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La Tram’ du temps : Une machine à remonter dans le temps à Nantes

Fin mai, mon amoureux et moi avons passé quelques jours à Nantes, loin des soucis quotidiens.
Il y aurait tant à dire ! (J’ai enfin vu les Machines de L’île de Nantes !!!! #Jai8Ans #CestNoël)
Mais j’ai choisi de vous parler de l’étonnante exposition ponctuant les arrêts de tram de la ville jusqu’au 31 août. Un beau projet d’art public urbain, à la fois éducatif et artistique, mêlant sciences et histoire de façon ludique. Bref, plein de sciences humaines mêlées au cœur d’une installation artistique, tout ce que j’aime !

Un des arrêts de tram de la ville de Nantes. Chaque arrêt est un retour en arrière dans le temps, jusqu’à l’apparition de la vie sur terre. Non seulement, l’arrêt prend les couleurs de époque qu’elle illustre (ici, vous vous en doutez, nous étions à l’époque des dinosaures) mais, en plus, on peut entendre la date à laquelle on va s’arrêter quand nous sommes dans les trams ou les bus qui desservent l’arrêt. Très bonne idée pour se cultiver sans s’en rendre compte, de façon ludique et sans avoir besoin de trouver le temps d’aller au musée. En plus, le résultat visuel dépote ! Et ça, nous le devons à l’artiste @delphinevaute. Plus d’informations dans un nouvel article sur mon blog, Studinano (www.studinano.com) bientôt ! #Nantes #France #travelgram #holidays #art #trip #voyage #travel #vacances #skeleton #fossil #tram #travelpics #street #streetart #museum #musée #HistoireNaturelle #NaturalHistory #fossile

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Une machine à remonter le temps au cœur de la cité des Ducs de Bretagne

C’est l’image de ce tricératops, dont j’ai croisé le regard à un arrêt de tramway de la ville de Nantes qui a d’abord attisé ma curiosité. J’ai d’abord pensé que c’était un joli décor pour un arrêt de tram. Mais c’est en m’approchant que j’ai compris de quoi il s’agissait vraiment : une installation culturelle sur la préhistoire (au sens large) ponctuant les différents arrêts de tram de la ville.

Tombée sous le charme de ce tricératops, je l’ai photographié en me promettant de vous parler de lui (voir ci-dessus) et l’on peut même apercevoir un bout de l’ancienne usine LU derrière lui.

Bref, au cours de notre séjour à Nantes, mon amoureux et moi avons pris plusieurs fois le tram et le bus. C’est ainsi que nous avons découvert que, non seulement, l’installation prenait place aux arrêts du tram mais aussi dans les transports eux-mêmes : à chaque arrêt de la ligne, un message sonore nous indiquait où nous arrivions ainsi que l’époque à laquelle nous étions censés débarquer, -240 millions d’années, -180 millions d’années,… Jusqu’au présent et même le futur.

Illustration de Delphine Vaute pour La Tram' du temps.
Illustration de Delphine Vaute pour La Tram’ du temps.
Carte de l'installation La Tram' du temps, montrant les différents arrêt du tram ainsi que l'époque où ils nous permettent de nous "arrêter".
Carte de l’installation La Tram’ du temps, montrant les différents arrêt du tram ainsi que l’époque où ils nous permettent de nous « arrêter ».

Quand le tram devient la trame

L’initiateur du projet est Maxime Labat, membre de l’association Le Labo des savoirs. Quant aux magnifiques dessins qui ponctuent la « visite », nous les devons à Delphine Vaute.

Ce projet artistique et culturel a été intitulé La Tram’ du temps. Jeu de mot entre les mots « tramway » et « trame » qui évoque le fil rouge que trace l’exposition dans la ville de Nantes.

On parle de voyage dans le temps et vous pensiez que je n'allais pas faire un clin d'oeil à Doctor Who quelque part dans cet article ? Allons(-y) !
On parle de voyage dans le temps et vous pensiez que je n’allais pas faire un clin d’oeil à Doctor Who quelque part dans cet article ? Allons(-y) !

C’est effectivement un voyage dans le temps qui nous est proposé, à travers lequel nous partons à la découverte de périodes très lointaines de la vie de notre planète. Trias, Crétacé… Des périodes qui ont parfois duré plus longtemps que la nôtre (l’Anthropocène) et que nous connaissons pourtant mal, le plus souvent. La ligne de tramway devient une frise chronologique sur laquelle on est invités à voyager.

« Si vous mettiez l’histoire de la vie sur Terre à l’échelle de la ville de Nantes – même pas depuis son apparition il y a plus de 3,5 milliards d’années, disons… depuis l’explosion de la vie au cambrien, il y a 540 millions d’années – , on pourrait partir de la Gare Maritime, à l’ouest côté mer, jusqu’à la Gare SNCF côté est, vers les terres. A chaque pas, vous parcourriez 200 000 ans.

A ce rythme vous pourrez marcher une bonne demi heure, 2 700m pour parcourir 540 millions d’années.

Rendez-vous compte du gigantisme de l’histoire de la vie sur Terre. Rendez-vous compte du temps qu’il a fallu à la lente dérive génétique des populations végétales et animales pour nous léguer la diversité fascinante de la biosphère actuelle.

Pour ne pas se faire peur, nous jetons tout cela sous un voile pudique, sous un mot : « Préhistoire ».
Si nous pouvions remonter le temps, nous verrions à quelle point la terre a changé. La carte du monde, le climat, les paysages, la composition de l’aire, la Terre a connu 1000 vies. »

Source : Le Labo des savoirs, « La Tram’ du temps #1 : tour du monde en 540 millions d’années »

La médiathèque Jacques Demy (où sont visibles les dessins originaux de Delphine Vaute, gratuitement), la Manufacture / Maison Fumetti et le Muséum d’Histoire Naturelle sont partenaires du projet. Ces différents lieux donnent aussi à voir des parties de l’exposition, en lien avec La Tram’ du temps. Sur ces trois lieux, mon amoureux et moi avons visité le Muséum d’Histoire Naturelle. Vous pouvez retrouver quelques photos de notre visite sur mon compte Instagram :

A quoi ça sert ? Est-ce vraiment utile ?

Quand la vulgarisation scientifique descend jusque dans la rue, dans des lieux que nous fréquentons chaque jour, on peut espérer qu’elle touche un public plus large que lorsqu’elle reste confinée dans les musées et autres lieux d’exposition.
Toutefois, on peut légitimement se demander si cela fonctionne vraiment. L’exposition aurait-elle attiré mon regard si j’étais une habituée de Nantes ? Ou si je n’avais pas une formation artistique ? De fait, nombre d’œuvres d’art public urbain sont parfaitement invisibles aux yeux du public. Qui parmi vous n’est jamais passé aux pieds d’une sculpture sans même la voir ? C’est ce qui fait parfois dire aux mauvaises langues que les monuments publics et autres expositions de ce genre sont inutiles, de l’argent jeté par les fenêtres… (En général, comme Léodagan, je réponds « merde », ça colle à peu près avec tout… et aussi à ce type de mauvaises langues. Après, c’est vous qui voyez.)

On pourrait disserter des heures sur le sujet. Allez savoir si ça ne fera pas un jour l’objet d’un article sur Studinano… Pour l’instant, revenons-en à nos moutons.

Dans le cas de La Tram’ du temps, l’idée d’avoir vraiment intégré l’exposition aux transports de la ville est, selon moi, ce qui fait qu’elle a toutes les chances de fonctionner (comprenez d’être visible d’un maximum de personnes, ce qui n’est d’ailleurs pas toujours le but recherché par une œuvre d’art public). En effet, ce qui a d’abord attiré notre attention de touristes, c’est que chaque fois que nous descendions près d’un arrêt de tram (que ce soit en bus ou en tram), les indications sonores nous donnaient non seulement le nom de notre arrêt mais aussi une mystérieuse indication temporelle comme, par exemple « -440 millions d’années ». De quoi nous intriguer.

