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Charging Bull, Fearless Girl et Pissing Pug : Artception à Wall Street

Pour mon grand retour sur Studinano, après des mois plutôt… difficiles à surmonter, dirons-nous, j’ai décidé de vous parler d’une histoire artistique très actuelle et dont les rebondissements ne semblent pas s’arrêter, de mois en mois.

Nous partons pour New-York. Dans le quartier des affaires de Manhattan (rappelons au passage aux bacheliers de ne pas faire la même erreur que l’an dernier si, éventuellement, le nom de ce quartier apparaissait encore en pleine épreuve d’anglais : OUI C’EST À NEW-YORK ET OUI NEW-YORK EST AUX ÉTATS-UNIS ). Plus précisément encore, nous nous rendons tout près de la bourse de New-York, à Wall Street.

Charging Bull : Le taureau de Wall-Street

Dans ce quartier pour le moins connoté, se trouve, depuis 1989, une œuvre de l’artiste Arturo Di Modica : Charging Bull. Aussi surnommé « le taureau de Wall Street ». Il s’agit d’une sculpture en bronze d’un (je vous le donne en mille) taureau assez imposant étant en train de se préparer à charger.

Le Taureau de Wall Street (Charging Bull), Arturo Di Modica, Sculpture en bronze, 3,4 m x 4,9 m, 1989, Bowling Green, Broadway & Morris St, New York, NY 10004, États-Unis.
Le Taureau de Wall Street (Charging Bull), Arturo Di Modica, Sculpture en bronze, 3,4 m x 4,9 m, 1989, Bowling Green, Broadway & Morris St, New York, NY 10004, États-Unis.
Le Taureau de Wall Street (Charging Bull), Arturo Di Modica, Sculpture en bronze, 3,4 m x 4,9 m, 1989, Bowling Green, Broadway & Morris St, New York, NY 10004, États-Unis.
Le Taureau de Wall Street (Charging Bull), Arturo Di Modica, Sculpture en bronze, 3,4 m x 4,9 m, 1989, Bowling Green, Broadway & Morris St, New York, NY 10004, États-Unis.
We Can Do It ! J. Howard Miller pour Westinghouse Electric, 1943, affiche de propagande américaine.
We Can Do It ! J. Howard Miller pour Westinghouse Electric, 1943, affiche de propagande américaine.

Cette œuvre a la particularité de ne pas être une commande de la ville, ni d’aucun organisme ou mécène particulier. C’est l’artiste qui, en 1989, a fait « livrer » l’œuvre sous un sapin de Noël, devant la bourse de New-York. C’était peu après le krach boursier de 1987 (qui a donné lieu au Black Monday) et il s’agissait, en quelque sorte, d’un cadeau aux habitants de la ville, célébrant leur esprit « can-do » (WE CAN DO IT § Ca vous dit forcément quelque chose, la dame en bandana, qui remonte fièrement sa manche avec l’air déterminé, tout ça, tout ça, je vous la mets sur le côté parce que je suis très gentille et on y reviendra plus tard). Bref, leur esprit « on peut » ou « nous pouvons » le faire (je vous épargne la conjugaison complète du verbe même si, à nouveau, j’ai une pensée pour les futurs bacheliers qui, par malheur, passeraient par ici en ces jours sombres… sortez un Bescherelle, bordel.) (On va croire que j’ai un truc contre les bacheliers mais, ne vous formalisez pas, c’est juste thématique, hein, en vrai : bon courage les gars \o/ YOU CAN DO IT § Comme ça, c’est doublement thématique.) (Et ça suffit, les parenthèses qui se succèdent, merde).

Arturo Di Modica posant près de son taureau.
Arturo Di Modica posant près de son taureau.

Pour l’artiste, ce taureau représente la force et le courage. Il est censé être un symbole pour New-York, ses habitants et ses visiteurs : vous pouvez le faire, vous pouvez réussir parce que vous êtes forts et courageux, et non pas parce que vous avez ou non de l’argent ! Car n’oublions pas qu’initialement, le taureau avait été déposé par Arturo Di Modica juste devant la bourse de New-York.

