien évidemment, puisqu’il mêle bon nombre de disciplines. On voit bien avec Aviary Attorney comme ses dessins s’y seraient en tout cas fort bien prêtés ! Lui manquera seulement la véritable patte du maître, celle qui lui aurait permis d’être davantage qu’un très beau jeu : car s’il avait vraiment pu réaliser un jeu vidéo, on peut penser que Grandville aurait sûrement, comme  son habitude, été en avance sur son temps. Il nous est finalement impossible de savoir quelle merveille il aurait été capable de mettre au jour sans posséder sa prescience unique !


Sources :
Lien du site officiel Aviary Attorney
Aviary Attorney disponible sur Steam
Article Gamekult (2014) : « Aviary Attorney : les ailes du délire »

Joseph Ferdinand Cheval : un Facteur pas comme les autres

Aujourd’hui, je vous emmène sur les traces d’un artiste méconnu. Un artiste qui, d’ailleurs, ne fut pas reconnu comme un « vrai artiste » (comme cette expression est laide…) avant un certain temps après sa mort. Et pour cause : Joseph Ferdinand Cheval était… facteur ! C’est d’ailleurs pour cette raison que nous le connaissons  le plus souvent sous le nom de Facteur Cheval.


Sommaire de l’article :

Joseph Ferdinand Cheval : le plus extraordinaire des facteurs
Le Palais du Facteur : une incroyable maison inhabitable
L’Art brut : art des fous ou des esprits purs ?


Joseph Ferdinand Cheval : le plus extraordinaire des facteurs

Portrait du Facteur Cheval en uniforme
Portrait du Facteur Cheval en uniforme.

Ferdinand Cheval est facteur. Il a pourtant une formation de boulanger, métier qu’il exerce jusqu’à la mort de son premier fils et après avoir obtenu, dans sa jeunesse, un Certificat d’études primaires (diplôme que l’on obtenait, à l’époque, entre 11 et 13 ans, grosso-modo à la fin de la primaire, donc). Originellement, il vient d’une famille paysanne plutôt pauvre de la Drôme. Pendant un temps, il travaille d’ailleurs auprès de son père, au sein de la ferme familiale que finira par reprendre son frère.
Rien ne le prédestine, à première vue, à devenir artiste. D’autant plus qu’il naît en 1836 et meurt en 1924, une époque où il est difficile, voire impossible (on ne va pas se mentir) de modifier à ce point son « destin ».

guillemet« L’époque est rude. Les disettes et épidémies sont fréquentes. Beaucoup de paysans ne portent pas de souliers, ne mangent presque jamais de viande et n’ont pas de draps. Ils dorment le plus souvent dans des lits de feuilles, volées à leur chute dans les forêts communales. »

Pierre Chazaud, Le Facteur Cheval : Un rêve de pierre, Collection les patrimoines, ed. Le Dauphiné, mars 2008.

Et pourtant !
C’est bien son métier de facteur qui va faire de ce brave homme un artiste.
En effet, il effectue chaque jour à pied un trajet d’une trentaine de kilomètres pour desservir Hauterives, village de la Drôme, et ses proches environs. Pour occuper ses longues journées de marche, l’homme rêvasse et dresse peu à peu dans son esprit les plans d’un « palais idéal ». Il s’agit pour lui d’un endroit où il peut s’évader quand il le souhaite d’un quotidien qui n’a rien de bien palpitant.

guillemet« Que faire en marchant perpétuellement dans le même décor, à moins que l’on ne songe. Pour distraire mes pensées, je construisais en rêve, un palais féerique… »

Citation du Facteur Cheval, Source : Site officiel du Palais idéal du Facteur Cheval

Et pendant dix à quinze ans (selon les sources), ce palais reste bel et bien un simple rêve.

Pause précision :
Mads Mikkelsen dans le rôle d'Hannibal dans la série éponyme.
Mads Mikkelsen dans le rôle d’Hannibal dans la série éponyme.

