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Les dessous de Palmyre

Depuis quelques mois, il se passe rarement très longtemps sans que nous n’entendions parler de l’EI : l’État Islamique, appelé Daesh en arabe, qui fait trembler le monde entier mais fait surtout régulièrement la Une de nos journaux. Ils sont notamment connus pour avoir détruit de nombreuses œuvres aux valeurs patrimoniale et culturelle inestimables.
Pourtant, seriez-vous capables d’expliquer à qui que ce soit ce qui se passe à Palmyre, par exemple ? Savez-vous seulement ce qu’est Palmyre ? C’est pourtant l’un des principaux lieux d’exaction de l’EI, actuellement.

Aujourd’hui, nous allons essayer de résumer les choses. L’objectif est de vous éclairer sur le pourquoi du comment de la destruction du patrimoine culturel et artistique à laquelle s’adonne l’EI. Nous allons essayer d’y voir plus clair. Et je vais essayer de ne pas y aller de ma petite larme ou de m’énerver toute seule, parce que c’est un sujet qui me touche beaucoup et qui me tient particulièrement à cœur. Le cas de Palmyre va nous permettre de revenir, également, sur d’autres pillages et destructions orchestrés par ces djihadistes. Aussi, sachez dès à présent que la plupart des œuvres dont il sera question dans cet article n’existent déjà plus…


Sommaire de l’article :

Palmyre, c’est où, c’est quoi ?
L’Etat Islamique ? Daesh ? Quesako ?
Pour comprendre le cas de Palmyre, comprendre le cas de la Syrie
La Syrie : un pays qu’ils tentent de fuir…
Que se passe-t-il à Palmyre ?
Mais à qui profite le crime ?


Palmyre, c’est où, c’est quoi ?

Palmyre (Tadmor ou Tudmur, aujourd’hui) se trouve en Syrie, au nord-est de Damas, la Capitale du pays. C’est une oasis, aux allures de ville des sables (je vous laisse en juger à travers la photo ci-dessous), qui abrite (ou abritait…) les ruines d’une ville « qui fut l’un des plus importants foyers culturels du monde antique » (Source: UNESCO).  Avant le début des conflits, cette ville vivait principalement du tourisme. Aujourd’hui, bien sûr, en l’état actuel des choses, cela n’est plus envisageable.

Vue de la ville de Tadmor, anciennement Palmyre, Syrie, 2010.
Vue de la ville de Tadmor, anciennement Palmyre, Syrie, 2010.
Carte de la Syrie.
Carte de la Syrie. (Source)

Palmyre existait déjà au IIe siècle avant J.C. C’était « une oasis caravanière établie lorsqu’elle entra sous contrôle romain dans la première moitié du Ier siècle et fut rattachée à la province romaine de Syrie. » C’est pour cette raison que « l’art et l’architecture de Palmyre allièrent aux Ier et IIe siècles les techniques gréco-romaines aux traditions locales et aux influences de la Perse. » Un vrai trésor archéologique, donc, résultat du mariage de plusieurs grandes civilisations antiques. On trouve notamment à Palmyre les vestiges d’un aqueduc romain ou encore d’un théâtre. Là où la plupart des occidentaux pensent donc qu’il s’agit d’une cité lointaine et sans grande importance, à leurs yeux, il s’agit en fait du symbole d’un héritage commun.

Je vais utiliser une métaphore un peu tirée par les cheveux mais qui devrait vous aider à voir à quel point la situation est grave : imaginez un instant l’Allemagne qui, en raison de la Crise, irait détruire le Parthénon pour asseoir sa domination sur la Grèce, effaçant ainsi les traces du glorieux passé de la cité antique ; ce qui se passe à Palmyre, c’est un peu ça, mais pour des raisons religieuses et politiques à la fois.

L’Etat Islamique s’est emparé de la ville en mai dernier. Au total, des centaines de personnes, comprenant à la fois des combattants de l’EI, des soldats de l’Etat Syrien ainsi que des civils, et notamment des enfants, ont péri uniquement au cours de la prise de Palmyre. Le 18 mai dernier, le journal Le Parisien estimait que « depuis le début le 13 mai (à peine quelques jours plus tôt, donc !) de l’offensive jihadiste pour prendre Palmyre, près de 370 personnes [avaient] péri, en majorité des combattants des deux bords. Ce bilan [incluait] aussi 62 civils, dont des enfants,  [avait] indiqué l’ONG syrienne. » (Source) Des chiffres effarants !

L’Etat Islamique ? Daesh ? Quesako ?

Vous allez me dire, ok, bon, mais ce que nous avons surtout du mal à bien comprendre, c’est ce qu’est l’Etat Islamique. Est-ce que c’est un groupe terroriste ? Est-ce que ça a un rapport avec les attentats de Charlie Hebdo ? Quelle différence avec Daesh ou Al Qaïda ? Vous allez voir que tout n’est question que de terminologie. Une terminologie qui est souvent utilisée de façon un peu trouble parce qu’elle peut s’avérer assez complexe tant les distinctions sont parfois floues. Saviez-vous, par exemple, que Daesh et l’Etat Islamique sont une seule et même entité ? Daesh est simplement l’acronyme, en arabe, de l’État Islamique.

Pour que vous puissiez y voir plus clair, je vais me permettre de reprendre les définitions données par le journal Mon Quotidien, suite aux attentats de Paris et l’attaque de Charlie Hebdo. C’est un petit journal pour les enfants (j’étais d’ailleurs abonnée, étant gamine, et je me dis, maintenant, que j’aurais été bien inspirée de garder tous mes vieux exemplaires…) mais les définitions qu’ils donnaient avaient l’avantage, du coup, d’être relativement courtes, simples et faciles à retenir ou, tout du moins, à comprendre.
Je vous invite d’ailleurs à télécharger le PDF de cette édition du journal, qui fut un peu particulière, forcément (notamment parce que Charb dessinait pour ce journal également, en plus de Charlie Hebdo), et qui avait donc été publiée gratuitement sur internet pour que chacun puisse y avoir accès facilement.

Voici les fameuses définitions que j’ai essayé de classer de manière à ce qu’elles fassent sens, les unes par rapport aux autres :

Des définitions pour ne pas tout confondre
Islam : Religion des musulmans. Leur livre sacré s’appelle le Coran. Leurs chefs de prière sont les imams. Les musulmans croyants doivent respecter 5 obligations, les 5 piliers de l’islam :

  • Prononcer la chahada. Ils s’engagent à croire en Allah et à reconnaître que Mahomet est son prophète. C’est ce qu’on appelle faire sa profession de foi.
  • Faire 5 prières par jour en direction de La Mecque, située en Arabie saoudite (Asie) (lire plus bas).
  • Faire le ramadan (le 9e mois du calendrier musulman), c’est-à-dire ne pas manger ni boire du lever au coucher du soleil.
  • Donner une partie de ce qu’ils possèdent (ex. : argent) aux pauvres.
  • Voyager jusqu’au lieu sacré de La Mecque. On appelle ce pèlerinage le hadj. S’ils ont assez d’argent et s’ils sont en bonne santé, les croyants doivent le faire au moins une fois dans leur vie.

Selon les règles de l’islam, il est interdit de manger du porc et de boire de l’alcool.

Etat islamique ou Daesh : Appelé Daesh, en arabe, ce groupe djihadiste a pris le contrôle d’une partie des territoires de l’Irak et de la Syrie (Asie), 2 pays en guerre civile (où des gens du même pays se battent entre eux). Dans une vidéo publiée après sa mort, le terroriste Amedy Coulibaly dit appartenir au groupe Etat islamique.

Al-Qaïda : Organisation terroriste responsable des attaques du 11 septembre 2001 aux États-Unis (Amérique). Son ancien chef, Oussama Ben Laden, a été tué en 2011. En Afrique, un groupe d’Al-Qaïda (appelé AQMI) a pris plusieurs fois des Français en otages. L’un des frères Kouachi a dit qu’il avait été entraîné par Al-Qaïda.

Islamiste : Musulman qui se bat pour imposer une religion islamique très stricte dans des pays. Certains islamistes veulent atteindre ce but en faisant des discours, d’autres (les islamistes « radicaux »), en commettant des actes terroristes.

Djihadiste : Combattant qui mène une guerre au nom de l’islam, pour répandre cette religion dans le plus grand nombre de pays, en menant des actions violentes. Les frères Kouachi et Amedy Coulibaly étaient des djihadistes.

Talibans : Nom donné aux islamistes radicaux vivant au Pakistan et en Afghanistan (Asie). Leur nom signifie « étudiant » ou « chercheur ». Ce sont des religieux fanatiques : ils veulent imposer leurs idées à tout prix, en tuant et en punissant ceux qui ne sont pas d’accord avec eux.

Extrémiste : Personne qui a des idées extrêmes (politiques, religieuses…). Ce mot est presque synonyme de radical, qui signifie « ayant des opinions avec lesquelles tout le monde doit être d’accord ». Mais il n’est pas synonyme de fanatique. Un fanatique est une personne capable de faire n’importe quoi pour faire reconnaître ses idées (souvent religieuses). Les frères Kouachi et Amedy Coulibaly étaient radicaux, extrémistes et fanatiques.

Fondamentaliste : Personne pour qui la religion doit être appliquée comme à ses origines, à ses fondements (sa création). Un fondamentaliste refuse d’intégrer les évolutions (les changements) de la vie moderne. Ce mot est presque synonyme d’intégriste, désignant un croyant, qui au nom du respect absolu de la tradition (des habitudes anciennes), refuse toute évolution. Le groupe État islamique applique de manière très stricte la charia (règles de vie issues du Coran), refuse la laïcité, impose aux femmes de sortir en voile intégral… Il est donc fondamentaliste.

Intégrisme : Attitude qui vise à refuser toute évolution des croyances. S’applique à des croyants qui appliquent de façon stricte ce que disent tous les textes religieux.

Amalgame : Faire un amalgame, c’est tout mélanger, confondre des mots et croire qu’ils ont le même sens. Ex. : utiliser les mots « musulmans » et « islamistes » pour dire la même chose. Ces mots n’ont rien à voir. L’islam est une religion dont les croyants sont les musulmans. L’islamisme est une façon de se servir de cette religion pour faire de la politique. Les islamistes veulent appliquer de façon stricte la charia (règles de vie issues du Coran). Les terroristes islamistes utilisent la violence pour imposer leurs idées.

Vous noterez que j’ai délibérément choisi d’ajouter la définition du mot « amalgame » dans cette liste. En effet, des amalgames, beaucoup de gens en font, sur le sujet. Combien de fois ai-je pu lire que tous les musulmans étaient islamistes, par exemple ? Ce qui est aberrant.

Mais si amalgame il y a, c’est aussi parce que des pays comme la France connaissent également une montée de leurs propres extrémismes, à l’heure actuelle. Certains partis politiques (ai-je vraiment besoin de les citer clairement ?) font la part belle à ces amalgames, mélangeant sciemment des termes qu’ils connaissent parfaitement, en ce qui les concerne, mais dont ils savent qu’ils sont complexes, proches, flous. C’est ainsi que naissent, dans l’esprit des gens, des idées fausses et que le racisme se déploie de façon dramatique. Ces partis politiques profitent de la crédulité des gens et de leur méconnaissance de sujets aussi complexes que celui-là.

Daesh n’est donc pas la seule forme d’extrémisme qu’il faut combattre, aujourd’hui. Les obscurantistes font aussi leur beurre dans nos contrées, à leur façon.

Pour comprendre le cas de Palmyre, comprendre le cas de la Syrie

Le but de l’EI ne serait pas de raser la ville actuelle de Palmyre (appelée Tadmor ou Tudmur) mais de supprimer, d’effacer les icônes religieuses et culturelles du passé. Il s’agit, nous l’imaginons bien, d’asseoir la domination totale de leur propre culte, l’Islam radical. L’EI instaure donc un mouvement iconoclaste et s’adonne au prosélytisme.

Pause précision
Acte iconoclaste (iconoclasme) : Action de détruire des images religieuses (des icônes), généralement dans un but religieux ou politique. L’iconoclasme est une forme de vandalisme plus radical. Durant la Révolution Française, on a pu assister à des actes iconoclastes. De même, au XVIe siècle, les Protestants se sont également adonnés à des actions iconoclastes, visant à détruire les icônes chrétiennes. Prosélytisme : Fait de tout faire pour convaincre un maximum de personnes de penser comme soi. Dans les écoles françaises, les signes religieux ostensibles, c’est-à-dire montrant une religion de manière voyante (par exemple, une croix chez les chrétiens, un foulard chez les musulmans, une kippa (sorte de bonnet) chez les juifs…) sont interdits. (Source)

Mais avant d’entrer plus en détails sur ce qui se passe à Palmyre, essayons de comprendre ce qui se passe en Syrie, plus globalement.

L’EI prétend aussi lutter contre le pouvoir en place en Syrie, à savoir celui de Bachar el-Assad, actuel président de la République arabe syrienne. Une république qui n’en a que le nom et qui n’est, en tout cas, pas des plus démocratiques. On sait, par exemple, que certains opposant au pouvoir en place ont été emprisonnés et tués. Leur tord était de ne pas partager les idées du gouvernement de Bachar el-Assad. En février 2012, l’armée syrienne (autrement dit, celle de Bachar el-Assad) avait bombardé la ville de Homs, faisant 12 morts et plus de 100 blessés, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. L’armée visait le quartier sunnite de Baba Amro, tenu par les insurgés (les opposants) contre le régime de Bachar el-Assad.

