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Inktober 2018 – Mes dessins

Pour la deuxième année consécutive, j’ai décidé de participer à l’Inktober ! Pour ceux qui ne sauraient pas de quoi il s’agit, je vous avais fait un petit topo sur le sujet dans l’article qui présentait mes dessins, l’année dernière.

Comment s’est passé l’Inktober cette année ?

Cette année, j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains et de passer du noir et blanc à la couleur. J’ai enfin ressorti mes aquarelles et mes pinceaux, ça m’a fait beaucoup de bien. Mais, évidemment, j’ai eu beaucoup plus de mal à tenir le rythme d’un dessin par jour pendant trente et un jours.

Au final, il me manque deux dessins et certains ne sont pas colorés (c’est voulu pour le 19ème mais pas pour les autres). Mais, bon, je suis quand même très fière de moi parce que ça représente un sacré progrès par rapport à l’année dernière déjà. Et par rapport à mon état de santé et à ma confiance en moi et en mes capacités, surtout.

Je vous laisse découvrir mes dessins ci-dessous. Quant à ceux qui voudraient en savoir encore plus à leur sujet, sachez que j’ai détaillé mon travail au jour le jour sur Instagram. Vous y trouverez aussi des photographies de ces dessins en cours de réalisation, des anecdotes, leur petite histoire à chacun.

Mon Inktober 2018 :

Thèmes de l'Inktober 2018
Thèmes de l’Inktober 2018

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Le Diable et la Mort : petit tour d’horizon dans l’art

Rah ! Horreur et damnation !

Cela fait des semaines que je le cherche et qu’on m’aide à le chercher (merci d’ailleurs <3) : un livre ! Un fichu livre ! Le catalogue de l’exposition L’Ange du Bizarre – Le Romantisme noir de Goya à Max Ernst. Mais impossible : il n’est plus édité, il n’est plus disponible nulle part… Seule possibilité restante ? Emprunter de l’argent à mon compte épargne pour espérer l’acheter à tous ces gens qui osent le revendre à plus de 120€ (à beaucoup plus parfois, même !).

Non, mais, vraiment ! Ces gens n’ont-ils aucune pitié pour les étudiants en arts qui galèrent déjà à acheter leur pain ?

D’accord, d’accord ! Causette se tait mais Causette trouvera son livre, quoi qu’il arrive ! Non mais.

Hum ? Pourquoi ce bouquin m’intéresse autant, vous vous demandez ? Déjà parce que je n’ai pas eu la chance de voir cette exposition et que la prise de photos y avait été interdite (merci Musée d’Orsay de penser à nous, non parisiens qui aimeraient avoir accès à la culture ! Vous pouviez pas éditer un peu plus votre catalogue, du coup ? Non mais j’vous jure…). Bref, il ne reste donc que peu de traces de cette exposition (merci aux fraudeurs courageux qui ont quand même pris quelques photos et ont aussi et surtout fait de très bons comptes rendus de leur visite, je pense notamment à cet article de Cagliostro : L’ange du bizarre, le romantisme noir au musée d’Orsay) et ces traces j’en ai fortement besoin pour l’écriture de mon mémoire de deuxième année de master.

Pour le moment, je devrais donc me contenter du hors-série Beaux Arts qui, fort heureusement, n’a pas été loupé, loin de là.

 

Couverture du hors-série Beaux Arts Magazine - L'Ange du Bizarre, Le Romantisme Noir de Goya à Max Ernst
Couverture du hors-série Beaux Arts Magazine – L’Ange du Bizarre, Le Romantisme Noir de Goya à Max Ernst

 

En fait, j’aime m’intéresser à ce que l’un de mes professeurs (que j’admirais beaucoup !) appelait « les figures du désordre ». Elles sont nombreuses et elles font partie de nos vies ; elles peuplent nos histoires, nos mythes et légendes, et elles évoluent avec leur temps. Cette exposition mettait en scène énormément d’œuvres faisant référence à ces monstres et créatures qui nous effraient et nous fascinent à la fois.