Le fait d’imaginer une architecture complète (un palais, par exemple) dans son esprit n’est pas courant mais n’est pas nécessairement quelque chose d’extraordinaire. Cela peut, en effet, rappeler un procédé mnémotechnique utilisé depuis l’Antiquité et surnommé l’Art de la Mémoire (Ars memoriae, en latin). Cet « art » est principalement utilisé pour mémoriser de longues listes de choses.
Thomas Harris rend son personnage d’Hannibal Lecter capable de pratiquer cet art. L’auteur décrit ainsi comment le tueur en série parvient à dresser dans son esprit un « château mental », un « palais de la mémoire, un édifice qui recèle plus de beauté que de laideur ». Le livre décrit ainsi que « le palais de la mémoire [était] un procédé mnémotechnique bien connu des savants antiques [qui permit] de préserver de multiples connaissances tout au long de l’ère de déclin où les Vandales brûlaient les livres. Comme les érudits qui l’ont précédé, le docteur Lecter conserve une énorme quantité d’informations liées à chaque ornement, chaque ouverture et chacune des mille pièces de son édifice, mais contrairement à eux il lui réserve encore une autre fonction : il part y vivre de temps à autre. » C’est en cela qu’on peut, peut-être, comparer le Palais idéal du Facteur Cheval à ce procédé. Ceci dit, le Facteur, lui, n’était pas un tueur en série mangeur de chair humaine, en plus d’avoir véritablement existé !

(Oh et, ça n’a rien à voir – ou presque- mais la série Hannibal est très bien et je vous encourage vivement à la regarder si ça n’est pas déjà fait.)

La pierre d'achoppement, à l'origine du Palais. Emplacement : sur la terrasse, façade ouest.
La pierre d’achoppement, c’est-à-dire la pierre sur laquelle aurait trébuché le Facteur Cheval et qui serait à l’origine du Palais.
Emplacement : sur la terrasse, façade ouest.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là et devient même, à mon sens, bien plus incroyable. Le Facteur Cheval a presque oublié son palais imaginaire quand il raconte avoir trébuché par hasard sur une pierre (que vous pouvez voir ci-contre, car elle fait maintenant partie intégrante du Palais idéal) pendant l’une de ses tournées. Romance ou réalité ? Allez savoir. Il n’empêche que c’est cet évènement, dit-il, qui le pousse à commencer la construction de ce qui n’était alors qu’un rêve pour passer le temps. Un rêve qu’il gardait d’ailleurs pour lui de peur qu’on le prenne pour un fou. Ce qui arrivera, bien malheureusement.

Dans « L’histoire du Palais Cheval édifié à Hauterives-Drôme, écrite par son auteur monsieur Ferdinand Cheval » et relatée par la Vie illustrée du 10 novembre 1905, voici comment le Facteur-artiste raconte son histoire :

guillemet« Un jour du mois d’avril en 1879, en faisant ma tournée de facteur rural, à un quart de lieue avant d’arriver à Tersanne, je marchais très vite lorsque mon pied accrocha quelque chose qui m’envoya rouler quelques mètres plus loin, je voulus en connaitre la cause. J’avais bâti dans un rêve un palais, un château ou des grottes, je ne peux pas bien vous l’exprimer… Je ne le disais à personne par crainte d’être tourné en ridicule et je me trouvais ridicule moi-même. Voilà qu’au bout de quinze ans, au moment où j’avais à peu près oublié mon rêve, que je n’y pensais le moins du monde, c’est mon pied qui me le fait rappeler. Mon pied avait accroché une pierre qui faillit me faire tomber. J’ai voulu savoir ce que c’était… C’était une pierre de forme si bizarre que je l’ai mise dans ma poche pour l’admirer à mon aise. Le lendemain, je suis repassé au même endroit . J’en ai encore trouvé de plus belles, je les ai rassemblées sur place et j’en suis resté ravi… C’est une pierre molasse travaillée par les eaux et endurcie par la force des temps. Elle devient aussi dure que les cailloux. Elle représente une sculpture aussi bizarre qu’il est impossible à l’homme de l’imiter, elle représente toute espèce d’animaux, toute espèce de caricatures. […] »

Une des phrases du Facteur Cheval résume parfaitement ce qu’il entreprend alors de faire : « Je me suis dit : puisque la Nature veut faire la sculpture, moi je ferai la maçonnerie et l’architecture. » (Pierre Chazaud, Le Facteur Cheval : Un rêve de pierre, op.cit.)