Certains journaux, comme Libération, n’hésitent donc pas à comparer l’Etat Islamique et Bachar el-Assad à une hydre à deux têtes, parlant des « deux têtes du serpent » (Source). Une façon de dénoncer la gestion dictatoriale du pays par l’actuel Président. Entre une dictature et une autre, ce serait, malheureusement, bonnet blanc et blanc bonnet pour les syriens…

En septembre 2014, le Président François Hollande avait lui-même reconnu clairement cet état de fait. Lors de la Conférence de presse du sommet de l’OTAN à Newport, il avait déclaré :

guillemet« Il ne peut pas être, pour la France, concevable d’avoir quelque action qui puisse être faite en lien avec le régime de Bachar EL-ASSAD parce qu’il ne peut pas y avoir de choix entre une dictature de terreur et une terreur qui veut imposer sa dictature. »

(Source)

Pause précision
République : Pays dans lequel la loi doit être respectée par tous et dont le président est élu (ce n’est pas un roi). La République française est « une et indivisible » (premier article de la Constitution). Explication : être français, c’est une nationalité. Cela n’a rien à voir avec ses opinions, sa couleur de peau, sa religion… (Source) Démocratie : Pays possédant une organisation politique dans laquelle le pouvoir est exercé par les représentants du peuple, élus par les citoyens. En démocratie, des libertés individuelles (personnelles) et collectives (de groupe) sont garanties aux citoyens (ex. : liberté d’association, liberté d’expression…). La France est une démocratie, car les citoyens peuvent élire leur président, leurs députés… et qu’ils ont des droits. (Source)

Toutefois, dans le même article, le journal Libération rappelle aussi que malgré les belles paroles, il aura fallu un temps considérable aux occidentaux, et notamment à la France et aux États-Unis, pour considérer vraiment les appels à l’aide des syriens :

guillemet« Voilà plus de trois ans que les Syriens appellent à l’aide pour que s’arrête le massacre déclenché par le régime brutal de Bachar al-Assad. Plus de trois ans que les opposants syriens et tous ceux qui luttent pour le droit des peuples s’égosillent à alerter sur le risque qu’il y a à laisser une population aux prises avec la barbarie sans réagir. Ils ont aussi alerté sur ces groupes d’un autre âge qui s’implantaient en Syrie et qui rapidement n’ont plus combattu le régime pour cibler l’opposition, faisant des milliers de morts dans ses rangs. Ils ont crié dans le désert. »

(Source)

Dans le Figaro, on a pu lire que la France et les Etats-Unis n’avaient pas agi pour ne pas donner l’impression de soutenir le régime de Bachar el-Assad (Source). Mais quelle qu’est été la raison, le résultat fut le même : personne n’est venu en aide à la Syrie en temps et en heure, laissant l’EI s’emparer du pays. « Nous avons donc tout loisir d’agir en Irak mais pas en Syrie. (…) Est-ce à dire qu’il faut blanchir Bachar el-Assad ? Evidemment non. » Est-ce à dire qu’il fallait venir en aide à la Syrie, quitte à soutenir son dictateur de Président ? D’après ce même article du Figaro, apparemment, oui. Le journaliste atteint d’ailleurs le point Godwin, si caractéristique des articles de ce journal (oui, bon, j’avoue, je ne suis pas une grande fan du Figaro, vous l’aurez compris…), en donnant comme argument : « Comparaison n’est pas raison, mais il est permis de se rappeler que Churchill connaissait parfaitement les crimes de Staline, ce qui ne l’a pas empêché de rechercher à tout prix une alliance avec lui contre Hitler. »
Pour le journal Le Point, la solution est beaucoup moins simple :  » Le président syrien a participé à l’essor du djihadisme en Syrie pour mieux apparaître aux yeux de l’Occident comme un rempart contre le chaos. » (Source) Par conséquent, comment accepter de soutenir l’État Syrien ? La gravité des actes de l’EI aura sûrement raison de tous ces questionnements moraux et diplomatiques mais il y aura eu nombre de morts et de destructions, en attendant.

La Syrie : un pays qu’ils tentent de fuir…

Les victimes, dans tout cela, sont toujours les civils. Des civils qui essayent tant bien que mal d’échapper à cette guerre dévastatrice.

Actuellement, c’est le cas du petit Aylan Kurdi, âgé de seulement trois ans, et retrouvé mort sur une plage suite au naufrage de son embarcation, qui fait couler beaucoup d’encre. Le petit garçon et d’autres membres de sa famille sont morts noyés en voulant fuir la Syrie. La photo du petit corps sans vie a fait le tour du web et des journaux avec un manque de pudeur ahurissant (d’ailleurs, je ne posterai pas cette photo ici, question de principe, si vous êtes à la recherche de scènes morbides ou que vous manquez de sensations fortes, allez voir ailleurs) : nous montre-t-on cette image pour nous sensibiliser, nous pousser à nous sentir coupable (de quoi ? Y peut-on seulement quelque chose, en tant que monsieur et madame tout-le-monde ?) ou pour faire grimper l’audimat ? Nous avons déjà droit aux premiers articles titrant « Pourquoi il nous fallait diffuser l’image de l’enfant syrien » (Source). Preuve que certains médias se rendent parfaitement compte que sa diffusion pose problème et tentent de trouver de bonnes justifications pour le faire quand même (et pourtant, je lis Konbini régulièrement, par exemple, et leur prétendu plaidoyer me dérange d’autant plus)

Résultat, pas un clic sur Twitter ou Facebook ce 3 septembre sans tomber nez-à-nez avec ce cliché. Mais bon, ça n’est pas comme si ces plateformes pullulaient de membres mineurs pouvant être potentiellement choqués par cette image… Ce à quoi on me répondra sans doute que c’était pour les sensibiliser ou, plus fort encore, pour les informer (comprenez bien que j’ironise parce que ce prétendu journalisme m’exaspère). Seule l’horreur serait donc encore capable de nous émouvoir ou nous pousser à agir ? C’est, en tout cas, ce que semblent penser les médias. Belle foi en l’humanité que voilà.

Au même moment, les pays de l’Europe, et notamment la France, polémiquent sans cesse sur le cas des migrants, qui viendraient soi-disant voler leur pain… Le cas de Calais, en particulier, fait beaucoup parler de lui. Mais, il y a peu, nous entendions surtout parler de l’inefficacité de l’Europe à gérer les nombreux naufrages aux portes de l’Union (à Lampedusa, Catane, etc). Et dans l’Hexagone, ce sont encore une fois les politiques d’un certain parti obscurantiste que nous retrouvons en première ligne pour accuser ces personnes, fuyant la guerre, de tous les maux de la terre et multiplier, une fois de plus, les amalgames en tout genre. Ces politiques n’auraient-ils pas mieux fait de polémiquer pour que ce genre de drame n’arrive pas ? Encore faudrait-il qu’ils considèrent ces personnes comme des êtres humains à part entière. Je doute vraiment que ce soit toujours le cas étant donné le racisme qu’ils nourrissent et répandent sur leur passage.

Couvertures de L'Obs intitulées "J'ai été migrant(e)".
Couvertures de L’Obs intitulées « J’ai été migrant(e) ».

Dernier exemple en date : suite à la parution du nouveau numéro de l’Obs, ce 3 septembre, le Hashtag #JaiEteMigrant s’est retrouvé classé en tête des sujets les plus discutés sur Twitter. En Une du magazine, ce jour-là, on retrouvait des témoignages de migrants, aux expériences toutes différentes mais qui avaient tous réussi à s’intégrer. Leur portrait était toujours intitulé « J’ai été migrant(e) » (voir les couvertures, ci-dessus).
L’initiative voulait apporter un autre regard sur le cas de ces personnes, des gens comme vous et moi, contraints de quitter leur pays d’origine pour diverses raisons.
Une initiative que Marine Le Pen en personne (ou plutôt, derrière l’écran de son ordinateur… avec l’aide d’un community manager auquel elle a probablement dicté ses mots…) a presque aussitôt cherché à combattre avec une bassesse qu’elle n’a pas même pris la peine de dissimuler. Ainsi, alors que le Hashtag #JaiEtéMigrant générait des milliers de témoignages et de réactions positives, elle lança #JeVeuxResterFrançaisEnFrance. Ce second Hashtag sera, ce soir-là sur Twitter, le lieu de tous les débordements xénophobes possibles…

Parallèlement à cela, la réacosphère, comme on la surnomme parfois (contraction des mots « réactionnaire » et « sphère »), a aussi lancé sa propre offensive suite à la publication de la photographie du petit garçon syrien mort. Après avoir tenté de plaider la conspiration gouvernementale, avec un sens de la paranoïa finement étudié, ces « français de souche » et autres « riposte laïque » (noms de leurs groupes de ralliement ou de leurs sites de soi-disant « information ») n’ont pas hésité à ressortir toutes sortes de photographies pour tenter de démontrer que toute l’horreur de cette scène n’était finalement « pas si horrible que ça ». Il s’agissait souvent de photos qui n’avaient rien à voir avec ce qui était dit à leur sujet. Des hoax (des canulars, en français), ni plus ni moins, de la manipulation d’images à caractère xénophobe, de manière à orienter l’opinion publique contre les migrants. Le journal Le Monde a réalisé un rapide point sur ces mensonges en série auxquels nous habituent depuis longtemps ces internautes décidément dénués de toute intégrité. Je vous invite à y jeter un œil pour ne pas vous laisser berner si vous ne connaissez pas encore leurs méthodes plus que douteuses.

Le seul point positif, finalement, à la mort tragique du petit Aylan (si on peut le dire ainsi…), est la prise de conscience qui semble avoir frappé certaines personnes. Qu’il s’agisse de concitoyens lambda comme de nos politiques eux-mêmes. Il semblerait que les règles d’accueil des réfugiés s’assouplissent un peu, voire que certains pays ouvrent enfin leurs frontières jusqu’alors quasi-hermétiques. Affaire à suivre…

Que se passe-t-il à Palmyre ?

Palmyre n’est pas le premier site historique auquel s’attaque l’EI. En Irak, par exemple, d’autres sites ont aussi subit des dégâts inestimables. Mais les chiffres sont bien plus inquiétants : selon un rapport de l’Organisation des Nations Unies, depuis le début du conflit en Syrie il y a quatre ans, plus de 300 sites du patrimoine historique du pays ont été endommagés ou détruits. Ça n’est d’ailleurs même pas une première, pour Palmyre, puisqu’un rapport de l’UNESCO décrit des « destruction et dommages, (des) fouilles illégales et pillages dus au conflit armé depuis mars 2011 » (Source).

Ce même rapport fait d’ailleurs état de différentes destructions et vols perpétrés à Palmyre depuis 2011. Mais il signale aussi que, malgré des mesures de sécurités accrues, certaines œuvres ne pouvaient être déplacées du fait de leur taille, de leur poids, ou de leur fragilité, tout simplement. C’est le cas du Dieu-Lion, aussi appelé Lion de Palmyre ou d’Athéna, qui se trouvait à l’entrée du musée de la ville. Entre la rédaction de ce rapport et aujourd’hui, il semble que ce Lion sculpté, vieux de 1900 ans (Ier siècle av. J.C.), ait été détruit…

Il mesurait 3,5 mètres et pesait pas moins de 15 tonnes. De ce fait, il n’avait, bien sûr, pas pu être mis à l’abri, si ce n’est sous une plaque de fer et des sacs de sable, de manière à lui permettre d’être au moins épargné par les bombardements. Il n’avait été redécouvert qu’en 1977 et était une pièce unique. N’en reste que des photographies…
Ironie du sort, ce lion était l’attribut de la déesse Al-Lat, une déesse protectrice (des animaux sauvages, notamment, comme l’indique le fait que le lion protégeait une antilope).
Le lion aurait été, selon les témoignages et des vidéos ayant été diffusées par l’EI, détruit à coups de marteaux. A l’époque, le chef des forces de l’Etat Islamique à Palmyre, Abou Leith al-Saoudi, déclare qu’aucun autre dommage ne sera causé à la ville antique et que seule les anciennes statues, « que les mécréants adoraient auparavant » (les mécréants sont les non-musulmans) seront détruites (Source). Nous savons aujourd’hui que tout cela n’était que vaines promesses.

Le Dieu-Lion aurait été détruit à l'aide de machines de chantier. Il avait 1900 ans. (Source)
Le Dieu-Lion aurait été détruit à l’aide de machines de chantier. Il avait 1900 ans. Voici à quoi il ressemblait encore en 2010. (Source)

En effet, le 23 août, l’EI est allé encore plus loin en diffusant les images de la destruction du temple Baalshamin, dieu phénicien des Cieux, construit en 17 ap. J.C. et qui était l’un des monuments les mieux conservés du site de Palmyre. Des images choquantes qui nous montrent, ni plus ni moins, un vestige de l’Humanité partant en poussière.

Le temple de Baalshamin avant sa destruction.
Le temple de Baalshamin avant sa destruction.
Destruction du temple de Baalshamin...
Destruction du temple de Baalshamin…

Quelques jours plus tard, un satellite français survole la zone de manière à estimer les dégâts. Les photographies prises du ciel ne sauraient être plus claires : il ne reste aujourd’hui plus rien du temple.

Avant la destruction du temple, en mai 2015, et après sa destruction en août 2015. (Source)
Avant la destruction du temple, en mai 2015, et après sa destruction en août 2015. (Source)

Avec un même sens de la mise en scène, Daesh s’en était déjà pris au monastère chrétien Deir Mar Elian el-Cheikh (ou monastère de Mar Elian, en français monastère de Saint-Julien l’Ancien) le 21 août. Là encore, le bâtiment, situé à Qaryatayn, entre Homs, Damas et Palmyre, a été entièrement rasé. De plus, le père Jacques Mourad, en charge du monastère, avait été enlevé par des hommes armés en mai dernier. Aucune nouvelle n’a été donnée à son sujet depuis cette date.

Le père Jacques Mourad en 2014.
Le père Jacques Mourad en 2014.

Sur le site du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement-Terre Solidaire (ccfd-terre solidaire), une ONG française luttant contre la faim dans le monde, on nous explique que le père Jacques Mourad travaillait pourtant au service de « toute la population », sans distinction de religion :

guillemet« Dans l’esprit de la communauté favorisant le dialogue interreligieux, le père Mourad s’est attaché à mettre le monastère de Mar Elian au service de toute la population, chrétienne et musulmane, et en particulier dans l’accueil des déplacés.
Entre novembre 2013 et février 2014, plus de 4000 personnes originaires de Qaryatayn et des villages alentours, sont venues trouver refuge la nuit au monastère. Une cinquantaine de familles avec une centaine d’enfants sont aussi restées en permanence pendant trois mois : « Ils dormaient dans la bibliothèque, le salon, partout où il y avait un peu de place », raconte le père Jihad, basé au monastère de Mar Moussa, qui lui rendait souvent visite et travaillait avec lui. Des jumeaux sont mêmes nés au monastère. »

(Source)

Le monastère de Mar Elian avant sa destruction par Daesh.
Le monastère de Mar Elian avant sa destruction par Daesh.

Une semaine après la destruction du Temple de Baalshamin, l’EI s’en prend au Temple de Baal (on trouve aussi Temple de Bel ou de Bêl) son illustre voisin avec lequel on avait l’habitude de le confondre. Construit au Ier siècle (32 ap. J.C.), il était de style gréco-romain. Il avait été, au cours de son histoire, transformé en lieu de culte chrétien. Mais il n’avait, jusqu’à aujourd’hui, subit que des transformations mineures et avait conservé sa structure globale. Preuve, qu’un jour, une cohabitation des cultes avait bien été possible…

A son sujet, le directeur des antiquités et du patrimoine en Syrie, M. Abdulkarim, disait :

guillemet« Il allie de manière unique l’art oriental et l’art gréco-romain. Il possède encore tous les attributs du temple antique : l’autel, le bassin, les colonnes. Avec Baalbeck au Liban, c’est le plus beau temple du Moyen-Orient. »

(Source)

Photo du Temple de Baal (ou de Bel) avant sa destruction, Palmyre, Syrie, 2010.
Photo du Temple de Baal (ou de Bel) avant sa destruction, Palmyre, Syrie, 2010.
Vue satellite du Temple de Bel avant et après sa destruction.
Vue satellite du Temple de Bel avant et après sa destruction.

