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Henri-Edmond Cross : Coup de cœur à l’exposition Joie de Vivre

Affiche de l'exposition Joie de Vivre au Palais des Beaux Arts de Lille (du 26 septembre 2015 au 17 janvier 2016)
Affiche de l’exposition Joie de Vivre au Palais des Beaux Arts de Lille (du 26 septembre 2015 au 17 janvier 2016)

La semaine dernière, j’ai pris mon courage (= mon porte-monnaie) à deux mains et je suis allée visiter l’exposition Joie de Vivre au Palais des Beaux Arts de Lille (exposition qui m’a coûté 0€ quand mon voyage en train, lui, m’a coûté un tout petit peu moins de 20€… Merci la SNCF, je ne suis qu’à 50 km de là, FAUT PAS POUSSER).

Bref.

L’exposition prenait fin ce 17 janvier et je n’avais pas pu m’y rendre avant. S’y trouvait pourtant mon artiste chouchou, mon préféré, mon favori, Takashi Murakami. Je ne pouvais donc pas rater l’occasion. Et j’ai bel et bien eu mon tête-à-tête avec l’œuvre en question, Mr Cloud :

Mais figurez-vous qu’il y a une autre raison qui fait que j’ai plutôt bien fait de passer outre mon ego et le fait d’engrosser la SNCF : j’ai découvert un artiste que je ne connaissais pas (ça m’arrive, je ne peux pas tout connaître) et ça a été le coup de cœur.

Son nom : Henri-Edmond Cross. Un artiste originaire de Douai (je précise parce que des fois, on s’en fiche un peu, des fois c’est utile pour comprendre le parcours d’un artiste et des fois… c’est juste que c’est dans ma région et c’est cool).
Son vrai nom était en fait Delacroix, comme le fameux Eugène. Un peu trop fameux, d’ailleurs, le Eugène. Pour se distinguer, Henri-Edmond transforma donc son patronyme en Cross (« croix » en anglais… Delacroix… Cross… Si vous n’avez pas compris, je ne peux rien pour vous). D’aucuns diront qu’il aurait aussi pour raccourcir un peu son prénom, tant qu’à y être. Henri-Ed Cross aurait été diablement plus hipster (moi, je dis ça…).

L’exposition Joie de Vivre donnait à voir plusieurs toiles de l’artiste. Je vous propose de voir les photographies que j’ai prises ainsi que celles, de meilleure qualité, que j’ai pu trouver sur l’internet car je n’avais emporté que mon smartphone pour être plus à l’aise pendant ma visite (je suis la fille que vous croisez au musée et qui prend en photo les cartels près des œuvres, en plus des œuvres elles-mêmes ; pour les retrouver plus facilement sur Google Images par la suite. JE N’SUIS PAS FOLLE VOUS SAVEZ).

Henri-Edmond Cross est originaire du Nord mais il vit dans le Sud de la France, à Saint-Clair, près du Lavandou. Il se sent inspiré par cette région ensoleillée où les couleurs semblent tellement plus flamboyantes que dans sa région d’origine (oui, bon, ok, mais on a d’autres qualités… On est gentils, déjà).

Le Lavandou est une commune du Var (83).
Le Lavandou est une commune du Var (83).

Le cartel qui accompagne sa toile La Fuite des nymphes explique :

guillemet« Pour cet homme du Nord – Cross est né à Douai -, la Méditerranée est une Arcadie moderne, un pays éternel, saturé de couleurs où l’Antiquité semble encore vivante, ici sous la forme d’un joyeux ballet de nymphes. Installé à Saint-Clair, près du Lavandou, Cross est d’abord inspiré par le divisionnisme de son ami Paul Signac puis se rapproche d’Henri Matisse et des Fauves. »

