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Un Jardin d’Eden au Japon : Floating Flower Garden

L’œuvre dont je vais vous parler aujourd’hui est actuellement exposée au Miraikan de Tokyo (Musée des Sciences et de l’Innovation) mais elle fait parler d’elle par-delà les frontières.

Il s’agit d’une installation du collectif TeamLab, un groupe d’artistes japonais connu pour concevoir des œuvres utilisant les technologies. Or, l’œuvre dont il sera question ici est un savant mélange d’art et de science.


Sommaire de l’article

Les jardins suspendus de Babylone, version XXIe siècle
Art + Technologie + Nature : Un jardin hydroponique
Suspendre des fleurs : Pourquoi ? Pour quel effet ?
Plus exactement, les fermes verticales, qu’est-ce que c’est ?
Des fleurs… pour nos tombes ?
Pourra-t-on vivre à jamais dans nos jardins suspendus ?
En savoir un peu plus sur TeamLab


Les jardins suspendus de Babylone, version XXIe siècle

Intitulée Floating Flower Garden (« Jardin de Fleurs Flottantes »), l’œuvre est une installation immersive : il s’agit d’une salle remplie de pas moins de 2300 fleurs. Le spectateur entre dans la pièce et, peu à peu, les fleurs s’écartent sur son passage, comme si elles se mettaient à flotter autour de lui. Une fois qu’il est passé, elles redescendent. Ainsi, le spectateur se retrouve comme dans une bulle fleurie. Un jardin d’Eden. Magique !

Mais la technologie utilisée dans cette oeuvre ne se résume pas seulement au système « intelligent » qui détecte les mouvements du spectateur pour faire monter ou descendre les végétaux. Ce qui est surtout intéressant, en fait, c’est que ces fleurs sont bien vivantes : elles continuent de pousser, de grandir grâce à un procédé mis en place par TeamLab.

Même si TeamLab a gardé ce procédé secret, on peut penser qu’il s’agit d’un procédé d’hydroponie. Oula ! Ne fuyez pas, je vous explique : c’est un système permettant de faire pousser des plantes en dehors de la terre. Un système qui, dit-on, était déjà utilisé à Babylone, au sein des mythiques Jardins Suspendus ! Et un système qui est peu à peu en train de refaire surface et de se faire connaître du grand public depuis que l’idée de créer des fermes verticales, en plein cœur des villes, fleurit un peu partout sur la planète (vous trouverez plus de détails sur les fermes verticales plus bas dans cet article).

Art + Technologie + Nature : Un jardin hydroponique

« Flowers and I are of the same root, the Garden and I are one »Les fleurs et moi avons les mêmes racines, le jardin et moi sommes un. ») annonce la vidéo qui permet de se rendre compte de ce que donne vraiment cette installation (voir ci-dessus). Autrement dit, le visiteur est appelé à venir se confondre avec la nature, à ne faire plus qu’un avec elle. Le message porté est clairement écologique : nous possédons des racines communes avec les fleurs parce que nous partageons la même terre, parce que nous naissons sur la même terre et parce que nous ne pouvons naître que sur cette terre. En ne protégeant pas les fleurs (et la nature, plus largement), c’est aussi notre propre vie que nous mettons en danger. Ou, en tout cas, celle de nos enfants.

Le message est éculé mais il n’y a pas de mal à le rappeler encore une fois. D’autant plus que l’installation du collectif TeamLab semble faire l’unanimité sur au moins un critère : elle est superbe. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab.

Suspendre des fleurs : Pourquoi ? Pour quel effet ?

On peut, en effet, se demander d’où nous vient cette envie de suspendre des plantes.

Comme je le disais, cette œuvre de TeamLab peut faire penser aux plus célèbres jardins suspendus du monde : ceux de Babylone. Nous avons tous déjà entendu parler de ces jardins fabuleux. Pourtant, on ignore encore aujourd’hui s’il s’agissait d’un mythe ou d’une réalité…

Pour la petite histoire : Le Roi Nabuchodonosor II (assez célèbre puisqu’il apparaît notamment dans l’Ancien Testament, rien que ça, je vous passe les détails), aurait fait ériger ces jardins pour rappeler à son épouse les montagnes verdoyantes de son lointain pays. Romantique à souhait, non ? Le problème, c’est que les archéologues n’ont pas encore retrouvé les vestiges de cette construction. Nous n’avons donc pas de preuve indéniable de son existence (ce qui n’est pas le cas pour d’autres Merveilles du monde Antique comme la Bibliothèque d’Alexandrie, par exemple, dont nous savons qu’elle a véritablement existé).

En fait, tout ce dont nous disposons, ce sont des documents antiques racontant des témoignages encore plus anciens dont nous n’avons, là, par contre, aucune trace écrite… Pour le dire plus simplement : Bidule a raconté que Machin avait vu ça et que c’était génial ! Vous me suivez ?

Et c’est finalement au philosophe Philon d’Alexandrie que nous devons la description des jardins restée la plus célèbre : « Le jardin qu’on appelle suspendu, parce qu’il est planté au-dessus du sol, est cultivé en l’air ; et les racines des arbres font comme un toit, tout en haut, au-dessus de la terre ». (Source : Georges Roux, Architecture et poésie dans le monde grec, Maison de l’Orient Méditerranéen,‎ 1989, p. 301)

A la fin du film d'animation Le Château dans le ciel de Hayao Miyazaki, le château n'est finalement plus qu'un immense arbre volant.
A la fin du film d’animation Le Château dans le ciel de Hayao Miyazaki, le château n’est finalement plus qu’un immense arbre volant.

Ca ne vous rappelle rien ? Personnellement, des racines qui feraient comme un toit au-dessus de ma tête, ça me rappelle sacrément l’oeuvre de TeamLab, juste au-dessus. (bon, ok, Philon parle d’arbres, et je vous parle de fleurs, mais y’a de l’idée !)

Bon, même s’il est assez peu probable que le Roi Nabuchodonosor II ait réussi à trouver des architectes/ingénieurs/magiciens pour faire voler des arbres façon Château dans le Ciel, la légende reste belle et elle a surtout beaucoup marqué les esprits. Il est tout de même plus probable que ces jardins étaient des terrasses, tout « simplement » (pas si simplement que ça, en fait, mais plus simplement que s’ils avaient dû faire voler des arbres, disons). Notons quand même que Babylone était une ville fantastique pour l’époque. Il suffit de voir la magnifique Porte d’Ishtar (ci-dessous), également construite sous le règne de Nabuchodonosor II, pour en juger. Si les jardins suspendus ont véritablement existé, il suffit de voir la splendeur de cette porte pour imaginer à quel point ils devaient être sublimes !