Malheureusement, comme nous l’avons vu, Daesh ne s’en prend pas seulement aux vieilles pierres. Le mardi 18 août, c’est le directeur des Antiquité de Palmyre de 1963 à 2003, Khaled al-Assaad, qui est tué, à l’âge de 82 ans : il est décapité en public. Son corps sera même pendu par les pieds sur les colonnes de Palmyre qu’il avait lui même restaurées…

Khaled al-Assaad devant un sarcophage du Ier siècle exposé dans la fameuse ville antique. (Getty Images - Source)
Khaled al-Assaad devant un sarcophage du Ier siècle exposé dans la fameuse ville antique. (Getty Images – Source)

L’homme était très attaché à cette ville puisqu’il y était né. Il avait ainsi bataillé toute sa vie pour que le site archéologique soit connu, reconnu et protégé. Il avait, notamment, refusé de quitter sa ville natale alors que l’EI venait de l’envahir. Il tenait à mettre à l’abri un maximum de vestiges et d’œuvres d’art, et à rester auprès des objets ne pouvant pas être déplacés. Un choix qui lui fut fatal (Source).

guillemet« Une pancarte suspendue à la dépouille donne les prétendues raisons de son supplice : son soutien au régime de Bachar el-Assad et sa dévotion pour les idoles. D’une part, l’EI prétend en effet lutter contre le régime syrien, et la lecture aveugle du Coran, prônée notamment par les djihadistes, proscrit l’intérêt et la conservation des reliques du passé. Il y aurait une autre raison plus prosaïque à l’enlèvement de Khaled al-Assaad : pensant qu’il avait enterré de l’or, les djihadistes ont voulu lui faire avouer ses cachettes. »

(Source)

Il semble, toutefois, qu’avant son décès, l’homme ait réussi à sauver de nombreuses œuvres en les envoyant à Damas. Nous lui devrons donc, indubitablement, la sauvegarde d’un patrimoine inestimable, en dépit des nombreuses pertes et, plus tragique encore, de son meurtre scandaleux et inexcusable.

Toutes ces exactions ne semblent jamais finir et au moment où j’écris ces lignes, j’ai peur qu’une autre mauvaise nouvelle ne tombe et que je doive encore rallonger ce triste article…

Mais à qui profite le crime ?

A première vue, on serait tenté de répondre qu’il profite essentiellement à Daesh. Mais n’est-il question que d’iconoclasme fanatique, dans cette histoire ? Non. La réalité est bien plus complexe.

Premièrement, Daesh n’a certainement pas décidé de prendre la ville de Palmyre dans l’unique but d’atteindre son site archéologique. La ville est d’abord un point stratégique géographiquement parlant : c’est un point qui se trouve sur la route de Homs et de Damas, deux villes que l’EI espèrent bien conquérir également.

Deuxièmement, à Palmyre, se trouve un aéroport militaire. Ce qui veut dire que s’y trouvaient également des armes. En pleine guerre, l’EI avait tout intérêt à mettre la main dessus, comme il l’a déjà fait dans de précédents cas.

Enfin, il se trouve une fameuse prison syrienne dans cette ville. Une prison connue pour être l’une des plus dures du monde, où des prisonniers politiques seraient retenus mais auraient aussi été torturés, voire exécutés depuis des décennies par le régime en place mais aussi par le précédent, celui du père de Bachar el-Assad. Or, Daesh a délibérément choisi de libérer des prisonniers de cette prison et, notamment, des chrétiens libanais. Un geste symboliquement fort. Dans quel but ? Faire en sorte que leur aura sur la population augmente. En effet, être craint, c’est bien, mais pour convaincre réellement et durablement, être aimé, c’est mieux. Et, surtout, cela peut vous prémunir des révoltes. Vous vous lèveriez, prêt à en découdre, face à un gouvernement que vous estimeriez honnête et bon, vous ?

Avant de prendre le contrôle de la ville, l’EI s’est également emparé de deux champs gaziers aux alentours : celui d’Arak et celui d’Al-Hél. Ces champs étaient importants pour le gouvernement de Bachar al-Assad car, depuis qu’il était privé des champs gaziers de l’est de la Syrie, il utilisait le gaz en provenance de ces points pour alimenter les régions encore sous son contrôle.

Mais la réalité devient plus engageante encore lorsque l’on prend conscience que Daesh ne profite pas seul de sa prise de contrôle sur Palmyre ou d’autres villes de ce genre. Car si l’EI détruit beaucoup de choses, ils pillent aussi. Et ce, dans le but de revendre le butin. Ainsi, un marché noir qui s’étend jusqu’en Occident s’est développé autour de cette guerre : ce sont de riches collectionneurs européens et américains qui achètent les œuvres volées, vandalisées par les islamistes. Ils alimentent ainsi le marché parallèle illicite des antiquités et profitent de la guerre en cours. Dérangeant ? Révoltant ? A qui le dites-vous !

Carte indiquant les lieux détruits ou pillés, ainsi que les trajets liés aux trafics.
Carte indiquant les lieux détruits ou pillés, ainsi que les trajets liés aux trafics.

Dans l’Express, on nous explique que des œuvres volées à Palmyre ou ailleurs en Syrie sont déjà dans des pays voisins et certaines pourraient déjà se trouver en Europe ou ailleurs dans le monde.

guillemet« Les Libanais ont récemment intercepté des bas-reliefs de Palmyre vendus au marché noir, tandis qu’un objet du musée de Raqqa a été retrouvé il y a peu en Turquie grâce à son numéro d’inventaire. Les douanes suisses ont eu l’occasion de saisir quelques objets de petites dimensions, des statuettes, des céramiques, des lampes à huile, des jarres, des parures, des fragments que les revendeurs écoulent, via les réseaux du grand banditisme. »

(Source)

 Or, même si la revente d’objets d’art volés n’est pas forcément une mince affaire (il existe de nombreuses façons de tracer un objet d’art et les musées ou les galeries « sérieuses » se méfient d’autant plus en cas de guerre), d’après la CIA, « la contrebande d’antiquités aurait déjà rapporté à l’organisation islamique entre 6 et 8 milliards de dollars » (Source).  Une véritable source de revenus pour Daesh qui sert, probablement, à financer l’armement et le recrutement.
Mais d’après Télérama, qui a interrogé France Desmarais, directrice des programmes et des partenariats de l’Icom (Conseil international des musées) et Edouard Planche, chargé de la lutte contre le trafic illicite de biens culturels à l’Unesco, il semble aussi que les objets volés pourraient être dissimulés un certain temps, de façon à ce que les choses se tassent. Ils auront ainsi la possibilité d’échapper à la vigilance accrue des musées et galeries qui, pour le moment, sont bien plus méfiants qu’à l’accoutumée :

« Dans quelques dizaines d’années, prévient France Desmarais, ces collectionneurs légueront leur trésor à des musées, qui risquent de se retrouver en possession d’œuvres volées sans forcément le savoir. » « Ou bien les pièces feront surface sur le marché à la faveur d’une revente ou d’une succession », complète Edouard Planche, qui souligne : « Les islamistes médiatisent leurs saccages dans une guerre de propagande. A nous de lancer la contre-offensive pour éviter qu’un jour des bustes de Palmyre figurent au catalogue de Sotheby’s ou de Christie’s. »

(Source)

Il est clair, en tout cas, que si l’EI parvient à revendre ainsi son butin, c’est qu’il existe des acheteurs prêts à payer le prix en toute connaissance de cause. On peut considérer ces personnes comme les financeurs de l’ombre des islamistes. « Les véritables destinataires du trafic sont les collectionneurs. Des passionnés parfois prêts à tout pour mettre la main sur une pièce rare », toujours d’après Télérama (Source). Si leur but premier peut être de mettre la main sur des objets rares, ils participent ainsi plus ou moins sciemment aux actions terroristes menées en Syrie, en Irak et ailleurs. Autant dire que les questionnements éthiques et moraux qui secouent l’Occident et dont plus parlions plus haut, concernant l’aide à apporter ou non au régime syrien, est clairement le dernier de leur problème. On peut donc penser que ces destructions et pillages sont loin d’être terminés, à Palmyre comme ailleurs.


Cet article vous a plu ? Il vous a aidé à y voir plus clair ? Ou pas du tout, au contraire ? Vous avez des questions, des remarques ? N’hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous ;)


Sources :
Céline Lussato, in NouvelObs, « Frapper sa propre monnaie : le pas de plus de Daech pour devenir un Etat » (01/09/2015)
NouvelObs, « Palmyre : Daech a bien rasé le temple de Bêl, « la perle du désert » » (01/09/2015)
Géraldine Meignan, in L’Express, « Trafic d’antiquités: l’ombre de Daech sur le marché de l’art », (28/08/2015)
Le Monde, « Destruction des vestiges de Palmyre : « La sauvagerie de l’EI est totale » »
Jéremy Billault, in Exponaute, « Syrie : quels sont les principaux monuments détruits par Daesh ? », (02/09/2015)
Juliette Bénabent, in Télérama, « Comment mettre fin au pillage d’œuvres d’art en Irak et en Syrie ? », (28/06/2015)

Le Cône d’Avanton : un objet pas banal !

Suis-je capable d’écrire un article sur un objet d’art dont je ne sais a priori rien, en dehors du fait qu’il m’a fait beaucoup rire la première fois que je l’ai vu ? Oui. Je l’avais promis, je le fais. (Poke les copains de Twitter)

Non, l’art n’est pas ennuyeux. Et même quand il peut sembler poussiéreux au premier abord, il peut finalement s’avérer être très amusant. En témoigne cette… chose.

Cône d'Avanton Artefact datant de l'âge du bronze (v.2000 av. J.C. à 750 av. J.C.) Or. 53 cm de haut, 321 g. Découvert en 1844 à Avanton (Vienne) Saint-Germain-en-Laye, musée d’Archéologie nationale
Cône d’Avanton
Artefact datant de l’âge du bronze (v.2000 av. J.C. à 750 av. J.C.)
Or. 53 cm de haut, 321 g.
Découvert en 1844 à Avanton (Vienne)
Saint-Germain-en-Laye, musée d’Archéologie nationale

Non, ne niez pas : vous avez ri, je le sais. Parce que ce que vous venez de voir, d’imaginer, de comparer avec cet objet, je l’ai vu, imaginé, comparé avant vous (non, je n’ai pas l’esprit mal placé… si, en fait, carrément, mais vous aussi de toute façon).  Et il semble que nous ne soyons pas les seuls car les spécialistes ont longtemps cru que cet objet servait un culte lié à la fertilité. Je vous fais un dessin ?… Bon, ok : oui, on peut penser que c’est la forme phallique de ce très bel objet entièrement fait d’or qui a mené à imaginer cette première hypothèse. Pourtant l’hypothèse actuelle est beaucoup plus surprenante (en tout cas, moi, je n’y aurais JAMAIS pensé).

A quoi pouvait donc bien servir ce cône rituel ? Mais voyons, mais c’est bien sûr ! C’était un couvre-chef !… (je vous laisse digérer l’idée parce que j’ai cru que c’était une blague quand j’ai lu ça la première fois) Oui, cet objet serait ce qu’il nous reste d’un chapeau, d’une toque, d’une mitre, d’un machin haut-de-forme que les « prêtres » de l’époque portaient sur leur tête. Probablement au cours de cérémonie liées à un culte solaire. D’où la matière utilisée : l’or ; ainsi que les motifs représentés sur l’ensemble de l’objet, se rapportant à un culte solaire avéré à l’époque ; et la taille de l’objet qui pouvait symboliquement « viser » ou « s’élever » vers le ciel.
Vous me direz, du coup, ça reste relativement phallique quand même… Et un chouïa présomptueux (« Tu as vu comme mon gros cône doré est beau et haut, Dieu solaire ?! »).

guillemet« Le cône d’Avanton présente un décor constitué d’une succession de frises séparées par de fines cannelures. Son sommet porte des triangles disposés en étoile. L’objet est orné sur toute sa surface de motifs géométriques en relief, principalement circulaires et hémisphériques.

Les cercles concentriques, les spirales ou les roues sont reconnus comme des symboles solaires. Les hommes de l’âge du bronze d’Europe occidentale ne disposaient pas encore de l’écriture, et leur religion est difficile à appréhender par l’archéologie seule. Cependant leurs croyances devaient être fondées sur l’observation des phénomènes naturels comme la course du soleil à travers le ciel. Le soleil est lié au cycle du jour et de la nuit, aux saisons et au feu. Ce culte du soleil en Europe est d’ailleurs attesté par le char en bronze de Trundholm, découvert au Danemark, qui supporte un disque solaire recouvert d’une feuille d’or. L’or est inaltérable et d’un jaune brillant. Il fut spontanément associé à l’astre solaire. »  (Source)

Cône d'Avanton (détails) Artefact datant de l'âge du bronze (v.2000 av. J.C. à 750 av. J.C.) Or. 53 cm de haut, 321 g. Découvert en 1844 à Avanton (Vienne) Saint-Germain-en-Laye, musée d’Archéologie nationale
Cône d’Avanton (détails)
Artefact datant de l’âge du bronze (v.2000 av. J.C. à 750 av. J.C.)
Or. 53 cm de haut, 321 g.
Découvert en 1844 à Avanton (Vienne)
Saint-Germain-en-Laye, musée d’Archéologie nationale
Cône d'Avanton (détails) Artefact datant de l'âge du bronze (v.2000 av. J.C. à 750 av. J.C.) Or. 53 cm de haut, 321 g. Découvert en 1844 à Avanton (Vienne) Saint-Germain-en-Laye, musée d’Archéologie nationale
Cône d’Avanton (détails)
Artefact datant de l’âge du bronze (v.2000 av. J.C. à 750 av. J.C.)
Or. 53 cm de haut, 321 g.
Découvert en 1844 à Avanton (Vienne)
Saint-Germain-en-Laye, musée d’Archéologie nationale

Certes, la forme de ce cône peut aujourd’hui prêter à sourire. Cet objet n’en est pas moins le résultat d’une prouesse technique pour l’époque puisqu’il fut réalisé dans « une seule tôle d’or mise en forme sans soudure » et son épaisseur est « inférieure à un demi-milimètre ». (Source). Toutefois, le cône d’Avanton fut découvert en très mauvais état et dû être restauré.

