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Opération Fingers Out ou #11Days

Ces derniers jours, j’ai participé à un challenge un peu particulier : l’Opération Fingers Out. Présentation d’un coup de pouce créatif vraiment intéressant !

L’Opération Fingers Out, c’est d’abord #11Days

Lancé par le Youtubeur PV Nova, l’Opération Fingers Out consiste à… se sortir les doigts, comme son nom l’indique. Autrement dit, à arrêter de procrastiner ou à remettre au lendemain et créer !

Son objectif à lui ? Créer une chanson par jour pendant 11 jours, en se basant sur des thèmes tirés au sort chaque matin. Parce qu’il musicien, pour ceux qui ne connaîtraient pas encore sa chaine Youtube (je vous invite vraiment à aller la voir parce que ça vaut le détour !).

Mais pourquoi, me direz-vous ? Il est maso ? Il s’ennuie ? En fait, l’an dernier, pour les 10 ans de sa chaine, PV Nova avait décidé de se lancer dans un défi un peu fou : créer 1 chanson par jour pendant 10 jours. Challenge relevé avec brio. Il décide donc de remettre les couverts cette année (oui, bon, il est peut-être un peu maso, effectivement…). Cette fois, ce sera 1 chanson par jour pendant 11 jours. Le défi s’appelle donc #11Days.

Du coup, l’Opération Fingers Out, quésako ?

Parallèlement, PV Nova lance l’Opération Fingers Out, qui prend d’abord la forme d’un groupe Facebook. Dans une vidéo, il invite les artistes, amateurs ou professionnels, qui le souhaitent, à essayer de se lancer également dans ce petit défi. Rien à gagner sinon la joie d’avoir réussi à venir à bout d’au moins une des journées de ce défi : celle du 31 mars 2018.

Du coup, comme beaucoup d’autres gens (musiciens, chanteurs, danseurs, mais aussi plasticiens donc), je décide de me lancer dans cette petite aventure… Sauf que je décide de venir à bout des 11 jours et non pas seulement du 31 mars (oui, bon, je suis peut-être un peu maso aussi, du coup…). Sortent ainsi 11 dessins que j’ai posté sur Instagram, Twitter et Facebook comme pour le Inktober que vous aviez peut-être suivi aussi.

Pour la petite histoire, j’ai bien réussi à réaliser 11 dessins mais j’ai été contrainte de prendre une petite pause au milieu de la semaine, donc j’ai mis un peu plus de 11 jours, finalement. Mais bon ! Le principal est d’être allé au bout du défi que je m’étais fixé !

Là-dessus (comme je suis VRAIMENT un peu maso), je m’ajoute une petite contrainte personnelle, en plus de celles piochées par PV Nova : je veux travailler sur le thème du cirque. A chaque fois, mes dessins ont donc un lien avec ce thème.

Les 11 dessins :

Du coup, pour ceux qui n’auraient pas suivi, pas été au courant ou qui voudraient simplement retrouver les dessins que j’ai réalisé au cours de ce petit challenge, les voici :

N’hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous pour me dire lequel de mes dessins vous préférez !

(Ils sont numérotés pour vous aider à vous y retrouver ;) Par exemple, le nounours, c’est le jour 9, donc le 9ème dessin !)

Nick Cave : Des costumes qui dansent, chantent et font de la musique

Nick Cave ou Nick Cave ?

L'artiste Nick Cave posant avec l'un de ses Soundsuits.
L’artiste Nick Cave posant avec l’un de ses Soundsuits.

Nicholas Edward Cave, dit Nick Cave, est un artiste australien, chanteur du groupe Nick Cave and the Bad Seeds… FAUX ! Ca n’est pas de ce Nick Cave là dont nous allons parler mais de son homonyme, Nick Cave, artiste américain, à la fois plasticien, danseur et directeur de la section mode de la School of art Institute de Chicago. Plus particulièrement, nous allons nous intéresser à ses Soundsuits (costumes sonores). Et oui, c’est Mardi Gras, l’occasion idéale pour parler costumes et déguisements !

