Archives par mot-clé : sculpture

L’éléphant de la Bastille

Aquarelle de Jean-Antoine Alavoine (1776-1834) Dernier projet pour la fontaine de l'Éléphant de la Bastille (1809-1810) H : 41 cm, L : 51,8 cm L'aquarelle est contresignée par Vivant Denon et Alavoine (architecte du projet) Musée du Louvre, Paris
Aquarelle de Jean-Antoine Alavoine (1776-1834) Dernier projet pour la fontaine de l’Éléphant de la Bastille (1809-1810) H : 41 cm, L : 51,8 cm L’aquarelle est contresignée par Vivant Denon et Alavoine (architecte du projet) Musée du Louvre, Paris

Cet éléphant, pour le moins monumental, aurait pu être construit au beau milieu de la Place de la Bastille à Paris !

Ce que je vous propose de voir ici est une aquarelle de Jean-Antoine Alavoine (1776-1834). Il s’agit du dernier projet pour la fontaine de l’Elephant de la Bastille (1809-1810). Elle se trouve aujourd’hui au Musée du Louvre à Paris. Vous allez me dire, c’est bien beau, mais qu’est-ce que c’est que cette histoire d’éléphant !? Pourquoi ? Comment ?

Un éléphant géant pour… Napoléon !

Je ne vous le cache pas, il s’agissait d’un projet napoléonien. Même si cela peut aujourd’hui nous sembler absurde, l’éléphant portait en lui une riche symbolique qui expliquait le souhait du souverain :

  • Il représentait l’image du pouvoir :
    1. François Ier l’avait fait figurer sur une fresque du château de Fontainebleau comme symbole du pouvoir royal.
    2. Mais l’animal pouvait aussi faire référence aux conquérants antiques comme Alexandre Le Grand ou Hannibal, célébrant ainsi indirectement les conquêtes napoléoniennes comme des héritières.

      L'éléphant comme symbole du pouvoir royal (fresque de Rosso pour Fontainebleau, 1534-1540).
      L’éléphant comme symbole du pouvoir royal (fresque de Rosso pour Fontainebleau, 1534-1540).
  • Il rappelait aussi le goût de l’époque pour l’Orient :
    • Badge_of_the_Order_of_the_Elephant_heraldique
      Emblème de l’Ordre de l’Eléphant

      Napoléon était allé en Égypte. Pays d’où il avait ramené l’Obélisque que nous pouvons toujours admirer sur la Place de la Concorde à Paris. Napoléon se voit aussi offrir les sabres de Tamerlan et de Thamas Kouli-Khan, deux grands dirigeants et conquérants, par un ambassadeur du shah de Perse.  Mais, surtout, le 18 mai 1808, il est fait chevalier de l’Ordre de l’Éléphant par le roi Frédéric VI de Danemark. Et devinez quel est l’emblème de cet ordre ? Un éléphant portant une tour…

    • Mais le XIXe siècle est aussi connu pour son mouvement Orientaliste, marqué par l’intérêt de cette époque pour les cultures d’Afrique du Nord, turque et arabe, toutes les régions dominées par l’Empire Ottoman, jusqu’au Caucase. Parmi les artistes ayant pu être Orientalistes, il y a de grands noms : Ingres, Delacroix, Renoir, Picasso, Matisse,… Le Douanier Rousseau participe également à créer un certain goût pour l’exotisme.

      Jean Auguste Dominique Ingres, La Grande Odalisque, 1814, Louvre, Paris
      Jean Auguste Dominique Ingres, La Grande Odalisque, 1814, Louvre, Paris
    • Gravure de Léon Bennett illustrant l'éléphant du roman La Maison à Vapeur de Jules Vernes (1880).
      Gravure de Léon Bennett illustrant l’éléphant du roman La Maison à Vapeur de Jules Vernes (1880).

      En littérature, Jules Verne est également de ceux qui alimentent cette passion pour l’Ailleurs grâce à tous ses Voyages Extraordinaires. Dans La Maison à vapeur, roman de 1880, Jules Vernes raconte d’ailleurs l’histoire d’un gigantesque éléphant à vapeur, tirant deux wagons tout confort et étant même amphibie.

    • Plus largement, le XIXe siècle crée les Expositions Universelles. Ces lieux immenses, occupant souvent une large partie des villes qui les accueillent, comme Paris ou Londres, sont l’occasion de découvrir de nouvelles cultures. Parmi mille et une autres merveilles, des pavillons nationaux sont dressés. En 1900, par exemple, Paris accueille l’Exposition Universelle et le public peut y visiter les pavillons de la Finlande, de la Suède, des Etats-Unis, de l’Allemagne, de la Hongrie, de l’Empire Ottoman, de l’Italie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Russie, de la Belgique ou encore de la Grèce. (à l’occasion, je vous écrirai un article sur les Expositions Universelles car elles me fascinent littéralement !)
      Voici quelques photographies (certaines ont été colorisées) montrant à quel point l’architecture de ces pavillons pouvait être orientalisante (même quand cela n’avait pas forcément de lien avec ce qui était exposé, comme pour le Palais des Mines et de la Métallurgie) :
  • Et puis, l’éléphant étant un animal aimant l’eau, il n’était pas idiot de l’imaginer jouer le rôle d’une fontaine. Tout simplement.

De mémoire d’éléphant, on avait déjà vu ça quelque part !

Eléphant portant un Howdah.
Eléphant portant un Howdah.

D’après les images du projet, l’éléphant devait être pourvu d’une tour qu’il porterait sur son dos.

Cette tour était censée rappeler un howdah. On appelle un howdah la sorte de palanquin (ou de siège) que portent les éléphants et qui servent, notamment, à transporter des personnes. Initialement, ces howdah étaient installés sur ces animaux pour chasser ou faire la guerre. Il s’agissait d’un symbole de richesse pour son propriétaire et il pouvait être très richement décoré.
La tour portée par l’animal devait donc évidemment servir à symboliser le pouvoir de Napoléon et, plus globalement, celui de la France.

Ca n’était cependant pas une idée nouvelle puisque des éléphants pourvus de tours avaient déjà été représentés dans des enluminures datant du Moyen-Age.

Représentation médiévale d'un éléphant de guerre (enluminure du XIVe siècle).
Représentation médiévale d’un éléphant de guerre (enluminure du XIVe siècle).

Mais, pourquoi une tour, me direz-vous ? Après tout, les howdah ne ressemblent pas à des tours, c’est assez absurde, non ? L’enluminure que je vous propose de voir ci-dessus date du XIVe siècle. C’est la fin du Moyen-Age et il y a eu plusieurs périodes de Croisades qui ont dû faire parvenir jusqu’en Europe des histoires d’éléphants de guerre. Mais ce ne sont jamais que des histoires ! Des mots ! Je vous laisse imaginer : vous êtes français, au XIVe siècle (contexte : Guerre de Cent Ans, Peste Noire… c’est une période assez joyeuse, vous voyez ?), vous n’avez jamais vu un éléphant de toute votre vie et quelqu’un vous raconte que des gens, dans des pays lointains où il fait toujours beau, se battent dans des sortes de tours portées par des animaux énormes appelés « éléphants ». Ce sont un peu leurs chevaux à eux, leur cavalerie. Oh et, ces animaux ont une trompe : c’est une sorte de gros tuyau qu’ils ont à la place du nez… Voilà. Et bien dites-vous que les enlumineurs devaient, grosso-modo, représenter des éléphants de guerre à partir de descriptions de ce genre (ok, j’ai peut-être un peu grossi le trait, mais vous voyez l’idée ?).

Mais un éléphant portant une tour, on en trouve également un, sous la forme d’une sculpture, dans les jardins de Bomarzo en Italie (voir ci-dessus). Considérés comme les jardins les plus extravagants de la Renaissance italienne, ils datent du XVIe siècle et on y trouve notamment des obélisques et des sphinx. Je dis « notamment » car on y trouve vraiment des sculptures très… étranges et appartenant à des cultures assez différentes. Par exemple : Protée, divinité marine ayant le don de métamorphose, dont la tête sortant du sol porte sur son crâne les armoiries de la famille Orsini (les commanditaires du jardin) ; Hercule écartelant Cacus qu’il maintient la tête en bas ; Vénus sur une conque (un coquillage) retournée dans une niche ; Une nymphe endormie sur laquelle veille un petit chien ; Cerbère, le chien à trois têtes qui garde la porte des Enfers ; une tortue portant sur sa carapace une Renommée ailée (c’est une divinité grecque) soufflant dans deux trompettes (détruites), en équilibre précaire sur un globe terrestre ; un Orque ( ou une sorte de baleine monstrueuse) la gueule ouverte, semblant attendre un faux pas de la tortue ou des promeneurs… ; une maison penchée… etc. Et au milieu de tout ça, donc, un éléphant de l’armée d’Hannibal soulevant un légionnaire romain.
Bref, l’histoire de ce parc est encore assez mystérieuse. Je vous laisse deviner pourquoi…

Salvador Dali, Le triomphe de l'éléphant, 1975
Salvador Dali, Le triomphe de l’éléphant, 1975-1984 Sculpture en bronze, patine vert émeraude, ange doré.