Néanmoins, l’art public urbain n’a pas vocation à vous contraindre (la plupart du temps, car il existe toujours des exceptions, bien entendu). Vous avez autant la liberté d’ignorer l’exposition que d’y prêter attention. L’idée n’est pas de déranger vos habitudes ou votre rapport à l’espace public mais de vous amener à poser un regard différent sur ce qui vous entoure. En l’occurrence, La Tram’ du temps vous invite à imaginer à quoi pouvait ressembler le territoire de Nantes à des époques extrêmement lointaines, très différentes de la nôtre.  Ainsi, le tramway se transforme en machine à voyager dans le temps et nourrit votre imaginaire autant que votre culture.

Illustration de Delphine Vaute pour La Tram' du temps.
Illustration de Delphine Vaute pour La Tram’ du temps.

Et pour prolonger la tram’ ?

Heureusement, nous vivons une époque où, non seulement, nous pouvons apprendre des choses en prenant le tram mais aussi, quand notre ville n’a pas d’aussi bonnes idées, en quelques clics sur internet.

Léo Grasset, créateur de la chaine Dirty Biology, est titulaire d'une licence en biologie des organismes et écosystèmes, d'un master en biologie évolutive et d'un diplôme d'études supérieures universitaires (DESU). Parce que vulgarisation scientifique ne rime pas avec méconnaissance, bien au contraire !
Léo Grasset, créateur de la chaine Dirty Biology, est titulaire d’une licence en biologie des organismes et écosystèmes, d’un master en biologie évolutive et d’un diplôme d’études supérieures universitaires (DESU). Parce que vulgarisation scientifique ne rime pas avec méconnaissance, bien au contraire !

En effet, des chaines de vulgarisation scientifique, il en existe des tas sur Youtube ! Pour rester dans le thème, si vous souhaitez en apprendre davantage sur la biologie en général, je vous conseille de vous rendre sur la chaine de Dirty Biology.   Vous y apprendrez notamment que vous feriez de bien beaux enfants avec vos cousins ou à quoi sert un pénis dans le règne animal. Stupide, vous pensez ? Ne vous fiez pas aux apparences et vous apprendrez des tas de choses tout en vous marrant bien.

Pour conclure, la seule ombre au tableau dans tout cela est que vous ne pourrez voir La Tram’ du temps que jusqu’au 31 août. En effet, l’exposition est éphémère. Et ça, c’est quand même bien dommage.


Cet article vous a plu ? (Ou non ?) N’hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous pour me le faire savoir !


Sources :
Page Facebook du projet La Tram’ du temps
La Tram’ du temps sur le site Le Voyage à Nantes
Le Labo des savoirs
Site officiel de Delphine Vaute
Article France 3 Région sur La Tram’ du temps
Page Wikipédia sur Léo Grasset

Henri-Edmond Cross : Coup de cœur à l’exposition Joie de Vivre

Affiche de l'exposition Joie de Vivre au Palais des Beaux Arts de Lille (du 26 septembre 2015 au 17 janvier 2016)
Affiche de l’exposition Joie de Vivre au Palais des Beaux Arts de Lille (du 26 septembre 2015 au 17 janvier 2016)

La semaine dernière, j’ai pris mon courage (= mon porte-monnaie) à deux mains et je suis allée visiter l’exposition Joie de Vivre au Palais des Beaux Arts de Lille (exposition qui m’a coûté 0€ quand mon voyage en train, lui, m’a coûté un tout petit peu moins de 20€… Merci la SNCF, je ne suis qu’à 50 km de là, FAUT PAS POUSSER).

Bref.

L’exposition prenait fin ce 17 janvier et je n’avais pas pu m’y rendre avant. S’y trouvait pourtant mon artiste chouchou, mon préféré, mon favori, Takashi Murakami. Je ne pouvais donc pas rater l’occasion. Et j’ai bel et bien eu mon tête-à-tête avec l’œuvre en question, Mr Cloud :

Mais figurez-vous qu’il y a une autre raison qui fait que j’ai plutôt bien fait de passer outre mon ego et le fait d’engrosser la SNCF : j’ai découvert un artiste que je ne connaissais pas (ça m’arrive, je ne peux pas tout connaître) et ça a été le coup de cœur.

Son nom : Henri-Edmond Cross. Un artiste originaire de Douai (je précise parce que des fois, on s’en fiche un peu, des fois c’est utile pour comprendre le parcours d’un artiste et des fois… c’est juste que c’est dans ma région et c’est cool).
Son vrai nom était en fait Delacroix, comme le fameux Eugène. Un peu trop fameux, d’ailleurs, le Eugène. Pour se distinguer, Henri-Edmond transforma donc son patronyme en Cross (« croix » en anglais… Delacroix… Cross… Si vous n’avez pas compris, je ne peux rien pour vous). D’aucuns diront qu’il aurait aussi pour raccourcir un peu son prénom, tant qu’à y être. Henri-Ed Cross aurait été diablement plus hipster (moi, je dis ça…).

L’exposition Joie de Vivre donnait à voir plusieurs toiles de l’artiste. Je vous propose de voir les photographies que j’ai prises ainsi que celles, de meilleure qualité, que j’ai pu trouver sur l’internet car je n’avais emporté que mon smartphone pour être plus à l’aise pendant ma visite (je suis la fille que vous croisez au musée et qui prend en photo les cartels près des œuvres, en plus des œuvres elles-mêmes ; pour les retrouver plus facilement sur Google Images par la suite. JE N’SUIS PAS FOLLE VOUS SAVEZ).

Henri-Edmond Cross est originaire du Nord mais il vit dans le Sud de la France, à Saint-Clair, près du Lavandou. Il se sent inspiré par cette région ensoleillée où les couleurs semblent tellement plus flamboyantes que dans sa région d’origine (oui, bon, ok, mais on a d’autres qualités… On est gentils, déjà).

Le Lavandou est une commune du Var (83).
Le Lavandou est une commune du Var (83).

Le cartel qui accompagne sa toile La Fuite des nymphes explique :

guillemet« Pour cet homme du Nord – Cross est né à Douai -, la Méditerranée est une Arcadie moderne, un pays éternel, saturé de couleurs où l’Antiquité semble encore vivante, ici sous la forme d’un joyeux ballet de nymphes. Installé à Saint-Clair, près du Lavandou, Cross est d’abord inspiré par le divisionnisme de son ami Paul Signac puis se rapproche d’Henri Matisse et des Fauves. »

Le Divisionnisme (aussi appelé Chromo-luminarisme) est un style de peinture qui se base sur une théorie picturale. Cette théorie veut qu’obliger l’œil et le cerveau du spectateur à combiner les couleurs permettrait d’atteindre le maximum de luminosité scientifiquement possible (dans une peinture, s’entend). Le Divisionnisme rendrait les couleurs plus claires et plus lumineuses.
Comment ça marche ? La technique est mise au point par Georges Seurat. Elle consiste, pour le peintre, à ne pas mélanger ses couleurs pures, ni sur sa palette, ni sur sa toile, mais à les juxtaposer sous formes de petites touches. De près, une peinture Divisionniste ressemble à une mosaïque, à un ensemble de coups de pinceau multicolores. Ces amoncellements de points colorés lui donnent son autre nom, plus connu du grand-public : le Pointillisme. Mais on lui donne également un nom plus barbare : celui de Néo-impressionnisme (comprenez, le « nouvel » impressionnisme car « néo » signifie « nouveau »).
Pour « bien » voir une peinture Divisionniste, il faut s’éloigner suffisamment, obliger notre œil à faire une sorte de « mise au point », le forcer à « rassembler » toutes les couleurs.
C’est à peu près le même principe qu’avec nos écrans actuels, à la différence que le nombre de points (pixels) est beaucoup plus important et qu’ils sont quasiment invisibles à l’œil nu. Les couleurs Rouge-Vert-Bleu (RVB) utilisées par nos écrans deviennent « naturellement » une multitude d’autres couleurs car notre œil et notre cerveau les « mélangent » sans même que nous nous en rendions compte.