Les Soundsuits de Nick Cave : Présentation

Les Soundsuits sont des déguisements, des costumes que crée Nick Cave. Ils sont fabriqués à partir d’éléments hétéroclites qui, par leur association, transforment plus ou moins les formes du corps de celui qui porte le costume, lui donnant une allure étrange de créature venue d’ailleurs.

Mais ce qui fait vraiment la particularité de ces déguisements, comme l’indique leur nom, c’est qu’ils produisent du son. En bougeant, en remuant, le porteur du costume crée du bruit grâce à la friction ou au mouvement des différents éléments qui composent son Soundsuit.

Chaque Soundsuit est différent et produit plus ou moins de son. Cela dépend du mouvement du danseur qui le porte ou de ce dont il est fait.

Pour réaliser ces œuvres fantasmagoriques, Nick Cave utilise essentiellement des matériaux et des objets de récupération.

Généralement, les Soundsuits sont présentés comme des sculptures dans les différentes expositions (les costumes sont portés par des mannequins comme dans une boutique de prêt-à-porter), accompagnées de vidéos mettant en scène les costumes. Plus rarement, il est possible de les voir « en live ». Ce fut le cas en France lors de la parade d’ouverture de Lille 3000 en 2012.

Les Soundsuits de Nick Cave : Inspirations

Mais à quoi peuvent bien servir ces costumes bruyants et loufoques ? On ne va quand même pas porter ça ? Sinon, en quoi c’est de l’art ? C’est généralement les premières questions qui viennent à l’esprit du spectateur qui découvre les Soundsuits. Est-ce que c’est juste pour le fun ?

Des costumes de carnaval ?

On peut en effet penser aux costumes bariolés et amusants des carnavals en voyant les Soundsuits. Les gens s’amusent ainsi avec des accoutrements plus ou moins étranges depuis des siècles. Revêtir un costume, c’est devenir quelqu’un d’autre, c’est devenir qui l’on veut ou n’importe qui. Cela est particulièrement libérateur et c’est pourquoi le déguisement est souvent synonyme de fête, de plus ou moins de débauche, mais aussi de bien des mystères (mais qui se cache sous ce masque ? Hum…).

Albert Lynch, Le Bal Masqué, Peinture à l'huile sur bois, 61 x 49,5 cm, 1851-1912
Albert Lynch, Le Bal Masqué, Peinture à l’huile sur bois, 61 x 49,5 cm, 1851-1912

A priori, le carnaval de Rio n’a rien à voir avec celui de Venise, tout comme aucun d’eux n’a à voir avec celui de Dunkerque, en terme de costumes. Pourtant, reste la même idée de se travestir, de se dissimuler sous un masque, un maquillage ou un costume et de faire la fête. C’était déjà le cas dans les bals masqués d’antan, où l’on s’amusait volontiers à faire semblant d’être une déesse de la mythologie gréco-romaine alors qu’on était en réalité une femme de la Cour – ou au XIXème siècle, quand un simple masque suffisait à tromper son épouse en toute liberté sans pourtant duper quiconque, en réalité. Le port du costume est l’occasion de devenir quelqu’un d’autre et donc de pouvoir faire des choses que l’on ne s’autoriserait pas habituellement.

Si le costume est donc souvent synonyme de fête, d’amusement, de « fun », il n’en possède pas moins un intérêt plus profond, qui dit beaucoup sur la nature de l’Homme. Étrangement, dissimuler notre corps ou notre visage nous permet de montrer des choses de nous-mêmes que nous ne montrerions pas sous notre véritable apparence. Et, en effet, « il y a certaines choses que l’on cache pour les montrer », comme le disait Montaigne.

Des costumes rituels ?

Créer des costumes, c’est forcément s’ancrer dans la longue histoire des déguisements en tout genre. C’est aussi tisser des liens avec tous les costumes sacrés, rituels, traditionnels… qui ont accompagné l’histoire de notre civilisation et existé chez tous les peuples du monde jusqu’à nos jours. Nick Cave n’échappe pas à cette règle.

