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500 ans de portraits de femmes dans l’art occidental


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Ca n’est pas la première fois que je vous parle d’une vidéo mettant en scène de nombreuses grandes œuvres de l’art occidental de façon originale. C’était déjà le cas dans l’article où je vous parlais de peintures de grands maîtres qui semblaient prendre vie.

Un peu plus ancienne (2007), la vidéo que je tiens à vous présenter aujourd’hui n’en est pas moins surprenante et tout à fait fascinante à regarder. Elle met en scène uniquement des portraits de femmes. Cinq cents, pour être exacte. Qui datent de la seconde moitié du XIIe siècle à 1946.

A travers un procédé de morphing, les visages se succèdent avec une fluidité étonnante. On se rend alors compte de la ressemblance entre certains visages, mais aussi de l’évolution des modes et, par conséquent, des critères de beauté. La belle femme du Moyen-Age n’est pas celle de la Renaissance qui n’est pas celle du début du XXe siècle. Et pourtant, à les voir ainsi se succéder, tous ces portraits ont quelque chose d’ensorcelant ; ces femmes, malgré leurs différences qui ne sont finalement que détails, ne semblent finalement former qu’une seule et même entité. Comme un modèle immuable, une muse éternelle. La Femme avec un fuckin’ grand F. (évitez de répéter plusieurs fois de suite cette phrase à haute voix)

Loin de moi l’idée de faire de cet article un plaidoyer en faveur de la féminité et plus encore de bercer dans le féminisme (pas trop mon genre, je dois bien l’admettre) mais c’est pourtant bien la Femme, qui qu’elle soit, quels que soient ses défauts ou ses qualités, ses origines, son rang,… dont cette vidéo trace le portrait, à mon sens.

Je tenais seulement à exprimer ici à quel point je trouve assez remarquable de voir comme ces oeuvres se dressent au-dessus de leurs particularités (qui font également leur beauté propre !) pour ne former plus qu’une. Cette vidéo est finalement une œuvre, elle aussi, en réussissant à mettre ainsi bout à bout toutes ces peintures.

Une oeuvre qui est celle de Philip Scott Johnson (dont vous pouvez découvrir d’autres vidéos sur Youtube, notamment) qui a usé du logiciel Abrosoft Fantamorph pour parvenir à ses fins.

Vous pourrez trouver ici la liste de l’ensemble des oeuvres apparaissant dans la vidéo : http://www.maysstuff.com/womenid.htm
Voici aussi celles que je préfère :

Visite de l’atelier d’un peintre : Abel de Pujol

Me voilà de retour de vacances !

Des vacances presque studieuses, si je puis dire, car elles ont été l’occasion de visiter un petit nombre d’expositions toutes plus remarquables les unes que les autres (j’en profite d’ailleurs pour dire merci aux trois mecs, père, frère et fils/chéri, qui m’accompagnaient et qui ont eu la patience de me faire découvrir et de m’accompagner dans ces musées et expos car je sais que ça n’est pas toujours facile de se coltiner une étudiante en arts dans ce genre d’endroits o/).

Et j’espère bien vous faire un petit compte rendu de certaines œuvres que j’ai pu voir dans mes prochains articles !

Mais pour reprendre tranquillement mes marques, je vous propose d’abord un article sur une de mes peintures favorites :

Adrienne Grandpierre, L’atelier d’Abel de Pujol
Adrienne Grandpierre, L’atelier d’Abel de Pujol
1836
Huile sur toile
135 x 98 cm
Valenciennes, musée des Beaux-Arts

Ce tableau de 1836 d’Adrienne Grandpierre représente l’atelier d’Abel de Pujol dont elle est alors encore l’élève (Mademoiselle Grandpierre épousera son professeur 20 ans plus tard, il s’agira pour lui d’un second mariage).
C’est une oeuvre qui se trouve actuellement au musée des Beaux Arts de Valenciennes (et pour cause, puisqu’Abel de Pujol est un des grands artistes valenciennois) et elle est importante pour moi car j’ai eu pour elle un véritable coup de coeur la première fois que je l’ai vue.

Pour la petite histoire, à l’époque, je suis en Seconde et comme tous les élèves de mon lycée valenciennois, je me dois de visiter le musée puisqu’il se trouve de l’autre côté de la rue. Tombant nez à nez avec cette toile, je reste longtemps devant, sans pouvoir en détacher les yeux, car j’ai l’impression d’être projetée à l’intérieur.

La perspective est ici faite de telle sorte qu’elle donne l’impression de pouvoir entrer dans le tableau. C’est le cas pour beaucoup d’autres œuvres mais, ici, j’ai vraiment ressenti cet effet de façon surprenante. C’était la première fois que je constatais ça. De plus, je n’avais encore jamais vu, à ce moment-là, de tableau représentant un atelier d’artiste.

Je crois que c’est ce tableau qui m’a donné envie de me remettre sérieusement au dessin et à la peinture, activités que j’avais complètement abandonnées à ce moment-là.

Bref, j’ai été fascinée par cette toile et j’apprécie encore aujourd’hui de la voir quand je m’aventure de nouveau dans ce musée. Malheureusement, la photographie ne lui rend pas suffisamment justice.

Adrienne Grandpierre, L’atelier d’Abel de Pujol
Adrienne Grandpierre, L’atelier d’Abel de Pujol (détail)
1836
Huile sur toile
135 x 98 cm
Valenciennes, musée des Beaux-Arts

Cette oeuvre est remarquable car elle foisonne de détails. Elle permet d’entrer dans ce que pouvait être un atelier d’artiste à cette époque mais montre aussi qu’Adrienne Grandpierre devait être particulièrement admirative du travail de son maître.

Ainsi, sur le mur du fond, on peut apercevoir un grand nombre de toiles. Des toiles qui ont véritablement été peintes par Abel de Pujol et qu’il est possible de reconnaître dans cette oeuvre d’Adrienne Grandpierre. Par exemple, L’apothéose de Saint Roch, placée juste au-dessus de la porte, est clairement identifiable. Il s’agit d’une esquisse pour la voûte de la chapelle Saint-Roch (église Saint-Sulpice, Paris), elle aussi exposée au musée des Beaux Arts de Valenciennes.