Cet intérêt pour ces figures du désordre, je l’ai déjà un peu exprimé dans mon mémoire de première année. J’ai eu l’occasion de tracer la chronologie du robot : si l’on fait le rapprochement entre les histoires parlant du Golem d’argile (un personnage essentiellement issu de la religion juive), nous pouvons en déduire que le Golem est un des ancêtres du robot (mais de façon uniquement « imaginaire » puisque le robot à l’apparence d’homme, lui, commence à être vraiment construit).

Or, c’est très probablement parce que le robot a de profonds liens avec des figures du désordre comme le Golem, que nous nous intéressons si fortement à lui : la science-fiction adore parler des robots et nous adorons nous faire peur devant des Terminator et autres I-Robot ! Mais cela est d’autant plus intéressant que nous pourrions un jour parvenir à véritablement créer cette chose de métal dont nous imaginons déjà qu’elle pourrait être aussi révolutionnaire pour nos vies qu’incroyablement destructrice.

Ainsi, alors que tous nos monstres et créatures du passé n’étaient et ne restaient que des êtres fictifs, nous nous confrontons aujourd’hui à une réalité qui, même si elle est encore loin de la science-fiction, est ô combien intéressante : nous sommes à un croisement entre rêve et réalité. Un croisement rendu possible grâce à l’entremêlement des sciences et des arts. Pour faire simple, nous serons peut-être capables, un jour, de créer pour de vrai et pour la première fois une véritable figure du désordre !

Mais comme je vous le disais, les figures du désordre sont nombreuses. Soyons plus clair : une figure du désordre est un personnage (mais ça peut également être une chose, un objet, ou un évènement) fictif qui, comme son nom l’indique, crée le chaos. Cela ne veut pas dire que cette chose fiche le souk ! Non, évidemment. Cela veut plutôt dire qu’elle sort de l’ordinaire, qu’elle sort de « l’ordre » établi.

(chaos ou kaos = désordre en grec)

Ces personnages n’existant pas réellement, nous pouvons les considérer comme des symboles : ils nous permettent de mettre une image sur nos peurs et cela nous permet de mieux les visualiser et, donc, de les apprivoiser.

Allez, je vous en montre un peu plus et je vous explique ! Vous me suivez ? Let’s go !

 

Hieronymus Bosch - La mort de l'avare 1490
Hieronymus Bosch – La mort de l’avare
1490

 

Prenons l’exemple de ce tableau de Hieronymus Bosch, intitulé La mort de l’avare : on y voit un homme sur son lit de mort. Un ange tente d’attirer son attention vers un crucifix nimbé de lumière mais l’homme est plus intéressé par un démon qui lui tend un sac qu’on imagine rempli d’argent. La mort, sous la forme d’un squelette pointant une flèche en direction de l’homme, est déjà à l’entrée de sa chambre. Il est trop tard pour qu’il puisse se défaire de ses péchés.

Évidemment, cette scène est complètement surréaliste. Elle est imaginaire. Les créatures que sont la Faucheuse, les démons ou encore l’ange sont des symboles destinés à nous expliquer ce qui se passe dans cette scène : l’homme était avare et il le sera jusqu’à sa mort. Or, l’avarice est un des sept péchés capitaux, c’est pourquoi c’est le démon qui tente l’homme alors que l’ange, lui, essaye de le guider vers la voie de la lumière. Dans ce tableau religieux, l’artiste tente de montrer le bien, le mal et la mort qui, de toute façon, fauchera l’homme quel que soit son choix de vie.

guillemet« Ce tableau est inspiré d’un livre de prière du 15e siècle intitulé: Ars Moriendi (L’art de mourir). Ce manuel était un guide pratique sur la façon de mourir. Il comprenait onze scènes: les cinq premières étaient les tentations du démon, invitant le mourant à l’impiété, au désespoir, à l’impatience, à la vanité et à l’avarice. Les cinq suivantes étaient les inspirations de l’ange: la foi, l’espoir, la patience, l’humilité et la générosité. Dans la dernière scène l’ange reconduisait l’âme au ciel, alors qu’en Enfer les hurlements de rage des démons se faisaient entendre. Dans cette oeuvre de Bosch, par contre, l’issue du combat demeure incertaine. »
(source: La mort dans l’art)

L’exposition L’Ange du Bizarre qui s’est terminée en juin 2013 permettait de voir que de nombreux artistes ont cherché à représenter les monstres, les peurs, les ombres. Chacun avait ses raisons : croyances, craintes personnelles, fascination… Mais aussi parce que cet univers foisonnant permet de laisser totalement libre cours à l’imagination. Ce qui, pour un artiste, peut être une véritable libération.