A ce jour, les archéologues n’ont retrouvé que quatre cônes de ce genre dans le monde. Celui d’Avanton est le seul qui ait été retrouvé en France (à Avanton, donc, dans la Vienne, comme son nom l’indique). Cela laisse penser qu’il existait une communauté partageant un culte semblable dans ces régions d’Europe à l’époque.

Toutefois, le Cône d’Avanton, contrairement à ceux découverts en Allemagne, n’est pas complet : il manque, à sa base, une sorte de collerette. Or, « cette idée de chapeau relève d’une observation : la base élargie en collerette ovale des cônes allemands, partie que le cône d’Avanton a perdue, présente une ouverture de même taille que le tour de tête d’un homme adulte » (Source).

Dans l'ordre :  - Le cône de Schifferstadt (Allemagne), vers 1500-1250 av. J.C. - Le cône d'Avanton - Le cône de Berlin (vers 1000-800 av. J.C.) - Le cône d’Ezelsdorf (Allemagne) vers 1000-800 av. J.C.
Dans l’ordre :
– Le cône de Schifferstadt (Allemagne), vers 1500-1250 av. J.C.
– Le cône d’Avanton
– Le cône de Berlin (vers 1000-800 av. J.C.)
– Le cône d’Ezelsdorf (Allemagne) vers 1000-800 av. J.C.
Cône de Berlin Datant de 1000-800 av. J. C. Conservé au Musée de la Préhistoire et de Protohistoire de Berlin
Cône de Berlin
Datant de 1000-800 av. J. C.
Conservé au Musée de la Préhistoire et de Protohistoire de Berlin

Du coup, il est difficile de se représenter un chapeau à partir de l’observation du seul Cône d’Avanton. Même si je trouve, personnellement, que cela reste aussi difficile après avoir vu les autres… Je veux dire, arrêtez-vous deux secondes et imaginez-vous la scène : nous sommes en plein âge du bronze et des gars (bon, ok, pas le premier clampin du coin, mais quand même) portent des cônes comme celui-ci sur leur tête… On peut d’ailleurs imaginer qu’ils font ça avec le plus grand sérieux du monde, si cela se fait bien dans le cadre d’une cérémonie religieuse ou rituelle… Ca y’est ? Vous voyez un peu le ridicule de la chose ? (bon, je suis un peu méchante, j’avoue… bouarf, on peut bien se moquer un peu des religions, non ? NON BAISSEZ CETTE KALACH § J’AI MÊME PAS DE CRAYON §)

Ceci dit, lorsque c’est chose faite, je trouve cet objet non seulement encore plus amusant mais surtout plus intéressant qu’au point de départ. Pas vous ? (vous avez le droit de dire non, hein)


Cet article vous a plu ? Vous connaissiez le cône d’Avanton ? Pas du tout ? Il vous a amusé ? Non ? Dites-moi tout dans les commentaires, ci-dessous ;)

Sources :
Panorama de l’art : Le cône d’Avanton
Historique d’Avanton

Héliogabale : Enfant-roi, empereur de la décadence

Il y a des tableaux que l’on regarde avec un oeil neuf dès lors qu’on connaît l’histoire qui les a inspirés. Je vous avais déjà parlé du diptyque d’Urbino de Pierro della Francesca mais le tableau de Lawrence Alma-Tadema, intitulé Les roses d’Héliogabale est également de ceux-là. La première fois que je l’ai vu, je l’ai trouvé magnifique ; tous ces pétales de roses, le réalisme avec lequel la scène avait été peinte, les couleurs, le regard des personnages, le décor, la composition… Plus je le regardais, plus quelque chose me décontenançait. J’ai fini par découvrir de quoi il s’agissait en me renseignant sur le sujet que présentait le tableau : Héliogabale, l’empereur observant la scène, allongé bien en évidence au second plan.

Âmes sensibles s’abstenir. (vous ne pourrez pas dire que je ne vous ai pas prévenus)


Sommaire de l’article

Qui était Héliogabale ?
Héliogabale : véritablement décadent ou injustement jugé ?
Les roses d’Héliogabale : comment lire ce tableau ?
Les roses d’Héliogabale : fiction ou réalité ?


Lawrence Alma-Tadema, Les roses d’Héliogabale, 1888, 132x214cm, Collection privée, Mexico
Lawrence Alma-Tadema, Les roses d’Héliogabale, 1888, 132x214cm, Collection privée, Mexico

Qui était Héliogabale ?

Héliogabale ou Élagabal, détail issu de la peinture de Lawrence Alma-Tadema.
Héliogabale ou Élagabal, détail issu de la peinture de Lawrence Alma-Tadema.

Un nom solaire pour un homme obscur.

Héliogabale, Élagabal ou Marcus Aurelius Antoninus (son nom de règne) OU ENCORE Varius Avitus Bassianus (de son VRAI nom, parce qu’on faisait dans la simplicité à l’époque ><) fut empereur de 218 à 222 ap. J.C., date à laquelle il fut assassiné (à seulement 19 ans, après être devenu empereur à seulement 14 ans). A treize ans déjà, il était grand-prêtre du dieu Élagabal (d’où son nom). Un dieu solaire adoré à Émèse en Syrie romaine, région d’origine du jeune empereur. Il tentera d’ailleurs d’imposer sa religion à Rome durant son règne. D’ailleurs, dans la peinture de Lawrence Alma-Tadema, l’empereur porte une tunique dorée et un diadème, symboles solaires. Des attributs davantage liés à sa religion qu’à son rang de souverain romain. Il faut dire aussi qu’il nourrit également une véritable passion pour l’or et les pierres précieuses, comme en atteste le professeur Robert Turcan, spécialiste d’archéologie et de l’antiquité, qui raconte ceci dans son livre Héliogabale et le Sacre du soleil :

guillemet« Avant même d’accéder à l’Empire, l’enfant – nous le savons par l’Histoire Auguste – appréciait déjà les étoffes lourdement tissues d’or. (…) Héliogabale a des réchauds d’argent, des chaudrons, des lits en argent massif, aussi bien pour manger que pour dormir. Mais comme déjà l’argent sert à plaquer les voitures, les siennes seront plaquées d’or et incrustées de pierreries.
D’or aussi sera le récipient où il se déleste des excès de table. Il urine dans des vases en onyx ou dans ceux qu’on appelle “murrhins” et qui passent alors pour les plus précieux de la vaisselle impériale. (…) Héliogabale fait saupoudrer d’or et d’argent une galerie de son palais, regrettant de ne pouvoir y semer de l’ambre. Il porte un vêtement dont chaque fil est d’or. C’est le métal impérial par excellence et l’apanage du dieu solaire.
(…) Mais l’empereur a une prédilection pour les joyaux. Dans sa garde-robe étincelle une lourde tunique “perse” faite de pierreries. Quand l’empereur la porte, il se dit épuisé par ‘le poids du plaisir’. Les pierreries brillent sur sa tête auréolée d’un diadème ; elles brillent sur ses pieds : ses chaussures en peau fine sont constellées de gemmes gravées. On sait qu’il affectionne aussi les bracelets et les colliers. Il veut voir des bijoux partout. Dans les plats, il fait mêler aux légumes et autres aliments des pièces d’or, des marcassites, des grains d’ambre ou des perles à foison. »

Robert Turcan, Héliogabale et le Sacre du soleil, 1985, Albin Michel, Paris, p.180.

Un règne court. Fulgurant, même. Mais quel règne, pour un si jeune homme !

Buste d'Héliogabale, Musée du Capitole, Rome, Italie.
Buste d’Héliogabale, Musée du Capitole, Rome, Italie.

Voici l’illustre inconnu qui  inspira ce tableau au peintre britannique Lawrence Alma-Tadema. En effet, aviez-vous déjà entendu le nom d’Héliogabale ? Pour ma part, je ne le connaissais pas du tout. Et pour cause : il fut condamné à la damnatio memoriæ (littéralement : « damnation de la mémoire »). Une condamnation post-mortem consistant à effacer l’existence d’une personne ; une condamnation à l’oubli (d’autres empereurs romains ont été condamnés de la même façon mais leur règne et leur nom sont restés célèbres : Néron, Caligula ou encore Marc Antoine en font partie). Héliogabale a eu moins de chance. Il faut dire que son règne a été court et qu’il n’est revenu dans les mémoires des artistes du XIXème siècle que comme symbole de décadence.

Héliogabale : véritablement décadent ou injustement jugé ?

Les sources varient au sujet d’Héliogabale et la damnatio memoriæ n’a pas aidé. Il est difficile d’affirmer que l’empereur était vraiment aussi cruel et fou qu’ont bien voulu le laisser entendre certains chroniqueurs de l’époque.

En effet, le souverain n’est pas très apprécié. Plusieurs raisons à cela : sa relation avec sa mère (je vous en reparle plus bas) mais aussi les scandales qui ponctuent son règne. On lui reproche notamment d’avoir enlevé et épousé la grande Vestale Aquilia Severa (une vestale est une prêtresse de la Rome antique dédiée à Vesta). Ce mariage de l’empereur bafouait toutes les traditions romaines, car les vestales devaient rester vierges sous peine d’être emmurées vivantes. Le mariage sera pourtant de courte durée car Héliogabale est homosexuel. Il « épousera » d’ailleurs certains de ses compagnons, choquant de même coup ses contemporains et historiens romains. On dit aussi que la fin de son règne sera marqué par des orgies homosexuelles publiques. Ou encore que, durant certaines fêtes qu’il organisât, certains de ses convives se réveillèrent dans une cage avec des lions ou des ours (apprivoisés, donc inoffensifs… mais quand même).

C’est d’ailleurs d’un petit jeu de ce genre dont traite la toile de Lawrence Alma-Tadema…

Les roses d’Héliogabale : comment lire ce tableau ?

A première vue, la scène dans laquelle Lawrence Alma-Tadema l’a ici représenté nous montre la volupté dans laquelle évoluait le souverain romain. On devine qu’il s’agit d’une fête et que les personnages sont plutôt riches. L’ensemble a de quoi charmer le spectateur tant il est beau, réaliste, détaillé.

D’abord, dans quel contexte cette oeuvre a-t-elle été réalisée ? Lawrence Alma-Tadema n’est pas un peintre particulièrement connu, en particulier en France. Peintre britannique, d’origine néerlandaise, on l’associe à l’Aesthetic Movement (l’Esthétisme en France). Un mouvement artistique qui s’est développé sous le règne de la reine Victoria, des années 1860 à 1900, et qui hérite du mouvement Préraphaélite (dont je suis une grande admiratrice, d’ailleurs, même si ça ne plaît pas à tout le monde).
L’Aesthetic Movement se développe en réaction au Naturalisme (ou Réalisme). Il consacre « l’art pour l’art », la recherche de la beauté pour elle-même. Les artistes de ce mouvement mettent souvent la femme au centre de leurs œuvres. Elle en devient le motif principal et récurrent. Les scènes peintes s’inspirent de l’Antiquité (en particulier dans le cas de Lawrence Alma-Tadema, qui en a fait sa spécialité) ou du Moyen-Age (les Préraphaélites ayant entamé cette mouvance dès les années 1850). Si des peintres comme Lawrence Alma-Tadema cherchent à coller à une certaine réalité archéologique, les scènes peintes sont souvent idéalisées, embellies, sublimées.

Contrairement à des peintres Néoclassiques comme Jacques-Louis David, qui a également peint de nombreuses scènes inspirées de l’Antiquité (on peut penser au Serment des Horaces ou à La Mort de Socrate, par exemple), Lawrence Alma-Tadema ne choisit pas de grands sujets historiques ou mythologiques mais des scènes de la vie quotidienne ou des épisodes secondaires de l’Histoire. Il faut dire que la bourgeoisie britannique fantasme alors sur cette lointaine époque antique dont on aime croire qu’il s’agissait d’un âge d’or, d’une époque de luxe et de volupté. L’imagerie que produit alors Lawrence Alma-Tadema séduit le public car elle est colorée, ensoleillée, pleine de fleurs et de palais merveilleux, de fête, de bains et de banquets.

guillemet« Lawrence Alma-Tadema, alors au sommet de sa prolifique carrière, s’était spécialisé dans la représentation d’une Antiquité fantasmée habitée par de riches oisifs occupant leur temps entre les intrigues amoureuses, les fêtes, les arts et les distractions de toutes sortes. Les Roses d’Héliogabale (…) répondait parfaitement à l’attrait d’une société, pourtant conservatrice, pour une Antiquité décadente et débauchée. Si l’art d’Alma-Tadema était commercial et populaire, il n’excluait pas dans certaines oeuvres l’expression d’une critique de la bourgeoisie de son temps au travers des excès de la Rome antique, ainsi qu’il le suggérait en affirmant : “Les vieux Romains étaient faits de la même chair et du même sang que nous, ils étaient mus par les mêmes passions et les mêmes émotions.” »

Florelle Guillaume, « Analyse d’oeuvre, Les Roses d’Héliogabale de Lawrence Alma-Tadema », in Beaux-Arts Magazine, Octobre 2013.

Nous sommes loin de l’Angleterre de la Révolution Industrielle, dont la Capitale est sombre, tentaculaire et polluée, dans laquelle erre Jack l’Éventreur. Il suffit de voir les gravures que Gustave Doré fait de Londres, à cette époque, pour saisir la différence.

Mais revenons-en a nos moutons : Les Roses d’Héliogabale.

Au premier coup d’oeil, ce tableau est tout simplement sublime. Tous les pétales de roses qui tourbillonnent dans la scène participent à cet état de fait mais ils ne sont pas les seuls. L’artiste a représenté l’ensemble avec un grand souci de réalisme et, en même temps, l’on perçoit l’idéalisation de la scène dont le moindre détail (des costumes des personnages à la simple petite décoration) a été pensé. Tout cela brouille notre perception : il s’agit d’une mise en scène, tout est faux, mais tout semble vrai, réaliste, vraisemblable. Cela participe à nous faire entrer dans l’histoire et, peu à peu, à ressentir le caractère tragique de ce qui s’y passe.

Car derrière son apparence triviale, innocente, cette scène est terrible. Je ne vous en dis pas plus pour l’instant, nous allons découvrir peu à peu pourquoi tout au long de cet article.

Dans ce tableau, la ligne d'horizon est haute.
Dans ce tableau, la ligne d’horizon est haute.

La ligne d’horizon ne coupe pas le tableau en deux parties égales mais se situe un peu plus haut. Cela a pour conséquence de nous forcer (théoriquement) à lever les yeux pour observer l’empereur et ses convives se trouvant sur l’estrade. De ce fait, nous pouvons aussi avoir l’impression que nous nous trouvons dans « la fosse », avec les autres personnages, peu à peu recouverts par les roses.