Le Palais du facteur : l’incroyable maison inhabitable

Avant de vous en dire plus sur ce Palais idéal, je vous laisse le découvrir en images si vous ne l’aviez encore jamais vu :

Le Palais du Facteur Cheval se situe dans la Drôme, à Hauterives. Il mesure 12 mètres de hauteur et 26 mètres de long. Les pierres qui le compose furent assemblées avec de la chaux, du mortier et du ciment. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il porte admirablement bien son nom de « Palais idéal ».

Premièrement, parce que le Facteur Cheval a fait de son Palais une architecture unique en son genre, mêlant des éléments de provenance très diverses. Les cultures auxquelles ils empruntent appartiennent à différents continents, ce qui en fait un bâtiment qu’on pourrait qualifier d’universel. C’est déjà un sacré bel exploit !
Un incroyable bestiaire décore l’ensemble : pieuvre, biche, cerf, caïman, éléphant, pélican, loutre, dromadaire, ours, oiseaux… Mais aussi des géants, des fées, des personnages mythologiques ou encore des cascades. Sur une des façades, il fait même référence à Allah ! Le Facteur puise son inspiration dans la Bible (Grottes de Saint-Amédée et de la Vierge Marie, un calvaire, les évangélistes…) ainsi que dans la mythologie hindoue et égyptienne, notamment. Il faut dire qu’à une époque où se développe la carte postale, le livreur de courriers a de quoi trouver largement de quoi alimenter son imagination fertile !
L’ensemble m’évoque une sorte de Palais des Mille et Une Nuits qui aurait été construit hors du temps, hors de toute époque précise ou, au contraire, au croisement de tous les possibles. Une fantastique aberration. Le résultat d’un rêve, c’est à n’en plus douter !

La façade Est est surnommée le « Temple de la Nature ». Sur la façade Ouest, on trouve plusieurs architectures miniatures, inspirées de créations du monde entier comme une mosquée, un temple Hindou, un chalet suisse, la Maison Carrée d’Alger ou encore un château du Moyen Âge. C’est également par là qu’on accède à une galerie d’une vingtaine de mètres, également ornée de sculptures. On peut aussi accéder à une terrasse par des escaliers.
La façade Nord semble être une prolongation du Temple de la Nature. On y trouve des grottes et toutes sortes d’animaux. La façade Sud, elle, se compose d’un musée antédiluvien (c’est-à-dire un musée d' »avant le Déluge », autrement dit une référence biblique).

Palais idéal du Facteur Cheval, Hauterives, Drôme, France.  Détail : Le Temple Hindou
Palais idéal du Facteur Cheval,
Hauterives, Drôme, France.
Détail : Le Temple Hindou

Deuxièmement, je trouve ça incroyable qu’un homme seul, qui plus est une personne sur laquelle personne n’aurait parié, ait réussi à réaliser quelque chose d’aussi imposant, beau et unique en son genre. Le Facteur Cheval mettra 33 ans à bâtir sa forteresse de rêve. Quand il commence sa construction, il a déjà 43 ans (on est aux alentours de 1880 et l’espérance de vie d’un facteur de la Drôme n’est pas la même que de nos jours…). Quand il l’achève, en 1912, il prend soin d’y inscrire « Travail d’un seul homme ». Peut-être pour se rassurer lui-même : solitaire, traité de fou, il a tout de même réussi à bâtir cette incroyable maison tout seul, de ses propres mains, en total autodidacte. Et le résultat est incroyable !