Si je vous précisais plus haut que l’on appelait aussi le Divisionnisme le Néo-impressionnisme, c’est parce que ce terme était utilisé dans d’autres cartels de l’exposition Joie de Vivre. Près de la toile de Henri-Edmond Cross intitulée L’Air du soir, on pouvait ainsi lire :

guillemet« Une fin d’après-midi dans le Sud de la France où vit et travaille Cross. La chaleur, qu’il redoute, la lumière, qui l’inspire, s’apaisent, offrant un instant de sérénité et d’éternité. Ce tableau est exposé à la IIIe exposition du groupe néo-impressionniste de 1894, puis donné au peintre Signac qui l’accroche dans sa salle à manger. C’est là que Matisse le découvre ; il s’en inspire dans le fameux Luxe, calme et volupté. »

A nouveau, l’ami de Henri-Edmond Cross, Paul Signac, est évoqué. C’est aussi un Divisionniste (ou un Néo-impressionniste… Ou un Pointilliste… Vous m’suivez toujours ?). Ses oeuvres et celles de Cross sont parfois si semblables qu’il est presque difficile de les distinguer (je vous laisse comparer sa toile intitulée Voiles et Pins, ci-dessous, à celle de Henri-Edmond Cross, postée plus avant, L’air du soir : leurs bateaux sont les mêmes !).

Voiles et Pins, Paul Signac (1863-1935) 1896 Huile sur toile 81 x 52 cm Collection particulière
Voiles et Pins,
Paul Signac (1863-1935)
1896
Huile sur toile
81 x 52 cm
Collection particulière

Quant à Henri Matisse, que mentionne aussi le cartel, il va emprunter un style des plus semblables pour sa toile Luxe, calme et volupté suite à sa rencontre avec les deux hommes. C’est d’ailleurs grâce à ses expérimentations divisionnistes que l’artiste deviendra le précurseur du Fauvisme, un autre style pictural basé sur une théorie de la couleur. Pour beaucoup d’autres peintres comme lui, le Pointillisme ne constituera qu’une étape dans leur carrière avant qu’ils n’adoptent d’autres styles picturaux. Henri-Edmond Cross et Paul Signac, eux, resteront fidèles au Divisionnisme en dépit de l’évolution des « modes » ou de l’apparente difficulté à réaliser des peintures de ce genre (petite touche par petite touche… ça peut prendre du temps, comme vous pouvez aisément l’imaginer et l’on peut aussi penser que cela « bride » un peu le naturel).

Luxe, Calme et Volupté, Henri Matisse (1869-1954) 1904 Huile sur toile 98.5 cm × 118.5 cm Musée d'Orsay, Paris
Luxe, Calme et Volupté,
Henri Matisse (1869-1954)
1904
Huile sur toile
98.5 cm × 118.5 cm
Musée d’Orsay, Paris

Pour autant, la fameuse Femme au chapeau que peindra Matisse en en 1905, et qui est l’une des toiles emblématiques du Fauvisme, semble curieusement faire écho à la Femme à l’ombrelle peinte par Paul Signac en 1893.
Ah, l’histoire de l’art et ses citations, ses inspirations, ses détournements, ses évolutions…

La dernière toile de Henri-Edmond Cross que nous proposait l’exposition Joie de Vivre était Les Îles d’Or, une peinture quasiment abstraite, faite de lignes de points bleus et jaunes pâles, représentant la mer et ses couleurs changeantes sous la lumière du soleil.

guillemet« Les Îles d’Or restituent le ravissement solaire de la Provence. La composition aplanit la perspective pour n’être plus qu’illumination. L’œuvre évoque la joie d’être face à la mer, nimbée par les rayons du soleil. Les variations de la lumière s’accomplissent dans la décomposition aérienne du spectre. La touche, extrêmement mobile, restitue la divagation du regard ébloui. »

Il faut préciser, d’ailleurs, que toute la première salle de l’exposition portait sur le soleil et donnait à voir diverses représentations de l’astre. Tantôt, les peintres avaient cherché à saisir sa lumière et donc les couleurs qu’il donnait aux choses (la magnifique toile de Pierre-Auguste Renoir, une étude du torse d’une femme au soleil, était ainsi exposée en ce sens). Tantôt, ils l’avaient représenté « directement » mais de façon abstraite, simplifiée ou stylisée (côte à côte, se trouvaient une représentation du soleil à la façon d’un logo d’entreprise, conçue par Roy Lichtenstein, et une autre de Robert Delaunay, totalement abstraite et faite de ronds concentriques de couleurs diverses). Mes photos ne sont pas d’une qualité exceptionnelle mais je vous laisse quand même quelques traces de ce que cela pouvait donner :

Oh, mais, attendez, que vois-je ? Une autre ressemblance curieuse. Cette fois, entre la toile de Renoir que je viens d’évoquer et une autre peinture de Henri-Edmond Cross ; sa Dormeuse nue dans la clairière, peinte en 1907, semble emprunter ses effets lumineux à son illustre comparse. Le « nouvel »-impressionniste emprunte bel et bien à ses prédécesseurs (Renoir ayant été un impressionniste) avant d’inspirer ses successeurs (Matisse et les autres Fauvistes).

PAF. La boucle est bouclée.


Cet article vous a plu ? Vous connaissiez déjà Henri-Edmond Cross ? Pas du tout ? Vous avez apprécié ? Dites-moi tout ! Les commentaires sont là pour ça ;)


Sources :
Site non-officiel sur Takashi Murakami par Studinano
« Exposition « Le Néo-Impressionnisme, de Seurat à Paul Klee », Musée d’Orsay, Paris, 2005″ présentée par Impressionniste.net

Citrouilles chantantes et mapping vidéo : Magie de la lumière

Joyeux Halloween !… Oui, bon, d’accord, je suis en retard d’un jour. Mais c’est l’intention qui compte, non ? :D (Qui a dit non ?)

Aujourd’hui, arrêtons-nous sur ces citrouilles chantantes qui, j’espère, vous feront marrer autant que moi (déjà, ce serait pas mal).

Elles ont été réalisées grâce à un procédé appelé le mapping video. On parle aussi parfois de « fresque lumineuse » ou de « projection illusionniste« . En effet, c’est une forme de création artistique qui utilise la projection (pensez au cinéma ou, plus simplement, au rétroprojecteur que vous avez en classe ou au bureau). On projette des images sur une surface (en l’occurrence, ici, une citrouille) de manière à laisser croire que la surface bouge vraiment (ici, que les citrouilles chantent).
La différence avec une projection classique est simple : la surface sur laquelle on projette n’est pas plane. Par conséquent, il faut tenir compte de ses aspérités pour réaliser l’illusion souhaitée. Un mapping vidéo est donc généralement conçu pour une surface en particulier. Sinon, elle ne fonctionnera pas correctement.
Cela peut sembler complexe mais aujourd’hui il existe des logiciels facile à prendre en main pour s’essayer au mapping vidéo. Le tout étant finalement de disposer d’un projecteur et d’un objet à « mapper ». Et, surtout, d’une bonne dose d’imagination !