Pause précision : Si dans le jardin italien de Bomarzo on trouve donc une tortue portant une Renommée ailée, en 1975 Salvador Dali, lui, avait justement réalisé la sculpture d’un éléphant portant aussi une sorte de Renommée soufflant dans une trompette (le plus souvent, les descriptions parlent en fait d’un ange, tout simplement). Cette sculpture s’intitule Le Triomphe de l’Eléphant ou Eléphant de Triomphe (c’est selon les traductions, j’ai l’impression que personne ne sait vraiment… En tout cas, voir ci-contre). Malheureusement, on ne peut pas dire que la photo lui rende hommage… En réalité, cette sculpture est assez grande et impressionnante car elle mesure environ 265 cm.
Chez Dali, les éléphants étaient symbole d’avenir. Ils étaient une de ses images favorites et ils les représentaient souvent perchés sur de longues jambes frêles, comme ici, ressemblantes à des pattes de girafe squelettiques ou d’étranges moustiques. L’ange, jouant de la trompette, annonce une ère nouvelle. Le fait qu’il soit fait d’or signifie probablement qu’il s’agira d’une ère prospère. Mais l’éléphant, lourd et massif, a des pattes vraiment fines, dont la fragilité annonce des difficultés certaines. (Source)

La fontaine de l'éléphant, projet d'Alavoine (vers 1813-1814). Vue exposée au Salon de 1814, chromolithographie Paris, musée Carnavalet.
La fontaine de l’éléphant, projet d’Alavoine (vers 1813-1814).
Vue exposée au Salon de 1814, chromolithographie
Paris, musée Carnavalet.

Un des projets d’Alavoine sera même exposé au Salon de 1814 ! Il s’agit d’une gravure qui se trouve aujourd’hui au Musée Carnavalet (voir ci-dessus). Autant vous dire qu’il semblait tenir à ce projet et qu’il était tout-à-fait officiel.

Place de la Bastille vue depuis le 4e arrondissement ; au centre la colonne de juillet et à droite l'opéra Bastille.
Place de la Bastille vue depuis le 4e arrondissement ; au centre la colonne de juillet et à droite l’opéra Bastille.

D’ailleurs, on réalisa bel et bien le bassin et le socle de la fontaine et ceux-ci sont encore visibles de nos jours, sous la Colonne de Juillet.

Plus fort encore, un modèle en plâtre à l’échelle 1 fut même réalisé près du chantier avant d’être détruit ! On peut supposer, d’après les plans du projet d’Alavoine, que ce modèle mesurait 16 mètres de long et 24 mètres de haut, dont 15 mètres uniquement pour l’éléphant et la tour que devait supporter son dos (je vous laisse imaginer…).

La maquette en plâtre dans son hangar en 1830-31 (gravure d'après un dessin de Pugin père).
La maquette en plâtre dans son hangar en 1830-31 (gravure d’après un dessin de Pugin père).

Un éléphant bien misérable…

Victor Hugo fera de cette maquette le logement de fortune de son jeune personnage, Gavroche, dans Les Misérables (1862). Ce qui n’est pas totalement fou puisqu’on sait qu’avant d’être détruit, l’éléphant servit effectivement de refuge à des sans-abris, voire à des malfaiteurs, en plus d’héberger un certain nombre de rats (il avait été laissé complètement à l’abandon…).

guillemet« Il y a vingt ans, on voyait encore dans l’angle sud-est de la place de la Bastille, près de la gare du canal creusée dans l’ancien fossé de la prison-citadelle, un monument bizarre qui s’est effacé déjà de la mémoire des Parisiens (…).
C’était un éléphant de quarante pieds de haut, construit en charpente et en maçonnerie, portant sur son dos sa tour qui ressemblait à une maison, jadis peint en vert par un badigeonneur quelconque, maintenant peint en noir par le ciel, la pluie et le temps. Dans cet angle désert et découvert de la place, le large front du colosse, sa trompe, ses défenses, sa tour, sa croupe énorme, ses quatre pieds pareils à des colonnes faisaient, la nuit, sur le ciel étoilé, une silhouette surprenante et terrible. »

Source : Victor Hugo, Les Misérables (livre sixième, Le petit Gavroche), 1862

En 1831, un certain Levasseur en était apparemment le gardien (auto-proclamé ?) et vivait dans une de ses pattes. Malheureusement, le pachyderme était dans un tel état de délabrement qu’il ne pouvait plus être visité.

L’éléphant ne fut démonté qu’en 1846. Le Cocher du 2 août 1846, rapportant la démolition du modèle, précise qu’« il en est sorti plus de deux cents rats ».

Sur cette lithographie de Ph. Benoist, on peut voir la maquette de l'éléphant, à droite de la Colonne de Juillet.
Sur cette lithographie de Ph. Benoist, on peut voir la maquette de l’éléphant, à droite de la Colonne de Juillet.
Autre vue de l'éléphant de la Bastille, près de la Colonne de Juillet. (je n'ai pas pu trouver de qui était cette image, ni de quand elle datait exactement, mais il pourrait s'agir d'une gravure de Fedor Hoffbauer).
Autre vue de l’éléphant de la Bastille, près de la Colonne de Juillet.
(je n’ai pas pu trouver de qui était cette image, ni de quand elle datait exactement, mais il pourrait s’agir d’une gravure de ou d’après Fedor Hoffbauer).

Mais où est donc passé l’éléphant ? Pourquoi n’a-t-il pas vu le jour ?
Je vous vois venir ! « Bah… Parce que c’était un éléphant géant. Quelle idée d’aller construire ça sur la Place de la Bastille ! » Et, ma foi… Vous n’avez pas vraiment tort (même si, à titre purement personnel, j’aurais trouvé ça particulièrement osé et génial, mais je suis une excentrique, vous savez :D). Certains pensaient effectivement que cette idée était un peu grotesque (bon, pas au point de le dire comme ça, tout net, à Napoléon quand même). Mais c’est surtout la fin de l’Empire qui signa son arrêt de mort.

On essaya de lui imaginer une autre place dans Paris, des années durant, mais le projet fut finalement complètement abandonné puis progressivement oublié…

Un éléphant, ça trompe énormément

Oublié ? Non ! Un petit village gaulois résiste encore et… Ah non, c’est autre chose, ça. Non, l’éléphant n’a pas été complètement oublié.

C’est un ami qui m’a éclairé sur cette partie de l’histoire à côté de laquelle j’avais failli passer ! (Merci Mathieu !)

Conseil-general-du-nord-l-elephant-de-la-memoireJe vous raconte : en 1989, la France fête le bicentenaire de la Révolution. A cette occasion, un modèle de l’éléphant est recréé : il mesure 13 mètres de haut, 11 mètres de long et 4,30 mètres de large. Le palanquin (ou la tour, car il s’agit encore d’une tour) qui le surmonte sert de lieu d’animations et d’expositions. Il est surnommé l’Éléphant de la Mémoire (parce que, tout le monde le sait, un éléphant a une grosse mémoire, une mémoire d’éléphant !).

Seulement voilà, l’animal a un prix : 7 millions de francs à l’époque (un peu plus d’1 million d’euros) et cela n’est pas au goût de tout le monde (encore une fois, décidément il ne met personne d’accord, cet animal !).

Et puis, pourquoi avoir choisi de réactualiser un projet napoléonien pour illustrer la Révolution ? J’avoue que je n’ai pas trouvé la réponse à cette question très évidente. En tout cas, les réponses que j’ai pu m’inventer étaient un peu tirées par les cheveux… Du coup, je suis restée sur l’idée qu’il représentait bien la Mémoire de la France, toutes périodes confondues, et pas seulement la Révolution. Pourtant, l’Éléphant de la Mémoire avait été conçu pour une raison précise : en mémoire à Gavroche, le personnage de Victor Hugo. Par conséquent, dans son ventre, une salle de projection avait été installée pour dénoncer le travail des enfants dans nos sociétés. Encore aujourd’hui, il s’agit d’une des plus petites salles de cinéma au monde.

Photo de l'éléphant dans un des bâtiments désaffecté du site minier de Wallers-Arenberg (2014). Photo de Mikaël Libert pour le journal 20 Minutes.
Photo de l’éléphant dans un des bâtiments désaffecté du site minier de Wallers-Arenberg (2014).
Photo de Mikaël Libert pour le journal 20 Minutes.
Photo de l'éléphant dans un des bâtiments désaffecté du site minier de Wallers-Arenberg (2014).
Photo de l’éléphant dans un des bâtiments désaffecté du site minier de Wallers-Arenberg (2014).

