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Si tu tends l’oreille, peut-être rencontreras-tu le Baron

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Andrew Michel Golden – The Baron in Real Life
Photomontage
2012

Voici ce à quoi ressemblerait le Baron Humbert von Gikkingen, célèbre personnage des studios d’animation Ghibli, dans la « vraie » vie. L’artiste Andrew Michael Golden s’est amusé à transposer les personnages du studio japonais (dont fait notamment partie Hayao Miyazaki) dans des vraies-fausses photographies « vintages ».

Mais ça n’est pas l’œuvre de Andrew Michael Golden qui va nous intéresser ici. En fait, j’ai choisi de vous parler du Baron parce que l’histoire de ce chat fictif est une de celles qui me tient le plus à cœur. Et elle fait l’objet de deux films d’animation à la fois différents et complémentaires : Si tu tends l’oreille et Le Royaume des chats.

Si tu tends l'oreille, 1995Si tu tends l’oreille
Auteur : Aoi Hīragi
Réalisateur : Yoshifumi Kondo
Scénariste : Hayao Miyazaki
1990Passionnée de lecture, Shizuku Tsukishima fréquente assidûment la bibliothèque municipale, où travaille son père, ainsi que celle de son collège.
Mais à force d’emprunter des livres, elle remarque grâce aux fiches de suivi que tous les livres qu’elle a emprunté l’ont déjà précédemment été par un certain Seiji Amazawa…
Le Royaume des Chats (2002)Le Royaume des Chats
Auteur : Aoi Hīragi
Réalisateur : Hiruyoki Morita
2002Un beau jour, Haru, lycéenne de dix-sept ans, sauve de justesse un chat qui allait être écrasé par un autobus. Mais l’animal s’avère être le fils du roi du Royaume des chats. Pour la remercier, le roi décide de l’inviter dans son pays et de lui donner son fils en mariage…
Shizuku, l'héroïne du film, découvre le Baron. (Si tu tends l'oreille, 1990)
Shizuku, l’héroïne du film, découvre le Baron.
(Si tu tends l’oreille, 1990)

Le Baron Humbert von Gikkingen apparaît d’abord dans le très touchant Si tu tends l’oreille en 1990. Dans ce film d’animation, il n’est qu’une statuette qu’un vieil homme garde précieusement en souvenir de l’amour de sa vie, perdu de vue durant la guerre.

Les yeux de la statuette du Baron semblent étrangement vivants...
Les yeux de la statuette du Baron semblent étrangement vivants… Je vous assure ! Regardez attentivement.
(Si tu tends l’oreille, 1990)
Les statuettes du Baron et sa de compagne, avant leur séparation. (Si tu tends l'oreille, 1990)
Les statuettes du Baron et de sa compagne, avant leur séparation. (Si tu tends l’oreille, 1990)

On apprend que la statuette du Baron formait en réalité un duo avec une autre figurine (représentant sa compagne). Cette dernière a été emportée par la femme perdue de vue par le grand-père.
Les retrouvailles de ces deux chats sculptés auraient symboliquement scellé celles de quatre amoureux mais elles n’auront jamais lieu.
A la place, la jeune héroïne du film, Shizuku, décide de s’inspirer de l’histoire du Baron et se met à écrire un roman dans lequel tout est bien qui finit bien. Elle trouve ainsi sa voie : l’écriture.

La statuette du Baron chez le vieil homme. (Si tu tends l'oreille, 1990)
La statuette du Baron chez le vieil homme.
(Si tu tends l’oreille, 1990)

L’histoire qu’invente Shizuku dans ce roman est très proche de celle que raconte Le Royaume des Chats (2002), l’autre film d’animation dans lequel le Baron apparaît. Cette fois, il est l’un des personnages principaux.
Il n’est pas dit clairement que Le Royaume des Chats est l’histoire inventée par l’héroïne de Si tu tends l’oreille mais cela tiendrait la route.