Mais l’histoire ne s’arrête pas tout à fait là car après l’achèvement de son Palais en 1912, le facteur repart à la recherche de nouvelles pierres à l’aide sa fidèle brouette. Son but ? Construire ce qui deviendra, finalement, sa maison éternelle : son tombeau.

En fait, le Palais idéal devait être la dernière demeure du facteur mais la loi Française alors en vigueur n’autorise pas ce dernier à y être enterré sans avoir été d’abord incinéré (allez savoir pourquoi…). Une pratique encore peu en vogue à l’époque. Le facteur décide donc de construire sa propre tombe dans le proche cimetière. Il raconte :

guillemet« Après avoir terminé mon Palais de rêve à l’âge de soixante dix-sept ans et trente-trois ans de travail opiniâtre je me suis trouvé encore assez courageux pour aller faire mon tombeau au cimetière de la Paroisse.
Là encore j’ai travaillé 8 années d’un dur labeur. J’ai eu le bonheur d’avoir la santé pour achever ce tombeau appelé « Le Tombeau du silence et du repos sans fin » – à l’âge de 86 ans.
Ce tombeau se trouve à un petit kilomètre du village d’Hauterives. Son genre de travail le rend très original, à peu près unique au monde, en réalité c’est l’originalité qui fait sa beauté.
Grand nombre de visiteurs vont aussi lui rendre visite après avoir vu mon « Palais de rêves » et retournent dans leur pays émerveillés en racontant à leurs amis que ce n’est pas un conte de fée, que c’est la vraie réalité. Il faut le voir pour le croire. C’est aussi pour l’Éternité que j’ai voulu venir me reposer au champ de l’Égalité. »

Extrait du cahier N° 3 du Facteur de décembre 1911, Hauterives – Drôme, écrit par son auteur Monsieur Ferdinand Cheval, Source : Site officiel du Palais idéal du Facteur Cheval

L’art brut : art des fous ou des esprits purs ?

Pour autant, le Facteur Cheval n’est pas considéré comme un artiste comme les autres. On parle d’Art brut pour qualifier les œuvres comme la sienne. Une expression qui couvre quantité de créations et, surtout, de créateurs différents. Par exemple, beaucoup de gens sont encore persuadés aujourd’hui que l’Art brut est le nom donné aux créations les plus extraordinaires (entendez bien, celles qui sortent le plus de l’ordinaire) des personnes atteintes de troubles psychologiques plus ou moins graves.

Le Facteur Cheval et sa brouette,
Le Facteur Cheval et sa brouette,
Bibliothèque municipale de Lyon

Mais le Facteur Cheval était-il fou ? Certes, il n’était pas artiste de profession et/ou de formation. Rien que pour cela, son travail est classé dans la catégorie « Art brut ». Ce qui n’enlève rien à la qualité de son œuvre. L’Art brut n’ayant pas vocation à être une catégorie artistique valant moins qu’une autre (en tout cas, à mes yeux).
Ses voisins semblent en tout cas avoir longtemps pensé que le pauvre homme était fou. Il faut dire que durant sa tournée de facteur, il accumulait des pierres qu’il retournait chercher, une fois sa journée terminée, à l’aide de sa très chère brouette qu’il appelle sa « fidèle compagne de peine » (mais nous avons bien un Fossoyeur qui parle à une pelle, de nos jours ! :p).
Mais ce qui fait vraiment du Facteur Cheval un artiste « brut », c’est tout simplement qu’il ne cherchait pas à réaliser une œuvre d’art ni à être artiste : il faisait ce qu’il ressentait l’envie de faire, sans se poser davantage de questions existentielles, transcendantes, métaphysiques, ou tout ce que vous voulez. Il essaiera toutefois de faire connaître son travail de son vivant et ira même jusqu’à engager une « bonne » chargée des visites guidées en 1907.
Mais si son œuvre est une architecture, elle ne ressemble à aucune autre, elle ne correspond à aucun mouvement et ne répond à aucune règle architecturale ou sculpturale. Forcément, puisque Joseph Ferdinand Cheval n’est ni architecte, ni sculpteur ! C’est ce qui fait de lui un artiste « brut ».