Malgré ça, l’animal trône un mois sur l’Esplanade de Lille puis entreprend un périple dans le département du Nord-Pas-de-Calais avant d’aller jusqu’à Paris et Bruxelles. Il faut pas moins de six semi-remorques pour transporter la bête gigantesque qui pèse environ 17 tonnes… (elle est, bien sûr, découpée en morceaux, mais quand même)

Pour lui éviter d’avoir été construit pour rien, on imagine que de continuer « à le promener comme vitrine des traditions et de la technologie nordistes. Ou l’installer à demeure dans un parc urbain » nous explique La Voix du Nord dans un article de 2014. C’était sans compter un changement de majorité au Conseil Général… (je ne vous dis pas en faveur de quel côté, gauche ou droite, je vous laisse deviner, ça n’est pas très dur) Et voilà à nouveau l’éléphant reclus, oublié dans un vieux bâtiment désaffecté du XIXe siècle, sur l’ancien site minier de Wallers-Arenberg (pour ceux qui ne sont pas du coin, c’est bien là où passe le tour cycliste Paris-Roubaix quand on parle de la mythique « tranchée d’Arenberg »).

Un éléphant qui déménage !

arkoes-douai
Logo du Musée-Parc Arkéos.

MAIS VOILA ! Coup de théâtre : « Le conseil général du Nord a trouvé un amateur pour l’encombrant pachyderme, qui y est entreposé depuis 1992. Cet amateur, c’est la communauté d’agglomération du Douaisis (CAD), pour son musée-parc archéologique Arkéos » annonce encore La Voix du Nord.
Le musée-parc en question a ouvert ses portes en juin 2014 et nous promet l’arrivée de « L’éléphant de la mémoire » pour 2015 (initialement, pour fin 2014, mais il semble que ça n’est pas encore été fait, à ma connaissance).

Photo du Musée-Parc archéologique "Arkéos" de Douai.
Photo du Musée-Parc archéologique « Arkéos » de Douai.

De son côté, il faut dire que « l’ancien site minier d’Arenberg, situé à Wallers, est en pleine métamorphose », comme le résume le journal 20 Minutes « Il prévoit notamment de construire un laboratoire de recherche sur les usages de la télévision de l’université de Valenciennes, dont les travaux ont débuté en avril 2014. » (Source : Mikaël Libert, « Arenberg: de la mine à l’écran », Journal 20 Minutes, mai 2014).

La ville va, peu à peu, accueillir La Fabrique à Images, « un lieu dédié à la recherche et à l’innovation pour le cinéma et l’audiovisuel », en coopération avec l’Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis (dans laquelle j’étudie depuis maintenant quelques années, juste pour info). « Une belle reconversion en perspective pour le site emblématique, explique le site de l’Université, puisque le projet prévoit l’implantation d’ici 2015 du laboratoire DeVisu de l’université, centré sur les technologies innovantes dans l’audiovisuel et les médias numériques. »

Pour information, le projet de la Fabrique à Images à Wallers-Arenberg fait partie d’un projet plus global, comprenant deux autres sites universitaires du Nord pour former le Pôle Images : La Serre Numérique des Rives de l’Escaut à Valenciennes (actuellement en construction, ce pôle a pour vocation de toucher tous les champs de la création numérique : jeu vidéo, animation, serious game, univers virtuels, simulation industrielle, design urbain, design produit…) et La Plaine Images implantée à Tourcoing mais regroupant des écoles de l’agglomération lilloise (elle est consacrée à l’image et aux industries créatives : jeu vidéo, animation, audiovisuel, images de synthèse, cinéma, réalité augmentée, 3D, interactions tactiles et gestuelles, serious game…).

Malheureusement, Wallers-Arenberg, qui avait notamment servi de lieu de tournage pour le film Germinal (sorti en 1993, avec notamment le chanteur Renaud, dans le rôle titre inspiré du roman d’Emile Zola), n’avait pas trouvé de place à donner à cet éléphant un peu trop imposant. C’est donc Douai qui en fait l’acquisition pour l’euro symbolique. Et, pour ma part, j’ai donc hâte de voir l’animal sortir de l’ombre et j’irai le visiter avec plaisir quand ce sera chose faite !

Photo du Grand éléphant de L'île de Nantes.
Photo du Grand éléphant de L’île de Nantes.

Résultat, comme c’est le cas à Nantes depuis plusieurs années (avec les Machines de L’île de Nantes), la ville de Douai devrait bientôt accueillir son éléphant à visiter. Contrairement à son compatriote nantais, il n’arpentera pas la ville mais, après tout, et avec une histoire pareille, il aura déjà bien voyagé !
Du coup, nous lui souhaitons autant de succès et, surtout, de ne plus être oublié.

Mise à jour 2022 :

L’éléphant n’a pas déménagé et se trouve toujours à Arenberg, dans ce qui est devenu Arenberg Creative Mine et je croise les doigts pour qu’il reste là et soit enfin remis en lumière ! En ce qui me concerne, avec ma thèse, j’ai plein de projets pour lui, en tout cas, si jamais ;D

Alors ? Il vous aurait plu, à vous, cet éléphant de la Bastille ? Si oui (ou non !), n’hésitez pas à laisser un petit commentaire ci-dessous !


Sources :
Paris ZigZag, L’éléphant de la Bastille, novembre 2012
Bernard Défontaine, « Wallers : l’Éléphant de la Mémoire va-t-il enfin sortir de l’oubli ? », La Voix du Nord, 25/04/2014
Ecole d’Architecture Université de Navarre, Paris : The town squares
Mikaël Libert, « Arenberg: de la mine à l’écran », Journal 20 Minutes, mai 2014

Le #PlugGate : La France réac’ prône-t-elle un retour à l’art dégénéré ?

L’histoire fait la Une des journaux et est partout sur les réseaux sociaux depuis quelques jours : une oeuvre de l’artiste américain Paul McCarthy (à ne pas confondre avec Paul McCartney… ou avec Joseph McCarthy… ni avec un mixage des deux), située Place Vendôme à Paris dans le cadre de la FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain), a été vandalisée cette nuit du 18 octobre. Sur Twitter, l’évènement est surnommé le #PlugGate.

Cela fait suite à une série d’évènements aberrants qui se sont succédés cette semaine, depuis l’installation de l’œuvre.

Paul McCarthy - Tree Structure gonflable Place Vendôme, Paris
Paul McCarthy – Tree
Structure gonflable
Place Vendôme, Paris
Le "Tree" de Paul McCarthy après qu'il a été vandalisé.
Le « Tree » de Paul McCarthy après qu’il a été vandalisé.

Le #PlugGate

D’abord, l’œuvre a commencé par faire scandale. Il faut dire que cette gigantesque sculpture gonflable avait de quoi susciter des réactions : pour l’artiste, l’œuvre se voulait d’abord abstraite mais force est de constater qu’elle ressemblait autant à un sapin de Noël stylisé qu’à un sextoy géant (un plug anal, pour les puristes). Et cette ambivalence était de toute évidence revendiquée par l’artiste.

guillemet« Tout est parti d’une plaisanterie : à l’origine, je trouvais que le plug anal avait une forme similaire aux sculptures de Brancusi. Après, je me suis rendu compte que cela ressemblait à un arbre de Noël. Mais c’est une œuvre abstraite. Les gens peuvent être offensés s’ils veulent se référer au plug, mais pour moi, c’est plus proche d’une abstraction. »

Source : Propos de l’artiste recueillis par le journal Le Monde, « McCarthy agressé pour l’érection d’un arbre de Noël ambigu, place Vendôme », 17/10/2014

Il n’en fallait pas plus pour que des journaux ô combien respectables commencent à se fendre d’articles tout à fait consternants : « Oeuvre de Paul McCarthy : à quoi sert le sapin moche de la place Vendôme ? » titre Le Figaro (Lien), avec une finesse sans pareille et une maturité de ton indéniable…

Quand le Figaro s’en mêle (et s’emmêle…)

C’est un certain Jean-Louis Harouel qui est interrogé dans cette sorte d’interview. Ce monsieur est prétendument « professeur d’histoire du droit et des institutions à l’Université de Paris II. Il est spécialisé dans le droit de l’urbanisme et a publié plusieurs essais sur la culture et les arts. » (Merci Wikipédia)
Lisant cela, j’ai envie de poser la question : QUELLE culture et QUELS arts ?? (oui, ça mérite au moins deux points d’interrogation) Je suis probablement une pauvre idiote d’étudiante en Arts Plastiques et mon minable Master Recherche ne vaut probablement pas grand-chose pour un homme d’un tel acabit mais, en ce qui me concerne, je n’ai vu ni culture, ni art dans l’interview du Figaro.

Il faut dire que Jean-Louis Harouel est l’auteur d’un livre, La grande falsification : L’art contemporain, sur la quatrième de couverture duquel nous pouvons lire (il s’agit de la première phrase) : « Le néant artistique abusivement appelé art contemporain est la lointaine suite de la crise de la peinture déclenchée par le progrès technique dans la seconde moitié du XIXe siècle. »

Pause précision : Pour résumer, ce monsieur fait référence à l’invention de la photographie et de la peinture en tube (qui dit peinture en tube, dit fabrication industrielle de la peinture et, par conséquent, que l’artiste n’est plus obligé de fabriquer lui-même, ce qui le dispense d’un savoir-faire fastidieux et pas nécessaire à la portée de tout le monde).