On constate également que la ligne d’horizon, une fois tracée comme je l’ai fait ci-dessus, sépare clairement les deux groupes de personnages. L’empereur et ses invités sont au spectacle tandis que les autres le subissent.

Le jeu des regards nous pousse à voir le tableau dans son ensemble.
Le jeu des regards nous pousse à voir le tableau dans son ensemble.

Un jeu de regards entre les différents protagonistes nous permet de passer d’un personnage à l’autre et nous pousse à observer la scène dans son ensemble (voir les flèches que j’ai tracées sur l’image ci-dessus). Ce jeu de regards nous permet également de nous arrêter sur des personnages clefs, dont les expressions nous dévoilent peu à peu l’horrible intrigue (je les ai entourés d’un carré rouge). Je vous les détaille :

Avec son air tranquille, cette femme ne semble pas du tout s'inquiéter de la vague de pétales de fleurs qui vient s'écraser sur elle et ses voisins. Elle semble se redresser tranquillement.

Avec son air tranquille, cette femme ne semble pas du tout s’inquiéter de la vague de pétales de fleurs qui vient s’écraser sur elle et ses voisins. Elle semble se redresser tranquillement.

Cet homme semble plonger dans les roses pour s'amuser. A moins que ce ne soit le poids des pétales de roses qui le pousse à se rallonger...

Cet homme semble plonger dans les roses pour s’amuser. A moins que ce ne soit le poids des pétales de roses qui le pousse à se rallonger…

Cette femme semble inconsciente du danger qui la guette. Elle sourit légèrement et ses yeux fixent un point en dehors du tableau. Elle est ailleurs, déjà perdue.

Cette femme semble inconsciente du danger qui la guette. Elle sourit légèrement et ses yeux fixent un point en dehors du tableau. Elle est ailleurs, déjà perdue.

Cet homme regarde l'Empereur. Même s'il nous tourne presque entièrement le dos, on peut voir qu'il tient une poignée de raisins recouverts de pétales de roses, dans un geste qui semble interroger l'Empereur. Il semble vouloir lui dire que cela commence quand même à faire beaucoup de fleurs...

Cet homme regarde l’empereur. Même s’il nous tourne presque entièrement le dos, on peut voir qu’il tient une poignée de raisins recouverts de pétales de roses, dans un geste qui semble interroger l’empereur. Il semble vouloir lui dire que cela commence quand même à faire beaucoup de fleurs

Cette femme semble s'amuser. Pourtant, on peut supposer qu'elle commence à trouver les fleurs encombrantes car elle se protège à l'aide d'un large éventail de plumes. Dans le même temps, elle regarde la femme inquiète, un peu plus loin. On peut se demander si elle ne commence pas à comprendre ce qui se passe.

Cette femme semble s’amuser. Pourtant, on peut supposer qu’elle commence à trouver les fleurs encombrantes car elle se protège à l’aide d’un large éventail de plumes. Dans le même temps, elle regarde la femme inquiète, un peu plus loin. On peut se demander si elle ne commence pas à comprendre ce qui se passe.

Cette femme a l'air inquiet. Elle nous fixe, comme si elle avait aussi peur pour nous. Sa bouche est très légèrement entrouverte, comme si elle voulait nous mettre en garde.

Cette femme a l’air inquiet. Elle nous fixe, comme si elle avait aussi peur pour nous. Sa bouche est très légèrement entrouverte, comme si elle voulait nous mettre en garde.

J’attire un instant votre regard sur la grenade (le fruit, pas une bombe… non mais je précise, on ne sait jamais avec vigipirate et la CIA qui nous observe… #parano) qu’elle tient dans la main : elle est d’un réalisme surprenant. De même que sa robe, sur laquelle on distingue clairement un imprimé prenant la forme d’un félin, vraisemblablement un léopard. Lawrence Alma-Tadema a pensé son tableau jusque dans ses moindres détails. On peut en voir partout dans le tableau. Notamment au niveau des couches sur lesquelles sont installés l’empereur et ses invités, dont les pieds nous sont montrés comme magnifiquement sculptés.

Le tableau de Lawrence Alma-Tadema regorge de détails d'un réalisme étonnant.
Le tableau de Lawrence Alma-Tadema regorge de détails d’un réalisme étonnant.

Un autre détail a d’ailleurs son importance, dans cette toile : la statue de Dionysos (ou Bacchus), située à l’arrière-plan, sur fond de collines lointaines. Lawrence Alma-Tadema s’est inspiré d’une véritable sculpture en marbre, le Dionysos du Palazzo Altemps de Rome, datant du 2ème siècle de notre ère. Ce marbre nous montre Dionysos accompagné d’une panthère et d’un Satyre. C’est un détail qui montre que l’artiste s’intéressait bien à l’archéologie et aux civilisations antiques. Mais on peut également y voir une référence à l’homosexualité de l’empereur. En effet, Dionysos était l’amant d’un Satyre nommé Ampélos (ou Ampélus) et il était souvent représenté à ses côtés.

guillemet« Alma-Tadema était coutumier de ce type d’allusions grivoises glissées discrètement dans le décor afin de ne pas choquer l’Angleterre puritaine du XIXe siècle. »

Florelle Guillaume, « Analyse d’oeuvre, Les Roses d’Héliogabale de Lawrence Alma-Tadema », in Beaux-Arts Magazine, Octobre 2013.

Détail de la statue de Dionysos dans le tableau de Lawrence Alma-Tadema.
Détail de la statue de Dionysos dans le tableau de Lawrence Alma-Tadema.
A gauche : Dionysos, une panthère et un Satyre (ou Ludovisi Dionysos), Palazzo Altemps, Rome, Italie. A droite : Bacchus et Ampelus, Galerie des Offices, Florence, Italie.
A gauche : Dionysos, une panthère et un Satyre (ou Ludovisi Dionysos), Palazzo Altemps, Rome, Italie.
A droite : Bacchus et Ampelus, Galerie des Offices, Florence, Italie.

Cet homme fixe l'Empereur avec insistance. A-t-il compris ce qui se trame ? Il semble accusateur.

Portrait de Lawrence Alma-Tadema.
Portrait de Lawrence Alma-Tadema.

Cet homme fixe l’empereur avec insistance. A-t-il compris ce qui se trame ? Il semble accusateur. Il faut dire qu’il peut s’agir d’un autoportrait de l’artiste, Lawrence Alma-Tadema, qui se serait volontairement placé dans son tableau (avec une coiffure qui a de quoi marquer les esprits !… Ok, ça n’a rien à voir, mais il fallait quand même que j’attire votre attention là-dessus parce qu’elle me fascine, cette coiffure). Si tel est le cas, il est logique qu’il sache ce qui se passe dans la scène. Notons qu’il est d’ailleurs le seul homme blond et barbu de la scène. Sa différence physique avec les autres personnages masculins peut confirmer qu’il n’est pas issu de la même époque que les autres, qu’il est anachronique, puisqu’il s’agirait de l’artiste lui-même. Enfin, la comparaison entre ce personnage et une véritable photographie de Lawrence Alma-Tadema vient asseoir leur ressemblance (tout est dans la barbe, déjà so hipster… Avec un peu de chance, en postant ça, je vais lancer une mode à partir de la coiffure du personnage :D).

Cette femme est la plus âgée du tableau. On peut penser qu'il s'agit de la mère de l'Empereur. On dit qu'il a été très proche, au point de ne prendre aucune décision sans elle. Quoiqu'il en soit, elle sourit et ne semble pas prête à vouloir arrêter la petite fête de son souverain.

Cette femme est la plus âgée du tableau. On peut penser qu’il s’agit de la mère de l’empereur. On dit qu’il en était très proche, au point de ne prendre aucune décision sans elle : « Il fut tellement dévoué à Semiamira sa mère, qu’il ne fit rien dans la République sans la consulter. » (Source: Aelius Lampridius, Histoire Auguste ; Vie d’Antonin Héliogabale). Cette relation mère-fils, parce qu’il en résultât qu’elle siège au Sénat, eut pour effet de précipiter la chute d’Héliogabale.

guillemet« Lors de la première assemblée du sénat, il fit demander sa mère. À son arrivée elle fut appelée à prendre place à côté des consuls, elle prit part à la signature, c’est-à-dire qu’elle fut témoin de la rédaction du sénatus-consulte : de tous les empereurs il est le seul sous le règne duquel une femme, avec le titre de clarissime, eut accès au sénat pour tenir la place d’un homme. »

Source: Aelius Lampridius, Histoire Auguste ; Vie d’Antonin Héliogabale.

Quoiqu’il en soit, la femme sourit et ne semble pas prête à vouloir arrêter la petite fête de son souverain.

Le regard gourmand de cet homme a de quoi nous inquiéter. Il prend clairement plaisir à regarder la scène. De plus, en levant ainsi sa coupe, il semble dire aux autres personnages "A votre santé !", ce qui est plus qu'ironique.

Le regard gourmand de cet homme a de quoi nous inquiéter. Il prend clairement plaisir à regarder la scène. De plus, en levant ainsi sa coupe, il semble dire aux autres personnages « A votre santé ! », ce qui est plus qu’ironique.

Cette femme, contrairement à ses voisines, regarde les pétales de roses qui s'élèvent. On peut se demander si elle a compris ce qui se passe ou pas. Elle semble jeune et innocente, ce qui est d'autant plus tragique.

Cette femme, contrairement à ses voisines, regarde les pétales de roses qui s’élèvent. On peut se demander si elle a compris ce qui se passe ou non. Elle semble jeune et innocente, ce qui est d’autant plus tragique.

Ce groupe de femmes semble savoir ce qui se passe et s'en amusent.

Ce groupe de femmes semble savoir ce qui se passe et s’en amusent. Elles sont au spectacle. On voit clairement qu’elles rient et qu’elles parlent, probablement pour rire des victimes en contrebas.

L'Empereur regarde la scène avec à la fois beaucoup de condescendance et un plaisir à peine dissimulé.

L’empereur Héliogabale regarde la scène avec à la fois beaucoup de condescendance et un plaisir teinté d’ennui. Comme si même ses pires excentricités ne parvenaient plus à le distraire.

Aviez-vous remarqué cette femme à l'arrière-plan ? C'est une musicienne. Elle joue de la double flûte. Nous sommes bien à une fête, cela ne fait aucun doute.Aviez-vous remarqué cette femme à l’arrière-plan ? C’est une musicienne, drapé dans une peau de léopard. Elle joue de la double flûte. Nous sommes bien à une fête, cela ne fait aucun doute.

Vous allez me dire, c’est bien beau tout ça mais que se passe-t-il exactement ? Et bien exactement ce que vous osez à peine croire : les invités de la soirée vont être ensevelis et s’étouffer sous la masse de roses. Voilà ce que nous raconte ce tableau de Lawrence Alma-Tadema. Et en nous plaçant à hauteur de ces invités (à l’aide de la perspective que je vous montrais plus haut), l’artiste nous fait tout-à-coup réaliser – mais trop tard – que nous aurions été piégés nous aussi.

Mais le pire est de penser que cela n’est peut-être pas une fiction. Car si l’on peut penser que cela est invraisemblable, des historiens ont pourtant bel et bien raconté que l’empereur Héliogabale s’adonnait bien à ce genre de pratiques. Et à croire ces récits, il ne fut pas le seul.

Les roses d’Héliogabale : fiction ou réalité ?

L’histoire des roses d’Héliogabale est-elle vraie ou est-elle le fruit de l’imagination de Lawrence Alma-Tadema ? Encore une fois, il est difficile de démêler le vrai du faux. On sait notamment qu’Héliogabale, comme d’autres empereurs romains, portait une attention démesurée aux banquets. Le professeur Robert Turcan explique encore que l’empereur organisait des festins absolument mirifiques. Certains pouvaient compter « jusqu’à vingt-deux services » et il arrivait même que les plats soient jetés par les fenêtres ou saupoudrés et accompagnés d’objets précieux dans l’unique but de prouver l’immense fortune possédée par le souverain. De la poudre aux yeux car il n’hésitait pas, par exemple, à mentir sur le prix dépensé pour ces folies culinaires, l’augmentant sciemment, en disant que « ça excite l’appétit ». L’auteur ajoute aussi une anecdote qui va dans le sens de l’œuvre peinte par Lawrence Alma-Tadema :

guillemet« Comme Néron, il a des salles à manger à plafonds coulissants d’où brusquement s’effondre une masse de fleurs, violettes et autres espèces, qui asphyxient les malheureux convives, incapables d’émerger du tas en rampant… »

Robert Turcan, Héliogabale et le Sacre du soleil, 1985, Albin Michel, Paris, p.182.

Pas de roses, dans cette histoire, ou pas seulement, mais une masse de fleurs qui vient s’écraser sur les invités pour les asphyxier. C’est bel et bien ce que dépeint Lawrence Alma-Tadema. A priori, l’histoire serait donc vraie. En tout cas, elle fait partie de la légende de l’empereur Héliogabale.

Il faut dire que les roses et les fleurs en général furent particulièrement appréciées par l’empereur. Elles furent même, semble-t-il, assez indispensables à son bien-être. A ce sujet, Robert Turcan raconte que cela était surtout lié à la sensibilité de son odorat :

guillemet« Il est singulièrement et significativement sensible aux senteurs, “toujours assis parmi les fleurs et les parfums de prix” (Histoire Auguste). Ses salles à manger, ses portiques, ses lits de table sont jonchés de roses. On y trouve d’ailleurs aussi des lis, des jacinthes, des violettes ou des narcisses. Un jour qu’il a convié à déjeuner des personnalités éminentes du Sénat romain, le lit semi-circulaire est saupoudré de safran : “Le foin est à la mesure de votre dignité !” se plait-il à leur dire.
Ses piscines sont parfumées d’onguents, de safran, préparées au vin rosat ou bourrées de roses. Il y fait même verser du vin aromatisé à l’absinthe pour boire l’eau de son bain… Le nard embaume dans les lampes à huile du Palatin ou du palais Sessorien, pour que la lumière en soit de plaisante odeur. L’hiver, pour chauffer ses appartements, il fait brûler à foison des aromates de l’Inde. Il humecte ses couvertures d’essences de raisins sauvages qui enchantent ses rêves… On prétend qu’un jour il offrit au cirque des compétitions navales dans un bassin rempli de vin ! »

Robert Turcan, Héliogabale et le Sacre du soleil, 1985, Albin Michel, Paris, p.182.