Toutefois, les deux films ont beau se compléter, ils sont aussi très différents : Si tu tends l’oreille se voulait réaliste, racontant une période de la vie d’une jeune fille en quête de ses rêves d’avenir, Le Royaume des Chats est, lui, totalement fantastique.
En effet, l’héroïne, nommé Haru, se retrouve propulsée dans un monde parallèle uniquement habité par des chats (évidemment !).

A mes yeux, Le Royaume des Chats est une sorte d’Alice au pays des Merveilles revisité. Nous en avons tous les ingrédients : des animaux qui parlent, des tunnels menant d’un monde à l’autre, des personnages qui grandissent ou rapetissent, des souverains fous dangereux et une aventure qui joue souvent le loufoque de façon pas toujours très sympathique, voire un peu inquiétante.

Haru, l'héroïque du film, découvre avec stupeur la maison du Baron. Et elle y est un peu à l'étroit. (Le Royaume des chats, 2002)
Haru, l’héroïque du film, découvre avec stupeur la maison du Baron. Et elle y est un peu à l’étroit.
(Le Royaume des chats, 2002)
Haru est invité à prendre le thé par le Baron. Elle rencontre aussi Mouta, l'un de ses fidèles amis.
Haru est invité à prendre le thé par le Baron. Elle rencontre aussi Mouta, l’un de ses fidèles amis.
Le Baron est, semble-t-il, bien le même que dans Si tu tends l'oreille (1995) : on peut voir, derrière lui, le portrait de sa compagne perdue.
Le Baron est, semble-t-il, bien le même que dans Si tu tends l’oreille (1995) : on peut voir, derrière lui, le portrait de sa compagne perdue.
Haru est emportée, hors de la maison du Baron, par une horde de chats. Direction, le Royaume des chats !
Haru est emportée, hors de la maison du Baron, par une horde de chats. Direction, le Royaume des chats !
La horde de chats passe par des tunnels magiques pour rejoindre le Royaume des Chats.
La horde de chats passe par des tunnels magiques pour rejoindre le Royaume des Chats.

Et puis, je ne sais pas vous, mais pour moi, la tenue bleue et blanche de l’héroïne, rappelle quand même sacrément celle de la Alice de Disney. Non ?
Sans compter que, comme par hasard, le style du Baron et celui de sa maison, notamment, rappellent vraiment la mode du XIXe siècle (époque où Alice au pays des Merveilles a été écrit par Lewis Carroll, puisque le roman date de 1865).

De plus, dans les deux œuvres, il est difficile de savoir si l’héroïne n’est pas seulement en train de rêver. Alice et Haru sont, en tout cas, propulsées dans une aventure rocambolesque qui les amènera à grandir.

Au milieu de tout ça, le Baron est un Chapelier pas si fou, qui tente, tant bien que mal, de sauver Haru. Dans Si tu tends l’oreille, il sauve également Shizuku, d’une certaine façon, en devenant sa source d’inspiration : elle découvre ainsi qu’elle rêve de devenir écrivain.

Le Baron prenant vie dans le roman de l'héroïne de Si tu tends l'oreille (1990).
Le Baron prenant vie dans le roman de l’héroïne de Si tu tends l’oreille (1990).

L’autre personnage qui fait le lien entre Le Royaume des chats et Si tu tends l’oreille, est le gros chat blanc à l’oreille sombre nommé Mouta (ou Muta). Dans Si tu tends l’oreille, c’est lui qui guide, sans le faire exprès (ou peut-être pas tout à fait, allez savoir !) la jeune Shizuku jusqu’à la demeure du vieil homme possédant la statuette du Baron.
Étrange coïncidence (ou peut-être pas, une fois encore) : la maison du grand-père est étrangement semblable à celle du Baron dans Le Royaume des chats. N’est-il pas un peu le Lapin Blanc de l’histoire ? A la différence qu’il se distingue plutôt par son flegme de grincheux paresseux, là où le Lapin, lui, est sans cesse en mouvement et plein d’énergie puisqu’il est en retard.