On considère que ces deux évènements ont peu à peu poussé les artistes à sortir de leurs confortables ateliers pour s’aventurer dehors (pas que l’artiste vivait jusque là reclus chez lui, en ermite, bien sûr, mais la peinture était encore un art d’atelier jusqu’alors car il n’était pas nécessairement facile d’emmener tout son matériel à l’extérieur).

Cela va conduire à l’apparition de nouvelles problématiques artistiques et, par conséquent, à la mise en œuvre de nouvelles façons de les réaliser.

En effet, qui dit appareil photo, capable de reproduire le monde avec un haut degré de réalisme, dit aussi que les artistes ne sont plus contraints de peindre de façon aussi réaliste que possible. Ils n’ont plus besoin de se faire « témoin » de leur époque.

C’est ainsi que va naître l’Impressionnisme qui, peu à peu, donnera naissance à tous les mouvements artistiques du XXe siècle : Fauvisme, Cubisme, Surréalisme, Dadaïsme, Abstraction…

Dans l’article, Marcel Duchamp et consorts en prennent pour leur grade (j’ai presque envie de dire « Évidemment ! »… C’était tellement dur d’aller piocher cet exemple. On sent qu’il y a du fond et de la recherche, derrière cet article, attention…)

Takashi Murakami et Jeff Koons sont également cités, bien sûr, ainsi que leurs expositions respectives au Château de Versailles. Or, il se trouve que Takashi Murakami est un artiste que j’aime beaucoup et que j’ai étudié assez longuement et, ô, j’avais déjà écrit un article sur les réactionnaires qui s’en étaient pris à lui lors de son exposition à Versailles.

On prend les mêmes et on recommence !

Et cela va loin dans le bon goût et la connaissance évidente du monde et de l’histoire de l’art et de l’esthétisme, à en juger par des propos insultants comme celui-ci :

guillemet« D’ailleurs, de manière générale, les prétendus «artistes contemporains» sont des bouffons interchangeables, auteurs de bouffonneries interchangeables. »

J’avais titré mon article sur Takami Murakami « Le Japon qui dérange ? ». Mais, de toute évidence, c’est l’art contemporain dans son ensemble qui dérange ces personnes.

L’artiste agressé

Paul McCarthy, artiste américain de 69 ans.
Paul McCarthy, artiste américain de 69 ans.

Sauf qu’en plus des mots doux colportés dans les journaux et les réseaux sociaux, allant de la simple boutade à l’insulte la plus crasse, Paul McCarthy a été agressé, le 16 octobre, avant que son œuvre ne soit vandalisée dans la nuit du 17 au 18 octobre. Pour information, Paul McCarthy a 69 ans. C’était donc, en plus de tout, un acte témoignant d’un courage tout à fait extrême…

Voici la scène hallucinante que décrit le journal Le Monde :

guillemet« Il est alors presque 14 heures, et Paul McCarthy est agressé par un homme qui le frappe trois fois au visage en hurlant qu’il n’est pas français et que son œuvre n’a rien à faire sur cette place, avant de partir en courant. Les personnes qui assistent à la scène sont sidérées. « Cela arrive souvent ce genre de chose en France… ? », nous demande l’artiste, choqué et déstabilisé, mais pas blessé. »

Source : Le Monde, « McCarthy agressé pour l’érection d’un arbre de Noël ambigu, place Vendôme », 17/10/2014

Et, là, à mon sens, nous avons passé un cap dangereux.

Le retour de l’art dit « dégénéré » ?

Ce qui s’est passé n’est pas sans rappeler ce qui a pu se produire au cours des heures les plus sombres de notre Histoire. Et nous voilà, à nouveau, en train de parler en termes d' »art déviant » et d' »art véritable ». J’en veux pour preuve ces paroles, mises en très gros dans l’article du Figaro, pour que personne ne puisse rater ces propos d’une grande culture, toujours proférées par Jean-Louis Harouel (je vous les mets en gros aussi, mais parce que je vais m’y attarder, contrairement au Figaro qui ose publier un torchon pareil) :

guillemet« On humilie l’art véritable en l’obligeant systématiquement à cohabiter avec le n’importe quoi du prétendu « art contemporain ». Celui-ci, je le répète, n’est qu’une bouffonnerie prétentieuse et de nature spéculative. »

Alors qu’il utilise l’expression « art contemporain », on l’entendrait presque utiliser une expression bien plus forte tant l’ensemble de son interview va en ce sens : j’entends, je lis « art dégénéré » (en allemand : « Entartete Kunst ») dans ces lignes. Une expression que les Nazis utilisaient pour parler des œuvres d’art qui les dérangeaient et ne correspondaient pas aux critères esthétiques et idéologiques de la grande Allemagne aryenne…

A cette époque, les artistes « dégénérés » sont aussi bien Picasso que Chagall, Otto Dix (qui est pourtant allemand) ou Kandinsky. Les mouvements artistiques visés vont de l’Impressionnisme à l’Abstraction en passant par le Cubisme, le Surréalisme, le Dadaïsme, l’Expressionnisme… Des artistes et des styles très différents, en somme.

Sous le IIIe Reich, l’art dit « dégénéré » cohabite avec l’art officiel, appelé « art héroïque » qui est l’héritier de l’art classique. Est-ce « l’art véritable » dont parle Jean-Louis Harouel ? J’en ai des frissons tant le parallèle est frappant…

Je délire ? A en juger, entre autres, par les tweets de la Ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin (voir ci-dessous), je ne crois pas, non. Mais, évidemment, les responsables de cet acte de vandalisme et, surtout, les sympathisants de tout poil (bien cachés derrières leurs écrans d’ordinateur, avec pseudonyme et avatars anonymes pour que surtout personne ne puisse les reconnaître… Il faudrait pas être courageux, surtout) se défendent de toute tendance fasciste. Et cela, tout en continuant à vomir des insanités sur l’œuvre, son artiste et l’art contemporain en général. Tous les mêmes ! Tant qu’à faire…

Toi aussi, fait entrer le carré dans le rond !
Toi aussi, fait entrer le carré dans le rond !

Ca ne vous rappelle rien ? Juste un peu plus haut dans l’article : comme Picasso et Kandinsky, se retrouvant, tout-à-coup, dans le même panier des « dégénérés » : mêmes artistes dégénérés, mêmes arts dégénérés ? Bah oui ! C’est bien connu, le Cubisme et l’Abstraction, ce sont deux mouvements tout à fait identiques… Je vous la fais simple : c’est un peu comme essayer de faire rentrer un cube dans un cercle (et j’arrive encore à faire de l’humour au milieu de tout ce foutoir, merci d’en prendre note).

(Voir la capture d’écran des tweets de Fleur Pellerin)

Décidément, toute cette affaire fleure bon un trop plein de culture artistique. Il fallait crever l’abcès ? Ils ont crevé le Plug.

Qui sont les responsables ?

Mais le plus gros problème, c’est que parmi les premières « personnes » à avoir parlé de l’œuvre de McCarthy et contribué à enflammer les réseaux sociaux, il y a le collectif du Printemps Français. Qui sont-ils ? Des activistes proches des réseaux catholiques traditionalistes et, à en juger par leurs coups d’éclat réguliers et leurs publications sur internet, un groupe d’extrême droite. Extrême-extrême, vous voyez ? Tellement extrême, en fait, que même la Manif Pour Tous (les gentils anti-mariage pour tous) désavoue cet obscur collectif et refuse d’y être assimilée… (ils me feront toujours rire, eux, décidément)

Et puis, curieusement, très peu de temps après l’agression de Paul McCarthy (vers 14h), le Printemps Français twitte ceci (à 14h21) :

(Voir la capture d’écran du tweet du Printemps Français)

Alors qu’on ne présente plus guère l’aversion notoire qui était celle du Général de Gaulle envers les Etats-Unis, le fait de réutiliser et de détourner ici des propos de l’ancien Président (« Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé mais Paris libéré ! » avait-il, en effet, déclaré dans son discours à l’Hôtel de ville de Paris le 25 août 1944) dans cette histoire concernant directement un artiste américain, est d’un goût pour le moins… douteux.

D’autant plus après ce qui a été dit à l’artiste durant son agression.

La directrice artistique de la FIAC, Jennifer Flay, explique également qu’en parallèle de l’agression, « un homme a contacté les responsables de la FIAC par téléphone pour dénoncer le détournement du « symbole sacré de l’arbre de Noël » et exigé que la structure soit retirée, faute de quoi il a menacé de s’en occuper. » (Source : Le Monde, « McCarthy agressé pour l’érection d’un arbre de Noël ambigu, place Vendôme », 17/10/2014)

Toute cette histoire aurait donc énormément à voir avec les mouvances catholiques traditionalistes comme le Printemps Français, la Manif pour Tous et autres. Quand bien même ne sont-ils peut-être pas directement responsables de l’agression de l’artiste ou du vandalisme dont l’œuvre a fait l’objet, il est indéniable que leur discours et leurs actions, plus que discutables mais malheureusement incessants ces derniers mois, commencent à provoquer des dérives inquiétantes.