Le tableau intitulé La Renaissance des Arts, esquisse préparatoire du plafond réalisé en 1819 pour l’ancien escalier du musée du Louvre, est également représenté près de la tête de la jeune femme étant en train de poser.

Ces deux tableaux témoignent de l’importance que pouvait avoir Abel de Pujol à cette époque puisque des projets d’envergure lui étaient confiés.

Un portrait du père de l’artiste (qui, pourtant, ne l’a jamais reconnu) est également visible, à gauche de l’œuvre. Il s’agit Alexandre Denis de Pujol de Mortry, prévôt de Valenciennes et fondateur de l’académie des Beaux-Arts de la ville.

Adrienne Grandpierre, L’atelier d’Abel de Pujol
Détail des peintures d’Abel de Pujol représentées en arrière plan de l’oeuvre d’Adrienne Grandpierre.

Cette peinture nous permet également de voir comment un atelier d’artiste pouvait être aménagé à l’époque. On constate, d’abord, qu’une (ou plusieurs) larges fenêtres (1), le plus souvent orientées vers le nord, permettai(en)t aux artistes de peindre sous une lumière idéale. Ici, un grand rideau rouge permettait probablement de réguler la source lumineuse en fonction des besoins du peintre.

De plus, comme les artistes avaient besoin de grands espaces ouverts et lumineux, un bon chauffage était une nécessité. Il se devait de ne pas être salissant ou trop encombrant. C’est pourquoi de nombreux peintres adoptèrent le poêle (2).

guillemet« Chauffer une maison, c’est chauffer l’air qui s’y trouve. A cet égard, la cheminée n’est pas très efficace. Le poêle, qui enferme le foyer dans un réceptacle de métal rayonnant constitue un progrès notable. Les artistes ne s’y sont pas trompés, eux qui travaillent dans de grands volumes, éclairés par de grandes verrières orientées au Nord. Et puis il fallait bien réchauffer les modèles ! »

(source: Musée Historique Environnement Urbain, Le mheu : « Chauffer l’atelier de l’artiste »)

Enfin, on constate la présence, à droite du tableau, d’une statue, de bustes mais aussi d’armes (3) qui, probablement, servaient de modèle à Abel de Pujol. Ce dernier était en effet un peintre d’histoire, c’est-à-dire qu’il peignait des scènes historiques ou mythologiques. Or, l’inspiration, les artistes de cette période la puisait essentiellement dans l’Antiquité, d’où la présence de ces objets.

Une inspiration telle qu’elle vaudra à l’art de l’époque le surnom péjoratif « d’art pompier ». Certains disent que c’est la profusion des représentations de personnages coiffés de casque antique, à cette période, qui donna l’idée de cette expression. Ces casques ressemblaient, en effet, à ceux portés par les pompiers de l’époque. Durant une bonne partie du XXe siècle, les critiques continueront à désigner cette période artistique sous ce terme afin de pointer du doigt ce qui était alors considéré comme un art de mauvais goût. Il faudra attendre les années 70 pour que cette opinion évolue.

guillemet« L’origine de ce terme est mystérieuse : il dérive tantôt des personnages des tableaux de David, qui ressemblent aux sapeurs-pompiers des années 1830, tantôt du caractère arrogant, pompeux des toiles de l’époque. »

(source: L’art pompier, un art officiel)

Adrienne Grandpierre, L’atelier d’Abel de Pujol
Observation de l’organisation d’un atelier d’artiste dans la peinture d’Adrienne Grandpierre.

En tout cas, ce tableau de l’atelier d’Abel de Pujol, sélectionné par le jury du Salon des Artistes français, permettra à Adrienne Grandpierre d’y exposer pour la première fois. L’artiste réalisera d’ailleurs une autre vue de l’atelier de son maître (un peu plus de dix ans avant celle dont je vous parlais jusqu’ici, voir ci-dessous), nous permettant de voir que de nombreuses jeunes femmes venaient y prendre des cours de dessin ou de peinture, et probablement aussi poser.

Pour l’anecdote, nous savons d’ailleurs que cet atelier se situait 13, rue de la Grange-aux-belles – l’actuelle section de la rue de Lancry entre le canal Saint-Martin et le boulevard de Magenta à Paris (source: article de Dominique Delord). Une « grange-aux-belles » qui portait bien son nom, semble-t-il, à en juger par l’élégance des femmes qui y prenaient des cours, témoignant du statu important de l’artiste. Notons d’ailleurs qu’Abel de Pujol fut l’élève de Jacque-Louis David, chef de file de l’École néoclassique (le fameux « art pompier » dont je vous parlais plus avant).

guillemet« Son premier tableau « Philopoemen reconnu tandis qu’il fend du bois dans la cuisine d’un ami qui l’a invité à diner », fut si admiré par David, que celui-ci l’admit dans son atelier. (…) Abel de Pujol obtint toutes les récompenses, toutes les dignités dont peuvent bénéficier les artistes. »

(source: Musée Midi-Pyrénées)

Adrienne Grandpierre, L’atelier d’Abel de Pujol
Adrienne Grandpierre, L’atelier d’Abel de Pujol
1822
Huile sur toile
Paris, Musée Marmottan Monet

Sources :
Notice de l’Intérieur de l’atelier d’Abel de Pujol (Joconde, Portail des collections des musées de France)
GRANDPIERRE Adrienne et Abel de Pujol (1785 – 1861)
Atelier d’Abel Pujol ou Intérieur d’un atelier de peinture d’Adrienne Marie Louise Grandpierre-Deverzy
L’Atelier d’Abel de Pujol (Musée historique environnement urbain)
Chauffer l’atelier de l’artiste
La ligne souple. Dessins d’Abel de Pujol.
L’art pompier, un art officiel

Le Diable et la Mort : petit tour d’horizon dans l’art

Rah ! Horreur et damnation !

