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Aviary Attorney : Enquête dans l’univers de J.J. Grandville

Aujourd’hui, nous allons parler d’un jeu vidéo !
Oui, oui, un jeu vidéo.
C’est un manque, sur Studinano. Beaucoup de jeux mériteraient pourtant qu’un article leur soit consacré. En effet, tant sur la forme que sur le fond, les jeux vidéo peuvent s’avérer être des œuvres d’art à part entière. En grande partie parce que de véritables artistes travaillent à leur réalisation. Et il arrive aussi qu’ils soient les supports idéaux à l’exposition d’œuvres préexistantes. Y compris des œuvres qu’on pourrait croire très éloignées du monde vidéoludique de prime abord. C’est le cas de celles dont nous allons parler aujourd’hui.
Je suis tombée totalement par hasard sur ce jeu et je suis tombée sous le charme. La raison à cela ? C’est un jeu réalisé entièrement à partir de gravures de J.J. Grandville, l’un de mes artistes favoris !

Présentation du jeu

Ce jeu s’appelle Aviary Attorney (qu’on pourrait traduire par « la volière aux avocats »; dans le contexte). A priori, il n’est pas d’une originalité folle : c’est un jeu d’enquête qui rappellera aux connaisseurs les aventures du Professeur Layton ou Ace Attorney (dont on peut imaginer que l’emprunt partiel du nom n’est pas un hasard ; c’est aussi une histoire d’avocats, d’enquêtes et la façon dont se joue le jeu est quasiment identique).
Je vous laisse jeter un œil à la vidéo de présentation du jeu avant de poursuivre :

Au cours du jeu, nous incarnons Jayjay Falcon, un oiseau de proie au bon cœur mais à l’expertise judiciaire discutable. Avec l’aide de son apprenti, Sparrowson (un moineau), notre but est de venir en aide à nos clients, d’interroger des témoins, de recueillir des preuves et, finalement, de condamner les coupables au cours de différentes affaires. Bref, un jeu d’enquête, vous disais-je !

L’originalité du jeu

Toutefois, ce qui fait toute la magie et l’intérêt de ce jeu, ce n’est pas son gameplay (et j’ai envie de dire tant mieux car, de ce point de vue, ça n’est guère original, vous l’aurez compris) mais la superbe utilisation des gravures de J.J. Grandville.
Ces œuvres, tombées dans le domaine public, sont ce qui a motivé la réalisation même du jeu. Malheureusement pour nous, francophones, le développeur à l’origine du projet est britannique. Le jeu n’est donc actuellement disponible que dans la langue de Shakespeare. Un comble pour un jeu basé sur les travaux d’un artiste français (enfin… Nancy, la ville dont il est originaire, était sous domination allemande à l’époque… mais on ne va pas chipoter pour si peu, là, oh, hein !) et dont l’intrigue se déroule à Paris ! En ce qui me concerne, j’espère qu’il y aura une traduction française bientôt.

Quoiqu’il en soit, Aviary Attorney démontre que J.J. Grandville, artiste français du XIXe siècle, était un illustrateur magistral et qu’il aurait sans nul doute trouvé sa place à notre époque. Grandville était clairement en avance sur son temps et il illustrait les mœurs de son époque avec grand talent.

J.J. Grandville : Présentation

J.J. Grandville se distingue de ses comparses graveurs, dessinateurs et caricaturistes parce qu’il excelle dans l’imagerie animale. Le zoomorphisme, plus exactement, est sa spécialité : il donne aux hommes des figures animales censées caractériser leur comportement, leurs qualités et leurs défauts, leur façon d’être. L’une de ses gravures les plus célèbres, Les Ombres Portées, montre comment l’artiste parvient à se moquer de ses contemporains en les comparant à tel ou tel animal auquel on prête tel ou tel trait de caractère. Cette pratique rappelle l’engouement de l’époque pour la physiognomonie, pseudo-science qui consistait à penser que le caractère des gens était lié à leurs caractéristiques physiques. Ce courant de pensée qui connaîtra les dérives racistes que l’on sait (l’antisémitisme, notamment, sera grandement alimenté par des pensées physiognomonistes et conduira jusqu’au délire aryen des Nazis).