Le Divisionnisme (aussi appelé Chromo-luminarisme) est un style de peinture qui se base sur une théorie picturale. Cette théorie veut qu’obliger l’œil et le cerveau du spectateur à combiner les couleurs permettrait d’atteindre le maximum de luminosité scientifiquement possible (dans une peinture, s’entend). Le Divisionnisme rendrait les couleurs plus claires et plus lumineuses.
Comment ça marche ? La technique est mise au point par Georges Seurat. Elle consiste, pour le peintre, à ne pas mélanger ses couleurs pures, ni sur sa palette, ni sur sa toile, mais à les juxtaposer sous formes de petites touches. De près, une peinture Divisionniste ressemble à une mosaïque, à un ensemble de coups de pinceau multicolores. Ces amoncellements de points colorés lui donnent son autre nom, plus connu du grand-public : le Pointillisme. Mais on lui donne également un nom plus barbare : celui de Néo-impressionnisme (comprenez, le « nouvel » impressionnisme car « néo » signifie « nouveau »).
Pour « bien » voir une peinture Divisionniste, il faut s’éloigner suffisamment, obliger notre œil à faire une sorte de « mise au point », le forcer à « rassembler » toutes les couleurs.
C’est à peu près le même principe qu’avec nos écrans actuels, à la différence que le nombre de points (pixels) est beaucoup plus important et qu’ils sont quasiment invisibles à l’œil nu. Les couleurs Rouge-Vert-Bleu (RVB) utilisées par nos écrans deviennent « naturellement » une multitude d’autres couleurs car notre œil et notre cerveau les « mélangent » sans même que nous nous en rendions compte.

Si je vous précisais plus haut que l’on appelait aussi le Divisionnisme le Néo-impressionnisme, c’est parce que ce terme était utilisé dans d’autres cartels de l’exposition Joie de Vivre. Près de la toile de Henri-Edmond Cross intitulée L’Air du soir, on pouvait ainsi lire :

guillemet« Une fin d’après-midi dans le Sud de la France où vit et travaille Cross. La chaleur, qu’il redoute, la lumière, qui l’inspire, s’apaisent, offrant un instant de sérénité et d’éternité. Ce tableau est exposé à la IIIe exposition du groupe néo-impressionniste de 1894, puis donné au peintre Signac qui l’accroche dans sa salle à manger. C’est là que Matisse le découvre ; il s’en inspire dans le fameux Luxe, calme et volupté. »

A nouveau, l’ami de Henri-Edmond Cross, Paul Signac, est évoqué. C’est aussi un Divisionniste (ou un Néo-impressionniste… Ou un Pointilliste… Vous m’suivez toujours ?). Ses oeuvres et celles de Cross sont parfois si semblables qu’il est presque difficile de les distinguer (je vous laisse comparer sa toile intitulée Voiles et Pins, ci-dessous, à celle de Henri-Edmond Cross, postée plus avant, L’air du soir : leurs bateaux sont les mêmes !).

Voiles et Pins, Paul Signac (1863-1935) 1896 Huile sur toile 81 x 52 cm Collection particulière
Voiles et Pins,
Paul Signac (1863-1935)
1896
Huile sur toile
81 x 52 cm
Collection particulière

Quant à Henri Matisse, que mentionne aussi le cartel, il va emprunter un style des plus semblables pour sa toile Luxe, calme et volupté suite à sa rencontre avec les deux hommes. C’est d’ailleurs grâce à ses expérimentations divisionnistes que l’artiste deviendra le précurseur du Fauvisme, un autre style pictural basé sur une théorie de la couleur. Pour beaucoup d’autres peintres comme lui, le Pointillisme ne constituera qu’une étape dans leur carrière avant qu’ils n’adoptent d’autres styles picturaux. Henri-Edmond Cross et Paul Signac, eux, resteront fidèles au Divisionnisme en dépit de l’évolution des « modes » ou de l’apparente difficulté à réaliser des peintures de ce genre (petite touche par petite touche… ça peut prendre du temps, comme vous pouvez aisément l’imaginer et l’on peut aussi penser que cela « bride » un peu le naturel).