 

Carlos Schwabe, La mort du fossoyeur
Carlos Schwabe – La mort du fossoyeur
The Death of the Gravedigger
Graverens død
Aquarelle et gouache sur esquisse à la mine de plomb sur papier. 75 x 55,5 cm. Musée du Louvre, Paris

 

En couverture du catalogue de l’exposition L’Ange du Bizarre, c’est la partie haute de la la peinture de Carlos Schwabe, La mort du fossoyeur, qui apparaît. Un choix qui illustre à merveille le nom de l’exposition : « l’Ange du Bizarre » est ici l’Ange de la Mort. « Bizarre » car cet ange que nous craignons tous et dont l’apparition symbolise notre fin est ici représenté sous la forme d’une belle femme. La Faucheuse, pourtant, est souvent représentée, encore aujourd’hui, comme portant un long manteau noir, une faux à la main (voir, par exemple, la gravure ci-dessous). Dans certaines représentation plus anciennes, il arrive que la Faucheuse soit un squelette (c’est le cas dans la peinture de Hieronymus Bosch, que nous avons vue plus haut). Et cela n’est guère réjouissant, il faut bien l’avouer. Cela est même plutôt effrayant !

Alors, pourquoi Carlos Schwabe a-t-il choisi de représenter la Faucheuse sous une forme si surprenante ?

C’est parce qu’une figure du désordre peut avoir plusieurs formes et, donc, plusieurs sens selon la façon dont elle est représentée ou le contexte dans lequel elle apparaît.

 

Alfred Rethel - La Mort comme amie, Gravure de 1851 Une des rares représentation de la mort comme amie du mourant. Ici, le sonneur de cloches va mourir alors la Faucheuse se charge de son travail à sa place, probablement avant de l'emporter. Son visage cadavérique laisse entrevoir qu'elle semble triste.
Alfred Rethel – La Mort comme amie, Gravure de 1851
Une des rares représentation de la mort comme amie du mourant. Ici, le sonneur de cloches va mourir alors la Faucheuse se charge de son travail à sa place, probablement avant de l’emporter. Son visage cadavérique laisse entrevoir qu’elle semble triste.

 

L’Ange de Carlos Schwabe ne ressemble pas du tout à ce que nous imaginons de la Faucheuse.

Le fait de représenter la Faucheuse comme un ange aux ailes noires et surtout comme une gracieuse jeune femme est donc intéressant. Tout d’abord, nous pouvons en déduire que l’artiste ne devait pas considérer la mort comme quelque chose d’effrayant mais comme un accomplissement (l’ange tient une flamme verte dans la main. Le vert est la couleur de l’éternité et de la régénération) et quelque chose de paisible bien qu’incontournable (on voit que le visage de l’ange est serein mais déterminé et que l’homme dans la tombe est, certes, surpris par l’apparition mais aussi plutôt séduit, obnubilé).

C’est la femme de l’artiste qui sert ici de modèle à l’Ange noir. La séduction entre en ligne de compte : Carlos Schwabe démontre ici que derrière notre peur, nous ne pouvons nous empêcher d’être fascinés par les créatures imaginaires, censées hanter nos nuits et nos ruelles sombres. Carlos Schwabe, en représentant ainsi la Mort, devait lui aussi lui trouver quelque chose d’attirant.