Cela fait des semaines que je le cherche et qu’on m’aide à le chercher (merci d’ailleurs <3) : un livre ! Un fichu livre ! Le catalogue de l’exposition L’Ange du Bizarre – Le Romantisme noir de Goya à Max Ernst. Mais impossible : il n’est plus édité, il n’est plus disponible nulle part… Seule possibilité restante ? Emprunter de l’argent à mon compte épargne pour espérer l’acheter à tous ces gens qui osent le revendre à plus de 120€ (à beaucoup plus parfois, même !).

Non, mais, vraiment ! Ces gens n’ont-ils aucune pitié pour les étudiants en arts qui galèrent déjà à acheter leur pain ?

D’accord, d’accord ! Causette se tait mais Causette trouvera son livre, quoi qu’il arrive ! Non mais.

Hum ? Pourquoi ce bouquin m’intéresse autant, vous vous demandez ? Déjà parce que je n’ai pas eu la chance de voir cette exposition et que la prise de photos y avait été interdite (merci Musée d’Orsay de penser à nous, non parisiens qui aimeraient avoir accès à la culture ! Vous pouviez pas éditer un peu plus votre catalogue, du coup ? Non mais j’vous jure…). Bref, il ne reste donc que peu de traces de cette exposition (merci aux fraudeurs courageux qui ont quand même pris quelques photos et ont aussi et surtout fait de très bons comptes rendus de leur visite, je pense notamment à cet article de Cagliostro : L’ange du bizarre, le romantisme noir au musée d’Orsay) et ces traces j’en ai fortement besoin pour l’écriture de mon mémoire de deuxième année de master.

Pour le moment, je devrais donc me contenter du hors-série Beaux Arts qui, fort heureusement, n’a pas été loupé, loin de là.

 

Couverture du hors-série Beaux Arts Magazine - L'Ange du Bizarre, Le Romantisme Noir de Goya à Max Ernst
Couverture du hors-série Beaux Arts Magazine – L’Ange du Bizarre, Le Romantisme Noir de Goya à Max Ernst

 

En fait, j’aime m’intéresser à ce que l’un de mes professeurs (que j’admirais beaucoup !) appelait « les figures du désordre ». Elles sont nombreuses et elles font partie de nos vies ; elles peuplent nos histoires, nos mythes et légendes, et elles évoluent avec leur temps. Cette exposition mettait en scène énormément d’œuvres faisant référence à ces monstres et créatures qui nous effraient et nous fascinent à la fois.

Cet intérêt pour ces figures du désordre, je l’ai déjà un peu exprimé dans mon mémoire de première année. J’ai eu l’occasion de tracer la chronologie du robot : si l’on fait le rapprochement entre les histoires parlant du Golem d’argile (un personnage essentiellement issu de la religion juive), nous pouvons en déduire que le Golem est un des ancêtres du robot (mais de façon uniquement « imaginaire » puisque le robot à l’apparence d’homme, lui, commence à être vraiment construit).

Or, c’est très probablement parce que le robot a de profonds liens avec des figures du désordre comme le Golem, que nous nous intéressons si fortement à lui : la science-fiction adore parler des robots et nous adorons nous faire peur devant des Terminator et autres I-Robot ! Mais cela est d’autant plus intéressant que nous pourrions un jour parvenir à véritablement créer cette chose de métal dont nous imaginons déjà qu’elle pourrait être aussi révolutionnaire pour nos vies qu’incroyablement destructrice.

Ainsi, alors que tous nos monstres et créatures du passé n’étaient et ne restaient que des êtres fictifs, nous nous confrontons aujourd’hui à une réalité qui, même si elle est encore loin de la science-fiction, est ô combien intéressante : nous sommes à un croisement entre rêve et réalité. Un croisement rendu possible grâce à l’entremêlement des sciences et des arts. Pour faire simple, nous serons peut-être capables, un jour, de créer pour de vrai et pour la première fois une véritable figure du désordre !

Mais comme je vous le disais, les figures du désordre sont nombreuses. Soyons plus clair : une figure du désordre est un personnage (mais ça peut également être une chose, un objet, ou un évènement) fictif qui, comme son nom l’indique, crée le chaos. Cela ne veut pas dire que cette chose fiche le souk ! Non, évidemment. Cela veut plutôt dire qu’elle sort de l’ordinaire, qu’elle sort de « l’ordre » établi.

(chaos ou kaos = désordre en grec)

Ces personnages n’existant pas réellement, nous pouvons les considérer comme des symboles : ils nous permettent de mettre une image sur nos peurs et cela nous permet de mieux les visualiser et, donc, de les apprivoiser.

Allez, je vous en montre un peu plus et je vous explique ! Vous me suivez ? Let’s go !

 

Hieronymus Bosch - La mort de l'avare 1490
Hieronymus Bosch – La mort de l’avare
1490

 

Prenons l’exemple de ce tableau de Hieronymus Bosch, intitulé La mort de l’avare : on y voit un homme sur son lit de mort. Un ange tente d’attirer son attention vers un crucifix nimbé de lumière mais l’homme est plus intéressé par un démon qui lui tend un sac qu’on imagine rempli d’argent. La mort, sous la forme d’un squelette pointant une flèche en direction de l’homme, est déjà à l’entrée de sa chambre. Il est trop tard pour qu’il puisse se défaire de ses péchés.