Bref, une œuvre comme on les aime. Pleine de bons sentiments et d’American Dream (encore que, j’admets, ce taureau a quand même une certaine gueule).

Mais tout cela a bien changé ! Les années ont passé et même si l’œuvre est devenue une véritable attraction touristique dans le quartier, on peut dire que son sens originel s’est un peu perdu en chemin. Beaucoup voient aujourd’hui dans ce taureau le symbole de l’argent, du système capitaliste, prêt à foncer et à écraser tout ce qui se dresserait sur son passage. Disons qu’il ne plaît plus forcément à la même population qu’au départ, vous voyez ?

Le Taureau de Wall Street (Charging Bull), Arturo Di Modica, Sculpture en bronze, 3,4 m x 4,9 m, 1989, Bowling Green, Broadway & Morris St, New York, NY 10004, États-Unis.
Le Taureau de Wall Street (Charging Bull), Arturo Di Modica, Sculpture en bronze, 3,4 m x 4,9 m, 1989, Bowling Green, Broadway & Morris St, New York, NY 10004, États-Unis.

Notons quand même que le taureau représente alors déjà l’économie qui remonte, qui repart à la hausse. Il est déposé par l’artiste après l’un des plus importants krachs boursiers qu’ait connu le pays. En 1989, les choses sont rentrées dans l’ordre et ce taureau chargeant, du bas vers le haut, représente bien ce mouvement ascendant, cette amélioration. De plus,  à l’origine, le mot « bullish » en anglais signifie « hausse de la bourse ». Bull, bullish, de là à y voir un lien, il n’y a qu’un pas.

C’est dans ce contexte qu’en mars 2017, les new-yorkais ont la surprise de découvrir qu’une nouvelle statue a pris place juste en face de leur cher taureau. C’est une petite fille qui se dresse fièrement devant l’énorme animal. Elle a les mains sur les hanches et semble le défier du regard. On surnomme rapidement cette sculpture la Fearless Girl (la fille sans peur). Et c’est là que les ennuis commencent !

Fearless Girl, Kristen Visbal pour la State Street Global Advisors, Sculpture en bronze, 121, 92 cm de haut, 2017, Bowling Green, Broadway & Morris St, New York, NY 10004, États-Unis.
Fearless Girl, Kristen Visbal pour la State Street Global Advisors, Sculpture en bronze, 121, 92 cm de haut, 2017, Bowling Green, Broadway & Morris St, New York, NY 10004, États-Unis.

Fearless Girl : Une femme pour les contrôler tous !

La Fearless Girl est une oeuvre de Kristen Visbal. Contrairement à l’œuvre de Arturo Di Modica, il s’agit d’une commande. Et pas de n’importe qui ! De la State Street Global Advisors (SSgA). Une firme qui fait dans l’investissement. Une firme dans la pure veine de Wall-Street, donc.

On est bien loin du message initial censé être porté par l’œuvre de Arturo Di Modica : vous pouvez tous réussir, même sans argent !… Mais, quand même, investir, c’est bien pour devenir encore plus riche, c’est-à-dire réussir encore plus (comment ça, réussir c’est pas forcément être riche ? Allons dont ! Petits bisounours !) et ça fait tourner l’économie pour faire encore plus de super riches (et de super pauvres). Non, le sens initial de Charging Bull a été zappé avec le temps.

Fearless Girl, Kristen Visbal pour la State Street Global Advisors, Sculpture en bronze, 121, 92 cm de haut, 2017, Bowling Green, Broadway & Morris St, New York, NY 10004, États-Unis.
Fearless Girl, Kristen Visbal pour la State Street Global Advisors, Sculpture en bronze, 121, 92 cm de haut, 2017, Bowling Green, Broadway & Morris St, New York, NY 10004, États-Unis.
Fearless Girl, Kristen Visbal pour la State Street Global Advisors, Sculpture en bronze, 121, 92 cm de haut, 2017, Bowling Green, Broadway & Morris St, New York, NY 10004, États-Unis.
Fearless Girl, Kristen Visbal pour la State Street Global Advisors, Sculpture en bronze, 121, 92 cm de haut, 2017, Bowling Green, Broadway & Morris St, New York, NY 10004, États-Unis.