Si, dans le cas de nos citrouilles chantantes, la surface utilisée est assez restreinte, cette technique a aussi pu être utilisée sur des monuments entiers. En France, c’est la Fête des Lumières de Lyon qui est l’évènement le plus connu à utiliser cette technologie créative. Je ne résiste pas à l’idée de vous proposer quelques photographies de cet évènement qui a lieu chaque année aux alentours du 8 décembre :

On retrouve aussi le mapping vidéo dans certaines attractions de Disneyland Paris, du Futuroscope ou du Puy du Fou. Il faut dire que les possibilités sont multiples !

Le parc d’attraction Disneyland d’Orlando, en Floride, est d’ailleurs considéré comme le pionnier du mapping vidéo. En effet, en 1969, le parc inaugure l’attraction Haunted Mansion (la maison hantée) qui regorge de procédés illusionnistes pour effrayer ses visiteurs. Le mapping vidéo en fait partie et sert notamment à faire chanter cinq bustes appelés les Grim Grinning Ghosts (littéralement, les « sinistres fantômes grimaçants »).
A Disneyland Paris, l’attraction s’appelle le Phantom Manor (le manoir fantôme) mais elle est légèrement différente de l’attraction du parc d’Orlando. Et ne l’ayant essayée qu’une fois, j’avoue que je ne me souviens plus si ces bustes existent dans la version française du parc ou non. Si vous le savez, n’hésitez pas à me le dire en commentaire !

Les Grim Grinning Ghosts de Disneyland, Orlando, Floride.
Les Grim Grinning Ghosts de Disneyland, Orlando, Floride.

Récemment, la marque d’eau minérale Contrex a également eu recours au mapping vidéo dans une de ses publicités. Vous pouviez y voir des jeunes femmes censées faire du stepper pour sauver de beaux et jeunes hommes musclés des flammes qui consumaient un bâtiment. Ces flammes étaient réalisées grâce au mapping vidéo.

A la base, l'évènement filmé pour les besoins de la pub Contrex a eu lieu à Paris en 2012.
A la base, l’évènement filmé pour les besoins de la pub Contrex a eu lieu à Paris en 2012.

En 2014, c’est l’œuvre de l’artiste japonais Nobumichi Asai qui secoue le web. La vidéo de son mapping, réalisé sur le visage en mouvement d’une femme, fait le tour de la toile. Une vraie prouesse de synchronisation qui, en plus, s’avère être de toute beauté. Le développement de cette technologie pourrait, à terme, servir le cinéma ou l’industrie du jeu vidéo.

Autrement dit, vous avez sûrement déjà dû voir du mapping video même sans savoir de quoi il s’agissait exactement. Et, de toute évidence, ce procédé artistique, développé initialement dans les années 60, a de longs et beaux jours devant lui. De quoi nous émerveiller encore longtemps avec son côté un peu magique.


Cet article vous a plu ? (ou pas ?) N’hésitez pas à laisser un commentaire pour me le faire savoir !


Sources :
Fête des Lumières de Lyon
Galerie Flickr de la Fête des Lumières

Alerte enlèvement : la pointe de l’obélisque de Buenos Aires a disparu !

Les extraterrestres ont-ils débarqué en Argentine ?

C’est ce qu’ont pu penser les habitants de Buenos Aires, ce matin, à leur réveil, quand ils ont découvert avec stupeur la disparition… de la pointe de l’obélisque de la ville. Situé sur l’Avenue du 9 Juillet (équivalent des Champs Élysées de Buenos Aires), l’obélisque célèbre l’indépendance de l’Argentine et marque symboliquement le centre de la ville.

L'obélisque de Buenos Aires a perdu sa pointe !
L’obélisque de Buenos Aires a perdu sa pointe !
Où est passée la pointe de l'obélisque de Buenos Aire ?
Où est passée la pointe de l’obélisque de Buenos Aire ?
L'obélisque de Buenos Aires a perdu sa pointe !
Même de loin, on voit bien qu’il lui manque quelque chose…
Aurait-on volé la pointe de l'obélisque de Buenos Aires ?
Aurait-on volé la pointe de l’obélisque de Buenos Aires ?

Qui a bien pu voler cette pointe ? D’autant plus qu’elle se trouvait en haut d’un monument de 67 mètres. Des êtres venus d’ailleurs ? A moins qu’un géant ne soit passé par là ? Peut-être Superman voulait-il redécorer son appart’ ? Elle n’a quand même pas pu se volatiliser !

Et pourtant…

La pointe a été retrouvée, quelques heures plus tard… sur le parvis du Malba, le musée d’art latino-américain.

La pointe de l'obélisque sur le parvis du Malba.
La pointe de l’obélisque sur le parvis du Malba.
Leandro Erlich
Leandro Erlich

Et tout ceci n’était point l’œuvre d’une quelconque entité dotée de pouvoirs supérieurs, de petits hommes verts, ni d’aucun super-héros qui se serait soudain pris pour Valérie Damidot mais bien celle d’un artiste, Leandro Erlich. Un artiste argentin, justement, célèbre dans le monde entier.

Mais comment s’y est-il pris ?

La pointe n’a jamais bougé de son emplacement initial. C’est une copie qui a été placée devant le Malba. La disparition, elle, est le résultat de l’utilisation complexe de miroirs. Tout ceci n’était qu’une illusion, un trompe l’œil.

Installation du matériel nécessaire au trompe l’œil imaginé par Leandro Erlich.
Installation du matériel nécessaire au trompe l’œil imaginé par Leandro Erlich.

Le but de tout ceci était de célébrer l’anniversaire du Malba qui fête cette année ses 14 ans d’existence.

Nous sommes là face à ce que j’appellerais une installation-happening. D’un part, parce que l’artiste a transformé son environnement (en l’occurrence grâce à une illusion). Puis, ce qui avait été « perdu » (la pointe de l’obélisque) a été « retrouvé » sur le parvis du Malba : cette vraie-fausse pointe de l’obélisque constitue l’installation, tout autant que le reste de l’œuvre. Car s’il n’y a pas l’happening (c’est-à-dire la disparition et, avant elle, la mise en place des miroirs et du dispositif permettant de rendre la pointe de l’obélisque invisible) il n’y a pas l’installation sur le parvis du musée, vous me suivez ? C’est pourquoi je parle d’installation-happening.

 Pause précision
Installation : 1. Disposition de matériaux et d’éléments divers dans un espace. 2. Œuvre ainsi obtenue. 3. Mode d’expression artistique apparue au troisième tiers du XX° siècle.

Happening : Manifestation artistique des années 1960, héritière des interventions futuristes, constructivistes ou dadaïstes. Ces évènements publics organisés, plutôt théâtraux, utilisent toutes sortes de techniques (musique, danse, peinture, etc.), souvent le corps, et peuvent transformer l’environnement.

(Source)

Leandro Erlich n’en est pas à son coup d’essai.

Les illusions, il connaît. Il avait, par exemple, permis à des spectateurs d’entrer dans une piscine pleine sans se mouiller. A d’autres, il avait donné l’occasion de grimper sur la façade d’une maison sans le moindre risque et à tout âge. Il avait suspendu une maison dans les airs et le morceau d’une autre au bout d’une échelle. Incroyable ? Je vous laisse en juger par vous-mêmes, grâce aux photos ci-dessous.

Les œuvres se Leandro Erlich mettent souvent en scène des miroirs, des surfaces translucides, dans lesquelles on se reflète ou à travers lesquelles on peut voir de façon plus ou moins nette. Et quand ses œuvres n’utilisent pas directement des surfaces de ce genre, elles y font référence. C’est le cas dans Port of Reflection (voir ci-dessus) : il n’y a pas de miroir, il n’y a pas d’eau, tout n’est qu’une sculpture dans un grand trou noir, donnant l’illusion que des bateaux se reflètent dans une surface liquide. Dans une oeuvre comme le Monte-Meubles (voir ci-dessus), Leandro Erlich nous met face à un autre miroir : un miroir invisible, quelque part entre nos yeux et notre cerveau, qui ne serait autre que la porte d’un monde imaginaire. Comme Alice au Pays des Merveilles, nous traversons le miroir pour entrer dans un monde étrange, aussi poétique qu’inquiétant. Peut-être sommes-nous passés par la Shattering Door (voir ci-dessus) sans nous en rendre compte ?