Évidemment, cette scène est complètement surréaliste. Elle est imaginaire. Les créatures que sont la Faucheuse, les démons ou encore l’ange sont des symboles destinés à nous expliquer ce qui se passe dans cette scène : l’homme était avare et il le sera jusqu’à sa mort. Or, l’avarice est un des sept péchés capitaux, c’est pourquoi c’est le démon qui tente l’homme alors que l’ange, lui, essaye de le guider vers la voie de la lumière. Dans ce tableau religieux, l’artiste tente de montrer le bien, le mal et la mort qui, de toute façon, fauchera l’homme quel que soit son choix de vie.

guillemet« Ce tableau est inspiré d’un livre de prière du 15e siècle intitulé: Ars Moriendi (L’art de mourir). Ce manuel était un guide pratique sur la façon de mourir. Il comprenait onze scènes: les cinq premières étaient les tentations du démon, invitant le mourant à l’impiété, au désespoir, à l’impatience, à la vanité et à l’avarice. Les cinq suivantes étaient les inspirations de l’ange: la foi, l’espoir, la patience, l’humilité et la générosité. Dans la dernière scène l’ange reconduisait l’âme au ciel, alors qu’en Enfer les hurlements de rage des démons se faisaient entendre. Dans cette oeuvre de Bosch, par contre, l’issue du combat demeure incertaine. »
(source: La mort dans l’art)

L’exposition L’Ange du Bizarre qui s’est terminée en juin 2013 permettait de voir que de nombreux artistes ont cherché à représenter les monstres, les peurs, les ombres. Chacun avait ses raisons : croyances, craintes personnelles, fascination… Mais aussi parce que cet univers foisonnant permet de laisser totalement libre cours à l’imagination. Ce qui, pour un artiste, peut être une véritable libération.

 

Carlos Schwabe, La mort du fossoyeur
Carlos Schwabe – La mort du fossoyeur
The Death of the Gravedigger
Graverens død
Aquarelle et gouache sur esquisse à la mine de plomb sur papier. 75 x 55,5 cm. Musée du Louvre, Paris

 

En couverture du catalogue de l’exposition L’Ange du Bizarre, c’est la partie haute de la la peinture de Carlos Schwabe, La mort du fossoyeur, qui apparaît. Un choix qui illustre à merveille le nom de l’exposition : « l’Ange du Bizarre » est ici l’Ange de la Mort. « Bizarre » car cet ange que nous craignons tous et dont l’apparition symbolise notre fin est ici représenté sous la forme d’une belle femme. La Faucheuse, pourtant, est souvent représentée, encore aujourd’hui, comme portant un long manteau noir, une faux à la main (voir, par exemple, la gravure ci-dessous). Dans certaines représentation plus anciennes, il arrive que la Faucheuse soit un squelette (c’est le cas dans la peinture de Hieronymus Bosch, que nous avons vue plus haut). Et cela n’est guère réjouissant, il faut bien l’avouer. Cela est même plutôt effrayant !

Alors, pourquoi Carlos Schwabe a-t-il choisi de représenter la Faucheuse sous une forme si surprenante ?

C’est parce qu’une figure du désordre peut avoir plusieurs formes et, donc, plusieurs sens selon la façon dont elle est représentée ou le contexte dans lequel elle apparaît.

 

Alfred Rethel - La Mort comme amie, Gravure de 1851 Une des rares représentation de la mort comme amie du mourant. Ici, le sonneur de cloches va mourir alors la Faucheuse se charge de son travail à sa place, probablement avant de l'emporter. Son visage cadavérique laisse entrevoir qu'elle semble triste.
Alfred Rethel – La Mort comme amie, Gravure de 1851
Une des rares représentation de la mort comme amie du mourant. Ici, le sonneur de cloches va mourir alors la Faucheuse se charge de son travail à sa place, probablement avant de l’emporter. Son visage cadavérique laisse entrevoir qu’elle semble triste.

 

L’Ange de Carlos Schwabe ne ressemble pas du tout à ce que nous imaginons de la Faucheuse.

Le fait de représenter la Faucheuse comme un ange aux ailes noires et surtout comme une gracieuse jeune femme est donc intéressant. Tout d’abord, nous pouvons en déduire que l’artiste ne devait pas considérer la mort comme quelque chose d’effrayant mais comme un accomplissement (l’ange tient une flamme verte dans la main. Le vert est la couleur de l’éternité et de la régénération) et quelque chose de paisible bien qu’incontournable (on voit que le visage de l’ange est serein mais déterminé et que l’homme dans la tombe est, certes, surpris par l’apparition mais aussi plutôt séduit, obnubilé).

C’est la femme de l’artiste qui sert ici de modèle à l’Ange noir. La séduction entre en ligne de compte : Carlos Schwabe démontre ici que derrière notre peur, nous ne pouvons nous empêcher d’être fascinés par les créatures imaginaires, censées hanter nos nuits et nos ruelles sombres. Carlos Schwabe, en représentant ainsi la Mort, devait lui aussi lui trouver quelque chose d’attirant.

 

Marianne Stokes - La jeune fille et la mort, 1900 Source image : L'art magique
Marianne Stokes – La jeune fille et la mort, 1900
Source image : L’art magique

 

Un ange noir et féminin, c’est également ce que met en scène la peinture de Marianne Stokes intitulée La Jeune fille et la Mort. La ressemblance entre les deux personnages qui ont le rôle de faucheuse est assez étonnant. La seule différence notable réside dans la coiffe des deux femmes : chez Carlos Schwabe, la tresse tombante sur le front de son ange est une référence à la mode du Moyen-Age. Chez Marianne Stokes, l’ange est voilé (une tenue qui, à mes yeux, ressemble un peu à celle d’une nonne ou, en tout cas, d’une religieuse) et c’est surtout la finesse des traits du visage qui nous permet de croire qu’il s’agit d’une femme. C’est, en tout cas, un être très androgyne, au teint laiteux et qui semble résigné à sa tâche. Une vie de plus, une vie de moins, quelle différence, au fond ? Il effectue sa tâche encore et encore. Cela est inscrit sur son visage.

Ce tableau offre une version moins séduisante de la mort. Il montre davantage le côté immuable de cet évènement qui survient dans la vie de tous, un jour où l’autre. Notons que la main levée de la Faucheuse se veut apaisante pour la jeune fille. Elle va mourir dans son sommeil : certains diraient qu’il s’agit d’une « belle mort ».