 

Marianne Stokes - La jeune fille et la mort, 1900 Source image : L'art magique
Marianne Stokes – La jeune fille et la mort, 1900
Source image : L’art magique

 

Un ange noir et féminin, c’est également ce que met en scène la peinture de Marianne Stokes intitulée La Jeune fille et la Mort. La ressemblance entre les deux personnages qui ont le rôle de faucheuse est assez étonnant. La seule différence notable réside dans la coiffe des deux femmes : chez Carlos Schwabe, la tresse tombante sur le front de son ange est une référence à la mode du Moyen-Age. Chez Marianne Stokes, l’ange est voilé (une tenue qui, à mes yeux, ressemble un peu à celle d’une nonne ou, en tout cas, d’une religieuse) et c’est surtout la finesse des traits du visage qui nous permet de croire qu’il s’agit d’une femme. C’est, en tout cas, un être très androgyne, au teint laiteux et qui semble résigné à sa tâche. Une vie de plus, une vie de moins, quelle différence, au fond ? Il effectue sa tâche encore et encore. Cela est inscrit sur son visage.

Ce tableau offre une version moins séduisante de la mort. Il montre davantage le côté immuable de cet évènement qui survient dans la vie de tous, un jour où l’autre. Notons que la main levée de la Faucheuse se veut apaisante pour la jeune fille. Elle va mourir dans son sommeil : certains diraient qu’il s’agit d’une « belle mort ».

Les représentations de la Mort en compagnie de jeune fille est un thème récurrent dans l’art. Il date de l’Antiquité où, déjà, chez les Grecs, Perséphone était enlevée par Hadès, dieu des Enfers. Etablir un lien entre une jeune fille et la Mort, c’est une façon de démontrer que l’amour et la mort sont proches l’un de l’autre (nous parlons alors de collision entre Éros, dieu de l’amour et, donc, de la vie, et Thanatos, dieu de la mort).

guillemet« Eros et Thanatos, dieux grecs, forment un bien étrange couple. Contraires ou complémentaires ? La psychanalyse les a réunis au dix-neuvième siècle. L’art en a fait ses deux thèmes centraux, parce qu’ils sont probablement les deux grands tabous de l’humanité. »
(Source: Art Mémoires)

 

Joan Fontbernat Paituví (Jaume Barba, signature de l'atelier) - Le baiser de la mort (Beso de la muerte) 1930 Marbre Cimetière de Barcelone, Espagne
Joan Fontbernat Paituví (Jaume Barba, signature de l’atelier) – Le baiser de la mort (Beso de la muerte)
1930
Marbre
Cimetière de Barcelone, Espagne

 

Dans cette autre représentation de la mort, se trouvant dans le cimetière de Poblenou à Barcelone, nous pouvons voir un étrange mélange entre le tableau de Carlos Schwabe et les représentations plus courantes de la Mort : un squelette aux ailes d’ange embrasse un homme qui, probablement, va passer de vie à trépas.

Pour l’anecdote, cette sculpture est une des plus célèbres du cimetière et des gens visitent d’ailleurs ce lieu pour la voir. D’autant plus que ce lieu de repos éternel regorge d’autres créations magnifiques dans ce genre !

Mais la Mort (ou la Faucheuse) n’est pas la seule figure du désordre célèbre. Nous avons pu voir, par exemple, que les démons dans la peinture de Hieronymus Bosch sont aussi des figures du désordre, de même que les anges ou le Golem dont je vous parlais tout au début : ce sont des créatures d’un autre monde – le monde imaginaire – qui nous permettent de symboliser nos émotions. Et cela même si, par exemple, les démons représentent le Mal (ils sont sous la houlette du Diable, de Satan, de Lucifer) tandis que les anges représentent davantage le Bien (sous les ordres de Dieu).

(Notons quand même que la distinction Bien/Mal a tendance à s’étioler dans nos récits contemporains, par exemple dans des séries comme Supernatural.)

Mais, me direz-vous, tout ceci est peut-être un peu trop religieux ! Rassurez-vous (si je puis dire), il ne s’agit pas des seules figures du désordre, loin de là ! Seulement, il faut bien l’avouer, les figures du désordre ont toutes plus ou moins un lien avec une religion (mon travail de recherche m’amène à parler essentiellement de la religion catholique car je me place en tant que française, en tant qu’occidentale, mais les cultures asiatiques, par exemple, regorgent elles aussi de figures du désordre qui sont à la fois différentes et semblables aux nôtres. Voir, par exemple, la représentation d’un démon japonais dans ce précédent article : Le couple démoniaque).