Je ne peux que vous encourager à foncer si vous avez l’occasion de voir passer une œuvre de cet artiste près de chez vous car, comme vous l’aurez remarqué sur les photos, il entraine souvent le spectateur à faire des expériences par le biais du jeu : les spectateurs sont invitées à expérimenter l’œuvre en déambulant à l’intérieur, en jouant avec les surfaces réfléchissantes, en se couchant au sol, etc. Et ce sont bien souvent leurs photographies, au final, qui sont intéressantes et font ressortir l’essence de l’œuvre, son but, son intérêt. Si, en plus, c’est ludique et amusant, pourquoi se priver ? ;)

Sachez, notamment, que vous pourrez voir l’une de ses œuvres à Paris le 3 octobre. Il y participera à la Nuit blanche avec une œuvre intitulée Maison fond, et qui prendra la forme d’un immeuble installé devant la gare du Nord que l’on verra fondre à vue d’œil, sous l’effet du réchauffement climatique.


Sources :
Site Officiel de l’artiste
Infobae : Qué pasó con la punta del Obelisco
Libération : L’obélisque de Buenos Aires a perdu la tête

Héliogabale : Enfant-roi, empereur de la décadence

Il y a des tableaux que l’on regarde avec un oeil neuf dès lors qu’on connaît l’histoire qui les a inspirés. Je vous avais déjà parlé du diptyque d’Urbino de Pierro della Francesca mais le tableau de Lawrence Alma-Tadema, intitulé Les roses d’Héliogabale est également de ceux-là. La première fois que je l’ai vu, je l’ai trouvé magnifique ; tous ces pétales de roses, le réalisme avec lequel la scène avait été peinte, les couleurs, le regard des personnages, le décor, la composition… Plus je le regardais, plus quelque chose me décontenançait. J’ai fini par découvrir de quoi il s’agissait en me renseignant sur le sujet que présentait le tableau : Héliogabale, l’empereur observant la scène, allongé bien en évidence au second plan.

Âmes sensibles s’abstenir. (vous ne pourrez pas dire que je ne vous ai pas prévenus)


Sommaire de l’article

Qui était Héliogabale ?
Héliogabale : véritablement décadent ou injustement jugé ?
Les roses d’Héliogabale : comment lire ce tableau ?
Les roses d’Héliogabale : fiction ou réalité ?


Lawrence Alma-Tadema, Les roses d’Héliogabale, 1888, 132x214cm, Collection privée, Mexico
Lawrence Alma-Tadema, Les roses d’Héliogabale, 1888, 132x214cm, Collection privée, Mexico

Qui était Héliogabale ?

Héliogabale ou Élagabal, détail issu de la peinture de Lawrence Alma-Tadema.
Héliogabale ou Élagabal, détail issu de la peinture de Lawrence Alma-Tadema.

Un nom solaire pour un homme obscur.

Héliogabale, Élagabal ou Marcus Aurelius Antoninus (son nom de règne) OU ENCORE Varius Avitus Bassianus (de son VRAI nom, parce qu’on faisait dans la simplicité à l’époque ><) fut empereur de 218 à 222 ap. J.C., date à laquelle il fut assassiné (à seulement 19 ans, après être devenu empereur à seulement 14 ans). A treize ans déjà, il était grand-prêtre du dieu Élagabal (d’où son nom). Un dieu solaire adoré à Émèse en Syrie romaine, région d’origine du jeune empereur. Il tentera d’ailleurs d’imposer sa religion à Rome durant son règne. D’ailleurs, dans la peinture de Lawrence Alma-Tadema, l’empereur porte une tunique dorée et un diadème, symboles solaires. Des attributs davantage liés à sa religion qu’à son rang de souverain romain. Il faut dire aussi qu’il nourrit également une véritable passion pour l’or et les pierres précieuses, comme en atteste le professeur Robert Turcan, spécialiste d’archéologie et de l’antiquité, qui raconte ceci dans son livre Héliogabale et le Sacre du soleil :

guillemet« Avant même d’accéder à l’Empire, l’enfant – nous le savons par l’Histoire Auguste – appréciait déjà les étoffes lourdement tissues d’or. (…) Héliogabale a des réchauds d’argent, des chaudrons, des lits en argent massif, aussi bien pour manger que pour dormir. Mais comme déjà l’argent sert à plaquer les voitures, les siennes seront plaquées d’or et incrustées de pierreries.
D’or aussi sera le récipient où il se déleste des excès de table. Il urine dans des vases en onyx ou dans ceux qu’on appelle “murrhins” et qui passent alors pour les plus précieux de la vaisselle impériale. (…) Héliogabale fait saupoudrer d’or et d’argent une galerie de son palais, regrettant de ne pouvoir y semer de l’ambre. Il porte un vêtement dont chaque fil est d’or. C’est le métal impérial par excellence et l’apanage du dieu solaire.
(…) Mais l’empereur a une prédilection pour les joyaux. Dans sa garde-robe étincelle une lourde tunique “perse” faite de pierreries. Quand l’empereur la porte, il se dit épuisé par ‘le poids du plaisir’. Les pierreries brillent sur sa tête auréolée d’un diadème ; elles brillent sur ses pieds : ses chaussures en peau fine sont constellées de gemmes gravées. On sait qu’il affectionne aussi les bracelets et les colliers. Il veut voir des bijoux partout. Dans les plats, il fait mêler aux légumes et autres aliments des pièces d’or, des marcassites, des grains d’ambre ou des perles à foison. »

Robert Turcan, Héliogabale et le Sacre du soleil, 1985, Albin Michel, Paris, p.180.

Un règne court. Fulgurant, même. Mais quel règne, pour un si jeune homme !

Buste d'Héliogabale, Musée du Capitole, Rome, Italie.
Buste d’Héliogabale, Musée du Capitole, Rome, Italie.

Voici l’illustre inconnu qui  inspira ce tableau au peintre britannique Lawrence Alma-Tadema. En effet, aviez-vous déjà entendu le nom d’Héliogabale ? Pour ma part, je ne le connaissais pas du tout. Et pour cause : il fut condamné à la damnatio memoriæ (littéralement : « damnation de la mémoire »). Une condamnation post-mortem consistant à effacer l’existence d’une personne ; une condamnation à l’oubli (d’autres empereurs romains ont été condamnés de la même façon mais leur règne et leur nom sont restés célèbres : Néron, Caligula ou encore Marc Antoine en font partie). Héliogabale a eu moins de chance. Il faut dire que son règne a été court et qu’il n’est revenu dans les mémoires des artistes du XIXème siècle que comme symbole de décadence.

Héliogabale : véritablement décadent ou injustement jugé ?

Les sources varient au sujet d’Héliogabale et la damnatio memoriæ n’a pas aidé. Il est difficile d’affirmer que l’empereur était vraiment aussi cruel et fou qu’ont bien voulu le laisser entendre certains chroniqueurs de l’époque.