Les représentations de la Mort en compagnie de jeune fille est un thème récurrent dans l’art. Il date de l’Antiquité où, déjà, chez les Grecs, Perséphone était enlevée par Hadès, dieu des Enfers. Etablir un lien entre une jeune fille et la Mort, c’est une façon de démontrer que l’amour et la mort sont proches l’un de l’autre (nous parlons alors de collision entre Éros, dieu de l’amour et, donc, de la vie, et Thanatos, dieu de la mort).

guillemet« Eros et Thanatos, dieux grecs, forment un bien étrange couple. Contraires ou complémentaires ? La psychanalyse les a réunis au dix-neuvième siècle. L’art en a fait ses deux thèmes centraux, parce qu’ils sont probablement les deux grands tabous de l’humanité. »
(Source: Art Mémoires)

 

Joan Fontbernat Paituví (Jaume Barba, signature de l'atelier) - Le baiser de la mort (Beso de la muerte) 1930 Marbre Cimetière de Barcelone, Espagne
Joan Fontbernat Paituví (Jaume Barba, signature de l’atelier) – Le baiser de la mort (Beso de la muerte)
1930
Marbre
Cimetière de Barcelone, Espagne

 

Dans cette autre représentation de la mort, se trouvant dans le cimetière de Poblenou à Barcelone, nous pouvons voir un étrange mélange entre le tableau de Carlos Schwabe et les représentations plus courantes de la Mort : un squelette aux ailes d’ange embrasse un homme qui, probablement, va passer de vie à trépas.

Pour l’anecdote, cette sculpture est une des plus célèbres du cimetière et des gens visitent d’ailleurs ce lieu pour la voir. D’autant plus que ce lieu de repos éternel regorge d’autres créations magnifiques dans ce genre !

Mais la Mort (ou la Faucheuse) n’est pas la seule figure du désordre célèbre. Nous avons pu voir, par exemple, que les démons dans la peinture de Hieronymus Bosch sont aussi des figures du désordre, de même que les anges ou le Golem dont je vous parlais tout au début : ce sont des créatures d’un autre monde – le monde imaginaire – qui nous permettent de symboliser nos émotions. Et cela même si, par exemple, les démons représentent le Mal (ils sont sous la houlette du Diable, de Satan, de Lucifer) tandis que les anges représentent davantage le Bien (sous les ordres de Dieu).

(Notons quand même que la distinction Bien/Mal a tendance à s’étioler dans nos récits contemporains, par exemple dans des séries comme Supernatural.)

Mais, me direz-vous, tout ceci est peut-être un peu trop religieux ! Rassurez-vous (si je puis dire), il ne s’agit pas des seules figures du désordre, loin de là ! Seulement, il faut bien l’avouer, les figures du désordre ont toutes plus ou moins un lien avec une religion (mon travail de recherche m’amène à parler essentiellement de la religion catholique car je me place en tant que française, en tant qu’occidentale, mais les cultures asiatiques, par exemple, regorgent elles aussi de figures du désordre qui sont à la fois différentes et semblables aux nôtres. Voir, par exemple, la représentation d’un démon japonais dans ce précédent article : Le couple démoniaque).

Ainsi, voici un autre exemple : le vampire est une très célèbre figure du désordre qui a beaucoup évolué avec le temps. Nous sommes passés d’un Dracula terrifiant mais sans nul doute charismatique et d’un romantisme fou, à Edward Cullen de la saga Twilight, jouant davantage la carte de la fascination exercée sur nous par les créatures de ce genre (bien que certaines d’entre vous me rétorquerons sûrement qu’il dispose aussi d’un grand charisme et qu’il est incroyablement romantique). Curieusement, oui, ces deux personnages restent assez proches, contrairement à ce qu’on pourrait croire : frayeur et fascination restent les atouts du vampire, qui nous attirent désespérément vers lui. Mais pour quelle raison ?

C’est parce que la séduction exercée par le vampire est comparable à celle de Lucifer. Et cela est également vrai pour les créatures que nous avons vues plus tôt.

Évidemment ! Lucifer, le Diable. La plus grande et la plus célèbre des figures du désordre au monde. Elle a déchainé les peurs et les passions durant des siècles. Les croyants redoutaient cet être plus que tout au monde ! Les satanistes, eux, lui vouaient un culte sans bornes. Pourquoi ? Parce qu’il était le symbole de tous les possibles : ange déchu pour avoir osé défier Dieu lui-même, parfois décrit (en particulier au XIXe siècle) comme disposant d’une beauté inimaginable, Lucifer (dont le nom signifie Porteur de Lumière et non pas des ombres ou de la mort !) avait de grands pouvoirs en tant que gardien de l’Enfer.

 

Jean-Jacques Feuchère, Satan, 1833
Jean-Jacques Feuchère, Satan, 1833
Statue de Lucifer dans la cathédrale Saint-Paul de Liège, par Guillaume Geefs (variante de l'original, signé de Jozef Geefs) Photo de Luc Viatour / www.Lucnix.be
Statue de Lucifer dans la cathédrale Saint-Paul de Liège,
par Guillaume Geefs (variante de l’original, signé de Jozef Geefs)
Photo de Luc Viatour / www.Lucnix.be

 

Comme vous pouvez le voir en observant ces deux sculptures différentes de Lucifer (ou Satan, le Diable), son physique peut radicalement changer d’un artiste à l’autre. Et ici, l’exemple reste relativement faible car nous n’avons pas affaire à un Diable rouge à la queue et à la langue fourchues… Mais notons quand même que la statue de la Cathédrale de Saint-Paul de Liège est quand même beaucoup plus ravissante que celle de Jean-Jacques Feuchère. Chez ce dernier, Satan a les doigts et le nez crochus, il est pourvu de cornes qui se mêlent à sa chevelure et ses pieds sont davantage ceux d’une bête. Guillaume Geefs, lui, en fait un bel homme prisonnier (son pied est pris au piège) malgré ses ailes. Il semble tourmenté mais pas effrayant. Il nous viendrait presque l’envie de l’aider…

Il faut dire que Lucifer ne représente pas seulement le Diable à la queue fourchue que nous nous imaginons bien souvent aujourd’hui. Lucifer faisait figure de rebelle. La religion Chrétienne en faisait bien évidemment un être à détester et à craindre, un monstre (en particulier au Moyen-Age), mais était-ce finalement si vrai ? Sa représentation a donc beaucoup évolué avec le temps :

Aujourd’hui, à l’heure où le cinéma nous propose des méchants de plus en plus ambigus, devenus des voleurs, des tueurs malgré eux ou par la force des choses et d’un destin malheureux nous voyons peut-être Lucifer, cet être censé expliquer tous les malheurs du monde, sous un autre angle. Finalement, pourquoi Lucifer est-il devenu le Diable, l’ennemi même de Dieu ? Parce qu’il a osé se dresser contre lui, contre son maître et notre prétendu maître à tous (selon les récits bibliques, soyons clair, il ne s’agit pas ici de mon avis mais bien d’un résumé des plus simples que je vous propose. Je préfère préciser avant qu’on ne me taxe encore de croyante. Cela a le don de m’agacer).