 Si Lawrence Alma-Tadema choisit, quant à lui, de ne représenter que des roses c’est, dit-on, parce qu’il aimait particulièrement ces fleurs. On raconte d’ailleurs que pour l’élaboration de cette toile, l’artiste fit véritablement venir toutes ces roses de la Côte d’Azur. Or, l’on dénombre pas moins de 2000 pétales dans cette peinture !

guillemet« De plus, les roses étaient particulièrement prisées dans l’Angleterre victorienne pour leur beauté, mais aussi dans l’Antiquité où elles étaient associées à la symbolique amoureuse et aux extravagances des empereurs. A la fois épineuse et délicate, la rose confère au luxueux supplice d’Héliogabale un raffinement morbide. »

Florelle Guillaume, « Analyse d’oeuvre, Les Roses d’Héliogabale de Lawrence Alma-Tadema », in Beaux-Arts Magazine, Octobre 2013.

Vues en détail sur les roses peintes par Lawrence Alma-Tadema.
Vues en détail sur les roses peintes par Lawrence Alma-Tadema.

Malgré sa beauté, cette scène est donc terrible. Elle nous plonge dans les faux-semblants au cœur desquels vivait le jeune empereur Héliogabale. Un enfant-roi, adulé depuis son plus jeune âge, et auquel on ne refusait pas même les jeux les plus horribles pour peu qu’ils le divertissent. Il semble tout de même que cela ne fonctionnait pas aussi bien que prévu car le souverain semble à peine profiter du macabre spectacle. Mais comment satisfaire un enfant qui déjà a tout ce que certains adultes n’auront jamais au cours d’une vie entière ? Peut-on vraiment le blâmer ? N’est-ce pas plutôt la faute de ceux qui ont ainsi placé entre ses mains un pouvoir trop grand pour lui ? On comprend mieux, en tout cas, pourquoi il devint une icône du mouvement décadent à la fin du XIXème siècle. Et comme Lawrence Alma-Tadema semblait tenir à ce tableau, au point d’y introduire son autoportrait, on peut penser qu’il s’agissait, pour lui, également d’une satire déguisée visant sa propre époque. Ainsi, de la décadence de l’Empire romain à celle dont les artistes fin de siècle pensait qu’elle frappait alors leur temps, il n’y avait ici plus qu’un pas.


Cet article vous a-t-il plu ? Ou non ? Cette toile a-t-elle réussi à vous prendre au piège d’Héliogabale ? Dites-moi tout en commentaire ;)


Sources :
Exposition « Désirs & Volupté à l’époque victorienne », du 13 septembre 2013 au 20 janvier 2014, Musée Jacquemart-André, Paris.
Pralineries – Désirs et volupté à l’époque victorienne
France Inter – Désirs et volupté à l’époque victorienne
Cultur’elle – Désirs et volupté à l’époque victorienne, au musée Jacquemart-André

Un Jardin d’Eden au Japon : Floating Flower Garden

L’œuvre dont je vais vous parler aujourd’hui est actuellement exposée au Miraikan de Tokyo (Musée des Sciences et de l’Innovation) mais elle fait parler d’elle par-delà les frontières.

Il s’agit d’une installation du collectif TeamLab, un groupe d’artistes japonais connu pour concevoir des œuvres utilisant les technologies. Or, l’œuvre dont il sera question ici est un savant mélange d’art et de science.


Sommaire de l’article

Les jardins suspendus de Babylone, version XXIe siècle
Art + Technologie + Nature : Un jardin hydroponique
Suspendre des fleurs : Pourquoi ? Pour quel effet ?
Plus exactement, les fermes verticales, qu’est-ce que c’est ?
Des fleurs… pour nos tombes ?
Pourra-t-on vivre à jamais dans nos jardins suspendus ?
En savoir un peu plus sur TeamLab


Les jardins suspendus de Babylone, version XXIe siècle

Intitulée Floating Flower Garden (« Jardin de Fleurs Flottantes »), l’œuvre est une installation immersive : il s’agit d’une salle remplie de pas moins de 2300 fleurs. Le spectateur entre dans la pièce et, peu à peu, les fleurs s’écartent sur son passage, comme si elles se mettaient à flotter autour de lui. Une fois qu’il est passé, elles redescendent. Ainsi, le spectateur se retrouve comme dans une bulle fleurie. Un jardin d’Eden. Magique !

Mais la technologie utilisée dans cette oeuvre ne se résume pas seulement au système « intelligent » qui détecte les mouvements du spectateur pour faire monter ou descendre les végétaux. Ce qui est surtout intéressant, en fait, c’est que ces fleurs sont bien vivantes : elles continuent de pousser, de grandir grâce à un procédé mis en place par TeamLab.

Même si TeamLab a gardé ce procédé secret, on peut penser qu’il s’agit d’un procédé d’hydroponie. Oula ! Ne fuyez pas, je vous explique : c’est un système permettant de faire pousser des plantes en dehors de la terre. Un système qui, dit-on, était déjà utilisé à Babylone, au sein des mythiques Jardins Suspendus ! Et un système qui est peu à peu en train de refaire surface et de se faire connaître du grand public depuis que l’idée de créer des fermes verticales, en plein cœur des villes, fleurit un peu partout sur la planète (vous trouverez plus de détails sur les fermes verticales plus bas dans cet article).

Art + Technologie + Nature : Un jardin hydroponique

« Flowers and I are of the same root, the Garden and I are one »Les fleurs et moi avons les mêmes racines, le jardin et moi sommes un. ») annonce la vidéo qui permet de se rendre compte de ce que donne vraiment cette installation (voir ci-dessus). Autrement dit, le visiteur est appelé à venir se confondre avec la nature, à ne faire plus qu’un avec elle. Le message porté est clairement écologique : nous possédons des racines communes avec les fleurs parce que nous partageons la même terre, parce que nous naissons sur la même terre et parce que nous ne pouvons naître que sur cette terre. En ne protégeant pas les fleurs (et la nature, plus largement), c’est aussi notre propre vie que nous mettons en danger. Ou, en tout cas, celle de nos enfants.

Le message est éculé mais il n’y a pas de mal à le rappeler encore une fois. D’autant plus que l’installation du collectif TeamLab semble faire l’unanimité sur au moins un critère : elle est superbe. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab.

Suspendre des fleurs : Pourquoi ? Pour quel effet ?

On peut, en effet, se demander d’où nous vient cette envie de suspendre des plantes.

Comme je le disais, cette œuvre de TeamLab peut faire penser aux plus célèbres jardins suspendus du monde : ceux de Babylone. Nous avons tous déjà entendu parler de ces jardins fabuleux. Pourtant, on ignore encore aujourd’hui s’il s’agissait d’un mythe ou d’une réalité…

Pour la petite histoire : Le Roi Nabuchodonosor II (assez célèbre puisqu’il apparaît notamment dans l’Ancien Testament, rien que ça, je vous passe les détails), aurait fait ériger ces jardins pour rappeler à son épouse les montagnes verdoyantes de son lointain pays. Romantique à souhait, non ? Le problème, c’est que les archéologues n’ont pas encore retrouvé les vestiges de cette construction. Nous n’avons donc pas de preuve indéniable de son existence (ce qui n’est pas le cas pour d’autres Merveilles du monde Antique comme la Bibliothèque d’Alexandrie, par exemple, dont nous savons qu’elle a véritablement existé).

En fait, tout ce dont nous disposons, ce sont des documents antiques racontant des témoignages encore plus anciens dont nous n’avons, là, par contre, aucune trace écrite… Pour le dire plus simplement : Bidule a raconté que Machin avait vu ça et que c’était génial ! Vous me suivez ?

Et c’est finalement au philosophe Philon d’Alexandrie que nous devons la description des jardins restée la plus célèbre : « Le jardin qu’on appelle suspendu, parce qu’il est planté au-dessus du sol, est cultivé en l’air ; et les racines des arbres font comme un toit, tout en haut, au-dessus de la terre ». (Source : Georges Roux, Architecture et poésie dans le monde grec, Maison de l’Orient Méditerranéen,‎ 1989, p. 301)

A la fin du film d'animation Le Château dans le ciel de Hayao Miyazaki, le château n'est finalement plus qu'un immense arbre volant.
A la fin du film d’animation Le Château dans le ciel de Hayao Miyazaki, le château n’est finalement plus qu’un immense arbre volant.

Ca ne vous rappelle rien ? Personnellement, des racines qui feraient comme un toit au-dessus de ma tête, ça me rappelle sacrément l’oeuvre de TeamLab, juste au-dessus. (bon, ok, Philon parle d’arbres, et je vous parle de fleurs, mais y’a de l’idée !)

Bon, même s’il est assez peu probable que le Roi Nabuchodonosor II ait réussi à trouver des architectes/ingénieurs/magiciens pour faire voler des arbres façon Château dans le Ciel, la légende reste belle et elle a surtout beaucoup marqué les esprits. Il est tout de même plus probable que ces jardins étaient des terrasses, tout « simplement » (pas si simplement que ça, en fait, mais plus simplement que s’ils avaient dû faire voler des arbres, disons). Notons quand même que Babylone était une ville fantastique pour l’époque. Il suffit de voir la magnifique Porte d’Ishtar (ci-dessous), également construite sous le règne de Nabuchodonosor II, pour en juger. Si les jardins suspendus ont véritablement existé, il suffit de voir la splendeur de cette porte pour imaginer à quel point ils devaient être sublimes !

La porte d'Ishtar au musée de Pergame (Berlin) Construite en 580 av. J.C. à Babylone. La porte d'Ishtar est une des huit portes de la cité intérieure de Babylone. Cette porte est dédiée à la déesse Ishtar.
La porte d’Ishtar au musée de Pergame (Berlin)
Construite en 580 av. J.C. à Babylone.
La porte d’Ishtar est une des huit portes de la cité intérieure de Babylone. Cette porte est dédiée à la déesse Ishtar.

Vous allez me dire, c’est bien beau tout ça, mais pourquoi cherche-t-on à faire flotter des plantes, alors ?

Faire sortir les plantes de la terre et réussir à les faire pousser, à les maintenir en vie malgré tout, c’est un peu jouer au dieu tout-puissant. Parce que c’est parvenir à dépasser les lois de la nature et à en créer de nouvelles pour son propre intérêt.

En fait, si Nabuchodonosor II avait fait construire ses jardins suspendus pour son épouse, nous avons aujourd’hui l’envie de construire des fermes verticales dans un but beaucoup plus prosaïque : nous ne pourrons pas toujours nourrir les habitants des villes, de plus en plus nombreux, avec nos champs et notre agriculture actuels. Tout simplement parce que nous manquerons de place et de ressources nécessaires. L’idée des fermes verticales serait donc de faire pousser les champs en hauteur et non plus à l’horizontal. De fait, il faudrait donc faire sortir de terre les végétaux que nous voudrions y faire pousser. Et revoilà nos rêves de jardins suspendus !

Plus exactement, les fermes verticales, qu’est-ce que c’est ?

Représentation en 3D pour le projet "Paris Smart City 2050".
Représentation en 3D pour le projet « Paris Smart City 2050 ».
Exemples de fermes verticales imaginées par l’architecte Vincent Callebaut pour Paris (Porte d’Aubervilliers).

Ce sont des fermes dans des gratte-ciel ; des champs en plein cœur de la ville !

Le jardin suspendu n’est pas seulement beau, il est aussi très pratique : la terre pèse lourd tandis que le procédé hydroponique qui permet la création de tels « jardins » (ou de fermes entières) et dont je vous parlais plus avant, permet de s’en passer totalement. On gagne donc en place.

Ferme verticale imaginée par l'architecte Blake Kurasek, 2008.
Ferme verticale imaginée par l’architecte Blake Kurasek, 2008.

Une place qui nous manque de plus en plus ! Car si la population mondiale augmente d’année en année, la place au sol, elle, reste la même. Il faut donc de plus en plus penser notre monde à la verticale : quand on ne peut plus s’étendre sur la terre, il faut envisager de grimper vers les cieux qui, eux, ont l’avantage d’être potentiellement infinis. Cela vaut pour les habitations (les immeubles en tout genre, les buildings, les gratte-ciel) mais cela risque de valoir pour de plus en plus d’autres choses. Notamment pour l’agriculture : c’est l’idée des fermes verticales.

Les fermes verticales ont aussi pour vocation de rendre les aliments de demain plus sains. L’hydroponie permet aussi cela puisqu’elle permet de donner aux plantes ce dont elles ont besoin pour vivre et pour se développer au mieux sans avoir recours à tous nos pesticides et autres produits chimiques d’aujourd’hui.
Notons d’ailleurs que si les plantes poussent en intérieur, il devient possible de faire en sorte que les nuisibles n’y aient pas accès. Les pesticides deviennent donc inutiles.

Ferme verticale imaginée par l'architecte Blake Kurasek, 2008. Aperçu de ce qui pourrait être cultivé à l'intérieur, sur les différents niveaux.
Ferme verticale imaginée par l’architecte Blake Kurasek, 2008.
Aperçu de ce qui pourrait être cultivé à l’intérieur, sur les différents niveaux.

De plus, au procédé hydroponique s’ajoutent des études poussées sur la lumière. Car les plantes auront toujours également besoin de lumière pour vivre. Avec les recherches menées notamment sur les LED (qui consomment peu et durent longtemps), il devrait devenir possible de faire pousser toutes sortes de plantes, aussi exotiques soient-elles, partout dans le monde. Y compris dans des régions où il était jusqu’alors impossible de les faire pousser.
Résultat ? Moins d’importation et donc moins de pollution due au transport des marchandises ; moins de pertes, de gâchis liés au temps de conservation des aliments ; et aussi moins de produits chimiques censés, justement, allonger le temps de conservation des aliments. Et, au final, si tout va bien, un coût plus bas pour le consommateur puisque tout sera conçu sur place, à deux pas de chez lui.

Voilà, pour résumer, le projet fou des fermes verticales. Reste à voir si le futur en fera une réalité ou si elles resteront de pures utopies architecturales !

Des fleurs… pour nos tombes ?

Avec un résultat à la fois proche et bien différent, l’artiste Rebecca Louise Law est également connue pour ses installations de « fleurs suspendues ». Elle n’utilise pas de technologie dans ses œuvres mais elle parvient aussi à nous faire vibrer grâce aux couleurs et aux formes des bouquets qui viennent habiller les plafonds des différents endroits qu’elle investit (musées, églises ou salle de théâtre, par exemple). Après tout, quoi de plus naturellement artistique qu’une fleur ?

Toutefois, ses fleurs coupées ne sont pas sans rappeler les fleurs que l’on vient déposer sur les tombes. Or, le mythe Babylonien est certes, merveilleux, mais il n’en est pas moins trouble : la cité glorieuse a aujourd’hui complètement disparu, elle n’a pas su éviter son déclin malgré ses trésors, sa technologie, son savoir. Si nous devons donc nous inspirer de cette ville, à n’en pas douter, nous devons aussi nous souvenir qu’elle ne fut pas immortelle. Les oeuvres de Rebecca Louise Law peuvent aussi donner l’impression que les fleurs nous tombent dessus ; une averse de fleurs nous tombent sur la tête, tombe sur notre monde. Quel sens donner à cela ? Doit-on y voir un espoir ou, au contraire, le signe de notre fin ? « Les feuilles mortes se ramassent à la pelle », disait le poète.
Installation de Rebecca Louise Law Installation de Rebecca Louise Law Installation de Rebecca Louise Law Installation de Rebecca Louise Law Installation de Rebecca Louise Law

Pourra-t-on vivre à jamais dans nos jardins suspendus ?