La porte d'Ishtar au musée de Pergame (Berlin) Construite en 580 av. J.C. à Babylone. La porte d'Ishtar est une des huit portes de la cité intérieure de Babylone. Cette porte est dédiée à la déesse Ishtar.
La porte d’Ishtar au musée de Pergame (Berlin)
Construite en 580 av. J.C. à Babylone.
La porte d’Ishtar est une des huit portes de la cité intérieure de Babylone. Cette porte est dédiée à la déesse Ishtar.

Vous allez me dire, c’est bien beau tout ça, mais pourquoi cherche-t-on à faire flotter des plantes, alors ?

Faire sortir les plantes de la terre et réussir à les faire pousser, à les maintenir en vie malgré tout, c’est un peu jouer au dieu tout-puissant. Parce que c’est parvenir à dépasser les lois de la nature et à en créer de nouvelles pour son propre intérêt.

En fait, si Nabuchodonosor II avait fait construire ses jardins suspendus pour son épouse, nous avons aujourd’hui l’envie de construire des fermes verticales dans un but beaucoup plus prosaïque : nous ne pourrons pas toujours nourrir les habitants des villes, de plus en plus nombreux, avec nos champs et notre agriculture actuels. Tout simplement parce que nous manquerons de place et de ressources nécessaires. L’idée des fermes verticales serait donc de faire pousser les champs en hauteur et non plus à l’horizontal. De fait, il faudrait donc faire sortir de terre les végétaux que nous voudrions y faire pousser. Et revoilà nos rêves de jardins suspendus !

Plus exactement, les fermes verticales, qu’est-ce que c’est ?

Représentation en 3D pour le projet "Paris Smart City 2050".
Représentation en 3D pour le projet « Paris Smart City 2050 ».
Exemples de fermes verticales imaginées par l’architecte Vincent Callebaut pour Paris (Porte d’Aubervilliers).

Ce sont des fermes dans des gratte-ciel ; des champs en plein cœur de la ville !

Le jardin suspendu n’est pas seulement beau, il est aussi très pratique : la terre pèse lourd tandis que le procédé hydroponique qui permet la création de tels « jardins » (ou de fermes entières) et dont je vous parlais plus avant, permet de s’en passer totalement. On gagne donc en place.

Ferme verticale imaginée par l'architecte Blake Kurasek, 2008.
Ferme verticale imaginée par l’architecte Blake Kurasek, 2008.

Une place qui nous manque de plus en plus ! Car si la population mondiale augmente d’année en année, la place au sol, elle, reste la même. Il faut donc de plus en plus penser notre monde à la verticale : quand on ne peut plus s’étendre sur la terre, il faut envisager de grimper vers les cieux qui, eux, ont l’avantage d’être potentiellement infinis. Cela vaut pour les habitations (les immeubles en tout genre, les buildings, les gratte-ciel) mais cela risque de valoir pour de plus en plus d’autres choses. Notamment pour l’agriculture : c’est l’idée des fermes verticales.

Les fermes verticales ont aussi pour vocation de rendre les aliments de demain plus sains. L’hydroponie permet aussi cela puisqu’elle permet de donner aux plantes ce dont elles ont besoin pour vivre et pour se développer au mieux sans avoir recours à tous nos pesticides et autres produits chimiques d’aujourd’hui.
Notons d’ailleurs que si les plantes poussent en intérieur, il devient possible de faire en sorte que les nuisibles n’y aient pas accès. Les pesticides deviennent donc inutiles.

Ferme verticale imaginée par l'architecte Blake Kurasek, 2008. Aperçu de ce qui pourrait être cultivé à l'intérieur, sur les différents niveaux.
Ferme verticale imaginée par l’architecte Blake Kurasek, 2008.
Aperçu de ce qui pourrait être cultivé à l’intérieur, sur les différents niveaux.

De plus, au procédé hydroponique s’ajoutent des études poussées sur la lumière. Car les plantes auront toujours également besoin de lumière pour vivre. Avec les recherches menées notamment sur les LED (qui consomment peu et durent longtemps), il devrait devenir possible de faire pousser toutes sortes de plantes, aussi exotiques soient-elles, partout dans le monde. Y compris dans des régions où il était jusqu’alors impossible de les faire pousser.
Résultat ? Moins d’importation et donc moins de pollution due au transport des marchandises ; moins de pertes, de gâchis liés au temps de conservation des aliments ; et aussi moins de produits chimiques censés, justement, allonger le temps de conservation des aliments. Et, au final, si tout va bien, un coût plus bas pour le consommateur puisque tout sera conçu sur place, à deux pas de chez lui.

Voilà, pour résumer, le projet fou des fermes verticales. Reste à voir si le futur en fera une réalité ou si elles resteront de pures utopies architecturales !

Des fleurs… pour nos tombes ?

Avec un résultat à la fois proche et bien différent, l’artiste Rebecca Louise Law est également connue pour ses installations de « fleurs suspendues ». Elle n’utilise pas de technologie dans ses œuvres mais elle parvient aussi à nous faire vibrer grâce aux couleurs et aux formes des bouquets qui viennent habiller les plafonds des différents endroits qu’elle investit (musées, églises ou salle de théâtre, par exemple). Après tout, quoi de plus naturellement artistique qu’une fleur ?

Toutefois, ses fleurs coupées ne sont pas sans rappeler les fleurs que l’on vient déposer sur les tombes. Or, le mythe Babylonien est certes, merveilleux, mais il n’en est pas moins trouble : la cité glorieuse a aujourd’hui complètement disparu, elle n’a pas su éviter son déclin malgré ses trésors, sa technologie, son savoir. Si nous devons donc nous inspirer de cette ville, à n’en pas douter, nous devons aussi nous souvenir qu’elle ne fut pas immortelle. Les oeuvres de Rebecca Louise Law peuvent aussi donner l’impression que les fleurs nous tombent dessus ; une averse de fleurs nous tombent sur la tête, tombe sur notre monde. Quel sens donner à cela ? Doit-on y voir un espoir ou, au contraire, le signe de notre fin ? « Les feuilles mortes se ramassent à la pelle », disait le poète.
Installation de Rebecca Louise Law Installation de Rebecca Louise Law Installation de Rebecca Louise Law Installation de Rebecca Louise Law Installation de Rebecca Louise Law

Pourra-t-on vivre à jamais dans nos jardins suspendus ?

Gulliver découvrant Laputa, la ville volante. Gravure de J.J. Grandville, vers 1856.
Gulliver découvrant Laputa, la ville volante.
Gravure de J.J. Grandville, vers 1856.

Essayons d’être plus clair.

Comme nous l’avons vu, la description des jardins suspendus de Babylone par Philon d’Alexandrie peut rappeller le Château dans le Ciel de Hayao Miyazaki. Ce dernier s’est lui-même inspiré de la cité volante de Laputa, inventée dans Les Voyages de Gulliver par Jonathan Swift (1721) pour imaginer ce château-arbre volant.