Ainsi, voici un autre exemple : le vampire est une très célèbre figure du désordre qui a beaucoup évolué avec le temps. Nous sommes passés d’un Dracula terrifiant mais sans nul doute charismatique et d’un romantisme fou, à Edward Cullen de la saga Twilight, jouant davantage la carte de la fascination exercée sur nous par les créatures de ce genre (bien que certaines d’entre vous me rétorquerons sûrement qu’il dispose aussi d’un grand charisme et qu’il est incroyablement romantique). Curieusement, oui, ces deux personnages restent assez proches, contrairement à ce qu’on pourrait croire : frayeur et fascination restent les atouts du vampire, qui nous attirent désespérément vers lui. Mais pour quelle raison ?

C’est parce que la séduction exercée par le vampire est comparable à celle de Lucifer. Et cela est également vrai pour les créatures que nous avons vues plus tôt.

Évidemment ! Lucifer, le Diable. La plus grande et la plus célèbre des figures du désordre au monde. Elle a déchainé les peurs et les passions durant des siècles. Les croyants redoutaient cet être plus que tout au monde ! Les satanistes, eux, lui vouaient un culte sans bornes. Pourquoi ? Parce qu’il était le symbole de tous les possibles : ange déchu pour avoir osé défier Dieu lui-même, parfois décrit (en particulier au XIXe siècle) comme disposant d’une beauté inimaginable, Lucifer (dont le nom signifie Porteur de Lumière et non pas des ombres ou de la mort !) avait de grands pouvoirs en tant que gardien de l’Enfer.

 

Jean-Jacques Feuchère, Satan, 1833
Jean-Jacques Feuchère, Satan, 1833
Statue de Lucifer dans la cathédrale Saint-Paul de Liège, par Guillaume Geefs (variante de l'original, signé de Jozef Geefs) Photo de Luc Viatour / www.Lucnix.be
Statue de Lucifer dans la cathédrale Saint-Paul de Liège,
par Guillaume Geefs (variante de l’original, signé de Jozef Geefs)
Photo de Luc Viatour / www.Lucnix.be

 

Comme vous pouvez le voir en observant ces deux sculptures différentes de Lucifer (ou Satan, le Diable), son physique peut radicalement changer d’un artiste à l’autre. Et ici, l’exemple reste relativement faible car nous n’avons pas affaire à un Diable rouge à la queue et à la langue fourchues… Mais notons quand même que la statue de la Cathédrale de Saint-Paul de Liège est quand même beaucoup plus ravissante que celle de Jean-Jacques Feuchère. Chez ce dernier, Satan a les doigts et le nez crochus, il est pourvu de cornes qui se mêlent à sa chevelure et ses pieds sont davantage ceux d’une bête. Guillaume Geefs, lui, en fait un bel homme prisonnier (son pied est pris au piège) malgré ses ailes. Il semble tourmenté mais pas effrayant. Il nous viendrait presque l’envie de l’aider…

Il faut dire que Lucifer ne représente pas seulement le Diable à la queue fourchue que nous nous imaginons bien souvent aujourd’hui. Lucifer faisait figure de rebelle. La religion Chrétienne en faisait bien évidemment un être à détester et à craindre, un monstre (en particulier au Moyen-Age), mais était-ce finalement si vrai ? Sa représentation a donc beaucoup évolué avec le temps :

Aujourd’hui, à l’heure où le cinéma nous propose des méchants de plus en plus ambigus, devenus des voleurs, des tueurs malgré eux ou par la force des choses et d’un destin malheureux nous voyons peut-être Lucifer, cet être censé expliquer tous les malheurs du monde, sous un autre angle. Finalement, pourquoi Lucifer est-il devenu le Diable, l’ennemi même de Dieu ? Parce qu’il a osé se dresser contre lui, contre son maître et notre prétendu maître à tous (selon les récits bibliques, soyons clair, il ne s’agit pas ici de mon avis mais bien d’un résumé des plus simples que je vous propose. Je préfère préciser avant qu’on ne me taxe encore de croyante. Cela a le don de m’agacer).