Son travail va pourtant inspirer les artistes de son temps et ceux qui vont suivre. En particulier les surréalistes. En 1932, André Breton rendra un hommage au Facteur Cheval à travers un  poème intitulé : « Le Revolver à cheveux blancs ».

En 1969, André Malraux, alors Ministre de la Culture, fait classer le Palais idéal aux Monuments Historiques, au titre de l’art naïf. Un « vrai » art, cette fois, pourrait-on dire car il s’agit d’un mouvement artistique auquel appartient notamment le Douanier Rousseau. Voilà le facteur devenu artiste. Quant à son Palais, il a accueilli 150 800 visiteurs venus du monde entier rien qu’en 2013.

Vous comprendrez donc que, même si c’est bien souvent une critique que l’on m’adresse lorsque l’on me dit que mes créations sont « naïves », je le prenne plutôt bien. A bon entendeur !


Cet article vous a plu ? Ou pas ? Vous pouvez tout me dire dans les commentaires ci-dessous ! N’hésitez pas ! ✌


Sources :
Site Officiel du Palais Idéal du Facteur Cheval
Page Facebook Officielle du Palais Idéal
Le Jardin des Arts
Wikipédia : Le Palais idéal
Wikipédia : Ferdinand Cheval


Les amoureux de Peynet

A l’heure de mes premières amourettes d’enfant (à l’école maternelle, j’étais précoce, que voulez-vous), j’ai commencé à entendre mes parents me dire en plaisantant : « On dirait les amoureux de Peynet ! » Cette phrase m’a poursuivie longtemps car j’étais ce genre de petite fille qui tombe amoureuse plus vite que son ombre (à l’époque, un gamin me disait « Wesh » et je tombais sous son charme ravageur et me mettais à aduler ses couches culottes…). Et j’ai dû mettre autant de temps à comprendre que derrière cette phrase se cachaient les dessins d’un artiste nommé Raymond Peynet.

C’est en 1942, à 34 ans, que l’artiste français crée et commence à décliner des personnages qui deviendront ses amoureux. L’homme qu’il représente est un poète, vêtu d’un costume et d’un chapeau rond. La femme varie, tantôt blonde ou brune, aux cheveux longs ou courts, et aux styles vestimentaires allant de la robe longue façon Belle Epoque aux pantalons patte d’eph’ de la période Hippie. Il semble, en tout cas, que ces deux amoureux le représentent souvent, sa femme et lui. Une femme qu’il épouse en 1930 et qui s’appelle, de façon fort à propos, Denise Damour ! On raconte d’ailleurs qu’il était fou amoureux d’elle.

En regardant les dessins de Peynet, on se rend rapidement compte que son poète amoureux est un mélange de tout un tas d’amoureux possibles et imaginables (le mien, par exemple, m’apparaît beaucoup dans certains dessins, je suis sûre qu’il saura où je veux en venir !)
Ainsi, dans certains dessins, il est clairement romantique :

Dans beaucoup d’autres, il est beaucoup plus grivois :

Il sait aussi être drôle, avec des dessins qui s’éloignent parfois un peu de ses célèbres amoureux :

Ou poétique, bien sûr (puisque c’est un poète !) :

Mais en ce qui me concerne, je ne peux m’empêcher de trouver certains dessins plus sexistes que simplement coquins et clairement pas aussi romantiques qu’on les décrit souvent, malheureusement (question d’époque ?) :

En fait, je trouve que quelque chose de très franco-français se dégage de l’oeuvre de Raymong Peynet. Peut-être est-ce le romantisme très porté sur la chose ? C’est le libertinage remis au goût de l’époque. Peynet me faisant un peu l’effet d’un Antoine Watteau des sixties. Les dessins de Peynet comportent énormément de références sexuelles. Nous sommes parfois très loin de l’image qu’il a laissée dans les esprits : celle du poète contant fleurette avec une naïve timidité. Le personnage de Peynet est un poète, certes, mais un poète qui aime les femmes dans tout ce qu’elles ont à lui offrir : y compris, voire surtout, les plaisirs de la chair ! En tout cas, l’artiste ne cache pas son amour des seins. Dans son oeuvre, des poitrines en veux-tu en voilà !