Or, l’histoire que Hayao Miyazaki raconte autour de cette ville volante réinvente le mythe d’Icare : à vouloir s’approcher trop près du Soleil, on finit par se brûler les ailes. Autrement dit, si nous parvenons à nous élever de plus en plus (au sens propre comme au figuré), n’oublions pas de prendre garde car, en cas de problème, la chute sera d’autant plus rude.

A moins qu’il n’y ait plus jamais de chute possible ? C’est  ce qui arrive aux habitants fictifs de Laputa : ils ne se considèrent plus vraiment comme des êtres humains puisqu’ils vivaient au-dessus de la terre : ils oublient que l’homme ne peut pas vivre à jamais séparé de la « terre nourricière ». « Les fleurs et moi avons les mêmes racines, le jardin et moi sommes un » disait la vidéo de TeamLab : si une fleur doit pousser dans la terre, nous aussi, d’une certaine façon.

Dans le Château dans le Ciel, on sait que les habitants finissent par disparaître. On ne sait pas s’ils sont tous morts ou s’ils ont un jour tous décidé de regagner la terre ferme. Ils n’étaient en tout cas plus capables de vivre sur cette île volante. Il faut dire qu’elle était devenue plus dangereuse pour eux (et pour les habitants d’en-dessous) que véritablement bénéfique.

Il s’agit de ne pas confondre besoin (nous devons construire des fermes verticales car nous allons manquer de place au sol) et envie, voire vanité (créons des fermes verticales car on peut le faire et c’est cool !).

Du coup, on peut en effet se demander si, à long terme, l’hydroponie sera viable. Pourra-t-on faire à jamais pousser des plantes dans des tours ? Seront-elles d’aussi bonne qualité que celles poussant dans la terre ferme ?

Pieds de bok choy (chou chinois) empilés verticalement sur 30 pieds de haut (un peu moins d'un mètre) dans une ferme urbaine de Singapour. Les légumes tournent sur un support en forme de A afin de leur assurer un éclairage uniforme.
Pieds de bok choy (chou chinois) empilés verticalement sur 30 pieds de haut (un peu moins d’un mètre) dans une ferme urbaine de Singapour.
Les légumes tournent sur un support en forme de A afin de leur assurer un éclairage uniforme.

A l’heure actuelle, les tours verticales restent de lointains rêves d’architectes. En effet, de tels bâtiments seraient actuellement trop coûteux à réaliser et à maintenir à flot (d’après The Economist). Pourtant, l’écologiste Dickson Despommier, qui est à l’origine et développe l’idée des fermes verticales depuis une décennie, n’en démord pas : pour lui, ces fermes vont devenir, dans les prochaines années, de plus en plus indispensables. En particulier dans des îles-villes comme Singapour, où la densité de population est telle et le manque de place tellement problématique, que l’importation est une absolue nécessité. Pour espérer devenir plus indépendant, des chercheurs de Singapour sont d’ailleurs déjà en train de développer des procédés de culture verticale, sur l’idée de Dickson Despommier. Nous sommes encore loin des tours entières mais ces plantes poussent déjà sur quelques mètres de hauteur !

En savoir un peu plus sur TeamLab

Voilà tout se qui se cachait, selon moi, derrière l’œuvre du collectif TeamLab. Je vous invite vivement à aller farfouiller sur leur site car la plupart de leurs installations sont vraiment belles ! Je vous partage, ci-dessous, quelques photographies qui en sont issues mais toutes les vidéos sont disponibles sur leur site. Vous verrez que leurs œuvres concernent souvent la nature, avec une poésie toute japonaise et des couleurs pop vraiment plaisantes et attrayantes. On y retrouve autant l’influence d’Hokusai que de Ghibli et de l’art manga en général. Leurs oeuvres sont des jardins de synthèse où, pourtant, tout est fait pour vous faire oublier la machine et vous transporter dans un monde plus beau ; dans un rêve.

Une des phrases qui accompagne leur oeuvre Flowers and People résume d’ailleurs assez bien cet article : « Flowers and People, Cannot be Controlled but Live Together » (« Les Fleurs et les Gens ne peuvent pas être contrôlés mais peuvent vivre ensemble. ») A méditer !


Cet article vous a plu ? Ou ne vous a pas plu du tout ? Vous avez quelque chose à ajouter, à corriger ? Tout simplement quelque chose à dire, un avis ? N’hésitez pas : les commentaires sont là pour ça ! :)

Et n’oubliez pas, « il faut cultiver notre jardin » disait Voltaire !

Sources :
Site officiel de TeamLab
Site officiel de Blake Kurasek
Urban Attitude, « Les fermes verticales, la révolution agroalimentaire est en marche », Octobre 2013

Si tu tends l’oreille, peut-être rencontreras-tu le Baron

baron-the-cat-returns-le-royaume-des-chats
Andrew Michel Golden – The Baron in Real Life
Photomontage
2012

Voici ce à quoi ressemblerait le Baron Humbert von Gikkingen, célèbre personnage des studios d’animation Ghibli, dans la « vraie » vie. L’artiste Andrew Michael Golden s’est amusé à transposer les personnages du studio japonais (dont fait notamment partie Hayao Miyazaki) dans des vraies-fausses photographies « vintages ».

Mais ça n’est pas l’œuvre de Andrew Michael Golden qui va nous intéresser ici. En fait, j’ai choisi de vous parler du Baron parce que l’histoire de ce chat fictif est une de celles qui me tient le plus à cœur. Et elle fait l’objet de deux films d’animation à la fois différents et complémentaires : Si tu tends l’oreille et Le Royaume des chats.

Si tu tends l'oreille, 1995Si tu tends l’oreille
Auteur : Aoi Hīragi
Réalisateur : Yoshifumi Kondo
Scénariste : Hayao Miyazaki
1990Passionnée de lecture, Shizuku Tsukishima fréquente assidûment la bibliothèque municipale, où travaille son père, ainsi que celle de son collège.
Mais à force d’emprunter des livres, elle remarque grâce aux fiches de suivi que tous les livres qu’elle a emprunté l’ont déjà précédemment été par un certain Seiji Amazawa…
Le Royaume des Chats (2002)Le Royaume des Chats
Auteur : Aoi Hīragi
Réalisateur : Hiruyoki Morita
2002Un beau jour, Haru, lycéenne de dix-sept ans, sauve de justesse un chat qui allait être écrasé par un autobus. Mais l’animal s’avère être le fils du roi du Royaume des chats. Pour la remercier, le roi décide de l’inviter dans son pays et de lui donner son fils en mariage…
Shizuku, l'héroïne du film, découvre le Baron. (Si tu tends l'oreille, 1990)
Shizuku, l’héroïne du film, découvre le Baron.
(Si tu tends l’oreille, 1990)

Le Baron Humbert von Gikkingen apparaît d’abord dans le très touchant Si tu tends l’oreille en 1990. Dans ce film d’animation, il n’est qu’une statuette qu’un vieil homme garde précieusement en souvenir de l’amour de sa vie, perdu de vue durant la guerre.