On peut se demander si Shizuku écrit donc bel et bien son roman ou si elle n’est pas inconsciemment guidée par une magie qui lui échappe (celle des chats, ndlr). La question reste en suspend, bien sûr, après visionnage des deux films. Et c’est là que l’imagination prend le relais.

En haut : Muta aux côtés de Shizuku dans Si tu tends l'oreille (1990) En bas : Muta tournant le dos à Haru dans Le Royaume des chats (2002)
En haut : Muta aux côtés de Shizuku dans Si tu tends l’oreille (1990)
En bas : Muta tournant le dos à Haru dans Le Royaume des chats (2002)
En haut : devanture de la maison du Baron. (Le Royaume des chats, 2002) En bas : devanture de la maison du grand-père. (Si tu tends l'oreille, 1990)
En haut : devanture de la maison du Baron. (Le Royaume des chats, 2002)
En bas : devanture de la maison du grand-père. (Si tu tends l’oreille, 1990)

Enfin, des chats qui se mettent à marcher sur deux pattes, à parler et se conduire comme des hommes, c’est une chose, mais j’ai surtout retenu que, dans Le Royaume des chats, cela se passait la nuit : ainsi, quand Haru arrive devant la maison du Baron, il fait encore jour et, en regardant par la petite fenêtre, la jeune fille ne voit qu’une statuette de chat inanimée. Le soleil se couche, ensuite, et la figurine prend vie.

Il fait encore jour quand Haru arrive devant la maison du Baron : il n'est donc encore qu'une statuette.
Il fait encore jour quand Haru arrive devant la maison du Baron : il n’est donc encore qu’une statuette.

Curieusement, je trouve que la peinture de Théophile-Alexandre Steinlen, intitulée L’Apothéose des chats à Montmartre, montre quelque chose d’assez semblable, à sa façon.

Théophile-Alexandre Steinlen, Tournée du Chat noir, 1896
Théophile-Alexandre Steinlen, Tournée du Chat noir, 1896,
135,9 × 95,9 cm,
The Jane Voorhees Zimmerli Art Museum, université Rutgers, Etats-Unis

Pause précision :
Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923) fut peintre, graveur, illustrateur, affichiste et sculpteur (rien que ça !). Habitué du cabaret parisien Le Chat Noir, on lui doit notamment la plus célèbre affiche (ci-contre) de ce lieu qui fut emblématique de la butte Montmartre à la fin du XIXe siècle.
L’artiste se passionne pour la rue et il la représente sans cesse avec, pour principaux sujets, les plus déshérités qui l’habitent ou l’arpentent et tous les petits métiers qui la font vivre et s’animer sans nécessairement payer de mine. Mais Steinlen est aussi (et surtout) connu comme le spécialiste des chats, qu’il peint, dessine et sculpte même (voir ci-dessous).

Steinlen dans son atelier,  Photographie de l'agence de presse Meurisse (1913),  Bibliothèque nationale de France.
Steinlen dans son atelier,
Photographie de l’agence de presse Meurisse (1913),
Bibliothèque nationale de France.

En effet, tous les chats de la fameuse butte parisienne semblent s’être réunis afin d’élire leur chef suprême. Il faut savoir que le mot « apothéose » marquait l’admission d’un mortel parmi les dieux en Grèce et en Rome antiques. Or, en sauvant un chat au début du film (et pas n’importe lequel), la jeune Haru a droit, elle aussi, à son apothéose : c’est ainsi que, la nuit venue, une procession de chats (avec, parmi eux, leur roi) vient chez elle pour la remercier et la couvrir de cadeaux. Malheureusement, tout cela va lui apporter plus d’ennuis qu’autre chose !