En effet, le souverain n’est pas très apprécié. Plusieurs raisons à cela : sa relation avec sa mère (je vous en reparle plus bas) mais aussi les scandales qui ponctuent son règne. On lui reproche notamment d’avoir enlevé et épousé la grande Vestale Aquilia Severa (une vestale est une prêtresse de la Rome antique dédiée à Vesta). Ce mariage de l’empereur bafouait toutes les traditions romaines, car les vestales devaient rester vierges sous peine d’être emmurées vivantes. Le mariage sera pourtant de courte durée car Héliogabale est homosexuel. Il « épousera » d’ailleurs certains de ses compagnons, choquant de même coup ses contemporains et historiens romains. On dit aussi que la fin de son règne sera marqué par des orgies homosexuelles publiques. Ou encore que, durant certaines fêtes qu’il organisât, certains de ses convives se réveillèrent dans une cage avec des lions ou des ours (apprivoisés, donc inoffensifs… mais quand même).

C’est d’ailleurs d’un petit jeu de ce genre dont traite la toile de Lawrence Alma-Tadema…

Les roses d’Héliogabale : comment lire ce tableau ?

A première vue, la scène dans laquelle Lawrence Alma-Tadema l’a ici représenté nous montre la volupté dans laquelle évoluait le souverain romain. On devine qu’il s’agit d’une fête et que les personnages sont plutôt riches. L’ensemble a de quoi charmer le spectateur tant il est beau, réaliste, détaillé.

D’abord, dans quel contexte cette oeuvre a-t-elle été réalisée ? Lawrence Alma-Tadema n’est pas un peintre particulièrement connu, en particulier en France. Peintre britannique, d’origine néerlandaise, on l’associe à l’Aesthetic Movement (l’Esthétisme en France). Un mouvement artistique qui s’est développé sous le règne de la reine Victoria, des années 1860 à 1900, et qui hérite du mouvement Préraphaélite (dont je suis une grande admiratrice, d’ailleurs, même si ça ne plaît pas à tout le monde).
L’Aesthetic Movement se développe en réaction au Naturalisme (ou Réalisme). Il consacre « l’art pour l’art », la recherche de la beauté pour elle-même. Les artistes de ce mouvement mettent souvent la femme au centre de leurs œuvres. Elle en devient le motif principal et récurrent. Les scènes peintes s’inspirent de l’Antiquité (en particulier dans le cas de Lawrence Alma-Tadema, qui en a fait sa spécialité) ou du Moyen-Age (les Préraphaélites ayant entamé cette mouvance dès les années 1850). Si des peintres comme Lawrence Alma-Tadema cherchent à coller à une certaine réalité archéologique, les scènes peintes sont souvent idéalisées, embellies, sublimées.

Contrairement à des peintres Néoclassiques comme Jacques-Louis David, qui a également peint de nombreuses scènes inspirées de l’Antiquité (on peut penser au Serment des Horaces ou à La Mort de Socrate, par exemple), Lawrence Alma-Tadema ne choisit pas de grands sujets historiques ou mythologiques mais des scènes de la vie quotidienne ou des épisodes secondaires de l’Histoire. Il faut dire que la bourgeoisie britannique fantasme alors sur cette lointaine époque antique dont on aime croire qu’il s’agissait d’un âge d’or, d’une époque de luxe et de volupté. L’imagerie que produit alors Lawrence Alma-Tadema séduit le public car elle est colorée, ensoleillée, pleine de fleurs et de palais merveilleux, de fête, de bains et de banquets.

guillemet« Lawrence Alma-Tadema, alors au sommet de sa prolifique carrière, s’était spécialisé dans la représentation d’une Antiquité fantasmée habitée par de riches oisifs occupant leur temps entre les intrigues amoureuses, les fêtes, les arts et les distractions de toutes sortes. Les Roses d’Héliogabale (…) répondait parfaitement à l’attrait d’une société, pourtant conservatrice, pour une Antiquité décadente et débauchée. Si l’art d’Alma-Tadema était commercial et populaire, il n’excluait pas dans certaines oeuvres l’expression d’une critique de la bourgeoisie de son temps au travers des excès de la Rome antique, ainsi qu’il le suggérait en affirmant : “Les vieux Romains étaient faits de la même chair et du même sang que nous, ils étaient mus par les mêmes passions et les mêmes émotions.” »

Florelle Guillaume, « Analyse d’oeuvre, Les Roses d’Héliogabale de Lawrence Alma-Tadema », in Beaux-Arts Magazine, Octobre 2013.

Nous sommes loin de l’Angleterre de la Révolution Industrielle, dont la Capitale est sombre, tentaculaire et polluée, dans laquelle erre Jack l’Éventreur. Il suffit de voir les gravures que Gustave Doré fait de Londres, à cette époque, pour saisir la différence.

Mais revenons-en a nos moutons : Les Roses d’Héliogabale.

Au premier coup d’oeil, ce tableau est tout simplement sublime. Tous les pétales de roses qui tourbillonnent dans la scène participent à cet état de fait mais ils ne sont pas les seuls. L’artiste a représenté l’ensemble avec un grand souci de réalisme et, en même temps, l’on perçoit l’idéalisation de la scène dont le moindre détail (des costumes des personnages à la simple petite décoration) a été pensé. Tout cela brouille notre perception : il s’agit d’une mise en scène, tout est faux, mais tout semble vrai, réaliste, vraisemblable. Cela participe à nous faire entrer dans l’histoire et, peu à peu, à ressentir le caractère tragique de ce qui s’y passe.

Car derrière son apparence triviale, innocente, cette scène est terrible. Je ne vous en dis pas plus pour l’instant, nous allons découvrir peu à peu pourquoi tout au long de cet article.

Dans ce tableau, la ligne d'horizon est haute.
Dans ce tableau, la ligne d’horizon est haute.

La ligne d’horizon ne coupe pas le tableau en deux parties égales mais se situe un peu plus haut. Cela a pour conséquence de nous forcer (théoriquement) à lever les yeux pour observer l’empereur et ses convives se trouvant sur l’estrade. De ce fait, nous pouvons aussi avoir l’impression que nous nous trouvons dans « la fosse », avec les autres personnages, peu à peu recouverts par les roses.

On constate également que la ligne d’horizon, une fois tracée comme je l’ai fait ci-dessus, sépare clairement les deux groupes de personnages. L’empereur et ses invités sont au spectacle tandis que les autres le subissent.

Le jeu des regards nous pousse à voir le tableau dans son ensemble.
Le jeu des regards nous pousse à voir le tableau dans son ensemble.

Un jeu de regards entre les différents protagonistes nous permet de passer d’un personnage à l’autre et nous pousse à observer la scène dans son ensemble (voir les flèches que j’ai tracées sur l’image ci-dessus). Ce jeu de regards nous permet également de nous arrêter sur des personnages clefs, dont les expressions nous dévoilent peu à peu l’horrible intrigue (je les ai entourés d’un carré rouge). Je vous les détaille :

Avec son air tranquille, cette femme ne semble pas du tout s'inquiéter de la vague de pétales de fleurs qui vient s'écraser sur elle et ses voisins. Elle semble se redresser tranquillement.

Avec son air tranquille, cette femme ne semble pas du tout s’inquiéter de la vague de pétales de fleurs qui vient s’écraser sur elle et ses voisins. Elle semble se redresser tranquillement.

Cet homme semble plonger dans les roses pour s'amuser. A moins que ce ne soit le poids des pétales de roses qui le pousse à se rallonger...

Cet homme semble plonger dans les roses pour s’amuser. A moins que ce ne soit le poids des pétales de roses qui le pousse à se rallonger…

Cette femme semble inconsciente du danger qui la guette. Elle sourit légèrement et ses yeux fixent un point en dehors du tableau. Elle est ailleurs, déjà perdue.

Cette femme semble inconsciente du danger qui la guette. Elle sourit légèrement et ses yeux fixent un point en dehors du tableau. Elle est ailleurs, déjà perdue.

Cet homme regarde l'Empereur. Même s'il nous tourne presque entièrement le dos, on peut voir qu'il tient une poignée de raisins recouverts de pétales de roses, dans un geste qui semble interroger l'Empereur. Il semble vouloir lui dire que cela commence quand même à faire beaucoup de fleurs...