Les costumes de Nick Cave transforment ceux qui les portent en créatures étranges, au visage le plus souvent masqué qui les rendent anonymes. Les porteurs deviennent dès lors plus humanoïdes qu’humains et suscitent alors le sentiment d’une inquiétante-étrangeté : leurs couleurs vives, pop, lumineuses, sont attirantes, attrayantes, tandis que la forme globale des costumes brouille les formes du corps, le rendant étrange, inhabituel, difforme parfois. Nous sommes dans un entre-deux qui n’est pas sans rappeler celui des rêves, de l’imaginaire, du fantastique où tout est à la fois possible et un peu bizarre.

Le bruit produit par les costumes n’a pas un but mélodique : c’est seulement du bruit, une cacophonie plus ou moins forte en fonction des costumes. Ce sont des bruits qu’un corps humain est incapable de produire de lui-même, sans accessoire. Les costumes demandent d’être portés en bougeant, en remuant, en dansant… Cela a quelque chose de festif (comme dans le cas de Lille 3000 où les costumes de Nick Cave furent d’abord présentés pour l’ouverture des expositions, sous la forme d’un défilé qui évoquait à la fois le monde de la mode mais aussi les carnavals dont la région est friande) mais évoque aussi certaines danses rituelles aux rythmes entêtants qui, à nos yeux d’occidentaux, peuvent paraître presque inquiétantes. Est-on face à une sorte de rituel vaudou ? Quelle puissance supérieure ces danseurs sont-ils en train d’invoquer ? A moins qu’ils ne soient, eux-mêmes, les créatures d’un mythe inconnu dans nos contrées ? On peut se poser la question devant certains costumes faits de branchages et qui peuvent faire penser à des monstres de la culture populaire comme le Bigfoot ou le Yeti. Quand d’autres costumes, eux, ont tout du Cousin Machin multicolore à la silhouette déformée. Les Soundsuits semblent appartenir à plusieurs époques et cultures, et ne s’attacher véritablement à aucune au final en les réunissant toutes à la fois.

L'artiste Nick Cave posant avec ses Soundsuits.
L’artiste Nick Cave posant avec ses Soundsuits.

Heureusement, les couleurs pimpantes des costumes font surtout naître un sentiment de joie chez les spectateurs. Et elles s’entremêlent gaiement au rythme des danses qu’interprètent leurs porteurs. Nous sommes en présence de monstres-gentils, comme sortis d’un cartoon qui aurait trop forcé sur le LSD. On assiste à un spectacle aux tendances psychédéliques qui peut évoquer la période Hippie et ses danses destructurées, bercées par une musique devenue parfois étrange pour nos oreilles contemporaines. Les couleurs utilisées et les motifs des costumes ne sont pas non plus sans rappeler la période fantasque des seventies où toutes les folies semblaient possibles. Les Soundsuits fonctionnent alors comme un exutoire, probablement autant pour l’artiste, le porteur du costume et le spectateur.

Peace and love, alors, les costumes de Nick Cave ?

Des costumes pour dénoncer ?

Pas tout-à-fait. Car dans les années 1990, Nick Cave crée son premier « Soundsuit » en réponse au passage à tabac par des policiers que subit Rodney King en 1991 et qui est suivi d’un épisode de violentes émeutes aux États-Unis. Rodney King est afro-américain et les violences que lui infligent les policiers sont aussitôt considérées comme une attaque raciste tandis que la vidéo de son arrestation musclée fait le tour des télévisions américaines. Cela fait écho à des histoires bien plus récentes que celle-ci. Le problème ne date donc pas d’hier et n’est toujours pas prêt d’être réglé…

Nick Cave est particulièrement marqué par cette histoire. D’autant plus qu’il est lui aussi afro-américain.