Contre toute attente (la mienne, en tout cas), la Fearless Girl devient, aux yeux du grand public, le symbole de la femme forte, se dressant sans peur devant le grand méchant taureau qui, vous l’aurez compris, a désormais tout du symbole capitalo-patriarcal (« l’homme blanc riche » pour ceux qui n’ont pas encore le dico des tendances linguistiques de 2017). Ca ne vous rappelle rien ? La nana forte de l’affiche « We can do it », un peu plus haut ? Tiens, tiens… Le message semble glisser d’une œuvre à l’autre. C’est super bien joué de la part de la Fearless Girl.

Résumons. Les gens voient désormais une petite fille qui se dresse sans peur face au taureau, représentation de l’homme viril, colérique, sans aucune finesse. Girl power ! La Fearless Girl devient un symbole féministe et, plus encore, un symbole humaniste : l’enfant, autrement dit les générations futures, renverseront tôt ou tard le système capitaliste, et la société qui l’accompagne, car ils n’en ont pas peur.

Mais que fait-on de ce pourquoi les artistes ont, respectivement, fait ces œuvres au départ ? Arturo Di Modica n’a jamais dit que son taureau était un symbole du capitalisme triomphant. Encore moins de l’homme blanc viril, sans peur et sans reproche. Quant à Kristen Visbal, elle a réalisé cette petite fille pour répondre à la commande d’une firme capitaliste. Pis encore ! Sa sculpture était initialement accompagné d’un cartel qui disait : « Know the power of women in leadership. SHE makes a difference » (« Voyez le pouvoir des femmes dans le leadership. ELLES font la différence »). On pourrait croire, de prime abord, que SHE (elle en anglais) est en majuscule parce que ce mot est important dans la phrase et parce que l’on insiste sur l’importance des femmes. Que du bon, donc ! Sauf que SHE désigne aussi le code mnémonique (code, souvent formé de trois lettres,  permettant de désigner rapidement une action en bourse) de la firme State Street Global Advisors (SSgA), qui a passé commande de la statue afin de promouvoir son fonds indiciel. Alors, qui fait la différence ? She ou SHE ? Les femmes ou la firme SSgA ?

Comme par hasard, la plaque est retirée.

La plaque est là en mars... Elle n'est plus là en mai.
La plaque est là en mars… Elle n’est plus là en mai.

Et là, vous vous dites : BIM ! Le château de cartes s’écroule. La Fearless Girl perd toute crédibilité. Et on la retire pour laisser tranquille ce pauvre taureau.
Sauf que non. Parce que tandis que Big Flo et Oli chantent « Personne n’écoute les paroles » dans leur dernier clip (à écouter et à voir ici : https://www.youtube.com/watch?v=ib_DmsyXBVA), j’ajouterai aussi que personne ne lit jamais rien avant de se lancer corps et âme sur Facebook ou Twitter pour lancer la réputation d’une chose ou d’une autre (j’avoue, ça rallonge un peu le refrain de la chanson…).
La Fearless Girl est toujours considérée, pour l’instant, comme un chouette symbole féministe et anti-capitaliste. Mieux encore, nombreux sont ceux qui considèrent qu’elle a besoin du Charging Bull pour exister car si on les sépare, le message porté n’a plus aucun sens (même si, en fait, il n’en a déjà pas… après Inception : Artception ! Des oeuvres d’art dans des oeuvres d’art et des messages artistiques dans des messages artistiques et, au final, un joyeux bordel pour savoir si cette foutue toupie se casse la gueule ou pas, à la fin du film, ce qui ne serait pas arrivé avec un hand spinner, qu’on se le dise).

MAIS ! Mais ! Mais. L’histoire ne serait pas croustillante à souhait si elle s’arrêtait là.

Pissing Pug : La pièce manquante ?

Le 30 mai dernier, c’est un troisième artiste qui vient mettre son grain de sel dans la controverse. Alex Gardega installe, ce jour-là, une troisième sculpture à l’ensemble : un chien (un carlin, soyons précis) venant, littéralement, pisser sur les chaussures de la Fearless Girl. L’artiste explique qu’il l’a volontairement fait très moche, de manière à ridiculiser complètement la fillette. Pour lui, elle dénature l’œuvre originelle (le Charging Bull) et cela constitue une atteinte au droit d’auteur.