Cet homme regarde l’empereur. Même s’il nous tourne presque entièrement le dos, on peut voir qu’il tient une poignée de raisins recouverts de pétales de roses, dans un geste qui semble interroger l’empereur. Il semble vouloir lui dire que cela commence quand même à faire beaucoup de fleurs

Cette femme semble s'amuser. Pourtant, on peut supposer qu'elle commence à trouver les fleurs encombrantes car elle se protège à l'aide d'un large éventail de plumes. Dans le même temps, elle regarde la femme inquiète, un peu plus loin. On peut se demander si elle ne commence pas à comprendre ce qui se passe.

Cette femme semble s’amuser. Pourtant, on peut supposer qu’elle commence à trouver les fleurs encombrantes car elle se protège à l’aide d’un large éventail de plumes. Dans le même temps, elle regarde la femme inquiète, un peu plus loin. On peut se demander si elle ne commence pas à comprendre ce qui se passe.

Cette femme a l'air inquiet. Elle nous fixe, comme si elle avait aussi peur pour nous. Sa bouche est très légèrement entrouverte, comme si elle voulait nous mettre en garde.

Cette femme a l’air inquiet. Elle nous fixe, comme si elle avait aussi peur pour nous. Sa bouche est très légèrement entrouverte, comme si elle voulait nous mettre en garde.

J’attire un instant votre regard sur la grenade (le fruit, pas une bombe… non mais je précise, on ne sait jamais avec vigipirate et la CIA qui nous observe… #parano) qu’elle tient dans la main : elle est d’un réalisme surprenant. De même que sa robe, sur laquelle on distingue clairement un imprimé prenant la forme d’un félin, vraisemblablement un léopard. Lawrence Alma-Tadema a pensé son tableau jusque dans ses moindres détails. On peut en voir partout dans le tableau. Notamment au niveau des couches sur lesquelles sont installés l’empereur et ses invités, dont les pieds nous sont montrés comme magnifiquement sculptés.

Le tableau de Lawrence Alma-Tadema regorge de détails d'un réalisme étonnant.
Le tableau de Lawrence Alma-Tadema regorge de détails d’un réalisme étonnant.

Un autre détail a d’ailleurs son importance, dans cette toile : la statue de Dionysos (ou Bacchus), située à l’arrière-plan, sur fond de collines lointaines. Lawrence Alma-Tadema s’est inspiré d’une véritable sculpture en marbre, le Dionysos du Palazzo Altemps de Rome, datant du 2ème siècle de notre ère. Ce marbre nous montre Dionysos accompagné d’une panthère et d’un Satyre. C’est un détail qui montre que l’artiste s’intéressait bien à l’archéologie et aux civilisations antiques. Mais on peut également y voir une référence à l’homosexualité de l’empereur. En effet, Dionysos était l’amant d’un Satyre nommé Ampélos (ou Ampélus) et il était souvent représenté à ses côtés.

guillemet« Alma-Tadema était coutumier de ce type d’allusions grivoises glissées discrètement dans le décor afin de ne pas choquer l’Angleterre puritaine du XIXe siècle. »

Florelle Guillaume, « Analyse d’oeuvre, Les Roses d’Héliogabale de Lawrence Alma-Tadema », in Beaux-Arts Magazine, Octobre 2013.

Détail de la statue de Dionysos dans le tableau de Lawrence Alma-Tadema.
Détail de la statue de Dionysos dans le tableau de Lawrence Alma-Tadema.
A gauche : Dionysos, une panthère et un Satyre (ou Ludovisi Dionysos), Palazzo Altemps, Rome, Italie. A droite : Bacchus et Ampelus, Galerie des Offices, Florence, Italie.
A gauche : Dionysos, une panthère et un Satyre (ou Ludovisi Dionysos), Palazzo Altemps, Rome, Italie.
A droite : Bacchus et Ampelus, Galerie des Offices, Florence, Italie.

Cet homme fixe l'Empereur avec insistance. A-t-il compris ce qui se trame ? Il semble accusateur.

Portrait de Lawrence Alma-Tadema.
Portrait de Lawrence Alma-Tadema.

Cet homme fixe l’empereur avec insistance. A-t-il compris ce qui se trame ? Il semble accusateur. Il faut dire qu’il peut s’agir d’un autoportrait de l’artiste, Lawrence Alma-Tadema, qui se serait volontairement placé dans son tableau (avec une coiffure qui a de quoi marquer les esprits !… Ok, ça n’a rien à voir, mais il fallait quand même que j’attire votre attention là-dessus parce qu’elle me fascine, cette coiffure). Si tel est le cas, il est logique qu’il sache ce qui se passe dans la scène. Notons qu’il est d’ailleurs le seul homme blond et barbu de la scène. Sa différence physique avec les autres personnages masculins peut confirmer qu’il n’est pas issu de la même époque que les autres, qu’il est anachronique, puisqu’il s’agirait de l’artiste lui-même. Enfin, la comparaison entre ce personnage et une véritable photographie de Lawrence Alma-Tadema vient asseoir leur ressemblance (tout est dans la barbe, déjà so hipster… Avec un peu de chance, en postant ça, je vais lancer une mode à partir de la coiffure du personnage :D).

Cette femme est la plus âgée du tableau. On peut penser qu'il s'agit de la mère de l'Empereur. On dit qu'il a été très proche, au point de ne prendre aucune décision sans elle. Quoiqu'il en soit, elle sourit et ne semble pas prête à vouloir arrêter la petite fête de son souverain.

Cette femme est la plus âgée du tableau. On peut penser qu’il s’agit de la mère de l’empereur. On dit qu’il en était très proche, au point de ne prendre aucune décision sans elle : « Il fut tellement dévoué à Semiamira sa mère, qu’il ne fit rien dans la République sans la consulter. » (Source: Aelius Lampridius, Histoire Auguste ; Vie d’Antonin Héliogabale). Cette relation mère-fils, parce qu’il en résultât qu’elle siège au Sénat, eut pour effet de précipiter la chute d’Héliogabale.

guillemet« Lors de la première assemblée du sénat, il fit demander sa mère. À son arrivée elle fut appelée à prendre place à côté des consuls, elle prit part à la signature, c’est-à-dire qu’elle fut témoin de la rédaction du sénatus-consulte : de tous les empereurs il est le seul sous le règne duquel une femme, avec le titre de clarissime, eut accès au sénat pour tenir la place d’un homme. »

Source: Aelius Lampridius, Histoire Auguste ; Vie d’Antonin Héliogabale.

Quoiqu’il en soit, la femme sourit et ne semble pas prête à vouloir arrêter la petite fête de son souverain.

Le regard gourmand de cet homme a de quoi nous inquiéter. Il prend clairement plaisir à regarder la scène. De plus, en levant ainsi sa coupe, il semble dire aux autres personnages "A votre santé !", ce qui est plus qu'ironique.

Le regard gourmand de cet homme a de quoi nous inquiéter. Il prend clairement plaisir à regarder la scène. De plus, en levant ainsi sa coupe, il semble dire aux autres personnages « A votre santé ! », ce qui est plus qu’ironique.

Cette femme, contrairement à ses voisines, regarde les pétales de roses qui s'élèvent. On peut se demander si elle a compris ce qui se passe ou pas. Elle semble jeune et innocente, ce qui est d'autant plus tragique.

Cette femme, contrairement à ses voisines, regarde les pétales de roses qui s’élèvent. On peut se demander si elle a compris ce qui se passe ou non. Elle semble jeune et innocente, ce qui est d’autant plus tragique.

Ce groupe de femmes semble savoir ce qui se passe et s'en amusent.