Or, l’artiste décrit ses Soundsuits comme une « seconde peau ou une armure » qui invoque le pouvoir transformateur et libérateur de la musique et de la danse. Les Soundsuits recouvrent complètement le corps et le déforment. Les matières, les matériaux, les objets qu’utilise Nick Cave pour les fabriquer, transforment presque le danseur en forme abstraite lorsqu’il bouge. Il suffit de faire un arrêt sur image d’une vidéo mettant en scène ses costumes pour en avoir le cœur net (je vous mets deux de ces vidéos ci-dessous). Peu importe finalement le danseur : il est tout le monde et n’importe qui ; il n’a plus d’origine, de statut social, d’âge, de sexe… Il devient autre chose. Une créature dansante. Une masse de couleurs, de bruits, de matières qui bougent. Une sculpture mouvante. Une performance mêlant différents arts visuels, différentes cultures, évoquant le passé, l’imaginaire, la fête… Il devient œuvre. Il devient art.

Plus que des costumes pour dénoncer, ce sont donc davantage des costumes pour rassembler et libérer ; pour montrer le monstre que nous avons tous en nous et qui, finalement, ne demande qu’à être libéré de temps en temps dans la joie et la bonne humeur.


Sources :
Lille 3000, le Nord en version FAntAstic avec le plasticien Nick Cave
Soundsuit, Nick Cave | Mia
Les soundsuits de Nick Cave – Le Beau Bug
Nick Cave – Collectif Textile

[Work in Progress] Peinture : La Violoncelliste

Informations

Titre : La Violoncelliste
Medium : Peinture acrylique sur toile
Dimensions : 33 x 24 cm
Date : 2015
(Vendue)

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Résultat final :

La Violoncelliste Peinture acrylique sur toile 33 x 24 cm 2015
La Violoncelliste
Peinture acrylique sur toile
33 x 24 cm
2015

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De l’orgue de barbarie à nos ordinateurs : une histoire de trous

Avec les évènements de ces derniers jours, j’ai envie de vous faire un peu rêver. C’est pourquoi je vous propose aujourd’hui de nous arrêter sur cette vidéo dans laquelle vous allez pouvoir redécouvrir un des classiques de Michael Jackson, Smooth Criminal, interprété… à l’orgue de barbarie.

A l’origine de cette prouesse, un certain Patrick Mathis, qui avoue sur son site web être « tombé dans le trou d’un carton d’orgue de barbarie en 1980 (…) et passe[r] tout son temps à composer ou arranger de la musique pour ses instruments et ceux des autres ! »
Bref, un mordu ! Et ça se voit. Et c’est bien. C’est même super cool.


Sommaire de l’article

L’orgue de barbarie : à la découverte des automatophones
XVIIe, XVIIIe, XIXe siècle : ces siècles qui aimaient les automates et les automatismes
L’orgue de barbarie : ancêtre des ordinateurs


L’orgue de barbarie : à la découverte des automatophones

Un orgue de barbarie.
Un orgue de barbarie.

L’orgue de barbarie est l’étrange instrument que Patrick Mathis actionne à l’aide d’une sorte de manivelle tout au long de sa vidéo. C’est un instrument qui n’est pas tout jeune puisque son apparition date du XVIIIe siècle. Mais certains indices laissent même penser qu’il pourrait avoir été inventé au moins un siècle plus tôt.

Il m’est assez difficile de vous expliquer simplement comment fonctionne cet instrument. Sachez au moins que c’est un instrument à vent. Autrement dit, grâce à la manivelle qu’il actionne, le tourneur (nom de celui qui « joue » de l’orgue de barbarie) fait entrer de l’air dans la machinerie qui compose l’instrument. Un système de soufflets permet alors aux « flûtes » (les tuyaux de l’orgue, que vous pouvez voir à l’avant de l’instrument) de recevoir ou non de l’air.  Alors, quand celles-ci s’actionnent ou non, au moment où le papier perforé laisse ou non passer l’air jusqu’à elles, les dites flûtent produisent le son et rendent la mélodie pré-programmée.

C’est pour cette raison que l’orgue de barbarie fait aussi partie des automatophones : les instruments qui jouent de la musique de façon automatique. En l’occurrence, dans le cas de l’orgue de barbarie, il « suffit » d’actionner la manivelle pour dérouler le papier perforé qui produira la mélodie. Encore faut-il posséder le dit papier ou le composer soi-même !