La Fearless Girl désormais affublée de son Pissing Pug.
La Fearless Girl désormais affublée de son Pissing Pug.

Alex Gardega explique également que la Fearless Girl est une « absurdité institutionnelle ». En disant cela, on sent bien que c’est bien contre les initiateurs de la commande qu’il s’indigne en plaçant là son chien (déjà surnommé le « Pissing Pug« , soit dit en passant).

Mais c’est évidemment le geste iconoclaste que l’on retient : le Pissing Pug passe pour une attaque contre les femmes, contre le féminisme, contre l’idée qu’une femme pourrait avoir du pouvoir ou ne serait-ce que les mêmes droits et possibilités qu’un homme. Bref, contre tous ces symboles qui se sont attachés, au fil des mois, à la Fearless Girl.
Quant à Alex Gardega, on l’accuse non seulement d’être misogyne mais aussi de taper une colère qui n’a pas lieu d’être, comme un gros gamin (ce qui est rigolo parce qu’on parle de petite fille… et lui, on le taxe de gamin… ahah… je fais ce que je peux avec la dose d’humour qu’on m’a accordée à la naissance, ok !?). Autant vous dire que les insultes fusent sur les réseaux sociaux et jusque dans les médias !

Mais, attendez deux secondes : on parle bien de sculptures, non ? Pas d’une véritable petite fille sur laquelle un homme aurait poussé son chien à faire ses besoins. Pourtant, il est intéressant de constater que la Fearless Girl est devenue intouchable au fil des mois. Et d’aucuns la défendent vraiment comme s’il s’agissait d’une véritable petite fille :

Traduction du tweet : "Voici Alex Gardega, l'homme qui a ajouté "pissing dog" à côté de "Fearless Girl". C'est une oeuvre misogyne, quoi qu'il en dise."
Traduction du tweet : « Voici Alex Gardega, l’homme qui a ajouté « pissing dog » à côté de « Fearless Girl ». C’est une œuvre misogyne, quoi qu’il en dise. »
Traduction du tweet : "Votre acte est le reflet de la haine qui existe en Amérique envers les femmes et les filles. Nous avons le droit d’exister."
Traduction du tweet : « Votre acte est le reflet de la haine qui existe en Amérique envers les femmes et les filles. Nous avons le droit d’exister. »

L’amalgame qui est fait entre l’œuvre et ce qu’elle représente est assez troublant et assez intéressant à la fois. On sent bien que quelque chose se passe autour de la Fearless Girl. Comme si elle était l’œuvre que beaucoup attendaient. Le porte étendard d’une bataille qui s’éternise : la lutte pour les droits des femmes et l’égalité homme-femme.

On le sent bien quand, sous son premier tweet, cette personne ajoute :

Traduction du tweet : "Voyez cette petite fille debout, là. Qu'est-ce que cela lui dit ?"
Traduction du tweet : « Voyez cette petite fille debout, là. Qu’est-ce que cela lui dit ? »

La Fearless Girl est aussi devenue un message d’espoir pour les générations futures : elle représente toutes les futures femmes de demain. Du coup, quand Alex Gardega installe son Pissing Pug, ça passe mal. Très mal. Parce que ce qu’il vise en réalité, les gens l’ignorent totalement. Et il vient s’attaquer à bien plus fort que lui : une œuvre devenue un symbole. Son Pissing Pug ne pisse pas pour le droit d’auteur, il pisse contre les femmes. Et tout ce qu’il dira n’y changera rien parce que c’est ce que tout le monde voit.

Du coup, c’est qui-qui gagne à la fin ?

Toute cette histoire est finalement représentative d’une question très intéressante en Art : qui fait l’œuvre ? C’est l’artiste, me direz-vous. Et, en effet, c’est la plupart du temps l’artiste qui fait matériellement l’œuvre. C’est lui qui la fabrique. Mais qui lui donne son sens ? C’est celui qui la regarde ; celui qui la reçoit. L’œuvre finit toujours par échapper, plus ou moins totalement, à son auteur. Elle prend vit dans le regard de celui qui la découvre, qui l’admire, qui l’expérimente. Et c’est avec notre individualité, notre propre regard sur le monde, que nous donnons du sens à une œuvre – ou non. Tout dépend de notre façon de la recevoir.