 Jean-Jacques-Isidore Gérard, dit Grandville,  Les Ombres portées, planche 1, La Caricature, n°2, 11 novembre 1830, lithographie coloriée, Nancy, musée des Beaux-Arts.
Jean-Jacques-Isidore Gérard, dit Grandville,
Les Ombres portées, planche 1, La Caricature, n°2, 11 novembre 1830, lithographie coloriée, Nancy, musée des Beaux-Arts.
 Jean-Jacques-Isidore Gérard, dit Grandville,  Les Ombres portées, planche 1, La Caricature, n°2, 11 novembre 1830, lithographie coloriée, Nancy, musée des Beaux-Arts.
Jean-Jacques-Isidore Gérard, dit Grandville,
Les Ombres portées, planche 1, La Caricature, n°2, 11 novembre 1830, lithographie coloriée, Nancy, musée des Beaux-Arts.

J.J. Grandville, lui, joue avec le zoomorphisme et la physiognomonie pour caricaturer son temps et en faire la critique, souvent acerbe. Pour ce faire, il doit jongler avec les lois de censure qui touchent la presse. L’artiste vivra d’ailleurs très mal une perquisition de son domicile, au point de ne plus se consacrer, après elle, qu’à l’illustration de livres.

Comme son admirateur, Gustave Doré, il illustrera ainsi les Contes de Perrault, les Fables de la FontaineLes aventures de Robinson Crusoé ou encore Les Voyages de Gulliver, pour ne citer que les plus connus. Il écrira et illustrera également ses propres romans comme Un autre monde, Les Métamorphoses du jour ou, son plus célèbre ouvrage, Scènes de la vie privée et publique des Animaux pour Hetzel (célèbre éditeur de Jules Verne et Victor Hugo, dont il était également l’ami proche). Dans ce dernier, l’artiste démontre toute l’étendue de son talent pour le fantastique et donne vie à un monde peuplé d’animaux étrangement humains qui ont bien à nous apprendre sur la société de l’époque (c’était déjà le cas dans Les Métamorphoses du jour, tandis qu’Un autre monde ressemble à une œuvre surréaliste avant l’heure !).

Les personnages qui évoluent dans le jeu vidéo Aviary Attorney sortent de ce livre qui est, à l’origine, un recueil d’articles, de nouvelles et de contes satiriques. Honoré de Balzac ou encore George Sand participeront à son écriture mais toutes les vignettes accompagnant sa lecture seront réalisées par J.J. Grandville.

Grandville était en avance sur son temps. Par conséquent, rien d’étonnant à ce qu’il ait été un grand caricaturiste de son époque car, après tout, il faut avoir le recul nécessaire pour dépeindre une situation de façon critique. Il excellait dans ce domaine et c’est aujourd’hui ce savoir-faire, mêlé à son talent pour les représentations fantastiques, qui lui permettent de rester parlant, même aux yeux du public d’aujourd’hui. S’il avait été illustrateur de nos jours, il y a fort à parier que Grandville aurait pu travailler dans bien des domaines de la production graphique. Le jeu vidéo en fait partie, bien évidemment, puisqu’il mêle bon nombre de disciplines. On voit bien avec Aviary Attorney comme ses dessins s’y seraient en tout cas fort bien prêtés ! Lui manquera seulement la véritable patte du maître, celle qui lui aurait permis d’être davantage qu’un très beau jeu : car s’il avait vraiment pu réaliser un jeu vidéo, on peut penser que Grandville aurait sûrement, comme  son habitude, été en avance sur son temps. Il nous est finalement impossible de savoir quelle merveille il aurait été capable de mettre au jour sans posséder sa prescience unique !