Or, l’homme lui-même se dresse (plus ou moins consciemment) depuis toujours contre l’idée d’une puissance supérieure contre laquelle il ne pourrait rien : certains luttent contre un ou des dieux suprêmes, des divinités ou encore contre le Destin mais, plus prosaïquement, c’est surtout contre nos parents que nous nous battons pour nous affirmer. Des « parents » que peuvent aussi être, d’une certaine façon, les dieux ou les puissances surnaturelles censés nous gouverner selon les différentes religions qu’a connu et connaît encore notre monde : ça n’est pas pour rien, par exemple, que le dieu chrétien est ainsi parfois surnommé « le Père ». De plus, la plupart des religions proposent leur version de la création du monde et, chaque fois, l’être humain « naît » d’une puissance surnaturelle (un dieu ou quelque chose de plus abstrait) : nous sommes considérés, par ces religions, comme les enfants de ces puissances ou de ces dieux.

Mais nous ne pouvons pas supporter d’être enchainés à une vie dont on a pas tout décidé (attention, hein, je parle globalement, parce que notre société actuelle s’amuse bien à nous faire croire que nous sommes libres alors que cela est très fortement discutable… mais c’est un autre débat). Passer notre vie sous le commandement, plus ou moins direct et franc, de nos parents, qui qu’ils soient, n’est pas dans notre nature : nous nous rebellons, tels des adolescents qui souhaitent devenir adultes et, donc, pouvoir construire leur propre existence.

C’est également le cas de Lucifer dont le nom (Porteur de Lumière) peut aussi signifier qu’il nous amène vers la lumière et, donc, vers la connaissance. Des connaissances, des savoirs qui nous permettent de nous affranchir, de nous libérer des dieux, des parents et de devenir nous-mêmes, quitte à faire parfois des erreurs de parcours.

Finalement, Lucifer est donc un personnage très humain ou de plus en plus humain.

Pour conclure sur le vampire, c’est probablement pour cette raison que Dracula est devenu Edward Cullen : monstre malgré lui, monstre déterminé à changer, monstre qui ne veut pas être un monstre.

Dommage que la saga Twilight n’ait pas vu le jour à une époque où la réflexion était encore primordiale… Dans Twilight, seul le premier roman est intéressant pour qui est curieux, comme moi, au sujet de l’évolution des figures du désordre dans le temps (et encore, je dirais même que seul le début du roman est intéressant, quand nous découvrons seulement les personnages qui, ensuite, sont mal utilisés au profit d’un récit sans intérêt ou tout juste distrayant).

 

Johann Heinrich Füssli, le Cauchemar  1790-1791 Huile sur toile, 76 × 63 cm.  Goethe Museum, Francfort
Johann Heinrich Füssli, le Cauchemar
1790-1791
Huile sur toile, 76 × 63 cm.
Goethe Museum, Francfort

 

Parmi les vampires célèbres, je retiendrais aussi Clarimonde, personnage central de La Morte Amoureuse de Théophile Gautier : le mot « immonde » est entendu dans son nom. C’est une séductrice, une courtisane qui n’hésite pas à se nourrir du sang de son amant pour rester en vie. Pourtant, elle est décrite comme une très belle femme. Une si belle femme que Théophile Gautier la décrit comme plus belle que ne pourrait même l’imaginer le meilleur peintre au monde ! Mais l’auteur n’hésite pas non plus à dire très clairement que cette femme est « Belzébuth en personne », c’est-à-dire le Diable en personne.

(Le tableau de Johann Heinrich Füssli, le Cauchemar, ci-dessus, se trouve en couverture de La Morte Amoureuse édité par Classiques Bordas, je reviendrai sûrement sur ce tableau dans un prochain article car il est très intéressant et a été souvent copié.)