L'Apothéose des Chats à Montmartre Théophile-Alexandre Steinlen - 1905 Musée de Montmartre (Cette toile monumentale se trouvait initialement au Chat Noir, ancien célèbre cabaret parisien.)
L’Apothéose des Chats à Montmartre
Théophile-Alexandre Steinlen – 1885
Huile sur toile, 164,5 x 300 cm
Musée de Montmartre
(Cette toile monumentale se trouvait initialement au Chat Noir, ancien célèbre cabaret parisien.)
La procession des chats déambule dans la ville jusqu'à la maison de la jeune Haru.
La procession des chats déambule dans la ville jusqu’à la maison de la jeune Haru.
La procession des chats déambule dans la ville jusqu'à la maison de la jeune Haru.
La procession des chats déambule dans la ville jusqu’à la maison de la jeune Haru.

Soyons clairs, toutefois : Le Royaume des chats peut sembler moins ambitieux que la plupart des films d’animation du studio Ghibli. Certains diront qu’il est même raté. Je ne suis pas d’accord. Je le vois davantage comme un Disney : divertissant avant tout, bien que non dénué de sens (ni de scènes violentes, que le réalisateur a choisi de faire passer grâce à l’humour omniprésent dans le film). Il est également moins fouillé visuellement que les autres films du studio. Mais le budget qui lui fut alloué, durant sa réalisation, était aussi plus maigre : Le Royaume des chats devait, à l’origine, être un court métrage destiné uniquement au format DVD. Les mauvaises langues diront qu’il aurait dû le rester. Mais, en ce qui me concerne, j’ai apprécié ce bol d’air frais au milieu du sérieux parfois un peu trop pesant et prôné par les films Ghibli (que j’apprécie aussi, là n’est pas la question, mais j’aime aussi regarder des films d’animation japonais sans finir en larmes ou subir une dépression de sept jours après visionnage). Faire simple, ça n’est pas forcément faire mal. De même que divertissant ne rime pas toujours avec dépourvu de sens ou d’intérêt (la preuve, ça ne rime pas en fait !…).

En écrivant son roman, Shizuku s'imagine en train de vivre toutes sortes d'aventures aux côtés du Baron dans un monde onirique. (Si tu tends l'oreille, 1990)
En écrivant son roman, Shizuku s’imagine en train de vivre toutes sortes d’aventures aux côtés du Baron dans un monde onirique. (Si tu tends l’oreille, 1990)

Si tu tends l’oreille, lui, est un petit bijou mais le public qu’il vise n’est pas nécessairement le même : plus contemplatif, il plaira davantage à un public capable de comprendre toutes ses subtilités. Pourtant, je trouve que les deux films se complètent bien, à leur façon. En ce qui me concerne, je les ai aimés tous les deux pour différentes raisons.

Pause précision : Si tu tends l’oreille fut réalisé par Yoshifumi Kondo qui, à l’époque, était pressenti pour succéder au maître incontesté des Studios Ghibli : Hayao Miyazaki. Malheureusement, Si tu tends l’oreille fut son unique film car il mourut trois ans plus tard d’une rupture d’anévrisme. La même année, Hayao Miyazaki décida même de prendre sa retraite… Mais il revint finalement pour réaliser Le Voyage de Chihiro (2001).
Toutefois, lors de la réalisation du Royaume des Chats, il semble qu’Hayao Miyazaki demanda lui-même à ce que les personnages de Baron et de Muta soient réutilisés. Preuve que ces personnages lui tenaient à cœur et, probablement, constituaient un hommage au travail de son défunt collègue. C’est pourquoi il s’adressa au même auteur : Aoi Hīragi (déjà créateur du manga qui inspira Si tu tends l’oreille).
A la base, le film ne devait pas durer plus de vingt minutes car il s’agissait alors d’une commande passée par un parc de loisirs. Faute d’argent, le projet fut abandonné par le dit parc et le Studio Ghibli décida de transformer le film en moyen-métrage, de quarante-cinq minutes environ, qui ne sortirait qu’en DVD. Toutefois, en voyant la qualité du travail du réalisateur Hiroyuki Morita (qui, d’ailleurs, réalisait là son tout premier film et le dernier à ce jour), les producteurs décidèrent que le film (d’une durée d’une heure et quart, finalement) sortirait au cinéma.