Les yeux de la statuette du Baron semblent étrangement vivants...
Les yeux de la statuette du Baron semblent étrangement vivants… Je vous assure ! Regardez attentivement.
(Si tu tends l’oreille, 1990)
Les statuettes du Baron et sa de compagne, avant leur séparation. (Si tu tends l'oreille, 1990)
Les statuettes du Baron et de sa compagne, avant leur séparation. (Si tu tends l’oreille, 1990)

On apprend que la statuette du Baron formait en réalité un duo avec une autre figurine (représentant sa compagne). Cette dernière a été emportée par la femme perdue de vue par le grand-père.
Les retrouvailles de ces deux chats sculptés auraient symboliquement scellé celles de quatre amoureux mais elles n’auront jamais lieu.
A la place, la jeune héroïne du film, Shizuku, décide de s’inspirer de l’histoire du Baron et se met à écrire un roman dans lequel tout est bien qui finit bien. Elle trouve ainsi sa voie : l’écriture.

La statuette du Baron chez le vieil homme. (Si tu tends l'oreille, 1990)
La statuette du Baron chez le vieil homme.
(Si tu tends l’oreille, 1990)

L’histoire qu’invente Shizuku dans ce roman est très proche de celle que raconte Le Royaume des Chats (2002), l’autre film d’animation dans lequel le Baron apparaît. Cette fois, il est l’un des personnages principaux.
Il n’est pas dit clairement que Le Royaume des Chats est l’histoire inventée par l’héroïne de Si tu tends l’oreille mais cela tiendrait la route.

Toutefois, les deux films ont beau se compléter, ils sont aussi très différents : Si tu tends l’oreille se voulait réaliste, racontant une période de la vie d’une jeune fille en quête de ses rêves d’avenir, Le Royaume des Chats est, lui, totalement fantastique.
En effet, l’héroïne, nommé Haru, se retrouve propulsée dans un monde parallèle uniquement habité par des chats (évidemment !).

A mes yeux, Le Royaume des Chats est une sorte d’Alice au pays des Merveilles revisité. Nous en avons tous les ingrédients : des animaux qui parlent, des tunnels menant d’un monde à l’autre, des personnages qui grandissent ou rapetissent, des souverains fous dangereux et une aventure qui joue souvent le loufoque de façon pas toujours très sympathique, voire un peu inquiétante.

Haru, l'héroïque du film, découvre avec stupeur la maison du Baron. Et elle y est un peu à l'étroit. (Le Royaume des chats, 2002)
Haru, l’héroïque du film, découvre avec stupeur la maison du Baron. Et elle y est un peu à l’étroit.
(Le Royaume des chats, 2002)
Haru est invité à prendre le thé par le Baron. Elle rencontre aussi Mouta, l'un de ses fidèles amis.
Haru est invité à prendre le thé par le Baron. Elle rencontre aussi Mouta, l’un de ses fidèles amis.
Le Baron est, semble-t-il, bien le même que dans Si tu tends l'oreille (1995) : on peut voir, derrière lui, le portrait de sa compagne perdue.
Le Baron est, semble-t-il, bien le même que dans Si tu tends l’oreille (1995) : on peut voir, derrière lui, le portrait de sa compagne perdue.
Haru est emportée, hors de la maison du Baron, par une horde de chats. Direction, le Royaume des chats !
Haru est emportée, hors de la maison du Baron, par une horde de chats. Direction, le Royaume des chats !
La horde de chats passe par des tunnels magiques pour rejoindre le Royaume des Chats.
La horde de chats passe par des tunnels magiques pour rejoindre le Royaume des Chats.

Et puis, je ne sais pas vous, mais pour moi, la tenue bleue et blanche de l’héroïne, rappelle quand même sacrément celle de la Alice de Disney. Non ?
Sans compter que, comme par hasard, le style du Baron et celui de sa maison, notamment, rappellent vraiment la mode du XIXe siècle (époque où Alice au pays des Merveilles a été écrit par Lewis Carroll, puisque le roman date de 1865).

De plus, dans les deux œuvres, il est difficile de savoir si l’héroïne n’est pas seulement en train de rêver. Alice et Haru sont, en tout cas, propulsées dans une aventure rocambolesque qui les amènera à grandir.

Au milieu de tout ça, le Baron est un Chapelier pas si fou, qui tente, tant bien que mal, de sauver Haru. Dans Si tu tends l’oreille, il sauve également Shizuku, d’une certaine façon, en devenant sa source d’inspiration : elle découvre ainsi qu’elle rêve de devenir écrivain.

Le Baron prenant vie dans le roman de l'héroïne de Si tu tends l'oreille (1990).
Le Baron prenant vie dans le roman de l’héroïne de Si tu tends l’oreille (1990).

L’autre personnage qui fait le lien entre Le Royaume des chats et Si tu tends l’oreille, est le gros chat blanc à l’oreille sombre nommé Mouta (ou Muta). Dans Si tu tends l’oreille, c’est lui qui guide, sans le faire exprès (ou peut-être pas tout à fait, allez savoir !) la jeune Shizuku jusqu’à la demeure du vieil homme possédant la statuette du Baron.
Étrange coïncidence (ou peut-être pas, une fois encore) : la maison du grand-père est étrangement semblable à celle du Baron dans Le Royaume des chats. N’est-il pas un peu le Lapin Blanc de l’histoire ? A la différence qu’il se distingue plutôt par son flegme de grincheux paresseux, là où le Lapin, lui, est sans cesse en mouvement et plein d’énergie puisqu’il est en retard.

On peut se demander si Shizuku écrit donc bel et bien son roman ou si elle n’est pas inconsciemment guidée par une magie qui lui échappe (celle des chats, ndlr). La question reste en suspend, bien sûr, après visionnage des deux films. Et c’est là que l’imagination prend le relais.

En haut : Muta aux côtés de Shizuku dans Si tu tends l'oreille (1990) En bas : Muta tournant le dos à Haru dans Le Royaume des chats (2002)
En haut : Muta aux côtés de Shizuku dans Si tu tends l’oreille (1990)
En bas : Muta tournant le dos à Haru dans Le Royaume des chats (2002)
En haut : devanture de la maison du Baron. (Le Royaume des chats, 2002) En bas : devanture de la maison du grand-père. (Si tu tends l'oreille, 1990)
En haut : devanture de la maison du Baron. (Le Royaume des chats, 2002)
En bas : devanture de la maison du grand-père. (Si tu tends l’oreille, 1990)

Enfin, des chats qui se mettent à marcher sur deux pattes, à parler et se conduire comme des hommes, c’est une chose, mais j’ai surtout retenu que, dans Le Royaume des chats, cela se passait la nuit : ainsi, quand Haru arrive devant la maison du Baron, il fait encore jour et, en regardant par la petite fenêtre, la jeune fille ne voit qu’une statuette de chat inanimée. Le soleil se couche, ensuite, et la figurine prend vie.