La beauté, l’apparence… Des créatures que nous avons souvent imaginées comme hideuses et effrayantes deviennent parfois si belles qu’elles nous attirent à elles. La beauté devient alors un piège dont il faut savoir se méfier. « L’habit ne fait pas le moine », voilà ce que nous apprend le « romantisme noir » qui est au centre de l’exposition dont je vous parle depuis le début de cet article. C’est une idée qui, finalement, s’est répandue au XIXe siècle au sein du mouvement Romantique pour former ce que certains surnomment, donc, le Romantisme Noir. Ainsi, le monstre est inquiétant, effrayant et dangereux mais il sait aussi être beau, attirant, fascinant. A tel point que la frontière entre ange et démon est parfois difficile à saisir. Nous voilà alors face un ange bizarre… Un ange du bizarre.

Pfiou ! Vous ne serez probablement pas nombreux à lire tout ça. Mais tant pis, j’espère au moins que cela aura intéressé certains !

Demain, vous deviendrez des robots.

Je travaille actuellement sur le thème des robots car le sujet de mon mémoire porte sur ce que ces créatures disent de nous, de ce que nous sommes aujourd’hui, de ce dont nous avons envie, de ce qui nous fait rêver (et pas seulement de ce que nous deviendrons peut-être) à travers l’étude d’œuvres de science-fiction contemporaines.

A ce titre, je me retrouve souvent confrontée aux discours transhumanistes qui, je dois bien l’avouer, m’inquiètent.

Le transhumanisme, c’est quoi ?

Raymond C. Kurzweil (plus connu comme Ray Kurzweil) est le plus célèbre transhumaniste actuel. Auteur, ingénieur, chercheur et futurologue américain, il a été embauché par Google comme directeur de l'ingénierie en 2012.
Raymond C. Kurzweil (plus connu comme Ray Kurzweil) est le plus célèbre transhumaniste actuel. Auteur, ingénieur, chercheur et futurologue américain, il a été embauché par Google comme directeur de l’ingénierie en 2012.

Le transhumanisme est un mouvement qui s’est développé dans les années 60 en Californie. Les personnes les plus bavardes et actives de ce mouvement qui se veut à la fois philosophique, politique et sociologique, se trouvent en plein cœur de la Silicon Valley (USA). C’est-à-dire à l’endroit même de la planète où se situent les sièges sociaux des entreprises et groupes les plus puissants au monde à l’heure actuelle (Google, Facebook…).

Il existe là un campus nommé « La Singularité » (des cours y sont donnés, un diplôme peut y être obtenu) qui entretient des liens étroits avec Google notamment, dont le siège se situe à proximité immédiate. Ce campus est le lieu de vie des transhumanistes ou transhumanistes en devenir. Autant dire que la recherche dans ce milieu est largement assurée… et est loin d’être clean à tout point de vue.

Le nom de cette université fait référence à un concept selon lequel l’humanité atteindra un jour un stade de non-retour vis-à-vis des technologies. Un stade surnommé « la singularité technologique ». A ce moment, dans un futur plus ou moins lointain, les technologies deviendront autosuffisantes, se générant, se réparant, se construisant d’elles-mêmes car elles seront créées par des intelligences artificielles (c’est-à-dire d’autres machines). Ces technologies deviendront alors parfaitement incompréhensibles pour les humains que nous sommes aujourd’hui, même les plus intelligents et experts d’entre nous. Tout simplement parce que notre cerveau ne sera plus aussi rapide et efficace que celui des super-ordinateurs de demain, capables de réaliser une infinité de calculs en des temps records. C’est pourquoi les transhumanistes pensent que nous seront forcés de devenir des « post-humains » pour nous adapter à ce nouveau monde, plus rapide que nous, et pour ne pas disparaître. Autrement dit, nous serons contraints de devenir des cyborgs : moitié-homme, moitié-machine. Des humains augmentés, améliorés, si vous préférez.

Un scénario catastrophe, digne de Terminator ?

Étant donné qui sont les têtes pensantes supportant ce mouvement, la réponse n’est pas si évidente. C’est d’ailleurs, dans une moindre mesure, ce que j’essaye moi-même de démontrer dans mon travail de recherche… (Je vous rassure, je ne sois pas du côté obscure de la Force… J’ai peur des piqûre alors devenir une post-humaine bourrée de puces électroniques enfoncées sous ma peau, ça m’enchante moyen, vous voyez ?)