Luxe, Calme et Volupté, Henri Matisse (1869-1954) 1904 Huile sur toile 98.5 cm × 118.5 cm Musée d'Orsay, Paris
Luxe, Calme et Volupté,
Henri Matisse (1869-1954)
1904
Huile sur toile
98.5 cm × 118.5 cm
Musée d’Orsay, Paris

Pour autant, la fameuse Femme au chapeau que peindra Matisse en en 1905, et qui est l’une des toiles emblématiques du Fauvisme, semble curieusement faire écho à la Femme à l’ombrelle peinte par Paul Signac en 1893.
Ah, l’histoire de l’art et ses citations, ses inspirations, ses détournements, ses évolutions…

La dernière toile de Henri-Edmond Cross que nous proposait l’exposition Joie de Vivre était Les Îles d’Or, une peinture quasiment abstraite, faite de lignes de points bleus et jaunes pâles, représentant la mer et ses couleurs changeantes sous la lumière du soleil.

guillemet« Les Îles d’Or restituent le ravissement solaire de la Provence. La composition aplanit la perspective pour n’être plus qu’illumination. L’œuvre évoque la joie d’être face à la mer, nimbée par les rayons du soleil. Les variations de la lumière s’accomplissent dans la décomposition aérienne du spectre. La touche, extrêmement mobile, restitue la divagation du regard ébloui. »

Il faut préciser, d’ailleurs, que toute la première salle de l’exposition portait sur le soleil et donnait à voir diverses représentations de l’astre. Tantôt, les peintres avaient cherché à saisir sa lumière et donc les couleurs qu’il donnait aux choses (la magnifique toile de Pierre-Auguste Renoir, une étude du torse d’une femme au soleil, était ainsi exposée en ce sens). Tantôt, ils l’avaient représenté « directement » mais de façon abstraite, simplifiée ou stylisée (côte à côte, se trouvaient une représentation du soleil à la façon d’un logo d’entreprise, conçue par Roy Lichtenstein, et une autre de Robert Delaunay, totalement abstraite et faite de ronds concentriques de couleurs diverses). Mes photos ne sont pas d’une qualité exceptionnelle mais je vous laisse quand même quelques traces de ce que cela pouvait donner :

Oh, mais, attendez, que vois-je ? Une autre ressemblance curieuse. Cette fois, entre la toile de Renoir que je viens d’évoquer et une autre peinture de Henri-Edmond Cross ; sa Dormeuse nue dans la clairière, peinte en 1907, semble emprunter ses effets lumineux à son illustre comparse. Le « nouvel »-impressionniste emprunte bel et bien à ses prédécesseurs (Renoir ayant été un impressionniste) avant d’inspirer ses successeurs (Matisse et les autres Fauvistes).

PAF. La boucle est bouclée.


Cet article vous a plu ? Vous connaissiez déjà Henri-Edmond Cross ? Pas du tout ? Vous avez apprécié ? Dites-moi tout ! Les commentaires sont là pour ça ;)


Sources :
Site non-officiel sur Takashi Murakami par Studinano
« Exposition « Le Néo-Impressionnisme, de Seurat à Paul Klee », Musée d’Orsay, Paris, 2005″ présentée par Impressionniste.net

Le Lion de Monzón – Département des Arts de l’Islam au Louvre

La situation autour des diverses manifestations islamistes de ces derniers temps me rend bien triste. C’est pourquoi, aujourd’hui, je choisis de plutôt vous parler de ce qui fait la grandeur de cette culture à travers l’ouverture, ces jours-ci, du nouveau département des Arts de l’Islam au Louvre. Nous allons nous intéresser à une œuvre du département en particulier : le Lion de Monzón.

Je suis une grande admiratrice des créations de cette période et de cette partie du monde. En la parcourant, on découvre des jardins fabuleux et des palais, des mosaïques colorées, une décoration orientale digne des contes des Mille et une nuits et des œuvres d’art qui, globalement, foisonnent de détails. Les artistes de cette période sont des maîtres de l’enluminure et, contrairement à ce qui est beaucoup dit aujourd’hui, il n’est pas interdit de représenter l’Homme, dans leur culture. Seulement, Dieu ne doit pas être représenté avec un visage humain. Dieu est le verbe, le mot, l’écriture. C’est pourquoi la calligraphie arabe recouvre nombre de créations, pour le bonheur des amateurs et des connaisseurs car elle est très belle.

Selon Sophie Makariou, la directrice du département, rappelant que les collections du Louvre sont destinées aux visiteurs du monde entier, « l’idée est un partage très large de cet art qui est notre héritage à tous ». Car, ne l’oublions pas, toute notre civilisation moderne doit beaucoup à la culture islamique.