Il fait encore jour quand Haru arrive devant la maison du Baron : il n'est donc encore qu'une statuette.
Il fait encore jour quand Haru arrive devant la maison du Baron : il n’est donc encore qu’une statuette.

Curieusement, je trouve que la peinture de Théophile-Alexandre Steinlen, intitulée L’Apothéose des chats à Montmartre, montre quelque chose d’assez semblable, à sa façon.

Théophile-Alexandre Steinlen, Tournée du Chat noir, 1896
Théophile-Alexandre Steinlen, Tournée du Chat noir, 1896,
135,9 × 95,9 cm,
The Jane Voorhees Zimmerli Art Museum, université Rutgers, Etats-Unis

Pause précision :
Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923) fut peintre, graveur, illustrateur, affichiste et sculpteur (rien que ça !). Habitué du cabaret parisien Le Chat Noir, on lui doit notamment la plus célèbre affiche (ci-contre) de ce lieu qui fut emblématique de la butte Montmartre à la fin du XIXe siècle.
L’artiste se passionne pour la rue et il la représente sans cesse avec, pour principaux sujets, les plus déshérités qui l’habitent ou l’arpentent et tous les petits métiers qui la font vivre et s’animer sans nécessairement payer de mine. Mais Steinlen est aussi (et surtout) connu comme le spécialiste des chats, qu’il peint, dessine et sculpte même (voir ci-dessous).

Steinlen dans son atelier,  Photographie de l'agence de presse Meurisse (1913),  Bibliothèque nationale de France.
Steinlen dans son atelier,
Photographie de l’agence de presse Meurisse (1913),
Bibliothèque nationale de France.

En effet, tous les chats de la fameuse butte parisienne semblent s’être réunis afin d’élire leur chef suprême. Il faut savoir que le mot « apothéose » marquait l’admission d’un mortel parmi les dieux en Grèce et en Rome antiques. Or, en sauvant un chat au début du film (et pas n’importe lequel), la jeune Haru a droit, elle aussi, à son apothéose : c’est ainsi que, la nuit venue, une procession de chats (avec, parmi eux, leur roi) vient chez elle pour la remercier et la couvrir de cadeaux. Malheureusement, tout cela va lui apporter plus d’ennuis qu’autre chose !

L'Apothéose des Chats à Montmartre Théophile-Alexandre Steinlen - 1905 Musée de Montmartre (Cette toile monumentale se trouvait initialement au Chat Noir, ancien célèbre cabaret parisien.)
L’Apothéose des Chats à Montmartre
Théophile-Alexandre Steinlen – 1885
Huile sur toile, 164,5 x 300 cm
Musée de Montmartre
(Cette toile monumentale se trouvait initialement au Chat Noir, ancien célèbre cabaret parisien.)
La procession des chats déambule dans la ville jusqu'à la maison de la jeune Haru.
La procession des chats déambule dans la ville jusqu’à la maison de la jeune Haru.
La procession des chats déambule dans la ville jusqu'à la maison de la jeune Haru.
La procession des chats déambule dans la ville jusqu’à la maison de la jeune Haru.

Soyons clairs, toutefois : Le Royaume des chats peut sembler moins ambitieux que la plupart des films d’animation du studio Ghibli. Certains diront qu’il est même raté. Je ne suis pas d’accord. Je le vois davantage comme un Disney : divertissant avant tout, bien que non dénué de sens (ni de scènes violentes, que le réalisateur a choisi de faire passer grâce à l’humour omniprésent dans le film). Il est également moins fouillé visuellement que les autres films du studio. Mais le budget qui lui fut alloué, durant sa réalisation, était aussi plus maigre : Le Royaume des chats devait, à l’origine, être un court métrage destiné uniquement au format DVD. Les mauvaises langues diront qu’il aurait dû le rester. Mais, en ce qui me concerne, j’ai apprécié ce bol d’air frais au milieu du sérieux parfois un peu trop pesant et prôné par les films Ghibli (que j’apprécie aussi, là n’est pas la question, mais j’aime aussi regarder des films d’animation japonais sans finir en larmes ou subir une dépression de sept jours après visionnage). Faire simple, ça n’est pas forcément faire mal. De même que divertissant ne rime pas toujours avec dépourvu de sens ou d’intérêt (la preuve, ça ne rime pas en fait !…).

En écrivant son roman, Shizuku s'imagine en train de vivre toutes sortes d'aventures aux côtés du Baron dans un monde onirique. (Si tu tends l'oreille, 1990)
En écrivant son roman, Shizuku s’imagine en train de vivre toutes sortes d’aventures aux côtés du Baron dans un monde onirique. (Si tu tends l’oreille, 1990)

Si tu tends l’oreille, lui, est un petit bijou mais le public qu’il vise n’est pas nécessairement le même : plus contemplatif, il plaira davantage à un public capable de comprendre toutes ses subtilités. Pourtant, je trouve que les deux films se complètent bien, à leur façon. En ce qui me concerne, je les ai aimés tous les deux pour différentes raisons.

Pause précision : Si tu tends l’oreille fut réalisé par Yoshifumi Kondo qui, à l’époque, était pressenti pour succéder au maître incontesté des Studios Ghibli : Hayao Miyazaki. Malheureusement, Si tu tends l’oreille fut son unique film car il mourut trois ans plus tard d’une rupture d’anévrisme. La même année, Hayao Miyazaki décida même de prendre sa retraite… Mais il revint finalement pour réaliser Le Voyage de Chihiro (2001).
Toutefois, lors de la réalisation du Royaume des Chats, il semble qu’Hayao Miyazaki demanda lui-même à ce que les personnages de Baron et de Muta soient réutilisés. Preuve que ces personnages lui tenaient à cœur et, probablement, constituaient un hommage au travail de son défunt collègue. C’est pourquoi il s’adressa au même auteur : Aoi Hīragi (déjà créateur du manga qui inspira Si tu tends l’oreille).
A la base, le film ne devait pas durer plus de vingt minutes car il s’agissait alors d’une commande passée par un parc de loisirs. Faute d’argent, le projet fut abandonné par le dit parc et le Studio Ghibli décida de transformer le film en moyen-métrage, de quarante-cinq minutes environ, qui ne sortirait qu’en DVD. Toutefois, en voyant la qualité du travail du réalisateur Hiroyuki Morita (qui, d’ailleurs, réalisait là son tout premier film et le dernier à ce jour), les producteurs décidèrent que le film (d’une durée d’une heure et quart, finalement) sortirait au cinéma.