Gulliver découvrant Laputa, la ville volante. Gravure de J.J. Grandville, vers 1856.
Gulliver découvrant Laputa, la ville volante.
Gravure de J.J. Grandville, vers 1856.

Essayons d’être plus clair.

Comme nous l’avons vu, la description des jardins suspendus de Babylone par Philon d’Alexandrie peut rappeller le Château dans le Ciel de Hayao Miyazaki. Ce dernier s’est lui-même inspiré de la cité volante de Laputa, inventée dans Les Voyages de Gulliver par Jonathan Swift (1721) pour imaginer ce château-arbre volant.

Or, l’histoire que Hayao Miyazaki raconte autour de cette ville volante réinvente le mythe d’Icare : à vouloir s’approcher trop près du Soleil, on finit par se brûler les ailes. Autrement dit, si nous parvenons à nous élever de plus en plus (au sens propre comme au figuré), n’oublions pas de prendre garde car, en cas de problème, la chute sera d’autant plus rude.

A moins qu’il n’y ait plus jamais de chute possible ? C’est  ce qui arrive aux habitants fictifs de Laputa : ils ne se considèrent plus vraiment comme des êtres humains puisqu’ils vivaient au-dessus de la terre : ils oublient que l’homme ne peut pas vivre à jamais séparé de la « terre nourricière ». « Les fleurs et moi avons les mêmes racines, le jardin et moi sommes un » disait la vidéo de TeamLab : si une fleur doit pousser dans la terre, nous aussi, d’une certaine façon.

Dans le Château dans le Ciel, on sait que les habitants finissent par disparaître. On ne sait pas s’ils sont tous morts ou s’ils ont un jour tous décidé de regagner la terre ferme. Ils n’étaient en tout cas plus capables de vivre sur cette île volante. Il faut dire qu’elle était devenue plus dangereuse pour eux (et pour les habitants d’en-dessous) que véritablement bénéfique.

Il s’agit de ne pas confondre besoin (nous devons construire des fermes verticales car nous allons manquer de place au sol) et envie, voire vanité (créons des fermes verticales car on peut le faire et c’est cool !).

Du coup, on peut en effet se demander si, à long terme, l’hydroponie sera viable. Pourra-t-on faire à jamais pousser des plantes dans des tours ? Seront-elles d’aussi bonne qualité que celles poussant dans la terre ferme ?

Pieds de bok choy (chou chinois) empilés verticalement sur 30 pieds de haut (un peu moins d'un mètre) dans une ferme urbaine de Singapour. Les légumes tournent sur un support en forme de A afin de leur assurer un éclairage uniforme.
Pieds de bok choy (chou chinois) empilés verticalement sur 30 pieds de haut (un peu moins d’un mètre) dans une ferme urbaine de Singapour.
Les légumes tournent sur un support en forme de A afin de leur assurer un éclairage uniforme.

A l’heure actuelle, les tours verticales restent de lointains rêves d’architectes. En effet, de tels bâtiments seraient actuellement trop coûteux à réaliser et à maintenir à flot (d’après The Economist). Pourtant, l’écologiste Dickson Despommier, qui est à l’origine et développe l’idée des fermes verticales depuis une décennie, n’en démord pas : pour lui, ces fermes vont devenir, dans les prochaines années, de plus en plus indispensables. En particulier dans des îles-villes comme Singapour, où la densité de population est telle et le manque de place tellement problématique, que l’importation est une absolue nécessité. Pour espérer devenir plus indépendant, des chercheurs de Singapour sont d’ailleurs déjà en train de développer des procédés de culture verticale, sur l’idée de Dickson Despommier. Nous sommes encore loin des tours entières mais ces plantes poussent déjà sur quelques mètres de hauteur !

En savoir un peu plus sur TeamLab

Voilà tout se qui se cachait, selon moi, derrière l’œuvre du collectif TeamLab. Je vous invite vivement à aller farfouiller sur leur site car la plupart de leurs installations sont vraiment belles ! Je vous partage, ci-dessous, quelques photographies qui en sont issues mais toutes les vidéos sont disponibles sur leur site. Vous verrez que leurs œuvres concernent souvent la nature, avec une poésie toute japonaise et des couleurs pop vraiment plaisantes et attrayantes. On y retrouve autant l’influence d’Hokusai que de Ghibli et de l’art manga en général. Leurs oeuvres sont des jardins de synthèse où, pourtant, tout est fait pour vous faire oublier la machine et vous transporter dans un monde plus beau ; dans un rêve.

Une des phrases qui accompagne leur oeuvre Flowers and People résume d’ailleurs assez bien cet article : « Flowers and People, Cannot be Controlled but Live Together » (« Les Fleurs et les Gens ne peuvent pas être contrôlés mais peuvent vivre ensemble. ») A méditer !


Cet article vous a plu ? Ou ne vous a pas plu du tout ? Vous avez quelque chose à ajouter, à corriger ? Tout simplement quelque chose à dire, un avis ? N’hésitez pas : les commentaires sont là pour ça ! :)

Et n’oubliez pas, « il faut cultiver notre jardin » disait Voltaire !

Sources :
Site officiel de TeamLab
Site officiel de Blake Kurasek
Urban Attitude, « Les fermes verticales, la révolution agroalimentaire est en marche », Octobre 2013

Bibliothèque universelle : pour le meilleur et pour le pire

Wouah.
J’étais pas très optimiste sur l’avenir de l’Humanité quand j’ai twitté ça. J’en ai même fait une faute bien moche. Mais pour quelle raison, me direz-vous ? Je vous raconte (si, si, j’insiste).

Je faisais une pause en attendant qu’une partie de ma peinture sèche pour repasser une couche supplémentaire (déjà là, on sent poindre l’histoire palpitante, avouez). Comme je le fais dans ces moments d’un intense intérêt, je surfais aléatoirement, allant d’un de mes onglets à un autre (j’ai toujours une infinité d’onglets ouverts, parfois pour des raisons tout à fait pertinentes… souvent parce que j’ai oublié de les fermer). Et voilà que je tombe sur un site, comme on en voit de plus en plus apparaître, regroupant tout un tas de captures d’écran issues de Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux. Le but ? Afficher la misère humaine qui se déchaîne allégrement sur ces plateformes. Les « Cassos du web » comme on les appelle parfois. Les « Kévin ». Les « boulets ».
Tellement de sites de ce genre fleurissent (je ne vous ferai pas l’affront de mettre des liens ici… ça pourrait les attirer) qu’on peut se demander si 90% des internautes ne sont pas de véritables trous d’b… abrut.. zut, flûte, comment le dire poliment ? Des cons. Des gros cons. Des gros cons finis (ou pas, parce que certains semblent continuer de creuser toujours plus profond).

C’est de cette constatation, et du fait qu’il était tard (ce qui engendre chez moi une mélancolie chronique toute particulière, me poussant généralement à twitter ou facebooker des choses pour le moins pessimistes, voire insultantes afin de me défouler), qu’est né ce tweet.

En fait, je me demandais de quoi auraient l’air les cours d’Histoire dans les siècles à venir. Imaginez, loin, très loin dans le futur, comment nos ancêtres qualifieront-ils notre époque ?

Partons du constat suivant : la Renaissance porte son nom parce qu’elle vient après le Moyen-Age. On considère qu’il y a « renaissance » après des siècles d’une sorte de parenthèse qu’on ne trouve pas très glorieuse : un âge « moyen », un âge « bof bof » quoi (ce qui se discute, comme je le disais dans un second tweet, car j’aime beaucoup le Moyen-Age et je ne suis pas la seule). D’ailleurs, je pense que si nous devions renommer ces périodes historiques aujourd’hui, beaucoup de gens plaideraient en faveur du Moyen-Age, pour qu’on le nomme autrement.

N’empêche, si on en reste à cette idée d’époque nommée « Moyen-Age » parce qu’elle ne nous semblait pas très folichonne, voire même carrément arriérée, obscurantiste, voire dégradante (ou dégradée, par rapport aux époques antérieures de l’Antiquité, réputées plus « riches » en découvertes, en savoirs, en progrès, etc.) qu’est-ce qui nous dit que nos ancêtres ne surnommeront pas notre époque « deuxième Moyen-Age » ? Après tout, nous sommes quand même l’âge qui a vu l’invention d’Internet et… voilà ce que nous en faisons : une grosse majorité d’internautes utilise cet outil pour faire de la merde, de la merde et de la merde vachement plus merdique que celle de son voisin.

Si vous ne trouvez pas ça « bof bof », vous…

Ne vous méprenez pas, hein, je suis la première à regarder des vidéos de merde (décidément, ce mot va se faire présent dans cet article, je le sens) sur Youtube. Je lis un nombre incalculable d’articles totalement inutiles, inintéressants, superflus (et encore, je fais partie des rares personnes qui lisent encore les articles et je rage sur les innombrables commentaires qui les suivent, systématiquement, et qui ne sont que des trolls à n’en plus finir, pleins d’une bêtise crasse). Je passe un temps fou sur Pinterest à collectionner des images virtuelles pour les coller dans mes albums virtuels. Et, en bonne fille qui se respecte, je me fous de la gueule de mes contacts Facebook en permanence, mais bien planquée derrière mon écran, afin de me convaincre (façon méthode Coué mais avec autant de classe que Cauet) que je réussis vachement mieux ma vie qu’eux et que je leur suis infiniment supérieure en tous points (c’te blague).

Bref, je suis en plein dans le moule. A la rigueur, ce qui me distingue un peu du reste des gens que je critique dans mon tweet, c’est que j’ai conscience qu’un truc va mal et ne tourne pas rond.

Parce que, soyons clair : Internet, qu’est-ce que c’est ? C’est une immeeeense bibliothèque infinie. Théoriquement, tout le savoir du monde est dans internet ou en passe de l’être. Et plus le temps va passer, plus ce savoir va s’accroitre (espérons) et, normalement, continuer à être placé dans l’Internet. Pour vous, moi, vos enfants, petits enfants, arrières-arrières-arrières petits enfants…

Bref. Nous sommes devant une sorte de bibliothèque infinie comme celle décrite par Jorge Luis Borges, par exemple.

la-bibliotheque-de-babel-470595Dans une nouvelle intitulée La Bibliothèque de Babel (1941), Jorge Luis Borges décrit une bibliothèque de taille gigantesque qui contiendrait tous les livres du monde : ceux qui ont déjà été écrits et ceux qui ne l’ont pas encore été.

Pour faire simple, l’histoire repose sur un procédé mathématique, ce qui fait que certains livres ne contiennent que des suites de caractères apparemment aléatoires. Pourtant, même si ça n’est qu’à un caractère près, aucun de ces livres n’est identique à l’autre. La Bibliothèque de Babel est donc, théoriquement, infinie et contient tous les livres déjà écrits ou qui pourront/pourraient l’être un jour (vous me suivez toujours ? Non, parce que si vous avez cligné des yeux en lisant ça, je suis sûre que je vous ai perdus).

Pour écrire cette nouvelle, Borges s’est inspiré du travail de Kurd Lasswitz et de son histoire intitulée La bibliothèque universelle (1904). Apparemment, l’idée d’une bibliothèque contenant tous les livres du monde leur plaisait donc bien. Qu’auraient-ils dit devant notre Internet ? Et surtout, devant l’utilisation que nous en faisons ? Probablement qu’il s’agissait là d’une des innombrables possibilités possibles, dans leur système mathématique soigneusement calculé… Enfin, ça, c’est pour la version optimiste. En fait, ils auraient sûrement pensé la même chose que beaucoup d’entre nous : « Putain, mais quelle bande de gros déchets sans cervelle. »

Jusqu’au 5 octobre 2014, le Colisée de Rome était justement le théâtre d’une exposition surnommée « La Bibliothèque infinie » et consacrée, comme l’indiquait son sous-titre aux « lieux du savoir dans le monde antique » (Source). Il faut dire que les civilisations antiques étaient très portées sur le progrès et les découvertes mais aussi sur la façon de collecter et regrouper tous ces savoirs. Ça n’est pas sans raison qu’une des Merveilles du Monde était alors la Bibliothèque d’Alexandrie. Pourtant disparue depuis des siècles, puisqu’on estime qu’elle fut détruite entre l’an -48 et l’an 642 (ce qui fait, tout de même, une sacré fourchette), elle reste aujourd’hui l’une des bibliothèques les plus célèbres au monde. A force d’avoir entendu des histoires à son sujet, nous pensons souvent que la Bibliothèque d’Alexandrie était forcément incroyable. Comment ne pas l’imaginer immensément grande ? Se dire que son architecture devait être magnifique ? Et, surtout, comment ne pas penser aux possibles trésors qu’elle renfermait et que nous avons perdus à tout jamais ? Plus qu’une bibliothèque, un mythe. Et pourtant, ni plus ni moins qu’une bibliothèque au final (ceci dit, comme à l’époque nos médiathèques de quartier étaient quand même nettement moins courantes, faut bien se l’avouer, ça devait en mettre vachement plus plein la vue). Bref, elle est devenue une sorte de bibliothèque infinie car elle s’est ancrée dans notre mémoire collective depuis des siècles et pour des centaines d’autres sans doute.

Pieter Brueghel l'Ancien, La Tour de Babel, Huile sur toile, 1,140mm x 1,550mm XVIe siècle (1563) Kunsthistorisches Museum Vienna (Autriche)
Pieter Brueghel l’Ancien, La Tour de Babel,
Huile sur toile, 1,140mm x 1,550mm
XVIe siècle (1563)
Kunsthistorisches Museum Vienna (Autriche)

Pause précision : En choisissant de nommer sa nouvelle La Bibliothèque de Babel, Borjes évoque directement l’histoire de la Tour de Babel.

Celle-ci fait l’objet de neufs versets dans la Bible. Elle raconte comment Dieu (ou Yahvé) aurait interrompu la construction d’une tour incroyablement haute.