Toutefois, les automatophones ne sont pas tous des orgues de barbarie. Certains sont des instruments encore plus complexes. Dans la vidéo ci-dessous, vous pourrez par exemple voir un automatophone composé de plusieurs instruments, dont un piano et un violon bien visibles. Vous constaterez cependant que sur ce modèle aussi un papier perforé sert de « pré-programmation » à l’instrument.

Il existe des orgues de barbarie bien plus grands et bien plus complexes encore que celui utilisé par Patrick Mathis. On appelle ces instruments des Limonaires, du nom de la famille qui les rendit célèbres au XIXe siècle. S’ils peuvent être portatifs, ils sont tout de même beaucoup plus imposants que leurs petits frères.
Vous pouvez bien sûr observer des tas d’exemples de Limonaires, tous assez différents les uns des autres, avec leurs particularités et détails qui vous feront craquer ou non. Certains sont immenses, d’autres ne vous sembleront peut-être pas si différents des orgues de barbarie « standards » ; certains vous sembleront être de véritables objets d’art, d’autres vous apparaîtront comme des objets de foire rustiques. Toutefois, pour l’anecdote, sachez qu’il en existe un très beau à l’Abbaye de Collonges, près de Lyon, lieu de réception appartenant à nul autre que Paul Bocuse, le célébrissime Chef. Je vous propose d’en voir quelques photographies ci-dessous (chéri, si tu cherches un endroit où m’emmener dîner à l’occasion…).

XVIIe, XVIIIe, XIXe siècle : ces siècles qui aimaient les automates et les automatismes

Il n’est pas particulièrement étonnant que l’orgue de barbarie ait fait son apparition aux alentours du XVIIIe siècle car cette période est riche en développements d’automates en tout genre.

Pour comprendre, il faut voir les automates et, plus largement, les machines automatisées de cette époque comme toutes sortes d’horloges très perfectionnées. Plutôt que de donner l’heure cependant, elles effectuent mécaniquement un ensemble de mouvements prédéfinis à l’aide de complexes emboîtements de rouages. C’est aussi de cette façon que fonctionnent les orgues de barbarie et les Limonaires : grâce à des automatismes. En l’occurrence, ceux-ci permettent de jouer de la musique (il ne faut donc pas confondre un Limonaire, aussi grand soit-il et même s’il peut se composer d’automates, avec une horloge astronomique, comme celle de Strasbourg dont je vous avais déjà parlé ici, car celle-ci a pour but premier d’indiquer le passage du temps et non d’être un instrument de musique).

Or, le XVIIIe siècle est l’époque à laquelle Jacques de Vaucanson ou la fratrie Jaquet-Droz enchantent les publics avec des poupées mécaniques, des « anatomies mouvantes » (Source : Chantal Spillemaecker, Bernard Roukhomovsky (préf.), Vaucanson & l’homme artificiel : Des automates aux robots, Grenoble, Presses Universitaires, coll. « HC Histoire », 2010, p.9.) époustouflantes : des automates, ancêtres des robots.
Pour permettre à leurs créations de se mouvoir de façon particulièrement complexe, ils usent de tous les éléments propres à l’horlogerie et les mécanismes qu’ils inventent ont tout de la mystérieuse machine d’Anticythère.
Leurs prouesses sont rendues possibles par l’enrichissement de l’art de l’automatisation et, surtout, sa diversification. Rouages, mécanismes d’horlogerie et, dans le cas de notre orgue de barbarie, de drôles de feuilles perforées qui passent sous un cylindre ; les moyens d’automatisation se perfectionnent, de complexifient, se réinventent et permettent d’obtenir des résultats aussi divers que variés.