Sources :
Lien du site officiel Aviary Attorney
Aviary Attorney disponible sur Steam
Article Gamekult (2014) : « Aviary Attorney : les ailes du délire »

« La nuit de Noël » ou le mystère de l’ange aux cadeaux

Pour illustrer cette période des Fêtes de fin d’année, j’ai choisi de m’arrêter sur cette aquarelle de Gustave Doré, intitulée La nuit de Noël.

Cet article sera le dernier de 2015 :)


Sommaire de l’article

Il était une fois, avant l’apparition du Père Noël
L’ange de Noël
Qui était Gustave Doré ?
Les gravures de Gustave Doré : Un monde magique en noir et blanc


Gustave Doré (1832-1883), La nuit de Noël, Non datée Aquarelle et rehauts de gouache, sur traits de crayon, 75 × 51,5 cm Paris, musée d’Orsay
Gustave Doré (1832-1883), La nuit de Noël, Non datée
Aquarelle et rehauts de gouache, sur traits de crayon, 75 × 51,5 cm
Paris, musée d’Orsay

Il était une fois, avant l’apparition du Père Noël

Cette aquarelle illustre la nuit de Noël selon Gustave Doré. On y voit un ange qui, de cheminée en cheminée, vient déposer des cadeaux aux habitants d’une ville.

L’échange de présents à cette époque de l’année ne date pas d’hier. Les romains s’adonnaient déjà à ces festivités durant la période des Saturnales. Ces dernières se déroulaient durant la période proche du solstice d’hiver (du 17 au 24 décembre) qui était déjà, d’après Lucien de Samosate (rhéteur et satiriste né vers 120, mort après 180), celle où, selon un proverbe d’alors, « les vieillards redeviennent enfants ». (Source : Lucien, les Saturnales, 1,9.)

guillemet« [Les Saturnales] célébraient le règne de Saturne, dieu des semailles et de l’agriculture. Elles étaient la manifestation de la fête de la liberté (libertas decembris) et du monde à l’envers. Jour de liberté des esclaves à Rome, ces derniers devenaient les maîtres et les maîtres obéissaient aux esclaves.
Les Saturnales ont laissé des traces au Moyen Age dans la fête des fous. »

Source : Culture.gouv.fr, Les cultes pré-chrétiens dans le monde antique, « Les Saturnales »

Dans l’aquarelle de Gustave Doré, nous sommes au XIXe siècle. Des siècles et des siècles plus tard ! Mais le Père Noël, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’est pas encore une figure récurrente du 25 décembre puisqu’il n’apparaîtra qu’au cours du siècle suivant. Toutefois, certaines régions françaises ont déjà des personnages qui ressemblent au Père Noël pour se charger du rôle de distributeur fictif : Saint Nicolas, par exemple, qui reste célèbre dans le Nord de la France ou en Alsace aujourd’hui. Mais Gustave Doré représente ici ce qui a tout l’air d’un ange. Les bras chargés de présents, il les glisse déjà dans les cheminées, comme notre bon vieux barbu en rouge.

L’ange de Noël

Qui est cet ange mystérieux ? A-t-il un nom ? Une identité précise ?

Il faut savoir que Gustave Doré est né à Strasbourg à une époque où cette région française était encore prussienne (Allemagne actuelle). Or, il existe, dans ces régions, des légendes parlant d’anges de Noël.