Or, l’homme lui-même se dresse (plus ou moins consciemment) depuis toujours contre l’idée d’une puissance supérieure contre laquelle il ne pourrait rien : certains luttent contre un ou des dieux suprêmes, des divinités ou encore contre le Destin mais, plus prosaïquement, c’est surtout contre nos parents que nous nous battons pour nous affirmer. Des « parents » que peuvent aussi être, d’une certaine façon, les dieux ou les puissances surnaturelles censés nous gouverner selon les différentes religions qu’a connu et connaît encore notre monde : ça n’est pas pour rien, par exemple, que le dieu chrétien est ainsi parfois surnommé « le Père ». De plus, la plupart des religions proposent leur version de la création du monde et, chaque fois, l’être humain « naît » d’une puissance surnaturelle (un dieu ou quelque chose de plus abstrait) : nous sommes considérés, par ces religions, comme les enfants de ces puissances ou de ces dieux.

Mais nous ne pouvons pas supporter d’être enchainés à une vie dont on a pas tout décidé (attention, hein, je parle globalement, parce que notre société actuelle s’amuse bien à nous faire croire que nous sommes libres alors que cela est très fortement discutable… mais c’est un autre débat). Passer notre vie sous le commandement, plus ou moins direct et franc, de nos parents, qui qu’ils soient, n’est pas dans notre nature : nous nous rebellons, tels des adolescents qui souhaitent devenir adultes et, donc, pouvoir construire leur propre existence.

C’est également le cas de Lucifer dont le nom (Porteur de Lumière) peut aussi signifier qu’il nous amène vers la lumière et, donc, vers la connaissance. Des connaissances, des savoirs qui nous permettent de nous affranchir, de nous libérer des dieux, des parents et de devenir nous-mêmes, quitte à faire parfois des erreurs de parcours.

Finalement, Lucifer est donc un personnage très humain ou de plus en plus humain.

Pour conclure sur le vampire, c’est probablement pour cette raison que Dracula est devenu Edward Cullen : monstre malgré lui, monstre déterminé à changer, monstre qui ne veut pas être un monstre.

Dommage que la saga Twilight n’ait pas vu le jour à une époque où la réflexion était encore primordiale… Dans Twilight, seul le premier roman est intéressant pour qui est curieux, comme moi, au sujet de l’évolution des figures du désordre dans le temps (et encore, je dirais même que seul le début du roman est intéressant, quand nous découvrons seulement les personnages qui, ensuite, sont mal utilisés au profit d’un récit sans intérêt ou tout juste distrayant).

 

Johann Heinrich Füssli, le Cauchemar  1790-1791 Huile sur toile, 76 × 63 cm.  Goethe Museum, Francfort
Johann Heinrich Füssli, le Cauchemar
1790-1791
Huile sur toile, 76 × 63 cm.
Goethe Museum, Francfort

 

Parmi les vampires célèbres, je retiendrais aussi Clarimonde, personnage central de La Morte Amoureuse de Théophile Gautier : le mot « immonde » est entendu dans son nom. C’est une séductrice, une courtisane qui n’hésite pas à se nourrir du sang de son amant pour rester en vie. Pourtant, elle est décrite comme une très belle femme. Une si belle femme que Théophile Gautier la décrit comme plus belle que ne pourrait même l’imaginer le meilleur peintre au monde ! Mais l’auteur n’hésite pas non plus à dire très clairement que cette femme est « Belzébuth en personne », c’est-à-dire le Diable en personne.

(Le tableau de Johann Heinrich Füssli, le Cauchemar, ci-dessus, se trouve en couverture de La Morte Amoureuse édité par Classiques Bordas, je reviendrai sûrement sur ce tableau dans un prochain article car il est très intéressant et a été souvent copié.)

La beauté, l’apparence… Des créatures que nous avons souvent imaginées comme hideuses et effrayantes deviennent parfois si belles qu’elles nous attirent à elles. La beauté devient alors un piège dont il faut savoir se méfier. « L’habit ne fait pas le moine », voilà ce que nous apprend le « romantisme noir » qui est au centre de l’exposition dont je vous parle depuis le début de cet article. C’est une idée qui, finalement, s’est répandue au XIXe siècle au sein du mouvement Romantique pour former ce que certains surnomment, donc, le Romantisme Noir. Ainsi, le monstre est inquiétant, effrayant et dangereux mais il sait aussi être beau, attirant, fascinant. A tel point que la frontière entre ange et démon est parfois difficile à saisir. Nous voilà alors face un ange bizarre… Un ange du bizarre.

Pfiou ! Vous ne serez probablement pas nombreux à lire tout ça. Mais tant pis, j’espère au moins que cela aura intéressé certains !

Un appartement abandonné depuis 70 ans est retrouvé à Paris

Voilà qui n’arrive pas tous les jours : à Paris, un appartement a été retrouvé alors qu’il n’avait plus été ouvert depuis 70 ans. C’est une véritable capsule temporelle que renfermait l’habitation, meublée à la parisienne, comme à la fin du XIXème siècle-début XXème siècle.