Les amoureux de Peynet sont vites devenus les icônes françaises de la Saint-Valentin. Aussi parce que la Poste a fait éditer des timbres à l’effigie de ces personnages. Ce dessin humoristique, illustrant les difficultés liées à l’envoi d’une simple lettre, n’aura donc pas porté préjudice à l’artiste :

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« Par la poste, pas question. Par pigeon voyageur, peut-être. Réflexion faite, j’ai plus de chances qu’elle arrive en la portant moi-même… »
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En 1985, Raymond Peynet réalise un timbre nommé « La Saint Valentin » pour La Poste. Aujourd’hui, l’Adresse Musée de La Poste est depuis en possession des différentes esquisses proposées à l’époque par l’artiste.
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Le premier jour d’émission du timbre, le 14 février 1985, le cachet de La Poste était un peu spécial. On pouvait y lire : « Peynet – La Saint Valentin – 39 St Amour », du nom de la ville de Saint-Amour dans le Jura.
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Carte postale de Raymond Peynet sur laquelle se trouve le timbre éditée par La Poste en 1985. Le tout portant l’oblitération suivante : « Kiosque des amoureux de Peynet – Valence ».

C’est apparemment ce kiosque, dessiné ci-dessus et se trouvant sur le Champ de Mars à Valence (Drôme) qui inspira à Peynet ses célèbres amoureux. L’histoire est tellement célèbre que le kiosque s’appelle désormais le Kiosque Peynet. On dit également que c’est ce même kiosque qui inspira à Georges Brassens sa célèbre chanson Les amoureux des bancs publics. Décidément, il serait inspirant !

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Vue du kiosque de Valence (Drôme), aujourd’hui appelé Kiosque Peynet.
kiosque_de_nuit
Vue du kiosque de Valence (Drôme), aujourd’hui appelé Kiosque Peynet.

kiosque-de-peynet-valence-dessin-02 Les dessins de Peynet, par leur simplicité d’exécution et le langage amoureux que l’artiste y a développé, sont aujourd’hui universellement connus et reconnus. Pas moins de deux musées leur sont d’ailleurs consacrés au Japon ! Au pays du « kawaii » (« mignon » en japonais) et du « hentai » (nom donné aux manga pornographiques), les amoureux franchouillards ont su se faire une place, ce qui n’est pas si étonnant que ça, quand on y réfléchit.

Couverture du livre "Les amoureux de Peynet", Ed. Hoëbeke, 2015
Couverture du livre « Les amoureux de Peynet », Ed. Hoëbeke, 2015

Enfin, jusqu’au 21 février 2015, une exposition est consacrée aux amoureux que j’ai tâché de vous décrire tout au long de cet article. Elle se tient à la Galerie Oblique à Paris et marque égalemet la sortie du livre Les Amoureux de Peynet aux éditions Hoëbeke.

Si cet article vous a plu (ou non !), que vous avez quelque chose à ajouter (ou pas !) n’hésitez pas à laisser un commentaire ! ;)

Sources :
Le blog de L’Adresse Musée de la Poste, « Les Peynet de coeur de la Saint-Valentin », 2013
A découvrir également :
Le Louvre vous propose toute une série d’histoires sur des couples mythiques de l’Histoire de l’Art : Parcours « Je vous aime, Images de l’amour au Louvre ».  « De l’Antiquité au XVIIIe siècle, découvrez comment les artistes choisissent de représenter les relations amoureuses. »