Pour Jennifer Flay, il est « navrant que quiconque se permette d’agresser un artiste. » Elle ajoute : « Moi qui suis Néo-Zélandaise et Française, qui ai choisi ce pays, je suis gênée pour la France, même si je sais qu’elle n’incarne pas les idées de cette personne. » (Source : Le Monde)

C’est la FIAC qui, dans le cadre de sa programmation « Hors les murs », avait donné carte blanche à l’artiste pour l’exposition de cette œuvre sur la Place Vendôme. Le choix s’était porté sur lui en particulier car la Monnaie de Paris lui consacrera sa première grande exposition française, intitulée « Chocolate Factory », dès le 24 octobre. En aura-t-il encore envie ? Rien n’est moins sûr. Pour ma part, je comprendrais parfaitement qu’il fuit ce pays de fous !

Il est loin, le temps des Lumières…


Pour commenter cet article, c’est ici !
(qu’il vous ait plu ou non, que vous soyez d’accord ou pas)

Le Diable et la Mort : petit tour d’horizon dans l’art

Rah ! Horreur et damnation !

Cela fait des semaines que je le cherche et qu’on m’aide à le chercher (merci d’ailleurs <3) : un livre ! Un fichu livre ! Le catalogue de l’exposition L’Ange du Bizarre – Le Romantisme noir de Goya à Max Ernst. Mais impossible : il n’est plus édité, il n’est plus disponible nulle part… Seule possibilité restante ? Emprunter de l’argent à mon compte épargne pour espérer l’acheter à tous ces gens qui osent le revendre à plus de 120€ (à beaucoup plus parfois, même !).

Non, mais, vraiment ! Ces gens n’ont-ils aucune pitié pour les étudiants en arts qui galèrent déjà à acheter leur pain ?

D’accord, d’accord ! Causette se tait mais Causette trouvera son livre, quoi qu’il arrive ! Non mais.

Hum ? Pourquoi ce bouquin m’intéresse autant, vous vous demandez ? Déjà parce que je n’ai pas eu la chance de voir cette exposition et que la prise de photos y avait été interdite (merci Musée d’Orsay de penser à nous, non parisiens qui aimeraient avoir accès à la culture ! Vous pouviez pas éditer un peu plus votre catalogue, du coup ? Non mais j’vous jure…). Bref, il ne reste donc que peu de traces de cette exposition (merci aux fraudeurs courageux qui ont quand même pris quelques photos et ont aussi et surtout fait de très bons comptes rendus de leur visite, je pense notamment à cet article de Cagliostro : L’ange du bizarre, le romantisme noir au musée d’Orsay) et ces traces j’en ai fortement besoin pour l’écriture de mon mémoire de deuxième année de master.

Pour le moment, je devrais donc me contenter du hors-série Beaux Arts qui, fort heureusement, n’a pas été loupé, loin de là.

 

Couverture du hors-série Beaux Arts Magazine - L'Ange du Bizarre, Le Romantisme Noir de Goya à Max Ernst
Couverture du hors-série Beaux Arts Magazine – L’Ange du Bizarre, Le Romantisme Noir de Goya à Max Ernst

 

En fait, j’aime m’intéresser à ce que l’un de mes professeurs (que j’admirais beaucoup !) appelait « les figures du désordre ». Elles sont nombreuses et elles font partie de nos vies ; elles peuplent nos histoires, nos mythes et légendes, et elles évoluent avec leur temps. Cette exposition mettait en scène énormément d’œuvres faisant référence à ces monstres et créatures qui nous effraient et nous fascinent à la fois.

Cet intérêt pour ces figures du désordre, je l’ai déjà un peu exprimé dans mon mémoire de première année. J’ai eu l’occasion de tracer la chronologie du robot : si l’on fait le rapprochement entre les histoires parlant du Golem d’argile (un personnage essentiellement issu de la religion juive), nous pouvons en déduire que le Golem est un des ancêtres du robot (mais de façon uniquement « imaginaire » puisque le robot à l’apparence d’homme, lui, commence à être vraiment construit).

Or, c’est très probablement parce que le robot a de profonds liens avec des figures du désordre comme le Golem, que nous nous intéressons si fortement à lui : la science-fiction adore parler des robots et nous adorons nous faire peur devant des Terminator et autres I-Robot ! Mais cela est d’autant plus intéressant que nous pourrions un jour parvenir à véritablement créer cette chose de métal dont nous imaginons déjà qu’elle pourrait être aussi révolutionnaire pour nos vies qu’incroyablement destructrice.

Ainsi, alors que tous nos monstres et créatures du passé n’étaient et ne restaient que des êtres fictifs, nous nous confrontons aujourd’hui à une réalité qui, même si elle est encore loin de la science-fiction, est ô combien intéressante : nous sommes à un croisement entre rêve et réalité. Un croisement rendu possible grâce à l’entremêlement des sciences et des arts. Pour faire simple, nous serons peut-être capables, un jour, de créer pour de vrai et pour la première fois une véritable figure du désordre !

Mais comme je vous le disais, les figures du désordre sont nombreuses. Soyons plus clair : une figure du désordre est un personnage (mais ça peut également être une chose, un objet, ou un évènement) fictif qui, comme son nom l’indique, crée le chaos. Cela ne veut pas dire que cette chose fiche le souk ! Non, évidemment. Cela veut plutôt dire qu’elle sort de l’ordinaire, qu’elle sort de « l’ordre » établi.

(chaos ou kaos = désordre en grec)

Ces personnages n’existant pas réellement, nous pouvons les considérer comme des symboles : ils nous permettent de mettre une image sur nos peurs et cela nous permet de mieux les visualiser et, donc, de les apprivoiser.

Allez, je vous en montre un peu plus et je vous explique ! Vous me suivez ? Let’s go !

 

Hieronymus Bosch - La mort de l'avare 1490
Hieronymus Bosch – La mort de l’avare
1490

 

Prenons l’exemple de ce tableau de Hieronymus Bosch, intitulé La mort de l’avare : on y voit un homme sur son lit de mort. Un ange tente d’attirer son attention vers un crucifix nimbé de lumière mais l’homme est plus intéressé par un démon qui lui tend un sac qu’on imagine rempli d’argent. La mort, sous la forme d’un squelette pointant une flèche en direction de l’homme, est déjà à l’entrée de sa chambre. Il est trop tard pour qu’il puisse se défaire de ses péchés.

Évidemment, cette scène est complètement surréaliste. Elle est imaginaire. Les créatures que sont la Faucheuse, les démons ou encore l’ange sont des symboles destinés à nous expliquer ce qui se passe dans cette scène : l’homme était avare et il le sera jusqu’à sa mort. Or, l’avarice est un des sept péchés capitaux, c’est pourquoi c’est le démon qui tente l’homme alors que l’ange, lui, essaye de le guider vers la voie de la lumière. Dans ce tableau religieux, l’artiste tente de montrer le bien, le mal et la mort qui, de toute façon, fauchera l’homme quel que soit son choix de vie.

guillemet« Ce tableau est inspiré d’un livre de prière du 15e siècle intitulé: Ars Moriendi (L’art de mourir). Ce manuel était un guide pratique sur la façon de mourir. Il comprenait onze scènes: les cinq premières étaient les tentations du démon, invitant le mourant à l’impiété, au désespoir, à l’impatience, à la vanité et à l’avarice. Les cinq suivantes étaient les inspirations de l’ange: la foi, l’espoir, la patience, l’humilité et la générosité. Dans la dernière scène l’ange reconduisait l’âme au ciel, alors qu’en Enfer les hurlements de rage des démons se faisaient entendre. Dans cette oeuvre de Bosch, par contre, l’issue du combat demeure incertaine. »
(source: La mort dans l’art)

L’exposition L’Ange du Bizarre qui s’est terminée en juin 2013 permettait de voir que de nombreux artistes ont cherché à représenter les monstres, les peurs, les ombres. Chacun avait ses raisons : croyances, craintes personnelles, fascination… Mais aussi parce que cet univers foisonnant permet de laisser totalement libre cours à l’imagination. Ce qui, pour un artiste, peut être une véritable libération.