Pour résumer simplement : après l’épisode du Déluge (je ne vous fais pas l’affront de vous le résumer, mais en gros : inondation monstrueuse, fin du monde, Arche de Noé…, vous voyez le topo ?), tous les hommes auraient décidé de s’installer dans la vallée de Shinéar (Irak actuelle). Là, ils auraient commencé à bâtir une ville et une tour si haute qu’elle devait toucher le ciel. Toutefois, la Bible raconte que Dieu interrompit la construction de cette tour avant qu’elle ne devienne le symbole de tous les possibles. Pour ce faire, il fit en sorte que les hommes, qui parlaient jusqu’alors tous la même langue, se mettent à parler plusieurs langues. Il les dispersa ensuite sur toute la surface de la Terre alors qu’ils vivaient tous dans la même vallée. Tous furent ainsi séparés les uns des autres, incapables de s’unir à nouveau car ils ne se comprenaient plus. (On pourrait dire que ce passage de la Bible illustre bien l’adage « Diviser pour mieux régner », mais ça n’est peut-être que mon humble avis…)

C’est ainsi, dit-on, que la multiplicité des langues et la dispersion des peuples sur la terre eurent lieu.

Pour les Chrétiens, l’épisode de la Tour de Babel est symbole d’hybris, c’est-à-dire d’un grand péché d’orgueil méritant le châtiment divin. En voulant toucher le ciel, les hommes se seraient élevés aussi haut que Dieu, ce qui, d’après les écrits bibliques, n’est pas envisageable (Dieu tout-puissant, tout ça, tout ça).

« Au XVIe siècle, le terme « Babel » devient un substantif qui désigne un lieu rempli de confusion. Aujourd’hui, il est un toujours utilisé dans ce sens, mais celui-ci s’est élargi vers une absence de communication, une construction démesurée, une entreprise vaine. »

Cette tour aurait véritablement existé, même s’il ne nous en reste que des ruines aujourd’hui. Ses restes se situeraient aujourd’hui dans la ville de Babylone en Irak. « De nombreux indices dans ce récit permettent de reconnaître Babylone, que les Hébreux ont vue durant leur longue captivité : Shinéar désigne la région de Sumer en Mésopotamie, et la tour est sans doute inspirée de la grande ziggurat de Babylone. Cette tour à étages à base carrée (observée et décrite par Hérodote, et dont les restes furent plus tard déblayés par Alexandre le Grand qui n’eut pas le temps de la reconstruire), était appelée l’Etemenanki,  »maison du fondement du ciel et de la terre ». Elle permettait au dieu babylonien Marduk de descendre parmi les hommes et au roi de s’élever jusqu’à la divinité. Les matériaux de constructions évoqués sont bien ceux qu’utilisaient les Mésopotamiens : dans cette plaine argileuse, ce sont les briques cuites qui servent à bâtir, et non la pierre. Le souverain de Babylone Nabuchodonosor II fit graver le souhait que la tour rivalise avec les cieux, et que son sanctuaire décoré de pierreries, au sommet, soit  »semblable aux signes inscrits au firmament ». »

Qu’elle ait véritablement existé ou non, la Tour de Babel tient aujourd’hui davantage du mythe et est inscrite dans notre inconscient collectif au même titre que la Bibliothèque d’Alexandrie, évoquée plus tôt dans cet article.

Source : Babel de la Bible à la littérature, CNDP-CRDP, Académie de Paris

En fait, il y a un truc avec les bibliothèques. Elles ont une sorte d’aura. Vous ne trouvez pas ? Bon, pas toutes. En particulier depuis qu’on essaye désespérément d’en faire des lieux soit-disant conviviaux comme si ça allait tout-à-coup redonner le goût de la lecture à tous les bambins du pays (MIRACLE §… Ah non, en fait). Pour ma part, j’aime les bibliothèques qui en mettent plein la vue ! Qui n’ont pas peur d’impressionner un peu les visiteurs qui osent s’y aventurer. Les vieilles pierres, les murs en bois, les parquets qui craquent et des rangées immenses et entières recouvertes de livres…! Ces bibliothèques-là, par exemple, ont une aura. Tandis que la médiathèque qui se trouve à côté de chez moi est… sympa (je l’aime bien, hein, elle est vraiment sympa mais elle n’a pas de charme particulier). Vous voyez ?

La Bibliothèque du 9e St-Rambert (Lyon) est pratique, à n'en pas douter. Elle a un look sympa, semble-t-il.
La Bibliothèque du 9e St-Rambert (Lyon) est pratique, à n’en pas douter. Elle a un look sympa, semble-t-il.
Cette Bibliothèque du Musée Condé (Domaine de Chantilly) est d'un genre totalement différent ! Deux siècles, environ, séparent sa construction et celle de la bibliothèque de Lyon (ci-dessus).
Cette Bibliothèque du Musée Condé (Domaine de Chantilly) est d’un genre totalement différent ! Deux siècles, environ, séparent sa construction et celle de la bibliothèque de Lyon (ci-dessus).
Cabinet Royal Portugais de Lecture (Biblioteca Real - Gabinete Portugues de Leitura), Rio de Janeiro, Brésil fondé en 1837 De style néogothique, elle contient plus de 350 000 livres anciens dont certains datent des XVe et XVIe siècles. (Classée 2e plus belle bibliothèque au monde par un site BuzzFeed)
Cabinet Royal Portugais de Lecture (Biblioteca Real – Gabinete Portugues de Leitura),
Rio de Janeiro, Brésil
fondé en 1837
De style néogothique, elle contient plus de 350 000 livres anciens dont certains datent des XVe et XVIe siècles.
(Classée 2e plus belle bibliothèque au monde par un site BuzzFeed)
Ce projet virtuel réalisé dans le cadre du concours International de la bibliotheque de Stockholm par l'Agence D3 architectes, a de faux airs de bibliothèque infinie. Non ?
Ce projet virtuel réalisé dans le cadre du concours International de la bibliotheque de Stockholm par l’Agence D3 architectes, a de faux airs de bibliothèque infinie. Non ?

Notre façon de construire nos bibliothèques, de les aménager, dépend de notre relation aux livres. C’est pourquoi ces lieux ont évolué avec le temps et qu’ils seront sûrement amenés à changer encore avec le développement des livres numériques, par exemple.

De nos jours, le livre est devenu un bien de consommation courante. Il n’y a pas encore si longtemps, il était plus rare de pouvoir posséder des livres (soit parce qu’on ne pouvait pas se les offrir, soit parce qu’on ne pouvait tout simplement pas les lire). C’est surtout au XIXe siècle que le livre s’est véritablement démocratisé. En France, nous pouvons notamment remercier pour cela Jules Verne et, surtout, son éditeur, Pierre-Jules Hetzel. Ce dernier est également l’éditeur de Victor Hugo et a travaillé avec Balzac, George Sand ou encore le dessinateur Grandville. Aujourd’hui, les couvertures des romans publiés par Hetzel sont encore célèbres et, sans le savoir, vous en avez peut-être déjà croisé des reproductions pour une raison ou une autre ! (Je consacrerai peut-être un article à ce phénomène, mais je vous invite à regarder quelques exemples ci-dessous, en attendant.)

En se consacrant à la publication de livres pour la jeunesse, à une époque où l’éducation ouvre peu à peu ses portes à un nombre grandissant de jeunes gens, Hetzel participe à faire en sorte que nous puissions tous, aujourd’hui, considérer les livres comme des objets du quotidien. Un simple fait qui a une importance incommensurable, si vous y réfléchissez deux minutes !

Pour en revenir à nos bibliothèques, sachez que le thème de la bibliothèque sans fin ou infinie a même su s’inscrire dans la culture pop. Preuve de son attrait. La série Doctor Who en a proposé sa propre version, par exemple.
Je garde, pour ma part, un excellent souvenir de ce double épisode de la série anglaise. Il m’a vraiment marqué.

Dans la quatrième saison (de la deuxième série, je précise pour les fans hardcore), le Docteur et son compagnon (Donna Noble) arrivent au 51e siècle sur une planète qui n’est qu’une immense bibliothèque. Partout. Toute la planète. Un peu comme si la Terre n’était qu’une bibliothèque à perte de vue. Vous voyez un peu le délire ? (Personnellement, j’adore l’idée **)

Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)

Tous les livres qui aient jamais été écrits sont répertoriés dans cette bibliothèque tout à fait hallucinante. « Ceux de Jeffrey Archer, Bridget Jones, Le Grand Livre rouge des Monthy Python, les dernières parutions, éditions spéciales » énumère en plaisantant David Tennant, dans son rôle de Docteur so british. Mais oui, théoriquement, ceux-là y sont. Entre autres.

Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008) : Vues extérieures de la bibliothèque (où l’on peut malgré tout voir des livres, tant tout l’espace de la planète semble avoir été aménagé pour les recevoir).
Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008) : Aperçu d’une partie de l’intérieur de la bibliothèque, avec ses étagères couvertes de livres sur plusieurs étages.

La bibliothèque est tellement grande qu’on s’y déplace en monorail suspendu (d’une certaine façon, so Steampunk, pour le coup, ce qui n’est pas pour me déplaire) ! Quant aux arrêts, ce sont les différentes sections de la bibliothèque (je vous laisse admirer mes superbes captures d’écran, d’un qualité d’image fabuleuse…).

Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008) : Aperçus du monorail qui zèbre la bibliothèque et doit permettre à ses usagers de pouvoir la parcourir en long, en large et en travers de façon rapide et efficace (encore que s’il s’agit vraiment d’une planète entière, recouverte d’une bibliothèque, on peut se demander si l’avion n’aurait pas été plus rapide… Ou alors ce monorail est très très rapide lui aussi. Nous sommes au 51e siècle après tout.)
Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008) : Aperçu d’un des arrêts du monorail, menant à la section « Xeno Biology Art » de la bibliothèque.

Est-ce que ce type d’installations gigantesques sera un jour créé ? Hautement improbable. Même si on peut penser que notre civilisation gardera encore un moment le besoin de transcrire son savoir de façon tangible (sur du papier, quoi), il y a fort à parier que nous finirons (malheureusement) par passer, tôt ou tard, au tout numérique, au tout virtuel.
Cela dit, en attendant que cela se produise, il nous faudra forcément agrandir nos bibliothèques. Toujours plus de livres, en de plus en plus d’exemplaires, pour lesquels il nous faudra toujours plus de place.
De là à recouvrir une planète entière… L’idée est romantique mais c’est à peu près tout. Et puis, sans vous vendre la mèche si vous n’avez pas vu ce très bon double-épisode, ça ne finit pas forcément très bien dans Doctor Who.

En cherchant des informations sur la bibliothèque infinie (et donc impossible à représenter) de Borges, il n’est pas rare de tomber sur les oeuvres de Maurits Cornelis Escher (M.C. Escher). Notamment sur une de ses gravures les plus célèbres, Relativité de 1953. Une lithographie que tout le monde a déjà vu au moins une fois dans sa vie tant elle est célèbre et qui est une merveille d’illusion d’optique comme cet artiste savait si bien les réaliser.

M.C. Escher, Relativité Gravure, Lithographie, 1953 294 x 282 cm
M.C. Escher, Relativité
Gravure, Lithographie, 1953
294 x 282 cm

Là encore, c’est un procédé finalement très mathématique qui est utilisé pour représenter l’espace. Et le résultat est aussi impossible à vivre réellement que la Bibliothèque de Babel de Borges.

En fait, avec la nouvelle de Borges, nous sommes dans quelque chose que notre esprit n’est pas capable de se représenter. Ou alors, pas sous une forme simple. Pourtant, Lorenzo Soccavo, chercheur indépendant en prospective du livre et de la lecture à Paris, n’hésite pas à comparer l’idée de cette bibliothèque à quelque chose de bien tangible de nos jours : les data-centers qui abritent notre cher Internet. Il écrit :

guillemet« La Bibliothèque de Babel n’est pas aujourd’hui sans nous rappeler les gigantesques data-centers des géants de l’électronique mondiale et de l’entertainment réunis, où chaque « livre » numérique est une infinie suite de 0 et de 1. »

Lorenzo Soccavo, « Des sources imaginaires de la prospective du livre », 1er juillet 2013 (Source)

En fait, ce ne sont plus seulement nos livres qu’Internet abrite mais tout ce que nous écrivons (sous une forme ou une autre, car les données restent finalement des écrits, même si elles forment finalement une vidéo ou une image au final, par exemple). Le pire comme le meilleur.

Dans Doctor Who, c'est plutôt cette chère River Song qui nous dirait "Spoilers !" avec un petit sourire énigmatique.
Dans Doctor Who, c’est plutôt cette chère River Song qui nous dirait « Spoilers ! » avec un petit sourire énigmatique.

Toutefois, contrairement à la Bibliothèque de Babel, nous ne trouvons pas encore sur Internet ce qui n’a pas encore été écrit mais pourrait l’être. Et heureusement. Parce que le meilleur comme le pire serait d’autant plus démultipliés et surtout parce que, comme le dirait le Docteur : SPOILERS !! Autrement dit, chaque chose en son temps et ne jouons pas les Nostradamus.

Paradoxalement, même si je vous parlais de bêtise humaine au début de cet article, qu’est-ce qui se cache derrière cette idée de la bibliothèque infinie ? L’envie de tout connaître, de tout savoir. C’est une soif d’apprendre absolument faramineuse. Et j’avoue que, pour ma part, j’ai déjà rêvé de posséder, ne serait-ce qu’un instant, tout le savoir du monde. De quoi cela aurait-il l’air ? Est-ce que ce serait humainement possible ? Probablement pas. Ca rendrait fou n’importe lequel d’entre nous, sans nul doute. Pourtant, à l’idée de pouvoir répondre à toutes les questions possibles et imaginables, j’en ai des frissons dans le dos, à la fois d’envie et de terreur.

Mon copain avait ce gif comme avatar sur un forum, il y a quelques années. Je l'ai toujours trouvé très parlant.
Mon copain avait ce gif comme avatar sur un forum, il y a quelques années (spéciale kassdédi à lui qui corrige tous mes articles dans l’ombre, je te mets trois coeurs <3<3<3). Je l’ai toujours trouvé très parlant sur notre relation amour-haine avec le web. (désolée pour les âmes sensibles, si cela existe encore)

« Grandeur et misère de l’homme » résumait parfaitement Blaise Pascal dans ses Pensées. Grandeur dans certains de ses rêves et aspirations. Misère, la plupart du temps, dans la plate réalisation de sa vie. Pourtant, si notre bibliothèque infinie qu’est Internet doit un jour tout contenir, elle se doit d’enregistrer à la fois ces deux aspects de nous. Aussi frustrant que cela puisse l’être au quotidien (avouez que certains internautes nous donnent parfois des envies de meurtre bien sanglant, bien sale, bien plein de viscères éclatés partout sur les murs).

Est-ce que nos futurs descendants, dans je ne sais combien de siècles, diront de nous que nous vivions un deuxième Moyen-Age ? Peut-être. Cela voudra dire qu’une deuxième Renaissance nous aura suivis. Dans ce cas, quand même, vivement qu’elle se pointe !


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