Mais, du coup, qui a raison, dans cette histoire ? Est-ce ceux, comme moi, qui se sont penchés sur les histoires de ces œuvres pour connaître les raisons qui ont poussé ces artistes à les réaliser ? Ou est-ce le public, pas forcément au courant de toutes ces controverses, mais qui se fie à ses impressions, ses ressentis face aux œuvres ? Je dirais qu’il y a un peu des deux. Et qu’un peu des deux sont irréconciliables parce que personne ne s’écoute jamais, de toute façon (Big Flo et Oli, le retour, il faut que j’arrête avec cette chanson). Mais aussi, et surtout, parce que ça n’est jamais qu’une question de réception : je reçois une œuvre de telle façon parce que c’est ainsi que je suis. Cela peut être dû à mon éducation, à ma culture, à mes expériences dans la vie, à ce que je sais ou non au moment de voir une œuvre, et même à ce que je ressens au moment précis où je la vois. Si j’ai passé une journée géniale ou une journée pourrie, je ne saluerai pas forcément ma boulangère de la même façon (en fait, si, parce que je suis polie, mais dans ma tête, non).  C’est plus ou moins la même chose pour les œuvres d’art.

C’est plutôt pas mal, d’ailleurs, parce que ça veut dire que votre perception d’une œuvre peut toujours changer ! Alors, si j’étais vous, de temps en temps, j’irai me repencher sur des œuvres que j’ai trouvées inintéressantes, voire complètement nulles, juste pour voir si vous en tirez quelque chose de neuf. Si ça se trouve, vous étiez passés à côté de votre film, de votre livre, de votre artiste préféré sans le savoir ! (Oui, je suis optimiste, parfois.)

Quant à ces trois sculptures, je trouve pour ma part qu’il serait désormais dommage de les séparer. Elle forme un ensemble des plus intéressants. L’avenir nous dira quelle sera la décision de la ville de New-York. Ou, qui sait ? Peut-être qu’une quatrième statue viendra à son tour ruiner le Pissing Pug. Affaire à suivre !


Sources :
Un artiste en colère installe la sculpture d’un chien qui pisse à côté de la Fearless Girl de Wall Street
Arturo Di Modica with His Most Famous Creation — The Charging Bull


N’oubliez pas de laisser un petit commentaire avant de partir ;) (que l’article vous ait plu ou pas !)

Le verre et Dale Chihuly

Photo de Dale Chihuli
Photo de Dale Chihuli

Dale Chihuly est un artiste verrier américain (né en 1947) à l’allure étrange (depuis un grave accident de voiture, il porte un bandeau sur l’oeil gauche qui lui donne l’allure d’un pirate) on ne peut plus prolifique.

Et c’est tant mieux, car c’est un véritable magicien !

Il façonne des bulles, des fleurs, des tiges, des frondes scintillantes, transparentes, translucides, somptueuses

Pourtant, son travail consiste aujourd’hui à guider ses employés et non plus à souffler lui-même le verre. En effet, il n’en est plus capable depuis qu’un autre accident (de bodysurfing, cette fois) lui a valu un problème à l’épaule.
A ce propos, lors d’une interview en 2006, l’artiste explique que depuis qu’il n’a plus le nez sur ses créations, il aime ce qu’il voit. Autrement dit, cela lui permet de voir ses oeuvres sous un autre angle.
Chihuly se décrit aujourd’hui davantage comme le chorégraphe de ses oeuvres alors qu’il en était autrefois le danseur.

Bref, l’artiste a changé de façon de travailler mais il n’en reste pas moins l’instigateur de toutes ses créations.