Sources :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Si_tu_tends_l%27oreille
http://www.kanpai.fr/culture-japonaise/royaume-chats-analyse

Aperçu des décors fouillés et travaillés de Si tu tends l'oreilles (1990).
Aperçu des décors fouillés et travaillés de Si tu tends l’oreilles (1990).
Aperçu des décors fouillés et travaillés de Si tu tends l'oreilles (1990).
Aperçu des décors fouillés et travaillés de Si tu tends l’oreilles (1990).

Ces deux films racontent en tout cas de très touchantes histoires d’amour et bénéficient, en plus, de dessins magnifiques qui sauront, j’en suis sûre, vous transporter. Pour ma part, le Baron est depuis longtemps l’un de mes personnages de fiction favoris et ce sont ses histoires, quand j’ai un coup de mou ou une baisse de moral, qui me donnent envie de me remettre à créer. Ce qui tombe plutôt bien puisque Si tu tends l’oreille raconte finalement l’histoire de deux jeunes gens qui se démènent pour réaliser leurs rêves et leurs arts. Et avec Le Royaume des Chats, il forme un duo de films célébrant joliment les bienfaits de l’imagination et de l’imaginaire pour qui les nourrit avec passion.

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Le Baron sortant de sa maison pour se présenter à Haru. (Le Royaume des Chats, 2002)

* Site web de Andrew Michael Golden : http://andrewmichaelgolden.com/
* Article dédié aux chats noirs dans la peinture : http://echos-de-mon-grenier.blogspot.fr/2013/10/lapotheose-des-chats-noirs.html
* Analyse de Si tu tends l’oreille : http://www.kanpai.fr/culture-japonaise/si-tu-tends-loreille-analyse


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Le Lion de Monzón – Département des Arts de l’Islam au Louvre

La situation autour des diverses manifestations islamistes de ces derniers temps me rend bien triste. C’est pourquoi, aujourd’hui, je choisis de plutôt vous parler de ce qui fait la grandeur de cette culture à travers l’ouverture, ces jours-ci, du nouveau département des Arts de l’Islam au Louvre. Nous allons nous intéresser à une œuvre du département en particulier : le Lion de Monzón.

Je suis une grande admiratrice des créations de cette période et de cette partie du monde. En la parcourant, on découvre des jardins fabuleux et des palais, des mosaïques colorées, une décoration orientale digne des contes des Mille et une nuits et des œuvres d’art qui, globalement, foisonnent de détails. Les artistes de cette période sont des maîtres de l’enluminure et, contrairement à ce qui est beaucoup dit aujourd’hui, il n’est pas interdit de représenter l’Homme, dans leur culture. Seulement, Dieu ne doit pas être représenté avec un visage humain. Dieu est le verbe, le mot, l’écriture. C’est pourquoi la calligraphie arabe recouvre nombre de créations, pour le bonheur des amateurs et des connaisseurs car elle est très belle.

Selon Sophie Makariou, la directrice du département, rappelant que les collections du Louvre sont destinées aux visiteurs du monde entier, « l’idée est un partage très large de cet art qui est notre héritage à tous ». Car, ne l’oublions pas, toute notre civilisation moderne doit beaucoup à la culture islamique.