Ce groupe de femmes semble savoir ce qui se passe et s’en amusent. Elles sont au spectacle. On voit clairement qu’elles rient et qu’elles parlent, probablement pour rire des victimes en contrebas.

L'Empereur regarde la scène avec à la fois beaucoup de condescendance et un plaisir à peine dissimulé.

L’empereur Héliogabale regarde la scène avec à la fois beaucoup de condescendance et un plaisir teinté d’ennui. Comme si même ses pires excentricités ne parvenaient plus à le distraire.

Aviez-vous remarqué cette femme à l'arrière-plan ? C'est une musicienne. Elle joue de la double flûte. Nous sommes bien à une fête, cela ne fait aucun doute.Aviez-vous remarqué cette femme à l’arrière-plan ? C’est une musicienne, drapé dans une peau de léopard. Elle joue de la double flûte. Nous sommes bien à une fête, cela ne fait aucun doute.

Vous allez me dire, c’est bien beau tout ça mais que se passe-t-il exactement ? Et bien exactement ce que vous osez à peine croire : les invités de la soirée vont être ensevelis et s’étouffer sous la masse de roses. Voilà ce que nous raconte ce tableau de Lawrence Alma-Tadema. Et en nous plaçant à hauteur de ces invités (à l’aide de la perspective que je vous montrais plus haut), l’artiste nous fait tout-à-coup réaliser – mais trop tard – que nous aurions été piégés nous aussi.

Mais le pire est de penser que cela n’est peut-être pas une fiction. Car si l’on peut penser que cela est invraisemblable, des historiens ont pourtant bel et bien raconté que l’empereur Héliogabale s’adonnait bien à ce genre de pratiques. Et à croire ces récits, il ne fut pas le seul.

Les roses d’Héliogabale : fiction ou réalité ?

L’histoire des roses d’Héliogabale est-elle vraie ou est-elle le fruit de l’imagination de Lawrence Alma-Tadema ? Encore une fois, il est difficile de démêler le vrai du faux. On sait notamment qu’Héliogabale, comme d’autres empereurs romains, portait une attention démesurée aux banquets. Le professeur Robert Turcan explique encore que l’empereur organisait des festins absolument mirifiques. Certains pouvaient compter « jusqu’à vingt-deux services » et il arrivait même que les plats soient jetés par les fenêtres ou saupoudrés et accompagnés d’objets précieux dans l’unique but de prouver l’immense fortune possédée par le souverain. De la poudre aux yeux car il n’hésitait pas, par exemple, à mentir sur le prix dépensé pour ces folies culinaires, l’augmentant sciemment, en disant que « ça excite l’appétit ». L’auteur ajoute aussi une anecdote qui va dans le sens de l’œuvre peinte par Lawrence Alma-Tadema :

guillemet« Comme Néron, il a des salles à manger à plafonds coulissants d’où brusquement s’effondre une masse de fleurs, violettes et autres espèces, qui asphyxient les malheureux convives, incapables d’émerger du tas en rampant… »

Robert Turcan, Héliogabale et le Sacre du soleil, 1985, Albin Michel, Paris, p.182.

Pas de roses, dans cette histoire, ou pas seulement, mais une masse de fleurs qui vient s’écraser sur les invités pour les asphyxier. C’est bel et bien ce que dépeint Lawrence Alma-Tadema. A priori, l’histoire serait donc vraie. En tout cas, elle fait partie de la légende de l’empereur Héliogabale.

Il faut dire que les roses et les fleurs en général furent particulièrement appréciées par l’empereur. Elles furent même, semble-t-il, assez indispensables à son bien-être. A ce sujet, Robert Turcan raconte que cela était surtout lié à la sensibilité de son odorat :

guillemet« Il est singulièrement et significativement sensible aux senteurs, “toujours assis parmi les fleurs et les parfums de prix” (Histoire Auguste). Ses salles à manger, ses portiques, ses lits de table sont jonchés de roses. On y trouve d’ailleurs aussi des lis, des jacinthes, des violettes ou des narcisses. Un jour qu’il a convié à déjeuner des personnalités éminentes du Sénat romain, le lit semi-circulaire est saupoudré de safran : “Le foin est à la mesure de votre dignité !” se plait-il à leur dire.
Ses piscines sont parfumées d’onguents, de safran, préparées au vin rosat ou bourrées de roses. Il y fait même verser du vin aromatisé à l’absinthe pour boire l’eau de son bain… Le nard embaume dans les lampes à huile du Palatin ou du palais Sessorien, pour que la lumière en soit de plaisante odeur. L’hiver, pour chauffer ses appartements, il fait brûler à foison des aromates de l’Inde. Il humecte ses couvertures d’essences de raisins sauvages qui enchantent ses rêves… On prétend qu’un jour il offrit au cirque des compétitions navales dans un bassin rempli de vin ! »

Robert Turcan, Héliogabale et le Sacre du soleil, 1985, Albin Michel, Paris, p.182.

 Si Lawrence Alma-Tadema choisit, quant à lui, de ne représenter que des roses c’est, dit-on, parce qu’il aimait particulièrement ces fleurs. On raconte d’ailleurs que pour l’élaboration de cette toile, l’artiste fit véritablement venir toutes ces roses de la Côte d’Azur. Or, l’on dénombre pas moins de 2000 pétales dans cette peinture !

guillemet« De plus, les roses étaient particulièrement prisées dans l’Angleterre victorienne pour leur beauté, mais aussi dans l’Antiquité où elles étaient associées à la symbolique amoureuse et aux extravagances des empereurs. A la fois épineuse et délicate, la rose confère au luxueux supplice d’Héliogabale un raffinement morbide. »

Florelle Guillaume, « Analyse d’oeuvre, Les Roses d’Héliogabale de Lawrence Alma-Tadema », in Beaux-Arts Magazine, Octobre 2013.

Vues en détail sur les roses peintes par Lawrence Alma-Tadema.
Vues en détail sur les roses peintes par Lawrence Alma-Tadema.

Malgré sa beauté, cette scène est donc terrible. Elle nous plonge dans les faux-semblants au cœur desquels vivait le jeune empereur Héliogabale. Un enfant-roi, adulé depuis son plus jeune âge, et auquel on ne refusait pas même les jeux les plus horribles pour peu qu’ils le divertissent. Il semble tout de même que cela ne fonctionnait pas aussi bien que prévu car le souverain semble à peine profiter du macabre spectacle. Mais comment satisfaire un enfant qui déjà a tout ce que certains adultes n’auront jamais au cours d’une vie entière ? Peut-on vraiment le blâmer ? N’est-ce pas plutôt la faute de ceux qui ont ainsi placé entre ses mains un pouvoir trop grand pour lui ? On comprend mieux, en tout cas, pourquoi il devint une icône du mouvement décadent à la fin du XIXème siècle. Et comme Lawrence Alma-Tadema semblait tenir à ce tableau, au point d’y introduire son autoportrait, on peut penser qu’il s’agissait, pour lui, également d’une satire déguisée visant sa propre époque. Ainsi, de la décadence de l’Empire romain à celle dont les artistes fin de siècle pensait qu’elle frappait alors leur temps, il n’y avait ici plus qu’un pas.


Cet article vous a-t-il plu ? Ou non ? Cette toile a-t-elle réussi à vous prendre au piège d’Héliogabale ? Dites-moi tout en commentaire ;)


Sources :
Exposition « Désirs & Volupté à l’époque victorienne », du 13 septembre 2013 au 20 janvier 2014, Musée Jacquemart-André, Paris.
Pralineries – Désirs et volupté à l’époque victorienne
France Inter – Désirs et volupté à l’époque victorienne
Cultur’elle – Désirs et volupté à l’époque victorienne, au musée Jacquemart-André