Son travail s’articule autour des formes naturelles et l’ensemble de ses créations semblent flotter et être d’une légèreté fascinante. Ses oeuvres me font parfois penser aux barrières de corail et ressemblent souvent à des paysages aquatiques multicolores. J’adore la faculté de l’artiste à mêler les couleurs et la lumière. Chihuly explore les possibilités du verre (de son opacité à sa transparence, en passant par tout un tas de variantes) jusqu’à parvenir à une sorte de surréalisme-naturel. Je ne me lasse pas de regarder ses créations dont je ne vous donne ici qu’un tout petit aperçu.

Pour en voir davantage, je vous conseille de faire des recherches à son sujet ou de visiter son site officiel : http://www.chihuly.com/

Croyez-moi, vous ne le regretterez pas !

Joel-Peter Witkin – Le Baiser

Mon année de Master commence avec la découverte d’artistes pour le moins fascinants mais, il faut aussi l’admettre… glauques. Âmes sensibles s’abstenir car l’histoire qui se cache derrière la photographie dont je vais vous parler aujourd’hui pourrait bien vous faire cauchemarder.

Joel-Peter Witkin, Le Baiser, Photographie, 1883.
Joel-Peter Witkin, Le Baiser, Photographie, 1883.

Il s’agit d’une photographie de Joel-Peter Witkin datant de 1983. Cet artiste américain avait pour habitude de trainer dans les morgues et de choisir pour modèles tantôt des cadavres, tantôt des personnes atteintes de certaines difformités rares.

Ici, l’artiste a récupéré une tête. Celle-ci avait été découpée en deux par des étudiants en médecine afin d’être étudiée. L’artiste a choisi de réunir les deux profils obtenus afin de créer cette œuvre, appelée Le Baiser. La tête ainsi photographiée, on croirait voir deux hommes s’embrasser ; il n’y en a qu’un en réalité et il n’est plus de ce monde.

« Il magnifie les cadavres et cajole les monstres. » écrit Luc Le Vaillant dans Libération en janvier 2000 (Source). « [Il] compose son œuvre en Frankenstein, à base de cadavres et de difformités. »

Joel-Peter Witkin portait un grand intérêt à la mort, au sentiment qu’elle procure, aux réactions provoquées par la vue des cadavres. Lui-même était fasciné par cet état irrévocable. Il expliquait devoir cela à un évènement ayant marqué son enfance ; il aurait vu une fillette être violemment percutée par une voiture. Sa tête aurait alors roulé jusqu’à ses pieds…
L’artiste sait construire sa légende. Comme lorsqu’il raconte que sa mère attendait initialement des triplés, dont il ne restera que son jumeau et lui. Il fait du troisième enfant, une fille, une muse qui n’aura jamais vu le jour. Il distille sa fascination pour la mort partout dans son œuvre et jusque dans son personnage d’artiste ; il met le tout en scène comme il le fait avec ses cadavres.

L’artiste mettait en scène les dépouilles comme un marionnettiste d’un genre macabre. Il dit : « Je ranime les inanimés. » Il photographiait des scènes d’un surréalisme fou et, en même temps, d’une grande modernité.

Alors, poésie et intérêt réel intérêt pour la mort ? Besoin de choquer les spectateurs ? Loisir malsain ? La question reste ouverte.

Notons toutefois que les gens du XIXème siècle n’hésitaient pas à prendre leurs proches défunts en photo : c’était alors une façon de conserver le souvenir d’un être aimé, parti trop tôt. Il n’est pas rare, aujourd’hui, de retrouver ces photographies dites « post-mortem ». Y compris des portraits d’enfants morts, plus ou moins jeunes, posant parfois avec leurs frères et sœurs ou leurs parents.
Certains sites internet vous invitent même à participer à des jeux où le but est de découvrir si la personne sur la photo était morte ou non, lors de la prise de vue. Et, comme de bien entendu, ces clichés semblent fasciner un certain nombre de personnes.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Poétique ? Glauque ? Un peu des deux ? Dites-moi tout !
Sources :

Wikipédia – Joel-Peter Witkin
Baudoin Lebon – « Joel-Peter Witkin »
Bibliothèque Nationale de France (BnF) – Joel-Peter Witkin. Enfer ou Ciel.
Libération :  » Joël-Peter Witkin, 60 ans, photographe américain. Compose son oeuvre en Frankenstein, à base de cadavres et de difformités. Du corps à l’outrage »