Lion de Monzón
Lion de Monzón
12e-13e siècle, Espagne
Bronze moulé, décor gravé
H. 31, 5 cm ; L. 54, 5 cm
Musée du Louvre, Paris, France

Ici, je vous propose donc de voir le Lion de Monzón (du nom de Monzón de Campos, dans la province de Palencia en Espagne, où l’objet a été trouvé), que je trouve très intéressant. « Sa datation et son lieu de fabrication ont été diversement estimés » nous explique-t-on cependant sur le site du Musée du Louvre. « L’étude de l’épigraphie contribue pourtant à en situer la fabrication au 12e/13e siècle : on remarque par exemple la partie supérieure en forme de « col de cygne » de certaines lettres, typique des écritures de cette époque en al-Andalus. »

La Cathédrale Notre-Dame de Paris
La Cathédrale Notre-Dame de Paris

Pour vous donner un ordre d’idée, c’est au cours du XIIe siècle que débute la construction de la Cathédrale Notre-Dame de Paris (1163-1345). Car c’est à cette période que l’Art Gothique apparaît et se développe. C’est également au XIIe siècle que la mosquée Koutoubia de Marrakech (au Maroc, comme le précise si justement la pub… #RéférenceAntiCulturelleBonjour) sort de terre (1120-1196). Pour ces raisons, et pour de multiples autres, on parle d’un siècle de Renaissance (à ne pas confondre avec la période de la Renaissance la plus « connue », qui s’étend du XIVe au XVIe, qui marque la transition entre le Moyen Age et l’Epoque Moderne). Nous sommes, ici, toujours en plein Moyen Âge et en pleine période des Croisades, notamment.

 

Vues de la mosquée Koutoubia.
Vues de la mosquée Koutoubia.

Le XIIIème siècle est, quant à lui, marqué par la naissance de grandes universités en Europe : celle de Salamanque, mais aussi d’Oxford ou Cambridge. En 1257, c’est au tour du collège de Sorbonne d’être fondé à Paris. Et même s’il faudra attendre le XVe siècle pour voir s’accomplir ce que nous appelons les « Grandes Découvertes » (celle de l’Amérique, notamment, par ce cher Christophe Colomb), Marco Polo voyage déjà jusqu’en Chine à la fin du XIIIème siècle.

On peut voir, à travers un objet comme le Lion de Monzón, à quel point l’imaginaire et, surtout, sa représentation, occupe une grande place dans l’art islamique comme dans l’art de toute cette période. Il faut dire qu’au cours de ces siècles les cultures s’entrecroisent, se mélangent, s’inspirent les unes des autres… La mondialisation est déjà là ! Mais encore dans ce qu’elle apporte de bon : le partage des savoirs, des connaissances, des compétences… (Les guerres ne sont jamais loin, malheureusement.)

Au final, c’est un animal étrange, pas vraiment un lion en dépit de son « nom », qui est représenté. Il faut dire qu’à la base, il s’agit là d’une bouche de fontaine. Et on distingue, en effet, un trou dans le ventre de l’animal, sorte de chimère ou d’être hybride, où l’eau devait arriver avant d’être expulsée par sa bouche béante et moustachue.

Lion de Monzón
Lion de Monzón
12e-13e siècle, Espagne
Bronze moulé, décor gravé
H. 31, 5 cm ; L. 54, 5 cm
Musée du Louvre, Paris, France

On remarque également que son corps est entièrement sculpté, de manière fine et délicate. Il semble s’agir de bénédictions ou de vœux probablement destinés au propriétaire de la fontaine : « Baraka kamila/Na’ima shamila (bénédiction parfaite, bonheur complet) », toujours d’après le site du musée.

C’est une véritable œuvre d’art et, surtout, « une des rares œuvres en métal de cette époque conservée pour tout l’occident islamique », peut-on encore lire dans la notice de l’œuvre. « On ignore l’origine de la plupart des animaux de bronze conservés dans les musées d’art islamique. De ce point de vue, cette pièce est exceptionnelle. » Et elle est le témoignage d’un goût pour les beaux objets qui ne date pas d’hier.


Sources : Musée du Louvre
CultureBox, France TV Info : Promenade en terres d’Islam au Louvre