Sources :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Si_tu_tends_l%27oreille
http://www.kanpai.fr/culture-japonaise/royaume-chats-analyse

Aperçu des décors fouillés et travaillés de Si tu tends l'oreilles (1990).
Aperçu des décors fouillés et travaillés de Si tu tends l’oreilles (1990).
Aperçu des décors fouillés et travaillés de Si tu tends l'oreilles (1990).
Aperçu des décors fouillés et travaillés de Si tu tends l’oreilles (1990).

Ces deux films racontent en tout cas de très touchantes histoires d’amour et bénéficient, en plus, de dessins magnifiques qui sauront, j’en suis sûre, vous transporter. Pour ma part, le Baron est depuis longtemps l’un de mes personnages de fiction favoris et ce sont ses histoires, quand j’ai un coup de mou ou une baisse de moral, qui me donnent envie de me remettre à créer. Ce qui tombe plutôt bien puisque Si tu tends l’oreille raconte finalement l’histoire de deux jeunes gens qui se démènent pour réaliser leurs rêves et leurs arts. Et avec Le Royaume des Chats, il forme un duo de films célébrant joliment les bienfaits de l’imagination et de l’imaginaire pour qui les nourrit avec passion.

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Le Baron sortant de sa maison pour se présenter à Haru. (Le Royaume des Chats, 2002)

* Site web de Andrew Michael Golden : http://andrewmichaelgolden.com/
* Article dédié aux chats noirs dans la peinture : http://echos-de-mon-grenier.blogspot.fr/2013/10/lapotheose-des-chats-noirs.html
* Analyse de Si tu tends l’oreille : http://www.kanpai.fr/culture-japonaise/si-tu-tends-loreille-analyse


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C’est par ici !

Hypocentre de Claire & Max

hypocentre -short film- from Claire&Max on Vimeo.

Réalisée par deux français, Claire & Max, le projet vidéo Hypocentre nous donne à voir un Paris vide de toute vie humaine.
Ce court métrage est ponctué de citations du physicien Stephen Hawking. Le tout semble nous laisser imaginer que la ville lumière a été abandonnée et que les hommes ont quitté la Terre pour l’Espace.
Pourquoi ? Comment ? Quand ? Les réponses restent en suspend car tel n’est pas le but de cette vidéo. Toutefois, le message est clairement écologiste comme en témoignent les deux artistes sur leur site : http://menilmonde.com/projet-hypocentre/
Quoiqu’il en soit, résultat est impressionnant mais n’est pas sans donner la chaire de poule. On se rend bien compte, alors, que Paris, comme toutes les villes du monde, est un lieu de vie. Sans cela, elle en devient inquiétante d’étrangeté.
Découvrez la vidéo ici : http://vimeo.com/74857458

 

Le clown-tueur : histoire d’un monstre bien réel

Aujourd’hui, parlons de moi.
(wouah, si c’est pas de l’intro égocentrique qui tue, ça !)

Je suis coulrophobe. (à mes souhaits.)
Si, si, je vous jure. J’ai une peur bleue des clowns. (ah, oui, voilà, la coulrophobie, c’est la peur des clowns)
Un clown m’approche, je suis mal à l’aise. S’il devient un peu trop insistant, je crie. Et ils me faisaient beaucoup pleurer quand j’étais enfant.

Allez savoir pourquoi !
Bah si. Je sais pourquoi. En tout cas, pour ma part, la raison est toute trouvée ! C’est ce fichu « Ça » qui m’a traumatisée.
Mais si, vous savez ! Le film inspiré du roman de Stephen King, dans lequel un affreux clown dévore des enfants… Allez savoir pourquoi, j’avais vu le film (de Tommy Lee Wallace) tiré de ce bouquin (bien meilleur, d’ailleurs, le bouquin) étant petite fille. Il était sorti en 1990, je suis née en 1991, j’ai dû le voir en 1997, tout au plus… Et je ne vous cacherai pas que ça fait un peu jeune, pour un film comme celui-là !

Bref, les clowns et moi, on est pas très amis et j’ai un peu peur des salles de bains. (ceux qui ont vu le film comprendront, j’en suis sûre…)

MAIS, je ne suis pas là uniquement pour vous parler de moi, en réalité ! (ahah, vous êtes rassuré, je le sens.)
Ce qui m’amène à vous parler des clowns et de la peur qu’ils inspirent, c’est ce qui se passe actuellement en Grande-Bretagne, à Northampton. Une histoire qui amuse beaucoup internet mais qui doit quand même donner quelques sueurs froides aux habitants de la ville !
En effet, depuis quelques temps, un clown grimé à la façon du personnage du film « Ça », surgit parfois à Northampton.

Northampton's Clown
Le clown de Northampton | Northampton’s Clown
Inspiré par le film « Ça »

Plusieurs monstres en un

Dans le film, tout comme dans le roman de Stephen King, « Ça »  est un clown tueur d’enfants. Un sympathique personnage, donc, d’autant plus qu’il est capable de prendre des formes très diverses pour s’en prendre à ses proies.

Dans le roman, il est d’ailleurs expliqué qu’il ne serait pas possible, pour un être humain, d’identifier la forme réelle de « Ça ». Par contre, il est capable de prendre diverses formes : clown, loup-garou, sangsues, araignée géante… et bien d’autres encore, sans doute !

Bref « Ça » n’est pas humain (on apprend d’ailleurs qu’il est censé venir de l’espace, bien qu’il se trouve sur terre depuis très longtemps) et « Ça » considère d’ailleurs les humains comme de la nourriture. Mais si cette créature s’en prend avant tout aux enfants, c’est parce qu’il est plus facile pour elle de prendre la forme de leurs peurs : les monstres qui les effraient sont généralement ceux qu’ils ont déjà vu dans un livre, une bande dessinée ou un film.