 

Carlos Schwabe, La mort du fossoyeur
Carlos Schwabe – La mort du fossoyeur
The Death of the Gravedigger
Graverens død
Aquarelle et gouache sur esquisse à la mine de plomb sur papier. 75 x 55,5 cm. Musée du Louvre, Paris

 

En couverture du catalogue de l’exposition L’Ange du Bizarre, c’est la partie haute de la la peinture de Carlos Schwabe, La mort du fossoyeur, qui apparaît. Un choix qui illustre à merveille le nom de l’exposition : « l’Ange du Bizarre » est ici l’Ange de la Mort. « Bizarre » car cet ange que nous craignons tous et dont l’apparition symbolise notre fin est ici représenté sous la forme d’une belle femme. La Faucheuse, pourtant, est souvent représentée, encore aujourd’hui, comme portant un long manteau noir, une faux à la main (voir, par exemple, la gravure ci-dessous). Dans certaines représentation plus anciennes, il arrive que la Faucheuse soit un squelette (c’est le cas dans la peinture de Hieronymus Bosch, que nous avons vue plus haut). Et cela n’est guère réjouissant, il faut bien l’avouer. Cela est même plutôt effrayant !

Alors, pourquoi Carlos Schwabe a-t-il choisi de représenter la Faucheuse sous une forme si surprenante ?

C’est parce qu’une figure du désordre peut avoir plusieurs formes et, donc, plusieurs sens selon la façon dont elle est représentée ou le contexte dans lequel elle apparaît.

 

Alfred Rethel - La Mort comme amie, Gravure de 1851 Une des rares représentation de la mort comme amie du mourant. Ici, le sonneur de cloches va mourir alors la Faucheuse se charge de son travail à sa place, probablement avant de l'emporter. Son visage cadavérique laisse entrevoir qu'elle semble triste.
Alfred Rethel – La Mort comme amie, Gravure de 1851
Une des rares représentation de la mort comme amie du mourant. Ici, le sonneur de cloches va mourir alors la Faucheuse se charge de son travail à sa place, probablement avant de l’emporter. Son visage cadavérique laisse entrevoir qu’elle semble triste.

 

L’Ange de Carlos Schwabe ne ressemble pas du tout à ce que nous imaginons de la Faucheuse.

Le fait de représenter la Faucheuse comme un ange aux ailes noires et surtout comme une gracieuse jeune femme est donc intéressant. Tout d’abord, nous pouvons en déduire que l’artiste ne devait pas considérer la mort comme quelque chose d’effrayant mais comme un accomplissement (l’ange tient une flamme verte dans la main. Le vert est la couleur de l’éternité et de la régénération) et quelque chose de paisible bien qu’incontournable (on voit que le visage de l’ange est serein mais déterminé et que l’homme dans la tombe est, certes, surpris par l’apparition mais aussi plutôt séduit, obnubilé).

C’est la femme de l’artiste qui sert ici de modèle à l’Ange noir. La séduction entre en ligne de compte : Carlos Schwabe démontre ici que derrière notre peur, nous ne pouvons nous empêcher d’être fascinés par les créatures imaginaires, censées hanter nos nuits et nos ruelles sombres. Carlos Schwabe, en représentant ainsi la Mort, devait lui aussi lui trouver quelque chose d’attirant.

 

Marianne Stokes - La jeune fille et la mort, 1900 Source image : L'art magique
Marianne Stokes – La jeune fille et la mort, 1900
Source image : L’art magique

 

Un ange noir et féminin, c’est également ce que met en scène la peinture de Marianne Stokes intitulée La Jeune fille et la Mort. La ressemblance entre les deux personnages qui ont le rôle de faucheuse est assez étonnant. La seule différence notable réside dans la coiffe des deux femmes : chez Carlos Schwabe, la tresse tombante sur le front de son ange est une référence à la mode du Moyen-Age. Chez Marianne Stokes, l’ange est voilé (une tenue qui, à mes yeux, ressemble un peu à celle d’une nonne ou, en tout cas, d’une religieuse) et c’est surtout la finesse des traits du visage qui nous permet de croire qu’il s’agit d’une femme. C’est, en tout cas, un être très androgyne, au teint laiteux et qui semble résigné à sa tâche. Une vie de plus, une vie de moins, quelle différence, au fond ? Il effectue sa tâche encore et encore. Cela est inscrit sur son visage.

Ce tableau offre une version moins séduisante de la mort. Il montre davantage le côté immuable de cet évènement qui survient dans la vie de tous, un jour où l’autre. Notons que la main levée de la Faucheuse se veut apaisante pour la jeune fille. Elle va mourir dans son sommeil : certains diraient qu’il s’agit d’une « belle mort ».

Les représentations de la Mort en compagnie de jeune fille est un thème récurrent dans l’art. Il date de l’Antiquité où, déjà, chez les Grecs, Perséphone était enlevée par Hadès, dieu des Enfers. Etablir un lien entre une jeune fille et la Mort, c’est une façon de démontrer que l’amour et la mort sont proches l’un de l’autre (nous parlons alors de collision entre Éros, dieu de l’amour et, donc, de la vie, et Thanatos, dieu de la mort).

guillemet« Eros et Thanatos, dieux grecs, forment un bien étrange couple. Contraires ou complémentaires ? La psychanalyse les a réunis au dix-neuvième siècle. L’art en a fait ses deux thèmes centraux, parce qu’ils sont probablement les deux grands tabous de l’humanité. »
(Source: Art Mémoires)

 

Joan Fontbernat Paituví (Jaume Barba, signature de l'atelier) - Le baiser de la mort (Beso de la muerte) 1930 Marbre Cimetière de Barcelone, Espagne
Joan Fontbernat Paituví (Jaume Barba, signature de l’atelier) – Le baiser de la mort (Beso de la muerte)
1930
Marbre
Cimetière de Barcelone, Espagne

 

Dans cette autre représentation de la mort, se trouvant dans le cimetière de Poblenou à Barcelone, nous pouvons voir un étrange mélange entre le tableau de Carlos Schwabe et les représentations plus courantes de la Mort : un squelette aux ailes d’ange embrasse un homme qui, probablement, va passer de vie à trépas.

Pour l’anecdote, cette sculpture est une des plus célèbres du cimetière et des gens visitent d’ailleurs ce lieu pour la voir. D’autant plus que ce lieu de repos éternel regorge d’autres créations magnifiques dans ce genre !

Mais la Mort (ou la Faucheuse) n’est pas la seule figure du désordre célèbre. Nous avons pu voir, par exemple, que les démons dans la peinture de Hieronymus Bosch sont aussi des figures du désordre, de même que les anges ou le Golem dont je vous parlais tout au début : ce sont des créatures d’un autre monde – le monde imaginaire – qui nous permettent de symboliser nos émotions. Et cela même si, par exemple, les démons représentent le Mal (ils sont sous la houlette du Diable, de Satan, de Lucifer) tandis que les anges représentent davantage le Bien (sous les ordres de Dieu).

(Notons quand même que la distinction Bien/Mal a tendance à s’étioler dans nos récits contemporains, par exemple dans des séries comme Supernatural.)

Mais, me direz-vous, tout ceci est peut-être un peu trop religieux ! Rassurez-vous (si je puis dire), il ne s’agit pas des seules figures du désordre, loin de là ! Seulement, il faut bien l’avouer, les figures du désordre ont toutes plus ou moins un lien avec une religion (mon travail de recherche m’amène à parler essentiellement de la religion catholique car je me place en tant que française, en tant qu’occidentale, mais les cultures asiatiques, par exemple, regorgent elles aussi de figures du désordre qui sont à la fois différentes et semblables aux nôtres. Voir, par exemple, la représentation d’un démon japonais dans ce précédent article : Le couple démoniaque).

Ainsi, voici un autre exemple : le vampire est une très célèbre figure du désordre qui a beaucoup évolué avec le temps. Nous sommes passés d’un Dracula terrifiant mais sans nul doute charismatique et d’un romantisme fou, à Edward Cullen de la saga Twilight, jouant davantage la carte de la fascination exercée sur nous par les créatures de ce genre (bien que certaines d’entre vous me rétorquerons sûrement qu’il dispose aussi d’un grand charisme et qu’il est incroyablement romantique). Curieusement, oui, ces deux personnages restent assez proches, contrairement à ce qu’on pourrait croire : frayeur et fascination restent les atouts du vampire, qui nous attirent désespérément vers lui. Mais pour quelle raison ?

C’est parce que la séduction exercée par le vampire est comparable à celle de Lucifer. Et cela est également vrai pour les créatures que nous avons vues plus tôt.

Évidemment ! Lucifer, le Diable. La plus grande et la plus célèbre des figures du désordre au monde. Elle a déchainé les peurs et les passions durant des siècles. Les croyants redoutaient cet être plus que tout au monde ! Les satanistes, eux, lui vouaient un culte sans bornes. Pourquoi ? Parce qu’il était le symbole de tous les possibles : ange déchu pour avoir osé défier Dieu lui-même, parfois décrit (en particulier au XIXe siècle) comme disposant d’une beauté inimaginable, Lucifer (dont le nom signifie Porteur de Lumière et non pas des ombres ou de la mort !) avait de grands pouvoirs en tant que gardien de l’Enfer.