Lion de Monzón
Lion de Monzón
12e-13e siècle, Espagne
Bronze moulé, décor gravé
H. 31, 5 cm ; L. 54, 5 cm
Musée du Louvre, Paris, France

Ici, je vous propose donc de voir le Lion de Monzón (du nom de Monzón de Campos, dans la province de Palencia en Espagne, où l’objet a été trouvé), que je trouve très intéressant. « Sa datation et son lieu de fabrication ont été diversement estimés » nous explique-t-on cependant sur le site du Musée du Louvre. « L’étude de l’épigraphie contribue pourtant à en situer la fabrication au 12e/13e siècle : on remarque par exemple la partie supérieure en forme de « col de cygne » de certaines lettres, typique des écritures de cette époque en al-Andalus. »

La Cathédrale Notre-Dame de Paris
La Cathédrale Notre-Dame de Paris

Pour vous donner un ordre d’idée, c’est au cours du XIIe siècle que débute la construction de la Cathédrale Notre-Dame de Paris (1163-1345). Car c’est à cette période que l’Art Gothique apparaît et se développe. C’est également au XIIe siècle que la mosquée Koutoubia de Marrakech (au Maroc, comme le précise si justement la pub… #RéférenceAntiCulturelleBonjour) sort de terre (1120-1196). Pour ces raisons, et pour de multiples autres, on parle d’un siècle de Renaissance (à ne pas confondre avec la période de la Renaissance la plus « connue », qui s’étend du XIVe au XVIe, qui marque la transition entre le Moyen Age et l’Epoque Moderne). Nous sommes, ici, toujours en plein Moyen Âge et en pleine période des Croisades, notamment.

 

Vues de la mosquée Koutoubia.
Vues de la mosquée Koutoubia.

Le XIIIème siècle est, quant à lui, marqué par la naissance de grandes universités en Europe : celle de Salamanque, mais aussi d’Oxford ou Cambridge. En 1257, c’est au tour du collège de Sorbonne d’être fondé à Paris. Et même s’il faudra attendre le XVe siècle pour voir s’accomplir ce que nous appelons les « Grandes Découvertes » (celle de l’Amérique, notamment, par ce cher Christophe Colomb), Marco Polo voyage déjà jusqu’en Chine à la fin du XIIIème siècle.

On peut voir, à travers un objet comme le Lion de Monzón, à quel point l’imaginaire et, surtout, sa représentation, occupe une grande place dans l’art islamique comme dans l’art de toute cette période. Il faut dire qu’au cours de ces siècles les cultures s’entrecroisent, se mélangent, s’inspirent les unes des autres… La mondialisation est déjà là ! Mais encore dans ce qu’elle apporte de bon : le partage des savoirs, des connaissances, des compétences… (Les guerres ne sont jamais loin, malheureusement.)

Au final, c’est un animal étrange, pas vraiment un lion en dépit de son « nom », qui est représenté. Il faut dire qu’à la base, il s’agit là d’une bouche de fontaine. Et on distingue, en effet, un trou dans le ventre de l’animal, sorte de chimère ou d’être hybride, où l’eau devait arriver avant d’être expulsée par sa bouche béante et moustachue.

Lion de Monzón
Lion de Monzón
12e-13e siècle, Espagne
Bronze moulé, décor gravé
H. 31, 5 cm ; L. 54, 5 cm
Musée du Louvre, Paris, France

On remarque également que son corps est entièrement sculpté, de manière fine et délicate. Il semble s’agir de bénédictions ou de vœux probablement destinés au propriétaire de la fontaine : « Baraka kamila/Na’ima shamila (bénédiction parfaite, bonheur complet) », toujours d’après le site du musée.

C’est une véritable œuvre d’art et, surtout, « une des rares œuvres en métal de cette époque conservée pour tout l’occident islamique », peut-on encore lire dans la notice de l’œuvre. « On ignore l’origine de la plupart des animaux de bronze conservés dans les musées d’art islamique. De ce point de vue, cette pièce est exceptionnelle. » Et elle est le témoignage d’un goût pour les beaux objets qui ne date pas d’hier.


Sources : Musée du Louvre
CultureBox, France TV Info : Promenade en terres d’Islam au Louvre