La plus célèbre est celle du Christkindel (je vous laisse jouer au jeu des sept différences avec les trois gravures qui la représentent ci-dessous ;)). Le Christkindel est censée être la personnification féminine du Christ. Toute vêtue de blanc, elle doit apparaître le soir de Noël.

guillemet« En Bavière, en Autriche, en Alsace et dans une partie de la Moselle, le personnage de Christkindel représentant l’Enfant Jésus a remplacé saint Nicolas chez les luthériens après la Réforme au XVIe siècle. Il s’agit d’une gracieuse messagère de blanc vêtue et couronnée comme une reine qui était parfois appelée l' »Ange de Noël » ou la « Dame de Noël ». De même que saint Nicolas, elle était accompagnée d’un personnage inquiétant (nda: Hans Trapp ou Hans von Trotha), tel le Père Fouettard aux menaçantes baguettes. Elle est encore très populaire dans les régions catholiques d’Allemagne et en Autriche, qui ont adopté avec empressement ce personnage « inventé » par les protestants. La Saint-Lucie des Suédois, fêtée le 13 décembre, lui ressemble. »

Source : Nadine Cretin, Lettre de Noël, Le Robert, 2015, n. p.

Représentation gravée du XIXe siècle montrant le Christkindel et Hans Trapp. Auteur inconnu.
Représentation gravée du XIXe siècle montrant le Christkindel et Hans Trapp.
Auteur inconnu.
Représentation gravée du XIXe siècle montrant le Christkindel et Hans Trapp. Auteur inconnu.
Représentation gravée du XIXe siècle montrant le Christkindel et Hans Trapp.
Auteur inconnu.
Représentation gravée du XIXe siècle montrant le Christkindel et Hans Trapp. Auteur inconnu.
Représentation gravée du XIXe siècle montrant le Christkindel et Hans Trapp.
Auteur inconnu.

Le Christkindel serait une déformation de la fête de la Saint Lucie, cette dernière étant censée être une jeune fille vêtue de blanc et portant une couronne de bougies. Cette fête a toujours lieu en Suède, en Scandinavie, en Norvège, en Finlande ou encore en Italie, en Islande ou en Croatie. Célébrée le 13 décembre, elle marque le début de la période de Noël.
Le Christkindel aurait été créé par les Protestants afin de « concurrencer » les festivités liées à la Saint Nicolas, célébrées par les Catholiques. Aujourd’hui, pourtant, ce sont essentiellement ces derniers qui continuent de perpétrer la légende.

Étant données ses origines, il n’est donc pas idiot de penser que l’artiste ait ici représenté la version de l’histoire qu’on lui racontait quand il était plus jeune. Son ange de Noël pourrait être le Christkindel ou, en tout cas, en avoir été inspiré.
Toutefois, comme les toits de la ville que survole la mystérieuse créature ressemblent fortement aux toits de Paris, on peut penser que Gustave Doré a adapté la légende pour la rendre parlante aux yeux d’un public plus large. Un public ne connaissant pas forcément les légendes propres à la région de Strasbourg. Ici, le Christkindel devient donc un ange, figure connue de tous, chrétiens de tous bords comme athées convaincus (même si, à l’époque, ceux-là étaient assez rares…). Cette représentation de la nuit de Noël se montre ainsi capable de parler à tout le monde.

Enfin, ce personnage fantastique s’accorde bien avec la magie que l’on prête à la période de Noël : comme notre Père Noël d’aujourd’hui, c’est un être invisible qui, grâce à ses pouvoirs, vient déposer les cadeaux au pied du sapin quand toute la maisonnée est endormie.

Qui était Gustave Doré ?

Portrait de Gustave Doré Félix Nadar. Photographie, vers 1857. BnF, département des Estampes et de la Photographie, Eo 15 (5) Fol © Bibliothèque nationale de France
Portrait de Gustave Doré
Félix Nadar.
Photographie, vers 1857.
BnF, département des Estampes et de la Photographie, Eo 15 (5) Fol
© Bibliothèque nationale de France

Gustave Doré est, à mon sens, un de nos plus talentueux artistes français. Il est pourtant assez méconnu du grand public et il a longtemps été dénigré par le monde de l’art. On l’a longtemps considéré davantage comme un « simple illustrateur », un métier qui était très loin d’être aussi bien considéré que de nos jours et que l’on distinguait de celui d’artiste (comprenez, celui qui faisait de belles et grandes œuvres d’art). « Comme dessinateur, Gustave Doré avait été presque universellement admiré ; comme peintre il fut assez maltraité » peut-on lire dans un portrait à charge publié à son sujet dans Le Trombinoscope en juin 1875 (Source). On lui reproche de ne faire « que de la peinture décorative », à ses œuvres de manquer de sentiment, d’humanité et de n’être que « chic et convention ». Un jugement très dur, en somme.