A peine un siècle plus tard, « au seuil du XIXe siècle [les automates deviennent des] objets de luxe […] au même titre que les bijoux. Ces chefs-d’œuvre miniatures [sont] faits d’or, d’émail, de perles, de pierres précieuses [et] sont largement diffusés en Europe et en Orient. » (Source : Caroline Junier et al., Automates et Merveilles : Une Exposition, 3 Villes, 3 Musées, 3 Catalogues, Neuchâtel, Alphil, coll. « Image et patrimoine », 2012, p.210.) Ils deviennent des objets de collection.

Il faut dire que nous n’avons conservé jusqu’à nos jours que très peu d’automates de ces grands créateurs du XVIIIe siècle. L’attrait provoqué par ces machineries n’en est que plus fort.

En outre, un artiste comme Vaucanson est non seulement un concepteur d’automates épatant mais aussi un « remarquable montreur [sachant] l’art d’exhiber ses mécaniques enchantées à la manière d’un bateleur. » (Source :  Collectif, L’Automate : Modèle Métaphore Machine Merveille, Bordeaux, Presses Universitaires, coll. « Mirabilia », p.505.) Cela n’est pas surprenant car dès l’Antiquité, les machines illusionnistes font fureur, comme l’atteste le succès des Pneumatiques de Héron d’Alexandrie, par exemple (Ier siècle av. J.C.).
Au XIXe siècle, cette mode s’intensifie et des inventeurs-prestidigitateurs donnent des spectacles qui trouvent encore un certain écho aujourd’hui. En témoignent les spectacles actuels de magie, usant encore de certains tours conçus à l’époque. Certains prestidigitateurs (le plus connu du grand public étant peut-être Dani Lary, puisqu’il passe régulièrement à la télévision) usent par exemple d’une ambiance steampunk (pour en savoir plus sur le steampunk, vous pouvez lire ce précédent article) pour agrémenter leur prestation et la rendre plus authentique, c’est-à-dire plus en accord avec l’idée que le spectateur d’aujourd’hui se fait des XVIIIe et XIXe siècles. Le succès des films comme Le Prestige ou L’illusionniste témoigne aussi de l’engouement du public pour la magie au sein d’univers uchroniques. Dans L’illusionniste, d’ailleurs, l’automate appelé L’Oranger merveilleux de Robert Houdin est réutilisé. Ce dernier (Harry Houdini, l’illustre prestidigitateur empruntera son nom), use de « l’ingéniosité de mécanismes secrets au service de tours de magie » (Source : Jean-Bruno Renard, « Fantômes et oracles à l’ère de la technologie », in Politica Hermetica – Deus ex machina, n°15, Lausanne, L’Age d’Homme, 2001, p.56). Science et art, par le biais de la prestidigitation, se retrouvent régulièrement alliées.
Les Jacquet-Droz manqueront d’ailleurs de passer sur le bûcher pour sorcellerie tant leurs créations paraissent prodigieuses.

L’orgue de barbarie : ancêtre des ordinateurs

Pourtant, point de magie dans toutes ces machines, sinon qu’elles parviennent à nous faire imaginer le contraire. En fait, l’art d’utiliser des cylindres s’appelle la tonotechnie.
Le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), notamment conçu par le CNRS et qui est ni plus ni moins que LE dictionnaire que vous devriez tous utiliser, nous apprend que la tonotechnie est « l’art de noter de la musique sur les cylindres des orgues de Barbarie, des tabatières, pendules et tableaux à musique. » Le mot se compose notamment de l’élément « Tono » qui vient du grec signifiant « tension » ou « ton ».  L’élément « technie », lui, vient aussi du grec et signifie « art » ou « métier ». La tonotechnie serait, pour faire simple, l’art de donner le ton, le rythme grâce, en l’occurrence, à des cylindres à picots.

Exemple de carte perforée.
Exemple de carte perforée.