 

Jean-Jacques Feuchère, Satan, 1833
Jean-Jacques Feuchère, Satan, 1833
Statue de Lucifer dans la cathédrale Saint-Paul de Liège, par Guillaume Geefs (variante de l'original, signé de Jozef Geefs) Photo de Luc Viatour / www.Lucnix.be
Statue de Lucifer dans la cathédrale Saint-Paul de Liège,
par Guillaume Geefs (variante de l’original, signé de Jozef Geefs)
Photo de Luc Viatour / www.Lucnix.be

 

Comme vous pouvez le voir en observant ces deux sculptures différentes de Lucifer (ou Satan, le Diable), son physique peut radicalement changer d’un artiste à l’autre. Et ici, l’exemple reste relativement faible car nous n’avons pas affaire à un Diable rouge à la queue et à la langue fourchues… Mais notons quand même que la statue de la Cathédrale de Saint-Paul de Liège est quand même beaucoup plus ravissante que celle de Jean-Jacques Feuchère. Chez ce dernier, Satan a les doigts et le nez crochus, il est pourvu de cornes qui se mêlent à sa chevelure et ses pieds sont davantage ceux d’une bête. Guillaume Geefs, lui, en fait un bel homme prisonnier (son pied est pris au piège) malgré ses ailes. Il semble tourmenté mais pas effrayant. Il nous viendrait presque l’envie de l’aider…

Il faut dire que Lucifer ne représente pas seulement le Diable à la queue fourchue que nous nous imaginons bien souvent aujourd’hui. Lucifer faisait figure de rebelle. La religion Chrétienne en faisait bien évidemment un être à détester et à craindre, un monstre (en particulier au Moyen-Age), mais était-ce finalement si vrai ? Sa représentation a donc beaucoup évolué avec le temps :

Aujourd’hui, à l’heure où le cinéma nous propose des méchants de plus en plus ambigus, devenus des voleurs, des tueurs malgré eux ou par la force des choses et d’un destin malheureux nous voyons peut-être Lucifer, cet être censé expliquer tous les malheurs du monde, sous un autre angle. Finalement, pourquoi Lucifer est-il devenu le Diable, l’ennemi même de Dieu ? Parce qu’il a osé se dresser contre lui, contre son maître et notre prétendu maître à tous (selon les récits bibliques, soyons clair, il ne s’agit pas ici de mon avis mais bien d’un résumé des plus simples que je vous propose. Je préfère préciser avant qu’on ne me taxe encore de croyante. Cela a le don de m’agacer).

Or, l’homme lui-même se dresse (plus ou moins consciemment) depuis toujours contre l’idée d’une puissance supérieure contre laquelle il ne pourrait rien : certains luttent contre un ou des dieux suprêmes, des divinités ou encore contre le Destin mais, plus prosaïquement, c’est surtout contre nos parents que nous nous battons pour nous affirmer. Des « parents » que peuvent aussi être, d’une certaine façon, les dieux ou les puissances surnaturelles censés nous gouverner selon les différentes religions qu’a connu et connaît encore notre monde : ça n’est pas pour rien, par exemple, que le dieu chrétien est ainsi parfois surnommé « le Père ». De plus, la plupart des religions proposent leur version de la création du monde et, chaque fois, l’être humain « naît » d’une puissance surnaturelle (un dieu ou quelque chose de plus abstrait) : nous sommes considérés, par ces religions, comme les enfants de ces puissances ou de ces dieux.

Mais nous ne pouvons pas supporter d’être enchainés à une vie dont on a pas tout décidé (attention, hein, je parle globalement, parce que notre société actuelle s’amuse bien à nous faire croire que nous sommes libres alors que cela est très fortement discutable… mais c’est un autre débat). Passer notre vie sous le commandement, plus ou moins direct et franc, de nos parents, qui qu’ils soient, n’est pas dans notre nature : nous nous rebellons, tels des adolescents qui souhaitent devenir adultes et, donc, pouvoir construire leur propre existence.

C’est également le cas de Lucifer dont le nom (Porteur de Lumière) peut aussi signifier qu’il nous amène vers la lumière et, donc, vers la connaissance. Des connaissances, des savoirs qui nous permettent de nous affranchir, de nous libérer des dieux, des parents et de devenir nous-mêmes, quitte à faire parfois des erreurs de parcours.

Finalement, Lucifer est donc un personnage très humain ou de plus en plus humain.

Pour conclure sur le vampire, c’est probablement pour cette raison que Dracula est devenu Edward Cullen : monstre malgré lui, monstre déterminé à changer, monstre qui ne veut pas être un monstre.

Dommage que la saga Twilight n’ait pas vu le jour à une époque où la réflexion était encore primordiale… Dans Twilight, seul le premier roman est intéressant pour qui est curieux, comme moi, au sujet de l’évolution des figures du désordre dans le temps (et encore, je dirais même que seul le début du roman est intéressant, quand nous découvrons seulement les personnages qui, ensuite, sont mal utilisés au profit d’un récit sans intérêt ou tout juste distrayant).

 

Johann Heinrich Füssli, le Cauchemar  1790-1791 Huile sur toile, 76 × 63 cm.  Goethe Museum, Francfort
Johann Heinrich Füssli, le Cauchemar
1790-1791
Huile sur toile, 76 × 63 cm.
Goethe Museum, Francfort

 

Parmi les vampires célèbres, je retiendrais aussi Clarimonde, personnage central de La Morte Amoureuse de Théophile Gautier : le mot « immonde » est entendu dans son nom. C’est une séductrice, une courtisane qui n’hésite pas à se nourrir du sang de son amant pour rester en vie. Pourtant, elle est décrite comme une très belle femme. Une si belle femme que Théophile Gautier la décrit comme plus belle que ne pourrait même l’imaginer le meilleur peintre au monde ! Mais l’auteur n’hésite pas non plus à dire très clairement que cette femme est « Belzébuth en personne », c’est-à-dire le Diable en personne.

(Le tableau de Johann Heinrich Füssli, le Cauchemar, ci-dessus, se trouve en couverture de La Morte Amoureuse édité par Classiques Bordas, je reviendrai sûrement sur ce tableau dans un prochain article car il est très intéressant et a été souvent copié.)

La beauté, l’apparence… Des créatures que nous avons souvent imaginées comme hideuses et effrayantes deviennent parfois si belles qu’elles nous attirent à elles. La beauté devient alors un piège dont il faut savoir se méfier. « L’habit ne fait pas le moine », voilà ce que nous apprend le « romantisme noir » qui est au centre de l’exposition dont je vous parle depuis le début de cet article. C’est une idée qui, finalement, s’est répandue au XIXe siècle au sein du mouvement Romantique pour former ce que certains surnomment, donc, le Romantisme Noir. Ainsi, le monstre est inquiétant, effrayant et dangereux mais il sait aussi être beau, attirant, fascinant. A tel point que la frontière entre ange et démon est parfois difficile à saisir. Nous voilà alors face un ange bizarre… Un ange du bizarre.

Pfiou ! Vous ne serez probablement pas nombreux à lire tout ça. Mais tant pis, j’espère au moins que cela aura intéressé certains !

Le Louvre Lens et sa galerie du temps

Léonard de Vinci, La Vierge, l'Enfant Jésus et sainte Anne 1503 - 1519, Huile sur bois, 168 x 130 cm Musée du Louvre, Paris
Léonard de Vinci, La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne
1503 – 1519, Huile sur bois, 168 x 130 cm
Musée du Louvre, Paris

Comme vous le savez peut-être, le Louvre vient de s’exporter à Lens, tout près de chez moi. Autant vous dire que je suis joie et bonheur, d’autant plus que de nombreux chefs-d’œuvre ont été transportés dans ce nouveau musée, pour l’occasion (notamment, le tableau représentant Saint-Anne, Marie et Jésus de Léonard de Vinci, qui m’a toujours fasciné, ou encore La Liberté guidant le peuple de d’Eugène Delacroix, ainsi que des œuvres datant de l’Egypte Ancienne dont je suis une grande admiratrice depuis ma plus tendre enfance).

François Boucher, Le Nid, dit aussi Le Présent du berger Huile sur toile, 110 x 158 cm, Louvre-Lens
François Boucher, Le Nid, dit aussi Le Présent du berger
Huile sur toile, 110 x 158 cm,
Louvre-Lens
Statuette, dite "l’Adorant de Larsa", représentant le roi Hammurabi de Babylone en prière devant le dieu Amurru  Origine : Larsa, Mésopotamie (Irak actuel) Vers 1760 avant J.C.
Statuette, dite « l’Adorant de Larsa », représentant le roi Hammurabi de Babylone en prière devant le dieu Amurru
Origine : Larsa, Mésopotamie (Irak actuel)
Vers 1760 avant J.C.