Dante et Virgile dans le 9e cercle de l'Enfer, Gustave Doré, 1861 312 x 450 cm "D'après "l'Enfer" de Dante que Doré a illustré. Arrivés dans le neuvième cercle de l'Enfer, Dante (vêtu de rouge, symbole du mortel ) et Virgile (drapé de bleu), comparables à deux statues monumentales, contemplent les traîtres condamnés à la glace éternelle. Au premier plan, deux frères : Alessandro, appartenant l'un au parti guelfe et Napoleone, au parti gibelin s'entretuent. Après ce premier cercle des traîtres envers leur parent, celui des traîtres envers la patrie, incarnés par Ugolin qui dévore le crâne de l'archevêque Ruggieri. Filet de sang qui ruisselle dans un souci de réalisme. La lumière se répartit sur les morceaux de glace tandis que les corps et regards sont pétrifiés par la glace." (Source : Joconde, Portail des collections des musées de France http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr?ACTION=RETROUVER&NUMBER=1&GRP=0&SPEC=9&REQ=%28%28%27982.234%27%29+%3AINV+%29)
Dante et Virgile dans le 9e cercle de l’Enfer, Gustave Doré, 1861
312 x 450 cm
« D’après « l’Enfer » de Dante que Doré a illustré. Arrivés dans le neuvième cercle de l’Enfer, Dante (vêtu de rouge, symbole du mortel ) et Virgile (drapé de bleu), comparables à deux statues monumentales, contemplent les traîtres condamnés à la glace éternelle. Au premier plan, deux frères : Alessandro, appartenant l’un au parti guelfe et Napoleone, au parti gibelin s’entretuent. Après ce premier cercle des traîtres envers leur parent, celui des traîtres envers la patrie, incarnés par Ugolin qui dévore le crâne de l’archevêque Ruggieri. Filet de sang qui ruisselle dans un souci de réalisme. La lumière se répartit sur les morceaux de glace tandis que les corps et regards sont pétrifiés par la glace. » (Source : Joconde, Portail des collections des musées de France)

Pourtant, Gustave Doré a commencé sa carrière comme caricaturiste à l’âge de 15 ans à peine. On raconte qu’il s’était mis à dessiner dès l’âge de quatre ans ! Il reproduisait alors tout ce qui l’entourait – objets de la maison, membres de sa famille…

guillemet« Il fouillait les coins de la maison, s’emparait impitoyablement des pots qui contenaient une substance colorée quelconque et les portait dans sa chambre. ̶ A chaque instant, on s’apercevait de la disparition de quelque objet du ménage. On ne comprenait rien à cela, lorsqu’un jour, on le surprit en train de peindre, sur son drap de lit qu’il avait tendu sur le châssis du devant de cheminée, le portrait d’un de ses oncles. Il avait dans les mains une série de pinceaux de diverses grandeurs qu’il avait improvisés avec des brosses à dents, à cheveux, à habits, des goupillons chipés à l’église, des petits balais dérobés aux foyers paternels… et… autres lieux, etc. Autour de lui étaient rangés à terre des fioles, des bocaux, des vases de toutes sortes, et dans lesquels il puisait avec une ardeur fiévreuse. »

Source : Portrait-charge de Gustave Doré, Publié dans Le Trombinoscope en juin 1875, « Maître peintre ou peintre au mètre ? », BNF.