Or, cette technologie qui peut sembler un peu incompréhensible n’est pas si éloignée de celle que nous utilisons tous aujourd’hui. Et oui ! Car s’il y a une chose à laquelle les feuilles perforées de l’orgue de barbarie font penser, c’est aux cartes à trous (aussi surnommée la « carte IBM », du nom de son principal « constructeur ») utilisées par les premiers ordinateurs. Celles-ci ne diront rien aux plus jeunes lecteurs qui parcourront cette page mais mes parents, par exemple, ont eu l’occasion d’en manipuler eux-mêmes, au début de leur carrière professionnelle. Ca n’est donc pas si vieux ! (bon, un peu quand même :D)

En fait, nous pouvons même dire que nous utilisons toujours cette technologie car le code binaire, fait de 0 et de 1, et qui forme la base de tous les objets numériques d’aujourd’hui, n’est que le digne successeur de la tonotechnie.

Je vais tâcher de vous expliquer ça avec l’exemple de cette vidéo d’archive de l’INA, datant du 21 octombre 1960. Le présentateur de l’époque, Léon Zitrone, interviewe un fabriquant de machines utilisant des cartes perforées. Ses machines sont alors capables de trier 700 cartes par minute. On nous explique que cela permet de faire du tri de façon beaucoup rapide, automatisée et que l’opération peut être répétée une infinité de fois. Autrement dit, vous pouvez voir voir ces cartes perforées comme les « ancêtres » des résultats que vous affiche Google quand vous y effectuez une recherche : si vous tapez « Studinano » dans votre moteur de recherche préféré, par exemple, il vous affichera une liste plus ou moins longue de résultats, allant du plus probable au plus éloigné. Et bien, les cartes perforées avaient notamment ce rôle-là.

Sur le site d’IBM, qui fut le principal concepteur des cartes perforées, on  nous explique que chaque « trou » correspond à « un élément de donnée (1 bit) ». Autrement dit, la carte perforée est un moyen de stockage de données comme peuvent l’être nos clefs USB d’aujourd’hui.

guillemet« La première icône de l’ère de l’information est peut-être une simple carte perforée produite par IBM, généralement connue comme la «carte IBM». Mesurant approximativement 19 x 8 cm, ce morceau de papier est sans prétention, c’est certain. Mais, regroupées, les cartes IBM contiennent presque toutes les informations mondiales connues pendant un peu moins d’un demi-siècle — un exploit même d’après les mesures d’aujourd’hui. Elle grandit en popularité durant la grande crise de 1929, et est rapidement adoptée tant dans le monde du traitement de l’information que dans celui de la culture populaire. (…) Pendant près de 40 ans, c’est le principal support utilisé pour stocker, trier et relever les données traitées d’abord par du matériel mécanographique, puis par des ordinateurs. »

Source : La carte perforée IBM

Mécanisme Jacquard exposé au Musée des Arts et Métiers de Paris
Mécanisme Jacquard exposé au Musée des Arts et Métiers de Paris

Mais il est aussi intéressant de savoir que les métiers à tisser Jacquard, datant du tout début du XIXe siècle, utilisaient déjà des cartes à trous de ce genre pour fonctionner (voir la photographie ci-contre). Elles faisaient déjà office de « programme » (oui, comme un « programme » informatique) servant à faire réaliser tel ou tel motif par les machines. Or, ces machines utilisaient notamment une technologie à base de cylindres gravés (revoilà notre tonotechnie !), mise au point par Jacques de Vaucanson, dont je vous parlais plus haut. Ce dernier, en effet, concevait non seulement des automates mais fut aussi chargé d’automatiser les manufactures de soie. On se dit alors que tout est étrangement lié.

Bref, tout ça pour dire que vous ne le savez sans doute pas mais, finalement, chaque fois que vous manipulez un ordinateur, vous tissez. D’autant plus maintenant que nous surfons tous allégrement sur « la toile ».
Alors, comme disait le poète « j’fais des p’tits trous, des p’tits trous, encore des p’tits trous… » (allez, je ne résiste pas, je vous propose d’écouter cette magnifique chanson ci-dessous, interprétée par un Gainsbourg tout jeune, en 1959)


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Sources :
Site web de Patrick Mathis
Site de Pierre Bocuse (et de l’Abbaye de Collonges)

La tonotechnie (CNRTL)
La carte perforée IBM