Solange Beaugiron, la petite-fille de Marthe de Florian
Solange Beaugiron, la petite-fille de Marthe de Florian

Il appartenait à une certaine Marthe De Florian, ou plutôt à sa petite fille, Solange Beaugiron (plus connu sous son pseudonyme d’écrivain, Solange Beldo ou Bellegarde) à qui elle l’avait légué à sa mort. Solange, elle est morte à l’âge de 91 ans en 2010. Elle avait quitté Paris à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale pour le Sud de la France et n’avait plus jamais remis les pieds dans la capitale. Elle n’avait hérité que peu avant de l’appartement car Marthe de Florian est décédée en 1939. On peut donc imaginer que l’appartement est resté davantage dans l’état dans lequel l’avait laissé Mme de Florian que sa petite-fille.

Appartement abandonné à Paris depuis 70 ans
Dans cet appartement parisien abandonné depuis 70 ans, le temps semble s’être arrêté.

Avant son départ, il semble que cette dame avait été la muse de l’artiste Giovanni Boldini, l’un des peintres les plus importants de la Belle Epoque.

La peinture ci-dessous, retrouvée dans l’appartement, aurait été réalisée par Giovanni Boldini lui-même et probablement offerte à Mme De Florian qui devait être sa maîtresse (une série de lettres ayant été retrouvée à proximité de la peinture témoignant de leur idylle). La peinture, elle, représente la grand-mère de Mme De Florian, Marthe de Florian, qui était une belle courtisane de la Belle Epoque.

Un véritable trésor qui a été estimé à 3 millions de dollars, rien de moins, lors d’une vente aux enchères réalisée à la suite de la découverte !

Giovanni Boldini, Portrait de Marthe de Florian, grand-mère de la propriétaire de l'appartement abandonné.
Giovanni Boldini, Portrait de Marthe de Florian, grand-mère de la propriétaire de l’appartement abandonné.
Giovanni Boldini, Portrait de Marthe de Florian, grand-mère de la propriétaire de l'appartement abandonné.
Giovanni Boldini, Portrait de Marthe de Florian, grand-mère de la propriétaire de l’appartement abandonné.

Personne ne semble en tout cas comprendre pourquoi Mme De Florian a choisi d’abandonner ainsi son appartement parisien, situé dans le 9ème arrondissement, près de l’église de la Trinité, et de ne jamais y revenir. Elle a fini sa vie loin de cet endroit, laissant derrière elle les nombreux souvenirs d’une vie qui semblait resplendir, comme en témoignent les photographies prises des lieux.

Entre capsule temporelle et cabinet de curiosités, je crois que l’habitation aurait pu être laissé tel quel afin de pouvoir être visité. L’histoire reste en tout cas un intéressant fait divers bien mystérieux, comme nous n’avons pas l’habitude d’en voir souvent.

Sources (english) : Messy Nessy ChicSamantha HahnThe Telegraph


Edit :
Ella Carey, The Paris Time Capsule
Ella Carey, The Paris Time Capsule

Depuis la publication de cet article, il semble qu’un roman ait été écrit, s’inspirant de la mystérieuse histoire de cet appartement parisien.

The Paris Time Capsule de Ella Carey est sorti en avril 2014 mais n’est pour l’instant disponible qu’en anglais. Voici la traduction que j’ai pu tirer de sa quatrième de couverture :

« En 2010, la photographe new-yorkaise Cat Jordan se bat contre son passé difficile. Mais quand une inconnue meurt à Paris, Cat se retrouve être la seule héritière d’un appartement du neuvième arrondissement , abandonné pendant soixante-dix ans après que sa mystérieuse propriétaire, Isabelle de Florian, a pris la fuite à la veille de l’invasion nazie de 1940.
Une cachette renfermant des lettres d’amour appartenant à la grand-mère de la propriétaire, l’infâme Marthe de Florian courtisane de la Belle Epoque, et l’apparition du beau et mystérieux petit-fils d’Isabelle de Florian, Loic Archer, conduisent Cat à la recherche des raisons pour lesquelles Isabelle a gardé son appartement à Paris en secret jusqu’à sa mort, et pourquoi elle lui lègue tous ses biens. »

Disponible sur Amazon : http://amzn.com/0992481201

Coup de foudre à Urbino

Piero della Francesca, Portraits of Federico da Montefeltro and His Wife Battista Sforza, 1465-66
Piero della Francesca Portraits of Federico da Montefeltro and His Wife Battista Sforza Tempera on panel, 47 x 33 cm (each) 1465-66

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Voici le diptyque d’Urbino de Pierro della Francesca. Il s’agit d’un double portrait en médaille, aujourd’hui conservé au musée des Offices à Florence en Italie (sans doute un des plus beaux musées au monde, d’ailleurs, mais passons). Vu comme ça, ce tableau peut paraître bien classique ; il s’agit d’un homme et d’une femme qui, de toute évidence, n’ont jamais obtenu le premier prix de beauté (et vous ne croyez pas si bien dire !), rien de plus. Et, très franchement, c’est exactement ce que je me suis dit lorsque ce tableau m’a été présenté en cours il y a quelques années.

Alors, quoi ? Qu’est-ce qu’il a de particulier, ce tableau ?

Son histoire !
Et j’ai été totalement bouleversée par l’histoire de ce tableau, lorsqu’elle m’a été présentée en première année de Licence en Arts Plastiques. Mon professeur avait alors l’art et la manière de raconter les histoires. Et avec celle-ci, il a fait mouche sur moi.
En effet, ce tableau possède une histoire tout à fait particulière et, pourtant, à cause de son apparente banalité, bien des visiteurs des Offices de Florence passe devant lui sans lui prêter la moindre attention (et pour cause, pour les connaisseurs – et les autres aussi, d’ailleurs – parce que ce musée regorge de tableaux à voir et de véritables petites merveilles picturales).

Nous pouvons y voir le Duc et la Duchesse d’Urbino. Urbino (Urbin, en français) est une commune de la province de Pesaro et Urbin dans les Marches en Italie. Une très ancienne commune, s’il en est, car elle existait déjà au XVe siècle (Quattrocento). A l’époque où a été peint ce tableau, les deux protagonistes de ce tableau régnaient donc sur ce duché italien.