Mais Gustave Doré ne souhaite pas rester illustrateur de presse ad vitam aeternam. Il décide rapidement de devenir illustrateur de livres.

guillemet« Le sort des illustrateurs d’ouvrages, dont le secteur d’activité fut particulièrement prospère pendant la période romantique, était un peu plus enviable et le passage de la caricature à l’illustration revenait à gravir un échelon dans la hiérarchie artistique. Ambitieux et peu enclin à se contenter d’un statut médiocre, Doré a rapidement manifesté son désir d’obtenir d’autres travaux que ceux offerts par la caricature de presse. »

Source : BNF, Gustave Doré, illustrateur, « Des commandes à l’expression personnelle » par Valérie Sueur-Hermel

C’est pourquoi nous devons à ce prodige des images qui sont aujourd’hui entrées dans notre inconscient collectif. En effet, la façon dont il illustra notamment les Contes de Perrault, parmi lesquels le Petit Chaperon Rouge ou le Chat Botté, ont clairement inspiré les versions de ces histoires que nous connaissons tous aujourd’hui. Parmi elles, celles de Walt Disney ainsi que de nombreuses rééditions sous forme de livres, d’albums, de films etc.
Il donnera également sa propre version des Fables de La Fontaine, plus sombre et plus tragique, et illustrera aussi l’Enfer de Dante ou encore Don Quichotte de Cervantes et Gargantua de Rabelais. Même la Bible aura droit à son coup de crayon (vous pourrez voir certaines des gravures issues de ces ouvrages à la toute fin de cet article).

guillemet« Les premières illustrations du Chat Botté le représentent simplement chaussé de bottes, comme le décrit le texte du conte.
Quand Gustave Doré illustre à son tour ce conte, il rythme les moments forts de l’histoire par des gravures très expressives. Il coiffe alors le Chat d’un chapeau à plume et le couvre d’une cape, lui donnant une allure romanesque. Il est rusé mais également cruel, comme l’attestent ses dents pointues et ses griffes acérées. »

Source : Lectura.fr, « Gustave Doré, L’illustration en héritage : Le Chat Botté »

Gustave Doré n’avait pas son pareil pour donner vie au fantastique, à la magie, à la fantasmagorie. C’était un faiseur d’images à faire rêver (ou cauchemarder !).

En parcourant d’innombrables sites pour cet article, je redécouvre d’ailleurs le travail de Gustave Doré, que je ne cesse d’admirer. Et voilà que je tombe sur cette fabuleuse comparaison entre ses représentations d’hippogriffes et, ni plus ni moins, que des scènes d’Harry Potter. Et, effectivement, là encore, la ressemblance est troublante !

Ligne du dessus : gravures de Gustave Doré – ligne du dessous : scène du film Harry Potter
Ligne du dessus : gravures de Gustave Doré – ligne du dessous : scène du film Harry Potter

Il faut dire que le cinéma aime Gustave Doré depuis déjà longtemps. Déjà Jean Cocteau s’était grandement inspiré des gravures de l’artiste pour réaliser sa version de La Belle et la Bête. Certaines scènes du film sont de quasi-copies d’illustrations de l’artiste. Il faut dire que ce dernier avait l’art et la manière de choisir quelle scène précise d’une histoire il lui fallait illustrer et de quelle façon cadrer le tout.

Les gravures de Gustave Doré : Un monde magique en noir et blanc

Pour venir illustrer tous ces livres, chacun de ses dessins ou peintures était finement gravé afin de pouvoir être reproduit à grande échelle. C’est pourquoi Gustave Doré est surtout connu pour ses œuvres en noir et blanc plutôt que pour ses talents de coloriste. La nuit de Noël est, à ce titre, une exception à la règle.

guillemet« Le plus souvent les aquarelles de Doré représentent des paysages, pris sur le vif, simples instruments de travail pour des oeuvres plus élaborées.
La nuit de Noël constitue, au contraire, une oeuvre très aboutie, de grand format. »