Le clown du film "Ça"
Le clown-monstre du film « Ça, « Il » est revenu » de Tommy Lee Wallace, 1990

Séduire pour tuer

La forme du clown, elle, sert dans un premier temps à appâter l’enfant. C’est sous cette apparence que « Ça » apparaît pour la première fois dans le roman et séduit l’enfant qu’il va tuer. Il se trouve dans un égout dans lequel tombe malencontreusement le bateau avec lequel jouait le petit garçon. En se penchant pour tenter de le récupérer, l’enfant découvre « Ça » et il a d’abord peur car il lui semble que « l’animal » (car il pense d’abord qu’il peut s’agir d’un animal) a les yeux jaunes comme ceux du monstre qu’il imagine chaque fois qu’il doit descendre dans la cave de sa maison. Cela ne dure pas, cependant. Peu à peu, la description du clown change : alors que le clown le séduit sans qu’il ne s’en rende compte, le garçonnet croit se rendre compte qu’il a mal vu les yeux jaunes et effrayants du clown. Ils lui apparaissent désormais comme ceux pétillants et bleus de sa maman.

guillemet« George se pencha et regarda de nouveau. Il n’en croyait pas ses yeux : c’était comme dans un conte de fée, ou comme dans ces films où les animaux parlent et dansent. Il aurait eu dix ans de plus, il serait resté incrédule : mais il n’avait que six ans, et non seize.
Un clown se tenait dans l’égout. L’éclairage n’y était pas fameux, mais néanmoins suffisant pour que George Denhrough n’ait aucun doute sur ce qu’il voyait. Un clown comme au cirque, ou à la télé. Un mélange de Bozo et Clarabelle, celui (ou celle, George n’était pas très sûr) qui parlait à coups de trompe dans les émissions du dimanche matin.
Le visage du clown était tout blanc : il avait deux touffes marrantes de cheveux rouges de chaque côté de son crâne chauve et un énorme sourire clownesque peint par-dessus sa propre bouche.
Il tenait d’une main un assortiment complet de ballons de toutes les couleurs, comme une corne d’abondance pleine de fruits mûrs. »

Stephen King, Ça, Albin Michel, 9 nov. 1988 – 627 pages

Serial killer John Wayne Gacy
Le serial killer américain John Wayne Gacy,
Surnommé le « clown tueur », il aurait inspiré Stephen King pour le personnage de « Ça »

Le véritable « Ça » ?

Plus sympathique encore, le personnage de « Ça » semble avoir été inspiré par une histoire vraie. En tout cas, il faut avouer que les points communs sont assez étranges ! Il s’agit de celle de John Wayne Gacy, surnommé « le clown tueur ».

Dans les années 70, cet homme d’affaire respectable a assassiné une trentaine de jeunes hommes. Pas moins de 26 cadavres ont été retrouvés enterrés dans le vide sanitaire sous sa demeure de Chicago. Malgré ses efforts pour dissimuler ses méfaits, ces corps dégageaient une odeur pestilentielle dont les voisins se plaignaient. C’est pourquoi, pour se couvrir, il expliquait volontiers avoir des problèmes d’égouts bouchés…

Des égouts ? Une odeur putride ? C’est justement dans les égouts que vit « Ça ». Quant à la forte odeur qu’il dégage, elle est décrite dans le roman, bien qu’il semble capable de la camoufler.

guillemet« Georgie se pencha. Ça sentait les cacahuètes, les cacahuètes grillées ! Et le vinaigre, ce vinaigre blanc que l’on verse sur les frites d’une bouteille avec un petit trou ! Ça sentait aussi la barbe à papa et les beignets frits, tandis que montait, encore léger mais prenant à la gorge, l’odeur des déjections de bêtes fauves. Sans oublier celle de la sciure. Et cependant…
Et cependant, en dessous, flottaient les senteurs de l’inondation, des feuilles en décomposition et de tout ce qui grouillait dans l’ombre de l’égout. Odeur d’humidité et de pourriture. L’odeur de la cave.
Mais les odeurs du cirque étaient plus fortes. »

Stephen King, Ça, Albin Michel, 9 nov. 1988 – 627 pages

Le clown tueur

Mais pourquoi l’appelait-on le « clown tueur », me direz-vous ?
Parce que cet homme n’hésitait pas à se déguiser en clown pour amuser les enfants des hôpitaux. Ça n’était là qu’une des nombreuses activités de cet homme qui faisait tout pour se faire bien voir, après avoir longtemps subi les brimades parfois violentes de son père. Il s’impliqua dans plusieurs organisations. Il s’engagea, par exemple, pour le Federal Civil Defense for Illinois et devint capitaine du Chicago Civil Defense. Il était considéré par beaucoup personne comme quelqu’un de gentil et altruiste.

guillemet« Gacy prenait très au sérieux son implication dans ces différentes organisations et leur dévouait tout son temps libre. Ceux qui connaissaient Gacy le considéraient comme un homme sympathique, mais très ambitieux, qui cherchait à se faire un nom. Gacy voulait absolument « être quelqu’un ». Il travaillait tellement qu’il fut hospitalisé pour épuisement nerveux. »

Source : tueursenserie.org, http://www.tueursenserie.org/spip.php?article42

Mais ce qui est plus intéressant encore (si je puis dire), c’est que lors de la perquisition de sa maison, les policiers découvrirent que Gacy peignait des images de clowns. Elle étaient accrochées aux murs.
De plus, « durant les 14 années qu’il passa dans le couloir de la mort, Gacy peignit de nombreux tableaux à la peinture à l’huile. Son sujet préféré était… les portraits de clowns. Après son décès, certaines de ses peintures se vendirent pour 20.000$ lors d’une enchère, provoquant l’indignation des familles des victimes et des autorités. Mais l’acheteur brûla toutes les œuvres de Gacy peu après les avoir acquises. » (Source : tueursenserie.org, http://www.tueursenserie.org/spip.php?article42)

Voici quelques exemples de ce que ces « créations » pouvaient donner (et qui, je dois l’avouer, me donnent froid dans le dos) :

Handprint and Clowns, John Wayne Gacy
Handprint and Clowns, John Wayne Gacy
Hi Ho With Clown, John Wayne Gacy
Hi Ho With Clown, John Wayne Gacy
Pogo in the Making, John Wayne Gacy
Pogo in the Making, John Wayne Gacy

Cette dernière peinture, Pogo in the Making, est un autoportrait dans lequel Gacy se déguise peu à peu en Pogo, le nom de son personnage de clown pour enfants.

Le clown-tueur pensait-il être Blanche Neige ?

Son intérêt, voire sa passion pour les clowns donne lieu à des créations particulièrement malsaines. La figure du clown, censée être aimée par les enfants et symboliser l’amusement, devient ici monstrueuse.
Le clown semble même parfois mort, comme dans Hi Ho With Clown où elle prend la place de Blanche Neige, au moment où elle est entourée des sept nains, dans son cercueil de verre. Blanche Neige est pourtant un personnage de coeur, décrite comme possédant un cœur pur. C’est une belle princesse aimée de tous, en dehors de sa marâtre.
Doit-on voir dans cette représentation l’idée que Gacy se faisait de lui-même, à l’époque où son père le rabaissait sans cesse ? Peut-être. Il semble, en tout cas, avoir cherché à se faire aimer de tous, en devenant par exemple le clown Pogo, l’ami des enfants à l’hôpital. Mais ne cela ne fait que témoigner un peu plus encore de la folie de Gacy.