Mais le Louvre-Lens s’ouvre surtout sur une particularité à nul autre pareil et c’est ce qui est d’autant plus intéressant, pour moi, dans ce nouveau musée. La façon dont il a été conçu est novatrice et elle risque d’en dérouter plus d’un car les œuvres ne sont pas présentées de la même façon que dans les autres musées des Beaux Arts.
Je vous dis cela car j’ai eu l’occasion de discuter avec des visiteurs de ce musée et il est intéressant de constater que tous avaient été troublés par cette disposition et la plupart ne l’avait pas comprise ! Parmi ces visiteurs, il y avait pourtant des étudiants en Arts ou en Histoire qui avaient l’habitude de visiter des musées assez différents les uns des autres.

C’est pourquoi j’ai envie de vous présenter un peu le fonctionnement et l’intérêt de la présentation des œuvres au Louvre-Lens !

La Galerie du Temps

Le Louvre-Lens fonctionne autour d’une grande galerie principale, surnommée « La galerie du temps ». A travers elle, on chemine entre les œuvres de toutes les époques et l’on peut constater quelle a été l’évolution de l’Art et, avec elle, celle de l’Humanité à travers le temps.

Raphaël, Portrait de Dona Isabel de Requesens, vice-reine de Naples (1509-1522), dit autrefois Portrait de Jeanne d’Aragon Vers 1518, Peinture à l'huile, 95 x 120 cm Louvre-Lens
Raphaël, Portrait de Dona Isabel de Requesens, vice-reine de Naples (1509-1522), dit autrefois Portrait de Jeanne d’Aragon
Vers 1518, Peinture à l’huile, 95 x 120 cm
Louvre-Lens

Raconter notre Histoire à tous

La déesse Bastet sous sa forme de chatte Origine : Egypte Vers 650-350 avant J.C.
La déesse Bastet sous sa forme de chatte
Origine : Egypte
Vers 650-350 avant J.C.

Quel est l’intérêt de la Galerie du Temps ?
On commence le voyage avec des œuvres de l’époque sumérienne. Autant vous dire que, depuis, les conditions de vie (sociales, politiques, théologiques, philosophiques…) ont considérablement évolué ! Or, au Louvre (celui de Paris) comme dans la plupart des autres musées des Beaux Arts, les œuvres sont habituellement séparées, classées par périodes, par mouvements artistiques, voire par pays d’origine. Cela ne permet pas de constater efficacement l’évolution globale qu’a connu l’Humanité.

Elle est pourtant bien visible dans une galerie comme celle imaginée au Louvre-Lens. Cela nous permet notamment de mieux comprendre le monde dans lequel nous évoluons aujourd’hui et de constater à quel point notre histoire est commune.

Lambert Sustris, Vénus et l'Amour, Vers 1550 Huile sur toile, 132 x 184 cm Louvre-Lens
Lambert Sustris, Vénus et l’Amour, Vers 1550
Huile sur toile, 132 x 184 cm
Louvre-Lens

Bref. Voilà une très bonne idée qui, j’espère, saura toucher un large public autant que moi !

Voici quelques photographies de cette fameuse galerie :


Sources :
Site Officiel du Louvre-Lens

Jason de Caires Taylor : L’Atlantide sculptée

Aujourd’hui, j’aimerais vous parler des oeuvres de Jason de Caires Taylor.

    Jason deCaires Taylor entouré de ses sculptures avant qu'elles ne soient immergées.
Jason deCaires Taylor entouré de ses sculptures avant qu’elles ne soient immergées.

Cet artiste anglais réalise des sculptures qui sont ensuite immergées  dans ce qu’il appelle parfois des parcs à sculptures sous-marines (underwater sculpture park).
Il fonde le premier de ces parcs en 2006, dans les Antilles. Un parc que National Geographic répertorie parmi les 25 merveilles du monde actuel.
Sa dernière création, surnommée MUSA (Museo de Arte Subacuatico ou, en français, Musée d’Art Sous-marin ou Subaquatique), est un musée monumental regroupant plus de 500 de ses sculptures. Il se situe au large des côtés de Cancun au Mexique et le magazine Forbes le décrit comme l’une des destinations de voyages les plus uniques au monde.

Ces créations sont d’abord conçues sur la terre ferme, bien évidemment, puis elles sont placées sous l’eau afin de devenir de véritables sanctuaires de la vie marine.

Il faut dire que Taylor est non seulement un artiste (il est diplômé de l’Insitut des Arts de Londres, spécialité sculpture) mais il a également été instructeur de plongée sous-marine. Ce second métier lui a valu d’être primé pour ses photographies sous-marines.
C’est d’ailleurs essentiellement grâce à des photos sous-marines que nous pouvons découvrir ses sculptures immergées aujourd’hui.

Comme on peut le constater sur certaines de ses photographies, le corail, notamment, se développe avec plaisir sur ces statues.
Aussi, l’image est très belle ; elle nous montre une réconciliation symbolique entre l’homme et la mer ; entre l’homme et la nature. Ca n’est plus l’homme qui exploite la mer, ici, c’est la mer qui utilise l’homme, de façon naturelle, pour continuer à exister et à se développer.

The Silent Evolution Profondeur 8m, MUSA Collection, Cancun/Isla Mujeres, Mexico.
The Silent Evolution
Profondeur 8m,
MUSA Collection, Cancun/Isla Mujeres, Mexico.

La ronde de statues me semble particulièrement parlante et forte. En effet, n’oublions pas que l’eau a été notre première mère ; c’est dans l’eau que les premières formes de vies primitives de notre planète se sont développées. Immerger des statues de cette façon, c’est un peu revenir aux sources ; cette fois, c’est la mer – ou, plus exactement, tout son écosystème – qui peut se nourrir en « s’agrippant » à ces corps sculptés et y vivre.

Le travail de cet artiste est à la fois très poétique et très efficace. Et il a le mérite de marquer les esprits. De fait, n’est-il pas étrange, voire perturbant, de voir ces corps immergés dans l’eau ? L’image est marquante, troublante. Ces corps sont tellement différents les uns des autres, qu’on pourrait croire que l’artiste a statufié de véritable humains avant de les plonger dans l’eau.

Corps pétrifiés de victimes de l'irruption du Vésuve à Pompei (79 ap. J.C.).
Corps pétrifiés de victimes de l’irruption du Vésuve à Pompei (79 ap. J.C.).

La première fois que j’ai vu les œuvres de cet artiste, j’ai aussitôt pensé au drame de Pompei et aux habitants de la ville, littéralement pétrifiés par les chutes de pierres ponces et les nuées ardentes provoquées par l’irruption du Vésuve. La ressemblance est intrigante.

Corps pétrifié d'une victime de l'irruption du Vésuve à Pompei (79 ap. J.C.).
Corps pétrifié d’une victime de l’irruption du Vésuve à Pompei (79 ap. J.C.).
Corps pétrifié d'une victime de l'irruption du Vésuve à Pompei (79 ap. J.C.), ainsi que différents objets de l'époque, également statufiés.
Corps pétrifié d’une victime de l’irruption du Vésuve à Pompei (79 ap. J.C.), ainsi que différents objets de l’époque, également statufiés.

Mais l’oeuvre de Jason deCaires Taylor n’est pas non plus sans rappeler le mythe de l’Atlantide. Ses sculptures donnent l’impression qu’une ancienne civilisation a été engloutie après avoir été statufiée. Ses restes formeraient aujourd’hui un abri pour l’écosystème aquatique.

A partir de là, il devient possible d’imaginer que ces oeuvres sont l’allégorie de l’histoire de la vie (LE CYCLE EEETERNEEEEL… hum.) : la boucle est bouclée quand les formes de vie aquatiques se mettent à envahir les corps immergés pour vivre et se développer. Théoriquement, sur le très long terme, ces formes de vie pourraient évoluer, grandir, se transformer et devenir, à leur tour, des sortes d’êtres vivants plus complexes, comme ceux que nous sommes aujourd’hui. Mourant à leur tour, elles pourraient devenir les garde-manger des futurs formes de vie primitives, et ainsi de suite.

Holy Man Profondeur 5m,  MUSA Collection, Punta Nizuc, Mexico.
Holy Man
Profondeur 5m,
MUSA Collection, Punta Nizuc, Mexico.

Une fois immergée, les sculptures sont peu à peu envahies par la vie sous-marine, qui s’y développe comme elle le souhaite. Parfois, l’artiste lui donne un petit coup de main, en creusant ses œuvres d’une certaine manière, comme avec son Holy Man.

Au final, ses œuvres se colorent de coraux verts, roses, violets. Autour d’elles, des poissons multicolores passent également. L’ensemble grouille d’une vie nouvelle qui, elle, est naturellement belle et artistique.

D’ailleurs, Jason deCaires Taylor a aussi réalisé sa version de La Cène (The Last Supper). Je le signale car j’ai réalisé un article sur les différentes représentations de la Cène ;)

Bref, je crois que c’est une œuvre qu’il faut montrer et expliquer aux enfants car c’est sûrement eux qui auront le devoir d’inverser nos terribles habitudes de vie, un jour. Une œuvre comme celle-ci pourrait bien les inspirer en ce sens.


Site web de l’artiste : http://www.underwatersculpture.com/