Source : Musée d’Orsay, « Gustave Doré, La nuit de Noël »

Gustave Doré ne gravait pas lui-même ses œuvres mais avait accordé sa confiance à des graveurs professionnels (notamment Héliodore Pisan) pour rendre au mieux ses talents d’illustrateur. La plupart de ses œuvres les plus connues n’ont donc pas été gravées de sa main, bien qu’il s’adonna quand même à la gravure au cours de sa vie.

guillemet« Par commodité ou méconnaissance, il est souvent d’usage, en effet, de parler des « gravures » de Gustave Doré à propos de son œuvre d’illustrateur. Or, Doré n’a jamais gravé les très nombreuses illustrations d’ouvrage qu’il a son actif : il est l’auteur de dessins sur bois confiés à d’habiles interprètes, graveurs de métier. Mais cela ne l’a pas empêché de s’adonner à l’estampe originale tout d’abord comme lithographe, dès le début sa carrière, puis beaucoup plus tard comme aquafortiste. Cet œuvre original qui représente un pourcentage faible de l’œuvre imprimé est, si l’on excepte quelques pièces spectaculaires, loin de rivaliser avec son œuvre d’illustrateur. « 

Source : BNF, Gustave Doré, lithographe et graveur, « Lithographies pour rire », par Valérie Sueur-Hermel

Toutefois, il participa ainsi, à sa façon, à la démocratisation du livre et de l’accès à la lecture qui, au XIXe siècle, étaient en plein boum. Le succès de ses caricatures et dessins de presse y fut aussi pour quelque chose. Car Gustave Doré ne débordait pas seulement d’imagination ; il savait aussi observer son époque avec précision et en retranscrire les travers avec humour. Pour un artiste auquel on reprochait de manquer d’humanité, c’est tout de même un comble !

Pour achever cet article, je vous invite à découvrir (ou redécouvrir) d’autres œuvres de Gustave Doré (pas seulement des gravures, d’ailleurs, parce que j’aime aussi ses peintures) :


Cet article vous a plu ? Ou pas ? Aimez-vous aussi Gustavé Doré ? Passez-vous de bonnes fêtes de fin d’année ? Dites-moi tout en commentaire !


Sources :
Musée d’Orsay, « Gustave Doré, La nuit de Noël »
BNF, « Gustave Doré, L’imaginaire au pouvoir »

JE SUIS CHARLIE !

… Comment commencer un article comme celui-là ?
Je me suis longuement posée la question mais je n’ai pas trouvé de réponse adéquate. D’autant plus que la plupart de mes amis blogueurs ont préféré s’abstenir de s’exprimer sur ce qui s’est produit (ce que je comprends et respecte tout à fait, d’ailleurs). Je ne peux donc pas vraiment m’inspirer de leur propre réaction.
Quoi qu’il en soit, je ne voulais pas rester silencieuse. Je ne voulais pas non plus m’exprimer dès le premier jour, comme beaucoup l’ont fait. Pas que je n’avais rien à dire mais la tristesse et la colère auraient probablement déformé mes mots. Mercredi 7 janvier, je n’ai donc fait qu’un malheureux dessin. Et je ne suis vraiment pas douée pour ce genre de dessin. Mais j’y tenais. On essaie de faire ce qu’on peut, dans ces cas-là, j’imagine.

Aujourd’hui, je suis toujours triste, toujours en colère aussi, même si les raisons commencent à se répandre différemment. Mais je tiens à publier cet article, consacré aux très nombreux dessins et créations qui ont émergé de ce désastre.
Ils illustrent tellement bien l’adage qui veut que « rien ne se perd, tout se transforme ». Cette phrase n’en finit par d’être vraie. Heureusement ? Malheureusement ? Je ne sais pas.