Se prenait-il vraiment, intérieurement, pour une princesse au cœur pur, ayant simplement « mal tourné » ? Ou avait-il une face sombre, contre laquelle il essayait désespérément de lutter en participant à de nombreuses activités communautaires et sociales ?
Cette seconde hypothèse ne semble pas tenir la route, comme en témoignent certains de ses propos : « La seule chose dont je sois coupable, c’est d’avoir possédé un cimetière sans autorisation. » (Source : tueursenserie.org, http://www.tueursenserie.org/spip.php?article42)

Northampton's Clown
Le clown de Northampton | Northampton’s Clown
Inspiré par le film « Ça »

Après tout ça, si vous deviez croiser le clown de Northampton, est-ce qu’il vous ferait rire ? Ne provoquerait-il pas plutôt un long frisson d’inquiétude crasse ? En tout cas, même si ses interventions restent distrayantes, il est clair que, pour ma part, je resterai toujours un peu sur mes gardes en croisant un clown.


Sources :
https://www.facebook.com/spotnorthamptonsclown
http://www.lepoint.fr/insolite/grande-bretagne-un-mysterieux-clown-fait-trembler-northampton-20-09-2013-1733609_48.php
http://www.tueursenserie.org/spip.php?article42&artpage=1-4
http://blogs.miaminewtimes.com/riptide/2010/04/the_ten_creepiest_paintings_by.php


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Le couple démoniaque : petite histoire d’oni

Couple Japonais au masque
Photographie ou photomontage d’un couple japonais portant un masque d’Hannya.

Je suis tombée par hasard sur cette très curieuse image. J’ai longtemps cherché des informations à son sujet avant de me décider à vous en parler car je ne voulais pas vous dire de bêtise à son sujet. Malheureusement, il est difficile, voire impossible de trouver de vraies informations à son sujet. Je ne peux donc pas affirmer qu’il s’agit d’un photomontage. Peut-être est-ce une véritable photographie, même si cela me semble peu probable (encore que, s’il s’agit d’un photomontage, ça me semble quand même très bien fichu… Ok, c’est peut-être une vraie photo).
Quoiqu’il en soit, je tenais à partager cette découverte avec vous.

Alors, qui, quoi, où, pourquoi, comment ?

Masque d’un oni nommé Hannya ?

Cette image nous montre un couple japonais portant des masques de démons (Oni en japonais).
D’après les informations qu’on m’a données (merci beaucoup, d’ailleurs !), il s’agirait d’un masque de Hannya, c’est-à-dire un masque utilisé dans le théâtre japonais Noh et symbolisant un démon femelle jaloux ou un serpent.

Il peut être difficile, à première vue, de considérer que ce démon puisse représenter une femme. Pourtant, dans les légendes fantastiques et les croyances, Hannya représente le fantôme d’une jeune femme revenue de l’au-delà afin d’assouvir son désir de vengeance. Ce démon, fort dangereux, représente surtout la colère et la jalousie.

L’apparence de ce démon peut légèrement varier d’un masque à l’autre. S’il est rouge, par exemple, il représente la jalousie et le crime passionnel qui peut-être engendré. S’il est vert en revanche, il représentera davantage la colère, voire la rage de la femme blessée et bafouée par son homme.

Il s’agirait donc probablement d’un couple d’acteurs, s’il s’agit bel et bien d’une photographie.

Le couple se trouve dans un intérieur typiquement nippon. La femme porte d’ailleurs un très beau kimono (en admettant qu’il s’agisse bien d’une femme, sous ce masque, car si ce sont des acteurs, il est fort probable que ce soit un homme : les femmes ne pouvaient monter sur scène).

Autre théorie : l’ogresse ou oni-baba

Ce masque peut aussi faire penser au mythe de l’oni-baba. Le terme « oni-baba » regroupe les vieilles sorcières et ogresse du folklore japonais. Il en existe donc tout un panel qui agit pour des raisons diverses et variés, selon les histoires locales. On raconte que les oni-baba vivent plutôt dans les montagnes. Le jour, elles ressemblent à de gentilles grands-mères sans défense et c’est ainsi qu’elles parviennent parfois à attirer les voyageurs qu’elles dévoreront, la nuit venue, après leur avoir offert de passer la nuit dans sa grotte ou sa petite maisonnette.

La nuit, donc, elle se transforme en horrible créature qui peut prendre les traits du masque que portent nos deux étranges personnages de la photo. La preuve avec ces screenshots du film Oni-baba de 1964 :

Ou encore dans le manga et l’anime « Divine Nanami » (Kamisama Hajimemashita) où l’ogresse (oni-baba) parvient à duper le personnage de Nanami dans l’optique de la dévorer :

Je vous conseille d’ailleurs la lecture de ce manga si vous souhaitez en apprendre plus sur les croyances Shintoïstes de façon romancées. C’est à la fois distrayant et instructif.

Alors, masque d’oni ? Photomontage ? Pourquoi ?

Ma foi, on n’en sait toujours pas beaucoup plus ! Si ce n’est sur la signification de leur masque, donc.

Notons en tout cas que les Oni (ou démons) sont des créatures du folklore japonais très divers et très nombreux. Il existe énormément de divinités (kami) au Japon et il existe tout autant de démons (oni) !

Difficile de dire pourquoi ce couple porte ici un masque à l’effigie de ces créatures puisque les Oni peuvent être, à la fois, malfaisants ou bienfaiteurs. Dans les anciennes légendes, les Oni sont des créatures bienveillantes qui chassent les mauvais esprits et punissent les criminels. Ce sont alors de puissants esprits des montagnes auxquels on fait des offrandes pour qu’ils protègent les villages alentours, en particulier des tremblements de terre. Leur réputation se détériore ensuite peu à peu et ils deviennent de plus en plus violents et cruels à travers des contes et des pièces de théâtre où ils dévorent des hommes.

Masque d'Hannya, l'un des démons japonais les plus connus au monde. Il apparaît notamment dans des manga, animes et reste très présent dans le théâtre nippon.
Masque d’Hannya, l’un des démons japonais les plus connus au monde. Il apparaît notamment dans des manga, animes et reste très présent dans le théâtre nippon.

En tout cas, cette image (celle du couple) a le mérite de retenir l’attention. Je la trouve perturbante et un peu effrayante, je dois bien l’avouer. Comme sortie d’un autre temps, elle est mystérieuse. Elle semble être hantée.

般若 (Hannya) par Mizuki Shigeru
般若 (Hannya) par Mizuki Shigeru

A noter que si vous possédez plus d’informations concernant l’image de ce couple japonais, je suis preneuse ! N’hésitez pas à partager vos connaissances via les commentaires ! Et si jamais vous deviez croiser l’oni-baba… fuyez !