Le Duc (Federico da Montefeltro) était une sorte de mercenaire de l’époque. Il avait sous ses ordres une grande armée qu’il mettait au service du plus offrant. C’est ce qui lui a valu ce physique un peu ingrat, qui nous amène à la première petite histoire propre à ce tableau : il faut savoir que l’on avait pour habitude de placer l’homme à gauche et la femme à droite, dans ce type de portrait. Or on constate ici que le Duc a été sciemment placé à droite. Pourquoi ? Parce que son œil droit (caché sur cette peinture) avait été énucléé lors d’un combat. Pour l’anecdote, il semblerait aussi que le peintre l’ait coiffé d’un chapeau pour cacher sa calvitie quelque peu avancée (on n’avait pas encore inventé Photoshop mais on avait déjà le goût de la chose, vous voyez)…

Quant à la Duchesse (Battista Sforza), elle était fille de banquier. C’est à 14 ans qu’elle épousa le Duc alors qu’il avait déjà 38 ans. On mariait les jeunes filles très tôt à l’époque car il y avait peu de chance qu’elles survivent bien longtemps. Elles mouraient le plus souvent en couche. Seulement, malgré son jeune âge, son éducation avait fait d’elle une fille d’une rare intelligence ; elle gérait, en effet, toute l’économie du duché (bon, et puis, elle lisait le latin, composait de la poésie,… une fille toute à fait normale pour l’époque, prenez-en de la graine mesdemoiselles ! :p).

Nous en sommes donc là : voilà une jeune fille de 14 ans vouée à pondre quelques mômes et à mourir pour les beaux yeux de son guerrier de mari (ou le bel oeil, plus exactement, puisque nous avons vu que le monsieur en avait déjà perdu un…) de 24 ans son ainé… Une belle histoire en perspective ? C’était un peu mal barré, me direz-vous.
Honnêtement, on y croit pas une seconde, n’est-ce pas ? Je veux dire, un film sur le sujet ne pourrait être que français (ouf, on va encore me taper dessus). Genre drame sur la vie de l’un et de l’autre. On devine déjà les conquêtes du grand méchant Duc et le dévouement absolu de la Duchesse à Dieu, acceptant son rôle et son sort sans même se poser de question…
Et bien non. En réalité, nous serions plutôt en face d’un drame, certes, mais bien un drame romantique. Le genre à la mode, en ce moment. L’amour impossible. L’amour éternel. Les vampires en moins mais on pourrait quand même parler de Twilight de l’époque (bon, en moins glamour, je vous l’accorde, RPatz et sa copine ont quand même des tronches plus agréables à regarder, hein, bon, mais pour l’époque, disais-je… et pour une histoire vraie, surtout !) ou encore, puisqu’on en est là, d’un amour à la Roméo et Juliette, qui va au-delà de la mort !

Et oui, et oui, et oui… Comment se douter qu’un tel tableau cache un drame Shakespearien ? Et pourtant…

En 1472, donc, la Duchesse tombe malade. Le Duc est alors parti au combat et on lui demande de rentrer au plus vite car elle ne survivra plus bien longtemps. Il s’exécute mais, malheureusement, arrive trop tard… (musique dramatique à l’américaine, faites un petit effort d’imagination, c’est tragique, vous pouvez même verser votre petite larme). Et son chagrin est très grand. Et oui, il aimait beaucoup sa femme. Il va donc passer une commande de portrait au peintre Pierro della Francesca. Il va commander ce portrait en médaille qu’il installera dans son studiolo (nom italien donné à un petit cabinet de travail). Un portrait un peu particulier car, contrairement à ce qui est aujourd’hui le cas, il ne sera pas encadré mais présenté à la manière d’un livre (je dis ça car il dispose aujourd’hui, au musée des Offices où il est en exposition, d’un cadre doré assez tape-à-l’oeil qui fausse complètement la forme initiale de l’objet et que vous pouvez d’ailleurs voir ci-dessus)… Ainsi, une fois refermé, les deux portraits se touchaient, s’embrassaient. Une façon symbolique de sceller leur amour, leur union d’autant plus que dépliées aussi, les peintures leur permettent de se regarder à jamais.

Le Duc ne se remariera jamais. Ce qui était très peu courant pour l’époque. Pas même pour donner une nouvelle mère à son fils.

Plus glauque : le Duc a ici été peint de son vivant mais ce n’est pas le cas de la Duchesse, qui était déjà décédée. Ainsi, on ne peut que constater la pâleur excessive de son visage (et ce même si le maquillage de l’époque voulait que le visage des femmes soit poudré à outrance). Le Duc fait face au cadavre de sa femme. Une femme a qui on a fait revêtir une coiffure de mariage (et oui, il y avait des coiffures spécifiques pour chaque occasion ou presque, à l’époque, mais je reviendrai peut-être là-dessus une autre fois).

Voilà. Dernière anecdote : à l’arrière de ces deux panneaux, on peut voir deux autres peintures (voir ci-dessous), représentant encore le Duc et la Duchesse, sur deux chars de triomphe allant à la rencontre l’un de l’autre. Ils sont entourés d’allégories diverses (par exemple, la Justice et d’autres). C’est sur ces peintures que l’on peut le mieux constater à quel point la Duchesse a bel et bien l’air morte. Son teint est livide et elle peut sembler effrayante. Son char est d’ailleurs tiré par des animaux fantastiques, contrairement à celui de son époux. Quant au Duc… il est présenté, cette fois, fièrement vêtu de son armure et son profil est celui de son œil énucléé. Et c’est souvent cette partie du tableau et ce genre de détails qui attirent le plus de spectateurs.

Bref…
Joyeuse Saint Valentin :)

Portraits of Federico da Montefeltro and His Wife Battista Sforza (reverse sides)

Piero della Francesca
Portraits of Federico da Montefeltro and His Wife Battista Sforza
(reverse side)
Tempera on panel, 47 x 33 cm (each)
1465-1466

(cliquez pour agrandir)