Les articles que je publie sur mon blog sont généralement consacrés à l’art et à la culture. Je prends régulièrement plaisir à vous raconter pourquoi telle œuvre est ainsi faite et ce qu’elle raconte. Je fais de mon mieux. Et je voudrais faire de mon mieux, aujourd’hui encore, pour vous présenter la myriade de dessins que j’ai récolté sur la toile et qui portent tous le même étendard : Je suis Charlie.

Beaucoup de « cartoons » dans les dessins qui ne cessent de fleurir depuis mercredi. Des bandes dessinées, des caricatures. Certaines témoignent clairement du chagrin laissé dans son sillage par l’attentat meurtrier. D’autres ont préféré miser sur l’humour. Parce que Charlie Hebdo, c’était l’art de rire de tout, de tout le monde, tout le temps. « Comme des enfants » ont pu témoigner certains rescapés du journal, qui connaissaient très bien les dessinateurs disparus tragiquement. On perçoit également l’amertume chez beaucoup. Comme le sentiment d’un énorme gâchis. Pourquoi eux ? Pourquoi comme ça ? Et pourquoi a-t-il fallu qu’un tel évènement survienne pour que la France apparaisse plus soudée qu’elle ne l’avait été depuis bien longtemps ?
Certains noms d’artistes, dans cette liste, ne vous diront sûrement rien. Il faut dire que même les dessinateurs en herbe et ceux dont ça n’est pas forcément le métier ont pris la plume et l’encre pour mettre de la couleur et quelques mots (ou pas) sur ces atrocités. Il y a aussi des noms bien célèbres comme Uderzo (le papa d’Astérix), Zep (celui de Tifeuf) le caricaturiste et dessinateur de presse Plantu ou encore Philippe Geluck (le bédéiste belge créateur du Chat).
Il y a tous les styles, toutes les pattes. Il y a même des artistes du monde entier (comme les américains Nick Anderson, Rick McKee, Gary Varvel, l’Espagnole Ana Juan, en une du New Yorker, l’égyptien Mazen Kerbaj, l’iranien Mana Neyestani, le grec Alecos Papadatos, le suisse Chappatte). Pourtant, tous ces dessins sont d’une grande clarté.

Les images ont bel et bien un pouvoir, qui dépasse peut-être même celui des mots : elles ont la capacité d’être compréhensibles par tous. La lecture des images est universelle.
C’est donc d’autant plus tragique que ce soit précisément notre capacité à dessiner, développée par les hommes depuis la nuit des temps (les hommes préhistoriques dessinaient déjà !) qui ait été attaquée ce mercredi. D’autant plus qu’il s’agissait de dessins humoristiques. Or, l’humour est également le propre de l’être humain.
Quant à défendre notre liberté d’expression, je crois que vous avez été assez nombreux à le faire ce week-end, en descendant dans la rue. Je n’en ajouterai pas davantage (pas dans cet article, en tout cas) car c’était bien assez beau comme ça, quoiqu’en disent certains (que ce soit par bêtise ou pour tout autre raison, je préfère vous ignorer aujourd’hui). Toutefois, avant de passer aux dessins, je publierai seulement cette photographie, de Martin Argyroglo digne héritière de La Liberté guidant le Peuple et justement prise dimanche, Place de la République à Paris :

Martin Argyroglo
Martin Argyroglo

Passons aux dessins.
Cliquez sur un des dessins pour l’agrandir.


Si d’autres dessins vous ont plu, vous ont marqué par leur humour ou leur émotion, par leur pertinence ou leur beauté et qu’ils n’apparaissent pas dans la galerie que j’ai dressée ici (je n’ai probablement pas pu tout voir), n’hésitez pas à en parler et à partager les liens dans les commentaires, ci-dessous.

Je consacrerai également un article, dans la même veine que celui-ci, aux pancartes qui ont pu être brandies pendant les marches républicaines de samedi et dimanche, à Paris, en France et partout ailleurs. Certains des slogans qui y étaient brandis méritent d’être vus, encore et encore.