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Qui sont vraiment les transhumanistes ?

Comme je vous l’expliquais, ces gens imaginent (à partir de d’hypothèses mathématico-satistico-j’y comprends rien mais ça a l’air sérieux quand même) que, demain, l’espèce humaine disparaîtra au profit d’une autre forme de vie : le post-humain. C’est-à-dire des humains mêlés à la machine. Ou, plus inquiétant encore, des machines mêlées aux humains. C’est-à-dire des cyborgs.

Selon eux, il deviendra une question de survie de faire le choix du transhumanisme. Le choix ne nous sera alors plus laissé de rester nous-mêmes (simplement humains) car, dans la course à la performance, nous serons probablement obligés de subir la mutation. Les raisons à cela seront des plus prosaïques : pour rester performants au travail, par exemple et ne pas être remplacés par une personne bénéficiant d’améliorations plus performantes. Sinon, nous serons laissés sur le bord du chemin de l’évolution, voués à disparaître comme d’autres espèces avant nous.

Cette « secte » inquiétante (enfin, personnellement, je trouve que ça ressemble quand même beaucoup à une secte, vu de l’extérieur), qui se défend d’en être une grâce aux cerveaux qu’elle exhibe (de nombreux scientifiques, bardés de diplômes tous plus impressionnants les uns que les autres), n’imagine pas d’autre route possible pour notre futur. Et étant donné les amis puissants dont elle dispose, il y a fort à parier qu’il nous faudra surveiller ces hurluberlus de près dans les années à venir.

Quel est leur but, actuellement ?

Sur l'affiche du film Transcendance de 2014, on peut lire : "Yesterday Dr. Will Caster was only human" (Hier, le Dr. Will Caster était seulement humain)
Sur l’affiche du film Transcendance de 2014, on peut lire : « Yesterday Dr. Will Caster was only human » (Hier, le Dr. Will Caster était seulement humain)

Parvenir à décrypter les secrets du cerveau afin de pouvoir, d’ici 2025 (selon leur prévision), à transférer le premier cerveau humain dans un ordinateur(pour ceux qui l’ont vu, c’est ce qui se passe dans le film Transcendance avec Johnny Depp.)

Certaines personnes se demandent si l’idée de pouvoir se « connecter » un jour au cerveau de quelqu’un ne servira pas davantage les intérêts de grands groupes comme Google (qui fournit déjà largement de quoi financer la recherche dans ce domaine, comme nous l’avons vu) plutôt que de louables objectifs en matière de sciences et en particulier de médecine. En effet, imaginez quelles seraient les possibilités d’un groupe marchand qui pourrait, tout-à-coup, accéder à vos moindres désirs ? Bien sûr, nous n’en sommes pas encore là. Mais si certains y ont pensé… Le très bon web-documentaire Do not track de Arte expliquait très bien les dangers potentiels que pourraient générer des avancées technologiques de ce genre, entre autres choses tout aussi bonnes à savoir (et ça tombe bien, comme j’en ai fait un article, vous n’avez qu’à cliquer sur le lien pour en savoir plus ;)).

En tout cas, une chose est sûre, pour moi qui essaye de crédibiliser la science-fiction à travers mes recherches, si j’étais transhumaniste, je n’aurais qu’à me baisser et ramasser toutes les miettes que l’on me tend. Malheureusement, je ne le suis pas et si je cherche à démontrer que la science-fiction porte des discours intéressants pour notre société actuelle et son développement futur, ça n’est certainement pas dans la même optique qu’eux.

Sur ce, si vous n’avez rien compris à tout ce que je viens de vous raconter sur le Transhumanisme, la Singularité et tout ce joyeux bordel (et même si vous avez tout compris, d’ailleurs), je vous invite à regarder la très bonne vidéo de Dirty Biology qui se trouve juste ici (vous pouvez aussi regarder toutes les autres vidéos de la chaîne : elles sont bien, elles sont TRÈS bien) :

Alors, seriez-vous prêts à devenir des robots ou vous battrez-vous pour votre humanité, vous qui êtes déjà connectés de toute part ? Dites-moi tout dans les commentaires !